Ainsi donc dans notre beau pays de France on peut tout à la fois s’enorgueillir d’être le capitaine de l’équipe de France de basket et afficher en toute simplicité sa complicité avec un individu qui professe sans vergogne des idées pour le moins nauséabondes ?
On peut se vanter d’être la personnalité préférée des français, une grande gueule toujours prompte à monter au front pour défendre la veuve et l’orphelin et, dans le même temps, s’afficher en toute décontraction avec une sorte d’hurluberlu prétendu comique qui peut s’honorer d’être tout à la fois vaguement antisémite, furieusement antisioniste et légèrement révisionniste.
On peut aussi, juste pour épater la galerie ou fanfaronner sur internet, fêter un événement heureux en mimant une gestuelle empruntée à ce même pitre, lequel geste entre en résonnance avec un salut de bien triste mémoire.
Que le commun des mortels trouve chez ce comique l’expression de son ressentiment ou de sa frustration, qu’il le trouve même d’une drôlerie féroce, qu’il apprécie chez lui son côté ” moi seul contre le système “, à dire vrai, je m’en fiche complétement.
Après tout, une nation a aussi besoin de crétins patentés pour exister.
On ne peut pas exiger de tout le monde qu’il sache opérer la subtile différence entre la Chartreuse de Parme et le jambon de la même ville ou qu’il parvienne à saisir dans toute sa complexité la rhétorique de la phénoménologie appliquée à l’art contemporain, concept avec lequel j’avoue avoir aussi des relations compliquées.
Mais que des personnalités de tout premier plan, des sportifs de haut niveau, des figures censées exprimer l’excellence et le dépassement de soi, puissent poser tout hilares à côté d’un individu qui ne déparerait pas dans un défilé de nostalgiques d’un temps pas si ancien, m’amène à m’interroger sur la nature profonde de ces personnes présentées ici et là comme des porte-drapeaux de la France triomphante.
Évidemment ces mêmes personnes, si on leur demandait si elles partagent en quoi que ce soit les idées de ce comique troupier, tomberaient à la renverse et jureraient que non, bien sûr que non, consentant tout juste à admettre qu’elles le trouvent juste trop fendard même si elles ne sont en rien d’accord avec l’idéologie sous-jacente mise à l’œuvre dans ses sketchs les plus fameux.
En rien.
Tout juste d’ailleurs si elles ne s’étrangleraient pas d’indignation que vous ayez pu effectuer ce genre de rapprochement grotesque, considérant leur état de service impeccable et leur absolue conviction que ” mec, tu vois, nous sommes tous frères sur cette terre et il faudrait plutôt penser à nous aimer les uns les autres au lieu de chercher toujours à nous séparer “.
Bref, autrement exprimé, qu’on peut très bien trouver un type marrant sans pour autant adhérer à ses idées.
Sauf que non.
C’est que, en se rendant à une représentation de cet énergumène, on sait pertinemment qu’en agissant de la sorte, on devient complice, d’une manière tacite, par le seul fait de sa présence, des propos que la vedette d’un soir professera sur scène.
Ou du moins qu’on ne trouve là rien d’assez offensant ou dérangeant pour qu’on renonce à s’y rendre.
Ou bien alors, si l’on trouve vraiment qu’il se dégage de ses saynètes comiques une odeur par trop sulfureuse, une puanteur insupportable, une idéologie par trop insoutenable, on se retire sur la pointe des pieds et surtout on évite de se rendre dans les coulisses poser à côté de l’auteur de ces réparties abjectes.
Si, en toute connaissance de cause, on prend le temps de s’offrir un détour par la loge du comédien, qu’on ne rechigne pas à se faire photographier à ses côtés, c’est que tout bonnement, d’une manière délibérée ou pas, on en vient à cautionner ses idées.
Il n’y a pas de oui mais non.
Il n’y pas de c’est plus compliqué que cela.
Il n’y a pas de ” là j’avoue la partie où il parle des juifs, franchement j’étais mal à l’aise, j’ai même trouvé cela plutôt limite “.
Oubliant que dans toutes salles de spectacles il existe de petites enseignes vertes qui indiquent, même lorsqu’elles sont plongées dans le noir, le chemin de la sortie.
Il n’existe pas de demi-mesure dans sa conduite à tenir vis-à-vis de personnages qui, pour prospérer, s’amusent à jeter l’opprobre, avec une frénésie obsessionnelle, sur un peuple, quel que soit ce peuple.
En s’affichant à ses côtés, ces vedettes démontrent par-là, non seulement l’indécrottable imbécilité de leur pensée, mais aussi leur collusion avec des idées qui endeuillent encore un peu plus chaque jour notre beau pays de France.
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C’est dans le troisième tome de “A la recherche du temps perdu”, intitulé Le Côté de Guermantes.
Le narrateur, las de Paris et de son rapprochement impossible avec la duchesse de Guermantes, se décide à rejoindre Doncières, une ville-garnison où se trouve être cantonné son grand ami, Robert de Saint-Loup, quand on vient l’avertir que sa grand-mère cherche à le joindre par téléphone :
”Le téléphone n’était pas encore à cette époque d’un usage aussi courant qu’aujourd’hui.”
Mais comme la communication tarde à s’opérer, le narrateur s’en inquiète :
”Comme nous tous maintenant, je ne trouvais pas assez rapide à mon gré, dans ses brusques changements, l’admirable féerie à laquelle quelques instants suffisent pour qu’apparaisse près de nous, invisible mais présent, l’être à qui nous voulions parler et qui, restant à sa table, dans la ville qu’il habite, sous un ciel différent du nôtre, par un temps qui n’est pas forcément le même, au milieu de circonstances et de préoccupations que nous ignorons et que cet être va nous dire, se trouve tout à coup transporté à des centaines de lieues près de notre oreille au moment où notre caprice l’a ordonné.”
Finalement la communication finit par s’établir mais, au lieu de provoquer chez le narrateur une quelconque joie d’entendre la voix de sa grand-mère chérie, c’est tout au contraire, une angoisse sourde qui se saisit de lui.
Car si le téléphone abolit la frontière du temps, elle renforce celle de la distance, révélant avec une cruauté presque insoutenable que la personne avec qui on s’entretient ne se trouve pas auprès de nous, mais bel et bien dans un espace géographique se situant aux antipodes de l’endroit où l’on se trouve :
” C’est lui, c’est sa voix qui nous parle, qui est là. Mais comme elle est loin ! Que de fois je n’ai pu l’écouter sans angoisse, comme devant cette impossibilité de voir, avant de longues heures de voyage, celle dont la voix était si près de mon oreille, je sentais mieux ce qu’il y a de décevant dans l’apparence du rapprochement le plus doux, et à quelle distance nous pouvons être des personnes aimées au moment où il me semble que nous n’aurions qu’à tendre la main pour les retenir .”
Et il ne peut s’empêcher de penser que cette voix qui surgit du néant ressemble en tout point à celle qui viendra le tourmenter quand cette voix se sera tue à tout jamais :
”Présence réelle que cette voix si proche – dans la séparation effective ! Mais anticipation aussi d’une séparation éternelle ! Bien souvent, écoutant de la sorte, sans voir celle qui me parlait de si loin, il m’a semblé que cette voix clamait des profondeurs d’où l’on ne remonte pas, et j’ai connu l’anxiété qui allait m’étreindre un jour, quand une voix reviendrait ainsi (seule, et ne tenant plus à un corps que je ne devais jamais revoir) murmurer à mon oreille des paroles que j’aurais voulu embrasser au passage sur des lèvres en poussière”.
Que ces considérations d’un autre temps nous apparaissent de nos jours comme désuètes.
A l’heure où nous pouvons échanger des mails circulant à la vitesse de la lumière, où parler avec notre cousin chinois perdu au fin fond de l’Alaska nous apparaît comme banal, où nos vies ne semblent exister qu’à travers la possibilité de s’entretenir ou d’échanger dans la seconde nos réflexions, nos photos, nos vidéos, nous lisons ces lignes avec le même effarement qu’éprouveront nos cadets lorsqu’ils réaliseront qu’un monde sans internet a existé.
Ou qu’ils nous arrivaient de communiquer avec autrui à travers un échange épistolaire.
Ou qu’il existait un temps où nous avions encore la possibilité de réfléchir par nous-même, sans avoir besoin de s’abreuver d’informations inutiles avant de se forger une opinion qui est tout sauf authentique.
Le monde va trop vite.
Il nous dépasse.
Il nous écrase.
Il nous assassine.
C’est pourquoi, plus que jamais, il nous appartient de nous protéger de lui, de le tenir à distance, afin que nous puissions nous retrouver, renouer avec l’intimité de notre être intérieur, écouter à nouveau cette petite musique à l’œuvre au plus profond de nous, ces palpitations de l’âme qui rendent nos vies si étranges, si déconcertantes, si uniques.
C’est là la vertu des grands livres.
Ce sont des sentinelles qui nous rappellent au souvenir de nos vraies vies, celles qui méritent d’être vécues, non pas dans l’immédiateté du quotidien qui finit par nous étouffer, mais dans l’évocation d’un monde où seules les idées de compassion, de courage et de tendresse importent et l’emportent sur toute autre considération.
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Pour un juif, se coltiner chaque année le dernier Woody Allen constitue un acte aussi fondamental que de jeûner (ou d’essayer) à Kippour.
Une sorte de onzième commandement auquel il ne saurait être question d’échapper de peur d’être excommunié à vie, ou répudié par les autres membres d’une communauté par ailleurs guère fréquentée, du moins en ce qui me concerne.
Tu iras voir le dernier Woody Allen et tu loueras sa grandeur, lit-on dans la bible du cinéphile d’ailleurs bien souvent plus d’obédience ashkénaze que sépharade tant les névroses de notre new-yorkais préféré ne peuvent être entendues par des Maurice Boutboul de pacotille dont la métaphysique première se résume à se demander s’il doit rajouter de la harissa dans son sandwich dégoulinant d’huile d’olive frelatée.
Craignant par-dessus tout les représailles iniques d’un Dieu ô combien susceptible et à cheval sur les respects de ses édits dont lui seul feint de comprendre la teneur, je me condamne chaque année à me traîner au cinéma de quartier contempler la dernière petite merveille de Monsieur Allen.
Sauf que depuis quelques temps, au risque d’apparaître comme un félon, comme un renégat, comme un traître à ma propre communauté, j’ai de plus en plus de mal à m’enthousiasmer pour ces prouesses cinématographiques que je trouve d’une redondante fadeur en comparaison des chefs d’œuvres incontestables que le petit binoclard neurasthénique a pu réaliser dans le passé.
Ainsi de son dernier Jasmine, dont la critique ronronnante et bien pensante nous assène que c’est son meilleur film depuis Match Point , qui était lui-même son meilleur depuis “Harry dans tous états”, qui lui-même pouvait se vanter d’être son meilleur depuis “Crimes et Délits”, lequel était sans conteste son meilleur depuis “Hannah et ses Sœurs”, qui sans l’ombre d’un doute demeurait son meilleur depuis “Manhattan”.
Jasmine n’est pourtant pas un mauvais film.
Loin s’en faut.
Comme tous les films de Woody Allen, il possède ce charme indicible, cette fluidité évanescente, cette tranquille nonchalance où le cinéaste névrotique prend un malin plaisir à détricoter des vies qui s’effilochent, à dépeindre des personnages qui, terrorisés par l’idée même de vivre, cherchent un chemin de traverse pour soulager le poids de leurs angoisses écrasantes.
Ici Cate Blanchett, la diaphane et bien souvent horripilante et glaçante actrice australienne, qui nous sert son grand numéro de femme disjonctée, descendue de son piédestal de bourgeoise vuitonée, carburant à la vodka et aux tranquillisants, roublarde posture permettant d’établir une connivence instinctive avec le spectateur d’obédience ashkénaze qui connaît sur le bout de ses tefillins la classification exhaustive des tranquillisants de dernière génération, leur durée d’action, leur effets secondaires, leur vertus essentielles tandis que le Sépharade de service, Maurice Boutboul pour ne pas le nommer, ne connaît lui que la différence entre la Harissa importée de Tunis et celle venant de Sousse.
Tout ceci pour dire que non, Cate Blanchett n’a pas à rougir de sa prestation (même si elle n’aura jamais cette vraie et authentique folie que dégageait en toute simplicité l’inégalée Diane Keaton), une appréciation à modérer tant je connais dans mon entourage proche une flopée de névrosées du même acabit qui aurait pu pour une brick à l’oeuf symbolique proposer une composition en tout point équivalente.
En fait, si la critique se pâme tant et plus, c’est qu’une partie du film, audace inouïe, ose se dérouler à San Francisco et prend ce risque insensé de dépeindre des américains ordinaires, montrés dans leur radicalité la plus extrême puisqu’on les voit en train de manger de la pizza.
Attitude en tout point contraire au dogme allenien démontrant que le cinéaste en a encore sous la kippa.
D’où cette assomption déclamée ici et là que le film serait d’une audace folle, d’une inventivité retorse, une farce sociale d’une cruauté raffinée où Woody Allen fracasserait les codes de la tragicomédie en nous rappelant, vertigineux constat, que tout n’est pas rose en Amérique.
C’est oublier que le film manque singulièrement de muscle, qu’il se contente d’enfiler des clichés convenus (la femme hystérique, la femme cocufiée, la femme libérée) qu’au fond il ressemble aux dernières productions de Woody Allen, hormis l’audacieux et délicieux “Midnight in Paris” : toujours impeccables quant à leurs formes mais paresseux et sans ressort au niveau des dialogues où un Allen à bout de souffle recycle ses vieilles marottes sans jamais parvenir à se réinventer.
Au final, on en arrive à visionner un film ni repoussant, ni exaltant, se contentant juste du minimum syndical pour donner au spectateur de quoi ne pas regretter d’avoir posé un lapin à sa maîtresse qui se trouve être souvent la femme d’André Boutboul, le frère de Maurice.
Ce qui contentera assurément un Sépharade comme Maurice Boutboul, éminent membre d’une communauté que je ne fréquente guère mais peinera à réjouir l’Ashkénaze qui sommeille en chacun de nous, confronté à un film manquant singulièrement d’allen… d’allant voulais-je dire (oui Maurice c’est normal si tu ne comprends pas la chute).
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Oh ce que j’aimerais écrire un méchant et tonitruant papier pour dire tout le mal que je pense de toutes ces affreuses séries et sitcoms qui viennent vitrifier nos imaginaires et nous contraignent à passer des soirées entières à les visionner.
Etre le premier à m’élever contre ce nouveau diktat qui considère les séries comme un art majeur capable de rivaliser avec les joyaux hélas perdus du septième art.
Dire mon agacement infini quand j’entends autour de moi les gens se palucher sur la dernière série en vogue, confier leur extatique enthousiasme devant les ultimes rebondissements du dernier épisode visionné, s’enflammer devant l’ingéniosité d’un récit qui n’en finit pas de surprendre, s’échanger des réflexions métaphysiques sur les évolutions survenues dans la vie trépidante de leur héroïne préférée.
M’insurger contre ce nouvel ordre moral qui nous contraint à nous définir par le genre de série qu’on affectionne de regarder comme si nos vies en dépendaient, entichés de ces personnages qui sont devenus aussi essentiel à notre équilibre personnel que la présence de nos animaux domestiques.
Appeler à un sursaut collectif et salvateur pour dénoncer toute l’inanité de ces séries qui au final se ressemblent toutes, leurs parfaites invraisemblances, leurs totales vacuités, leurs extravagantes prétentions, leur accumulation de clichés, leurs mesquineries narratives, leurs personnages stéréotypés, leurs intrigues poussives, leurs connivences rustiques (???), leurs répétitives saisons, leurs irrémédiables insignifiances.
Agissant de la sorte, je deviendrais l’homme le plus haï de la planète.
Celui qui, d’entre tous, aura osé s’insurger contre la mainmise de ces séries ayant envahi nos quotidiens avec un taux de dangerosité équivalent à celui de la peste porcine.
Bien vite je recevrais des colis piégés, des menaces de morts, des lettres haineuses débordant d’un fiel rageur, me désignant à la vindicte populaire, me traitant de petit snobinard à la noix, d’intello de mes deux tout juste bon à se branlotter le cerveau sur des livres périmés, incapables de comprendre que désormais le vrai art se trouve ailleurs.
Je serais honni de tous.
Ce serait mon heure de gloire.
Sauf que tôt ou tard, je serais confondu.
Mon téléviseur appellera l’AFP pour dire qu’il a été obligé, année après année, d’ingurgiter l’intégralité de 24 heures chrono, de Six Feet Under, de Twin Peaks, de Curb Your Enthousiam, de Mon oncle Charlie, oui parfaitement de Mon oncle Charlie, de In Treatment.
Une ribambelle de séries regardées avec une avidité non feinte, avachi sur son canapé, aussi concentré qu’une otarie de zoo à l’heure de la distribution de poisson.
Ma bibliothèque témoignera qu’elle doit supporter la présence encombrante de coffrets de séries entières, déclinées à toutes les sauces, coincées entre la correspondance de Flaubert et les manuscrits ronéotypés de Rimbaud.
Mon ordinateur dira qu’il m’a surpris à télécharger le pilote de la dernière série diffusée par HBO, visionnée en douce alors que j’avais prétendu être affairé à écrire un chapitre importantissime de mon dernier roman à la con tout en avertissant mon chat qu’il ne devait me déranger sous aucun prétexte faute de quoi il serait privé de croquettes jusqu’à Pessah.
Ces sales traîtres auront en partie raison.
Oui, j’en conviens bien malgré moi, il m’est arrivé, dans un moment d’égarement, d’éprouver quelque tendresse pour une série particulière, voire même de m’être cloisonné un week-end entier pour m’offrir une remise à niveau d’une série qui ne me déplaisait pas trop ou d’avoir demandé à Amazon de me livrer en toute urgence l’ultime saison d’une d’entre elles que je bouillais d’impatience de visionner.
Mais cela m’est passé.
J’ai seulement été bêtement conditionné.
Je me suis montré faible.
J’ai perdu tout sens moral.
Je n’ai pas été à la hauteur de ma réputation.
J’ai péché.
Je suis averti désormais. J’ai compris mes fautes. Je ne les réitèrerai pas.
Je sais que plus jamais je ne retomberai dans ces travers si néfastes à ma santé mentale.
Sinon, Jack Bauer, le retour, vous y croyez-vous ?
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Je n’irai pas voir Roger Water ce soir au Stade de France dans sa représentation de The Wall.
Et pas seulement parce que je vis loin de Paris.
Ou que je n’ai jamais vraiment écouté un disque des Pink Floyd.
Non, si je ne conseillerai à personne d’aller voir le spectacle de cet individu, c’est que tout simplement ce même individu se trouve être depuis quelques années l’un des plus fervents partisans de cette invraisemblable posture intellectuelle qui se nomme le boycott anti-israélien.
C’est ainsi que j’ai aussi décidé que je n’irai plus jamais voir un film de Ken Loach pas plus que je ne lirai un nouveau roman signé Henning Mankell.
On peut excuser beaucoup de choses à un artiste sauf d’être un nazillon qui s’ignore.
Car prétendre qu’Israël exerce sur la population palestinienne une politique en tout point comparable à celle exercée par le Troisième Reich, n’est pas seulement une infamie intellectuelle, une contrevérité abjecte, c’est surtout la manifestation d’une haine féroce et inextinguible affichée envers le monde juif en général.
Alors que ce genre d’individu peut en toute conscience se rendre sans aucun état d’âme dans n’importe quelle monarchie du Golfe, séjourner dans des pays pour qui la démocratie n’est qu’une douce utopie, sillonner des contrées où l’on pratique à ciel ouvert la lapidation ou la pendaison d’homosexuels.
Cette même personne qui sitôt qu’elle entend prononcer le nom d’Israël, se drape dans sa vertu offensée et vilipende un état qui pratiquerait un apartheid implacable et une politique de purification impitoyable.
Il n’est pas question ici de décerner à Israël la palme de la vertu ou la médaille de la sagesse en qui concerne la manière dont elle aborde et traite le problème palestinien.
Juste de répéter pour la centième fois que oui, Israël agit vis-à-vis de sa minorité palestinienne comme n’importe quelle autre démocratie agirait dans les mêmes circonstances : en tachant d’adopter une ligne de conduite certes ferme certes dure certes parfois obtusément intransigeante mais toujours respectueuse d’agir en respectant la dignité humaine.
Les artistes qui se vantent de boycotter l’état hébreu pour afficher leur solidarité envers le peuple palestinien ont tout loisir d’agir ainsi.
On peut même arriver à leur trouver un certain panache à se conduire de la sorte.
On leur demande seulement d’afficher très exactement le même rigorisme et la même intransigeance dès lors qu’il s’agirait de nations autres qu’Israël.
A titre d’exemple, on notera ainsi que Roger Waters s’est produit en toute simplicité en 2007 à Dubaï.
Dubaï, cet état des plus démocratiques où les femmes se retrouvent en prison quand elles osent porter plainte après avoir été violées.
Ou l’article 80 du code pénal punit la sodomie d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans.
Où les ouvriers sont bien souvent traités comme de simples esclaves.
Au fond, le boycott anti-israélien n’est qu’un cache-sexe bien pratique pour pratiquer un antisémitisme de bon aloi.
Une façon pervertie de déclarer en toute conscience son animosité quasi viscérale vis-à-vis de tout ce qui s’apparente au monde juif.
Une manière extrêmement pratique d’afficher son antisémitisme tout en se déclamant du côté des vaincus et des opprimés.
Un travestissement extrêmement subtil de son aversion quasi pathologique envers tout ce qui touche de près ou de loin au judaïsme coïncidant le plus souvent avec la pratique d’un christianisme périmé continuant à penser le peuple juif comme un peuple déicide.
Ou étant la manifestation d’une pensée tiers-mondiste qui amène toujours à entrevoir Israël à travers le spectre d’une Amérique honteusement capitaliste, ultra-dominatrice, cherchant par tous les moyens à asseoir son autorité satanique.
Il existe de par le monde un nombre incalculable de peuples martyrisés, souillés dans leur dignité, mis à l’index, déportés, parfois même gazés qui échangeraient bien leur funeste sort contre celui du peuple palestinien, aussi inconfortable soit-il.
Que Messieurs Waters, Loach, Mankell et consorts commencent par apporter leur soutien à ces peuplades en détresse.
Il sera toujours temps après de s’affairer autour de la question palestinienne.
En espérant qu’elle ne soit jamais reglée tant elle permet aux antisémites de tout bord de continuer à se penser comme des humanistes au-dessus de tout soupçon.
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Des sauvageons de footballeurs qui avant même d’avoir prouvé leur valeur se permettent de se comporter comme des mères maquerelles confirmées en allant quémander encore plus d’oseille à des présidents pas fichus de leur infliger une bonne paire de baffes en retour de ces sollicitations obscènes.
Une ligue 1 moribonde et moisie où, semaine après semaine, avec la régularité d’un croque-mort, des équipes peureuses et dépressives, arc-boutées sur leurs lignes arrière, rejouent le salaire de la peur et s’effondrent tout d’un bloc quand elles prennent un pion comme si on venait de leur annoncer l’imminence de leurs décès.
Des formations alignées en tour préliminaire de la Ligue Europa, se comportant comme des pucelles à l’heure de passer devant le tribunal du lit conjugal, incapables de se départir d’équipes fantaisistes jouant les seconds couteaux dans des championnats exotiques.
Une équipe nationale totalement atone, hagarde, apeurée, fantomatique, pleutre, passive, ahurie, d’une totale incongruité, occupée à bâtir des châteaux en Espagne à l’heure où d’autres dansent déjà la samba sur le sable de Copacabana.
La France du football sent le purin qui encombre les granges désolées d’exploitations agricoles victimes du syndrome de la vache folle : en totale déshérence et en parfaite adéquation avec cette France de l’ombre qui se rapièce à vue d’œil et s’en va se fiancer avec des culs-terreux se planquant derrière des idées nationales pour masquer leur trouille de vivre dans un monde devenu trop compliqué pour leurs cerveaux rétrécis.
Et au beau milieu de ce pataquès monumental, deux équipes sorties de nulle part, intoxiquées aux pétrodollars et aux pestilences gazières, qui plastronnent sur les pelouses hexagonales en jouant aux vedettes américaines face à des formations constipées qui leur cirent les pompes tout en les remerciant d’exister.
Une France footballistique revenue de ses fantasmes de 98 quand, sur un malentendu, elle a cru pouvoir s’inviter au banquet des grandes nations, danser une furtive valse avec des cavaliers étoilés, avant de se réveiller quelques années plus tard, affligée d’une méchante gueule de bois.
Et réalisant que le train avait filé sans même les attendre, les laissant déguenillés sur le quai de leurs espérances envolées, condamnés à demander au chef de gare de jouer du sifflet pour rattraper le temps perdu.
Ainsi va notre football des terroirs et des campagnes : incapable de se réformer, courant derrière les mirages d’un passé trop prestigieux pour être vraiment réel, trop frigide pour oser se réinventer, assistant à son propre enterrement sans même oser protester.
Revenue à son niveau du début des années soixante-dix lorsque l’équipe nationale fricotait avec le néant, quand nos clubs ne connaissaient de l’Europe que le nom des aéroports où ils n’atterrissaient jamais si ce n’est pour s’offrir une impeccable sortie de piste.
A cette époque, pour redonner un souffle à ce football en perdition, on avait osé quémander l’aide d’un entraîneur roumain au nom pas très latin : Stefan Kovacs.
Pas sûr qu’aujourd’hui, vu notre conception parfois très particulière de l’hospitalité, on ose répéter une telle opération qui sonnerait comme un désaveu pour un pays qui, revenu de tout, s’offrirait bien une cure d’eau de Vichy histoire de retrouver un sens à sa destinée bafouée.
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Et voilà, rien ne va plus, la roue a tourné, les jeux sont faits.
Les deus ex machina de la littérature hexagonale ont tranché et s’en sont allés designer ceux qui mériteront dans quelques semaines de recevoir une distinction littéraire.
Les autres, tous les autres peuvent aller se rhabiller.
Ils ne sont plus bons à rien.
Il faut le dire et le redire : les prix littéraires sont tout à la fois une abomination et une escroquerie.
Une abomination parce qu’en décidant que seuls quelques rares élus méritent de demeurer dans la course aux prix, on condamne du même coup les autres romanciers à errer dans les basses-fosses des librairies transformées en cimetière des espérances perdues.
Une escroquerie parce que, quel que soit le degré de compétence de ces messieurs dames plastronnant au sein de ces prestigieux jurys, ils ont autant de pertinence à juger de l’importance ou de la qualité d’une œuvre littéraire qu’un croquemort en a pour décider si le corps qu’il s’apprête à enfouir six pieds sous terre mérite de léviter au paradis ou de croupir en enfer.
Ce n’est pas tellement de savoir si ces sommités ou prétendues telles qui chaque année nous crachotent leurs mesquines listes à la figure possèdent une quelconque légitimité à juger de la qualité d’un roman, c’est plutôt que cet exercice n’a aucun lieu d’être si ce n’est de permettre à l’heureux élu d’engranger quelques subsides afin de continuer, en toute quiétude, son travail littéraire (ce qui n’est pas si mal !).
De quelle formidable arrogance, de quel extravagant orgueil, de quelle misérable outrecuidance doit-on s’enorgueillir pour décréter du haut de son olympe inaccessible que le roman de trucmuche a le droit de figurer dans cette sélection atrophiée tandis que celui de machinchouette ne mérite même pas un accessit !
Qui sont donc ces petits marquis tellement épris de leur belle personne qu’ils parviennent à se convaincre que leurs avis, leurs opinions, leurs décisions valent oracles ?
De quelle maladie mentale faut-il souffrir pour penser un seul instant que son jugement ne souffre d’aucune contestation, qu’eux seuls détiennent la suprême vérité, qu’ils sont les uniques détenteurs du bon goût, tellement experts dans leur domaine de compétence qu’ils vous reniflent à mille lieux un roman parfait au beau milieu d’un océan de crasses romanesques ?
Et d’ailleurs c’est quoi au juste un bon roman ?
Il y a fort à parier que si demain un roman comme Absalon, Abasalon ! ou Au-dessous du volcan débarquait sur les étals des libraires, nos brillants examinateurs le liraient d’un œil torve en se demandant quel esprit dérangé a pu oser écrire de telles inepties mises au service d’un roman foutraque qui ne respecte même pas les canons habituels de l’académisme littéraire.
Bien sûr, on pourra toujours me rétorquer que c’est l’amertume de ne jamais avoir été reconnu par ces éminences intouchables qui m’amène à rédiger un tel billet.
Et l’on se tromperait.
Certes, je ne refuserais jamais un prix littéraire ne serait-ce que parce que tout d’abord ce serait une posture intellectuelle quelque peu vaine qui attirerait plus d’ennuis que de réconforts.
Parce que ce serait aussi trahir la maison d’édition qui a eu le courage de vous soutenir dans cette épreuve toujours recommencée de débuter et d’achever un roman.
Parce qu’enfin un prix littéraire vous permet d’arrêter d’écrire sur des sujets aussi passionnants que les tapis ronds ou les poufs poire.
Mais si par malheur, ce jour devait arriver, si une bande hurluberlus égarés dans leurs limbes livresques devaient me canoniser, si des dames réunies en conclave consentaient à m’anoblir et à me délivrer un certificat de romancier accompli, je n’irais pas danser sur les toits en proclamant que mon jour de gloire est enfin arrivé.
Non, je remercierais ces messieurs dames parce que je suis un garçon somme toute poli puis je rentrerais chez moi, sachant que la lutte continue, que la vie raccourcit année après année, qu’une amitié vraie vaut tous les faux sacrements et que ” la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots “.
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Elle se situe sur la côte pacifique mais le Pacifique a eu la flemme de venir la border et a plutôt choisi de la laisser végéter au milieu de nulle part.
Géographiquement, elle se retrouve coincée entre San Francisco la mythique et Seattle la dégourdie, enfant trop gâté de la côte ouest où viennent s’encroûter les gros mastodontes capitalistes de Boeing, de Microsoft et autres Amazon.
Elle est traversée par une rivière des plus anonymes, au charme introuvable, qui la tronçonne en deux et que chevauchent, à intervalle régulier, des ponts disgracieux au fonctionnement audacieux devant dater de la révolution industrielle, empruntés par des tramways à la mine constipée.
Les quelques buildings qui flanquent de leurs carcasses grossières son centre-ville n’ont pas grand-chose pour eux.
Ils ne s’élancent pas hauts et fiers dans le ciel brumeux comme la décence élémentaire l’exigerait, mais dessinent plutôt des courbes ternes et convenues qui siéent d’habitude à des villes grises où s’entassent toute la désespérance humaine.
Et pourtant, Portland a le charme déglingué de ces cités qui se foutent avec insolence de leur apparence et se donnent à vous sans maquillage, n’ayant à offrir que ce que dame nature a bien voulu lui concéder : des ballets de rues qui tournicotent et s’emberlificotent, colonisant des collines verdoyantes, assemblage incertain de pavillons parfois foutraques, parfois racés, toujours différents, comme s’ils s’étaient construits juste pour venir contredire les volontés de l’architecte d’en face.
En somme, Portland ne sait pas frimer et c’est très bien ainsi.
Elle assume ce côté j’m’en foutiste qui finit par convaincre le touriste de passage qu’il ne doit pas être désagréable d’y poser ses valises, histoire de tailler un bout de gras avec elle et d’échanger, autour d’une tasse de café ou d’une bière locale, quelques conseils de savoir vivre.
Difficile de croiser dans cette ville qui semble avoir érigé le cool en principe existentiel une personne qui, un jour ou l’autre, n’a pas eu rencard avec son tatoueur suivi par une session compliquée de piercing.
Ce n’est pas une ville, c’est un carnaval à ciel ouvert, une procession de visages peinturlurés, de nez percés, d’oreilles éventrées, de narines défoncés qui s’en va, à toute heure de la journée, se restaurer auprès de ces centaines de Food Carts ressemblant à un troupeau de carrioles coloriés qui colonisent comme d’improbables légions romaines des carrefours entiers.
Et invitent le quidam à s’offrir un tour du monde culinaire sans même avoir à se dépouiller pour s’empiffrer de repas de fortune qui se déclinent de sandwiches en tacos, de currys en shawarma, de sushi en souvlaki, de crêpes en patés impériaux.
C’est qu’ici personne ne semble avoir d’autre occupation que celle de traîner d’un pas mollasson ou tranquille, c’est selon, le long d’avenues plutôt paisibles, presque bourgeoises, où des guitars héro à la petite semaine se prennent pour des avatars de Jimmy Hendrix, quand ce n’est pas un couple de perdreaux même pas sortis de l’adolescence qui s’offre un remake hésitant d’une ritournelle des Smiths.
Et puis, à Portland, puisque qu’il paraît qu’il y pleut autant qu’à Vancouver, ils ont trouvé un remède miracle pour lutter contre l’intarissable morosité des ciels maussades.
Ca s’appelle Powell’s, c’est une librairie rêvée, aussi grande qu’un orgasme de bibliothécaire onaniste, avec des myriades de salles qui se chevauchent, se superposent, se marient, offrant au lecteur étourdi par tant de nourriture spirituelle largement de quoi tenir pour affronter des averses qui s’entêtent à lui tenir tête.
Portland l’a bien compris : la vraie vie ne se trouve pas forcément dans des malls qui racontent toujours la même histoire, celle de la grenouille qui se prend pour une princesse et qui finit toujours en crapaud, mais bien plus dans des endroits rapiécés où chacun prend le temps de se réchauffer l’âme à l’ombre d’une tasse de café qui engourdit la faiblesse des hommes à toujours vouloir paraître plutôt qu’à essayer d’être.
Portland, c’est l’Amérique qui aurait oublié de grandir et serait restée adolescente pour l’éternité.
Avec de l’acné peut-être mais surtout sans crème Nivea.
La classe quoi.
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