Nazi un jour, nazi toujours?

Décidément les allemands ont une conception du pardon très particulière. Sûrement torturés par le remords, et minés par un insondable doute, les héritiers de BMW, las de s’endormir tous les soirs dans leurs draps en soie, en se demandant si par hasard, le créateur de la prestigieuse firme automobile, en la personne de leur grand-père, Günther Quandt, n’avait pas fricoté de trop près avec le régime nazi- cet aimable interlude dans l’histoire par ailleurs glorieuse et en tout point remarquable de la civilisation teutonne- ont donc demandé, afin de se réconcilier avec leur conscience tourmentée, à un historien indépendant, Joachim Scholtyseck, de faire la lumière sur toute cette fâcheuse histoire.

 

Le résultat, connu depuis hier, est sans appel : Grand Papa, contrairement à ce qu’il avait bien voulu faire croire, a collaboré de près, de très près avec le III Reich, en se servant à grande louche, dans la grande masse des déportés, pour faire tourner ses usines, tout en spoliant, sans scrupule, les entreprises appartenant à des industriels juifs.

Ce que, au demeurant, tout le monde savait depuis des lustres. Comme l’on savait que Papy Gunther avait toujours refusé d’aller jouer au golf avec Herr Göring et Herr Goebbels, parce que sa première femme, cette sotte de Magda, l’avait délaissé pour épouser cette face de rat de Joseph, le fidèle camarade de jeu du petit Adolf.

Sur ce, le petit fils du constructeur, Stefan Quandt, au lieu de se taire, comme la décence élémentaire l’eût imposée, a tenu à réagir, en ces termes, dans une entrevue exclusive, accordée à l’hebdomadaire Die Zeit : certes, il y exprime ses ” profonds regrets ”  mais pour autant trouve que Günther ” était un entrepreneur responsable, éloigné de la politique, et qui n’avait pas pour but de tuer des gens “.

Autrement dit, un chic type en fait, un peu dépassé par la tournure prise par les événements, emporté par le mouvement capricieux et tumultueux de l’histoire, qui n’entendait rien, mais vraiment rien à la chose publique, se contentant d’être un entrepreneur consciencieux et travailleur, avant tout soucieux de ne pas faire péricliter ses usines afin de ne pas jeter à la rue des milliers de travailleurs innocents.

Attendrissant le petit-fils.

Etant bien entendu qu’on ne lui demandait surtout pas d’endosser la responsabilité des forfaits perpétrés par son grand-père, comme il est tout aussi évident que, né, bien après ces années troubles, il n’est en rien responsable de ce qui a pu se passer. Car comme le chantait si bien Jean-Jacques Goldman, dans l’une des chansons les plus aberrantes de stupidité de la chanson française, allez savoir ce qu’on serait devenu si on était né en 17 à Leidenstadt ? Hein ? Un travesti en culotte courte chantant Lilly Marlene dans un cabaret berlinois ? Un sous-fifre de comptable regardant passer les avions ? Un aiguilleur du ciel veillant à ce que les trains arrivent à l’heure ?

On eut aimé pourtant, à défaut de se taire, que le rejeton milliardaire, 72ème fortune mondiale tout de même, confie non seulement « son profond regret », mais qu’il condamne, sans la moindre ambigüité possible, les agissements de son aïeul, qu’il nous dise sa consternation, mais également sa révulsion, mais aussi son affliction, mais aussi et surtout son écœurement, de se savoir le petit-fils d’une ordure innommable.

En affirmant que son grand-père était juste « un entrepreneur responsable, éloigné de la politique », non seulement, il vient contredire, avec éclat, le rapport que lui-même a commandé, mais de surcroît, il s’inscrit dans un processus affirmé et éhonté de dédiabolisation de son grand-père incriminé. Dans une tentative à peine déguisée de réhabilitation, il tente d’asseoir la thèse que son grand-père n’a pas fauté, en tous cas pas plus qu’un autre, qu’il s’est juste contenté de faire continuer la machine sans trop se soucier de savoir de ce qui se passait dans l’usine d’à-côté.

On se retrouve là en plein cœur du problème et du malaise générationel du peuple allemand.

Une nouvelle fois, on ne demande pas aux nouvelles générations de s’excuser encore et toujours pour des crimes pour lesquels ils sont irrémédiablement étrangers. Non, on leur demande simplement de continuer à se penser comme des fils, nés de parents ou de grands-parents, qui ont collectivement, non seulement exterminé des millions de juifs, de tziganes, d’homosexuels, de gitans, au simple prétexte qu’ils étaient, mais qui ont assassiné le concept même d’humanité, ont jeté à terre des siècles de progrès où l’homme, tant bien que mal, a tenté de répondre à l’exigence suprême réclamée par Goethe, que « celui qui s’efforce de se surpasser, celui-là nous pouvons le sauver ».

De continuer à être hantés par le souvenir de ces paroles, terrifiantes et écrasantes de vérité, écrites par l’un des plus grands philosophes français contemporains, Wladimir Jankélévitch, dans L’imprescriptible, ce texte fondamental que chaque écolier allemand se devrait d’apprendre par cœur:

«  En dehors de ces élites, un peuple entier a été, de près ou de loin, associé à l’entreprise de la gigantesque extermination ; un peuple unanimement groupé autour de son chef qu’il avait maintes fois plébiscité avec frénésie, à qui il confirma tant de fois son adhésion enthousiaste, en qui il se reconnaissait. Nous avons encore dans l’oreille les affreux hurlements des congrès de Nuremberg. Qu’un peuple aussi débonnaire ait pu devenir ce peuple de chiens enragés, voilà un sujet inépuisable de perplexité et de stupéfaction. On nous reprochera de comparer ces malfaiteurs à des chiens ? Je l’avoue en effet : la comparaison est injurieuse pour les chiens. Des chiens n’auraient pas inventé les fours crématoires, ni pensé à faire des piqûres de phénol dans le cœur des petits enfants… »

(Et maintenant, pour se détendre, un petit clip de Sarah Silverman, la plus corrosive et hillarante humoriste juive venue d’Amérique. Pour ceux qui ont séché les cours d’anglais, c’est par)

L’Allemagne a été, est, et restera coupable. Coupable jusqu’à la nuit des temps. Les allemands, leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs arrières petits-enfants, tant que le soleil continuera à respirer, resteront coupables de quelque chose qu’ils n’ont pas commis. C’est un sort bien cruel mais c’est le prix à payer pour s’amender et pour pourvoir prétendre à participer au concert des nations. Pour pouvoir se regarder en face. Pour pouvoir demander, sans rougir de honte, à la Grèce, cette terre qui nous a donné la démocratie et la philosophie, d’arrêter de se la couler douce et de régler ces dettes.

De ne jamais essayer de minimiser ce qui a constitué la plus formidable entreprise de déshumanisation de toute l’histoire de l’humanité. Ce crime perpétré contre l’idée même de l’homme. De ne jamais vouloir tenter de rabaisser la responsabilité du peuple allemand. De ne jamais venir nous dire, excusez-les, les gars, ils ne savaient pas, seuls les élites étaient au courants. De ne jamais, jamais, jamais tenter de s’exonérer d’un devoir de mémoire qui doit être, encore et toujours, la pierre angulaire de leurs fondements moraux, de leurs agissements vis à vis d’eux-mêmes et vis à vis d’autrui.

Les jeunes allemands ont les mains sales et ce n’est pas de leur faute.

On n’aimerait pas être un jeune allemand.

Surtout quand on s’appelle Stefan Quandt.

 

 

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J’ai testé l’autolib…à Vancouver

 

Après le Vélib, cette invention en tout point remarquable, proche de la perfection pour celui qui a perdu le goût de vivre, voilà donc les Autolib s’apprêtant à débarquer dans la ville lumière, histoire de fluidifier un peu plus la circulation sclérosée de la Capitale du monde. Vu le succès étourdissant du Vélib, avec son cortège d’heures délicieuses passées à sillonner les rues de son quartier, puis de son arrondissement, puis de sa ville tout entière, à la recherche d’une machinette introuvable, ou alors qui se meurt d’indifférence à une borne désolée, désossée, orpheline de ses freins, de ses roues, de sa selle, de son pédalier, n’attendant plus que le passage des pompes funèbres, pour aller s’enterrer à jamais dans une décharge anonyme, quelque part au fin fond d’une banlieue abandonnée, on s’en réjouit d’avance.

Les esprits chagrins, toujours prêts à mesquiner à tout va et à dézinguer toute initiative aussi prometteuse soit-elle, se marre à déjà à l’idée que pour aller dénicher une voiturette en état de marche qui veuille bien bouger de son terre-plein, il faudra déjà s’en aller cueillir un Vélib en état de marche.

Et pourtant, moi, oui moi, je l’ai déjà testé, la Totolib. Pas à Paris, mais ici à Vancouver, où depuis quelques mois déjà, contre une somme toute symbolique de 26,25 euros (au cours d’aujourd’hui du dollar canadien à la bourse de Singapour), la possibilité est offerte aux habitants de la pacifique cité, de se transbahuter d’un bout à l’autre de la ville à bord de voitures électriques, forcément électriques, qui ressemblent à s’y méprendre à des Smarts, toutes jolies, toutes belles, toutes pimpantes, promptes à démarrer au quart de tour.

Le système s’appelle Car2.go (déja à l’oeuvre à Hambourg, Austin…) qui ne se traduit pas par Voiture2.pour aller, le 2 en anglais étant aussi une locution adverbiale servant à traduire la possibilité d’un mouvement à venir.

Donc, un beau jour, après avoir rempli le formulaire à remplir, payé la somme à payer, répondu aux questions à répondre, tu reçois par la poste une jolie carte magnétique toute bleue, avec un mode d’emploi aussi long à potasser qu’un haïku rédigé par un Chirac alzheimérisé après son accident cérébral d’on ne sait plus trop quand.

Puis arrive le jour inévitable où, en ouvrant ton frigo, tu découvres, horrifié, que ta réserve de Guinness a fondu comme irlandais au soleil. Calmement, sans paniquer, tu refermes la porte du frigo, et tu détales à toute berzingue vers ton ordinateur te connecter illico au site web de la Voiture2.pour aller.com.

Identifiant/Mot de passe. T’es où ? Qu’est ce que ca peut te foutre ? T’es où Ducon je te demande ? Bah, chez moi, pas chez ma maîtresse, on n’est pas jeudi. C’est où chez toi ? Qu’est-ca peut te foutre ? Donne l’adresse je te dis. Tu donnes l’adresse et là, houba hop, une gentille assistante te dit où qu’elle se trouve ta petite Toto qui se languit d’ennui en attendant ta visite. Généralement, c’est à moins de dix minutes de marche. Elle te plait la voiture ? Oui madame. Tu la veux? Ah ben oui madame. Tu es bien sûr ? Je crois madame. Sûr de sûr ? Oui madame. Bien, je te préviens qu’une fois que tu auras confirmé ta réservation, tu auras 15 minutes pour la trouver. Si tu ne la trouves pas dans le quart d’heure, le compteur se mettra en branle automatiquement. Le tarif étant de 34 centimes d’euros par minute, c’est panique à bâbord.

Bien souvent, dans ce moment d’égarement où l’on se trouve à papoter sur le web, on se tient avachi sur la canapé, à peine habillé, la mine défaite, la vessie remplie. Le temps d’aller se soulager, de trouver ses chaussures, de dénicher sa boîte de calmants, planquée exprés par le chat de la maison, sous le tapis de la commode, cinq bonnes minutes se sont déjà écoulées. Il t’en reste dix. Surtout ne t’affole pas. Tu as tout ton temps, petit. Pourtant, bien souvent, à peine le nez dehors, tes pieds se mettent à sprinter, ton cerveau t’ordonne de la magner, tu te mets à courir comme un dératé, les minutes, avec leurs centimes, défilent à toute allure devant tes yeux, tu slalomes entre les écureuils et les ratons laveurs, tu passes devant la Smart sans la voir, tu ne la trouves pas, tu sues, tu t’arrêtes, tu prends le temps de consulter le sms que t’a envoyé l’assistante pour te dire où la voiture jouait à chat perché avec toi, tu ne comprends pas, je suis pourtant dans la bonne rue, tu t’apprêtes à les appeler pour leur remonter les bretelles, quand soudain, merveille des merveilles, tu l’aperçois, la Mignonnette, planquée entre deux mini vans grands comme deux cercueils de joueurs de la NBA.

Elle te reconnait. Tu la reconnais. Elle te sourit, tu lui souris. Tu m’aimes ? Je t’aime. Prouves-le moi. Tu apposes ta carte magique devant une machine posée sur le pare-brise, un message apparaît, tu montes chéri ? tu rosis de plaisir, les portes s’ouvrent, ça y est, l’objectif est atteint, félicitations, tu es dans la place.

Sauf que pas tout à fait. Maintenant devant toi, se trouve un joli écran tactile. Sur l’écran, un message apparaît qui t’interpelle et te demandes, toi bien être Laurent Tsagalorovicapitsh. Affirmatif. Toi donner code secret. Facile, c’est le même que la carte bleue qui est le même que celui de ton code d’accès à ton immeuble qui est le même que ton password pour accéder à ton site porno préféré. Sur ce, la voiture te souhaite bienvenue et te demande si elle va bien. Elle, pas toi. Et oui, camarade, qui te dit que l’autre crétin qui vient de divorcer d’avec Elle, la Smartesse, ne te l’a pas amochée en ratant son créneau ? Donc tu ressors, tu fais le tour de la voiture, l’œil aux aguets, prêt à débusquer la moindre anicroche, la moindre petite rayure équivoque, la première chiure de pigeon un tantinet suspecte.

Rien.

Tu remontes dans la voiture, tu rassures Biquette, tout roule ma Poule, t’es belle comme au premier jour, tu peux commencer à danser. Et dedans je suis comment ? T’es sûr que je suis présentable, que tes parents vont me trouver à leur goût ? Mais oui, t’en fais donc pas, ils t’aiment déjà, allez démarre. Je préférerais tout de même que tu m’inspectes. Tu regardes sous le siège passager, histoire de t’assurer qu’il n’y pas un crocodile mort qui roupille, tu jettes un coup d’œil rapide sur la plage arrière qui ressemble à un string de coffre, on ne sait jamais, il pourrait avoir une colonie de mouettes en train de partouzer. Rien. Tu rassures la Cocotte qui sautille de joie, tu mets la clef là où il faut, bien profond, et tu démarres. Enfin, tu appuies de tout ton pied pour que la Smart, agile comme une vache normande, daigne se mouvoir. Te voilà parti.

Si tu ne sais pas bien où tu vas, t’as un GPS. Si tu t’emmerdes, t’as la radio. Si tu as une crise d’angoisse, tu portes ton index sur la case SOS et, dans la minute, t’as une gentille assistante qui se met à te parler à toute vitesse dans un français qui ressemble à de l’anglais.

Au bout de 4 minutes, tu es enfin arrivé à destination, juste devant le bootlegger de Guinness. Pour se garer, aucun problème. La ville a donné son accord pour que tu te gares où bon te semble, sauf devant la caserne des pompiers et la réserve de bernaches. Une fois garé, tu te retrouves devant un dilemme épouvantable. Tu as deux solutions : soit tu termines ta réservation avec le risque que pendant le temps où te ravitailles en Guinness, un gros con désœuvré qui passait par là t’emprunte ta Dulcinée sans jamais te la ramener, ou bien alors qu’un autre gus, lui aussi en rupture de stock de Guinness, l’ait réservé via internet. Auquel cas, quand t’essayes de remonter dans la voiture, elle ne te reconnaît pas. Tu as beau jouer au poker ou au prestidigitateur avec ta carte magique, elle ne veut rien savoir. T’es qui toi ? Mais enfin Chérie, c’est moi, ton amour, tu te souviens, on devait aller voir mes parents. T’es qui toi ? Mais c’est moi Stabilovitsch, le gentil conducteur qui t’a amené jusqu’ici. T’es qui toi ?

Afin d’éviter ce genre de désagrément, il suffit de demander à la Toto de ne pas bouger pendant que tu vas acheter la bibine. D’accord ? D’accord, ça te fera 40 centimes la minute. La garce. Et donc te voilà en train de piquer un sprint dans le magasin de spiritueux, à la recherche de ta Guinness qui, manque de pot, se trouve être en rupture de stock. A la place tu te retrouves avec un caisson de bières canadiennes au sirop d’érable.

Sur le chemin du retour, afin de limiter les dégâts, tu roules sans frein, tu ne distingues plus le rouge du vert, tu doubles par en dessous, tu scalpes deux goélands au passage, tu te gares en créneau avant, tu veux enlever la clé de contact mais tu ne peux pas. Dis, mon Prince, suis-je toujours la plus belle pour aller danser, tu veux pas aller vérifier que j’ai toujours aussi fière allure? Tu dis oui à tout, sans réfléchir, tu remontes chez toi, tu es épuisé, en nage. Et c’est seulement quand tu ouvres ta canette de bière, que tu t’aperçois que t’as acheté une bière sans alcool. Allo Poupée ? Tu m’aimes toujours ?

 

 

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La sortie de la rentrée littéraire (3)



Fin septembre, le sort est jeté : il existe désormais la confrérie, très sélect et partant très courue, des écrivains qui peuvent se vanter de figurer sur la liste des prix, affichée sous le préau de la préfecture de la république des lettres, et les autres, tous les autres, la cargaison des cancrelats de la rentrée littéraire, qui parcourant, les jambes flageolantes la liste des candidats à l’élection du plus grand écrivain de leur génération, découvrent, horrifiés, que leur nom n’apparait nullepart, ni du coté des Médicis, ni chez les Goncourt, pas plus auprès des Renaudot. Les académiciens les ont superbement ignorés, le Flore et le Deux-Magots ne savent même pas qu’ils existent, le Wepler et le Décembre sont au regret d’annoncer que ce ne sera pas pour cette année, le Femina ne répond plus, l’Interallié leur tournent le dos.

Voilà c’est fini.

Votre concierge ne vous salue plus, votre chat refuse de jouer avec vous, vos enfants vous traitent de raté dans votre dos et se contentent de répondre désormais, quand on les questionne sur la profession de leur père, par un laconique “chômeur et encore”, votre femme voit s’envoler ses rêves de manteaux de vison, de résidence secondaire sur la côte d’opale, de dîners protocolaires avec Bernard Pivot comme maître de cérémonie à la table des grands restaurants de la capitale, et se met à souffrir, du jour au lendemain, de migraines atroces.

Votre attachée de presse vous oblige à payer le café qu’elle a daigné prendre avec vous, entre deux agapes avec des écrivains, eux, dûment sélectionnés ; votre éditeur vous traite d’incapable et joue aux fléchettes avec vos invendus ; votre libraire, sitôt qu’il vous voit débarquer dans sa boutique, file tout droit se planquer derrière la pile des livres plastronnant en tête des ventes, des livres qui, eux, vont se vendre et lui permettront d’embaucher une sémillante et pétillante stagiaire pour préparer les fêtes de noël, pas comme votre torchon dont la pile n’a pas bougé depuis une éternité, depuis le jour où en fait, vous avez dû soudoyer votre meilleur ami ou votre neveu, pour qu’il daigne s’en aller acheter un exemplaire de votre roman.

Recalé. Mis au rebut de la société. Hors jeu. Désormais vous gênez. Jusqu’alors, même si vos ventes ressemblaient à l’encéphalogramme d’Ariel Sharon depuis son accident vasculaire de janvier 2006, c’est à dire une ligne morne, étale, accablante de monotonie lasse, on espérait encore, au regard de la qualité indéniable de vos écrits, de la richesse somptuaire de votre style, de l’originalité de votre histoire, de cette façon bien à vous que vous aviez de détourner les codes romanesques pour mieux vous les réapproprier (cf. à la quatrième de couverture écrite au temps où votre éditeur croyait encore en vous) que les jurés des prix littéraires, en conscience, ne pourraient rester insensibles à la qualité de votre œuvre, et s’empresseraient de vous coller un triple AAA, délirant d’enthousiasme, synonyme de figurer en bonne place dans la kommandantur de livres à lire toutes affaires cessantes, sous peine de passer pour le crétin de service lors du prochain repas de famille quand, après avoir évoqué et réfléchi sur le problème de la dette grecque et des conséquences éventuelles de sa sortie de l’euro, on se tournera vers vous, en disant, au fait, toi qui est de la partie, t’en penses quoi du dernier Concourt (facile, je sais, je suis fatigué et j’ai faim)?

Sauf que, la plupart du temps, les dits jurés n’ont jamais, jamais, jamais lu votre livre. Et pour cause. Non seulement ces messieurs dames, vu leurs âges avancés, souffrent bien souvent de cataractes à répétition qui les amènent à confondre, lors de l’heure de leur souper, servi à 5 heures tapantes par une domestique à demeure, un pavé de saumon avec une tranche de jambon sans sel, mais de plus, ils voient décliner, jour après jour, leurs facultés intellectuelles, qui, si elles ont existé un jour, ce qui reste encore à prouver, ne sont plus désormais que des souvenirs lointains, des phares abandonnés qui ne servent plus que de reposoir à des vagues fatiguées.

Sans parler de leur forme physique, aussi pétaradante que celle de Nicolas Anelka lors du dernier mondial.

Si bien que tenter de tourner la page d’un livre leur demande des efforts surhumains qu’ils payeront plus tard, lors de la rituelle partie de bridge, avec leurs chers confrères du cercle de gériatrie de la société des gens de lettres, à laquelle on ne peut adhérer qu’après avoir répondu à des critères très stricts : être âgé de plus de 75 ans, penser que le Général de Gaulle est encore en vie, payer l’impôt sur la fortune, tenir ou avoir tenu une rubrique dans les pages de Madame Figaro, posséder un château en Bourgogne, être passé à Apostrophes, un jour de novembre 1977, avec Jean d’Ormesson ou Michel Tournier comme voisin de droite, penser que la littérature française n’a pas d’égal dans le monde, que les américains sont des péquenots incultes, les anglais des pédophiles en herbe, ou que la littérature espagnole n’est qu’une vue de l’esprit.

Demeure le dernier espoir. Celui du deuxième jeudi d’octobre quand sur le coup de midi, le prix Nobel de littérature sera décerné, en grandes pompes, par l’académie suédoise. Sauf que, là aussi, la vieillesse inhérente à ce genre d’institution engendre immanquablement des comportements débilitants. Soyons sérieux, quel crédit apporter à une institution qui a récompensé Pearl Buck, Doris Lessing, Gunter Grass, William Golding, Le Clézio et a oublié Joyce, Kafka, Fitzgerald, Proust, Woolf, Lowry, Nabokov, Mailer, Miller, Borgès, Simenon, Musil, Grombowicz, Pynchon, etc, etc, etc ? Un peu comme si le ballon d’or avait oublié de révérer Platini, Van Basten, Cruyff, pour le refiler à Ribery, Toulalan et Govou.

Vous mourrez donc inconnu.

Enfin pas tout à fait. Statistiquement, il est presque impossible, si vous persistez à écrire des romans qu’un éditeur persiste à publier, de ne pas recevoir un jour ou l’autre un prix littéraire. Il en existe, selon le site prix-littéraire.net, 1932 en tout. Si après tout cela vous n’êtes pas fichu de recevoir un prix, peu importe lequel, que ce soit le Grand prix de la bibliothèque municipale de la piscine municipale du stade municipal Eugene Delacroix de la banlieue de Mourmelon, ou le premier prix du deuxième étage, chambres impaires, de la maison de retraite Jeanne Calmant, ou encore, pour les cas plus désespérés, le prix des écrivains croyants, il reste deux solutions à envisager : soit vous êtes un génie absolu, soit…

 

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DSK: Levrette ou missionaire, le mystère reste entier

 

La populace a dit Dominique repens-toi, Dominique s’est répandu. En excuses circonstanciées, en c’est pas moi, c’est l’autre, en tais-toi quand tu parles. Convoqué au tribunal du peuple, situé à l’avant-dernier étage d’un immeuble patibulaire de Boulogne Billancourt, DSK a récité, à l’ombre d’une Tour Eiffel apeurée, d’un ciel tourmenté et d’un périphérique encombré, sa priere bien répétée de petit communiant appliqué, en chuchotant sa confession à des millions de Francais, plantés là comme des sentinelles frétillantes devant leurs postes de télévision, attendant, comme des otaries d’un zoo municipal regroupées au milieu du bassin attendent leurs rations quotidiennes de poisson avarié, délivrées par le gardien dévolu aux espaces verts, que celui qui avait commis l’outrage suprême d’avoir sali et l’honneur et la réputation et la grandeur de la France Eternelle, passe à confesse, s’agenouille devant le bénitier médiatique, leur demande pardon, et leur dise, oui mes freres, j’ai fauté : j’ai sauté. Mais surtout qu’il ne manque pas de leur raconter, sans entourloupe aucune, dans les moindres détails, ce qui avait bien pu se passer, lors de ces neuf fatidiques minutes de jeu, disputé dans la moiteur de la surface de la salle de bains de la suite du Sofitel, avec N. Diallo comme partenaire de jeu.

 

On était là, langue pendue, braguette ouverte, yeux par avance émoustillés, une main sur la télécommande, l’autre prête à boucher les oreilles des marmots à la première parole graveleuse ânonnée, la troisième sur le godemiché commandé la veille sur Amazon et planqué sous la table du salon, juste au cas où Dominique nous sortirait sa version non expurgée de ses mésanventures supposées « Il faut que je vous avoue tout d’abord, chère Claire Chazal, que cette matinée-là, figurez-vous que je m’étais réveillé avec, pardonnez-moi d’avance la vulgarité et le caractère cru de ces propos que je m’apprête à tenir ici, mais je dois aux Francais, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Donc en ce fameux matin de mai où ma vie a basculé, je me suis reveillé, avec ce qu’il convient de nommer, désolé, mais je ne trouve pas d’autre formulation pour définir mon état d’alors, une trique d’enfer. Etait-ce là la conséquence d’un rêve érotique particulièrement puissant dans son pouvoir de suggestion ? Où d’aventure me serait apparue Angela Markel vêtue d’une paire montante de cuissardes cuivrées et affublée d’un fouet tressé de lanières bien affutées, cadeau de son grand pere bien aimé, du fait que la veille je m’étais enfilé une côte de boeuf bien baisée accompagnée d’une juteuse sauce au poivre truffé ? Ou tout simplement une simpe érection matinale anodine, je ne saurais le dire. Toujours est-il que je bandais comme ce n’est pas permis. »

Et alors? (Sébastien, dépêche-toi de finir ta purée. Ginette, j’ai la gaule qui me démange, appele les voisins pour leur dire de remettre à plus tard la partie de scrabble )

“Et dans ces cas là, je vous le demande, les yeux dans les yeux, Claire Chazal, que fallait-il donc que je fasse ? Quelle attitude me devais-je d’adopter? A quel sein me vouer ? Appeler Anne en catastrophe pour une conversation olé olé ? Impossible. C’était l’heure de sa partie de croquet avec notre Doberman. Une session de téléphone rose ? Difficile. La barrière de la langue m’eût empêché de mener à bien mes travaux de relaxation. Une simple opérette de branlette vite expédiée en trois coups de veuve poignet ? Inenvisageable. Par principe, je ne me livre jamais à ce genre d’activité un jour de Shabbat. Ne me restait plus alors comme seule et unique solution d’emprunter ce long et tortueux chemin qui me menait droit à la douche, ce cimetiere des bandaisons mal négociées, afin de refroidir mes ardeurs que j’escomptais passagères”

Et alors ? Et alors ? (Sébastien monte dans ta chambre. Ginette, baisse la lumiere, je crois qu’on tient le bon manche )

 Suite à la complainte de plusieurs centaines d’internautes, la rédaction de Slate a décidé de censurer la suite de cet article.

 Trêve de gaudriole donc. 

 Un rêve est passé.

 Sitôt la confession achevée, les téléspectateurs frustrés d’avoir vu leurs espoirs débandés, amers de ne pas avoir assisté à une reconstitution en direct où Claire Chazal, en tenue de soubrette, se serait offerte en victime aguicheuse des désirs retrouvés d’un Dominique à nouveau ensorcelé, se sont travestis en internautes commentateurs zélateurs râleurs, agitateurs d’idées avisés, archéologues tout trouvés de la pensée cachée de l’idole tombée. Pffft, tout ça pour ça. On ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé. Beaucoup de bruit pour rien. On reste sur notre faim. On n’est pas plus avancé. Les interrogations demeurent. La vérité à nouveau escamotée. On nous cache tout, on nous dit rien. La vérité est ailleurs. On n’en a pas eu pour notre argent. Remboursé. Quel gâchis. On attendait autre chose. Avalanche de banalités. Bal des hypocrites. Elle l’a sucé ou pas au final ? Levrette ou missionaire, le mystere demeure entier..

Suite à la complainte de plusieurs milliers d’internautes, la rédaction de Slate a décidé de censurer la suite de cet article.

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Goy ou pas Goy?

Honteusement scandaleuse la pleutre décision d’Apple de retirer du marché cette application futuriste qui, en deux coups de claviers bien sentis, nous aurait enfin permis d’apprendre qui est youtre et qui ne l’est pas. C’en eût été enfin fini de toutes ces heures compliquées, à fureter comme un dératé sur le net, à la recherche du détail fatal, un père bijoutier, une mère psychiatre, un frère avocat, une tante cancérologue, qui nous aurait mis le prépuce à l’oreille ; à enchevêtrer et à reconstituer, avec la patience d’un cruciverbiste à la retraite, les fils biographiques de la vie d’une célébrité pour tenter de savoir, si derrière ce grossier pseudonyme à consonnance un peu trop policée, ne se cacherait pas par hasard un bon petit Levy ou un Nataf des familles.
A compulser les antécédents d’un quidam télévisé, à la tête pas vraiment catholique, afin de pouvoir lui apposer, sans l’ombre d’un doute, la certification cent pour cent casher dans notre classement des personnalités juives les plus en forme du moment.


Quel bonheur indicible cela eût représenté, quelle avancée précieuse pour l’avenir du genre humain, quel extraordinaire gadget qui aurait enfin mis un terme définitif à ces odieuses et insidieuses campagnes de dénégation, menées par quelques congrégations mystérieuses, insinuant, à coups de propos à peine voilés, qu’il se pourrait fort bien que l’animateur chéri de ces dames, qui se présente toujours sous les traits impeccables du gendre idéal, à qui on donnerait le bon dieu sans confession, ne s’avère être, au bout du compte, qu’un infâme imposteur, un fieffé fils de Judas, un descendant de cette mesquine communauté déïcide qui vampirise nos écrans de télévision et sape, jour après jour, les fondements mêmes de notre civilisation chrétienne.

Evidemment dès qu’ils ont vu le mot juif apparaitre, et la Licra et le Mrap et S.O.S Racisme, comme de bon petits soldats élevés au sein rigide mais vertueux de la Justice, respectueux de nous protéger contre les intrus de tout poil, désireux de détruire l’harmonie républicaine, ont froncé les sourcils, convoqué sur le champ un conseil d’administration, et après un rapide tour de table, ont conclu qu’une telle application n’était pas compatible avec les valeurs sacrées de la République et, du coup, ont menacé le malheureux terroriste au prépuce pourtant circoncis de sévères représailles, de procès staliniens, de mises à pied à répétition, de passage à tabac, de conseil de discipline, de mise au ban de la société, d’exil forcé en Corée du Nord.

On se demande tout de même si ces messieurs dames auraient eu la même promptitude, la même célérité dans la sévérité, le même genre de réaction épidermique si d’aventure, un petit insolent d’origine douteuse avait sorti la même application, mais cette fois, en se demandant, non plus si l’arbre généalogique de la personnalité suspectée comportait des antécédents hébraïques, mais plutôt si elle était goy ou pas. Hein ? Fort à parier que, dans un tel cas de figure, personne, absolument personne n’aurait moufté le moindre petit doigt, et, du coup, aurait laissé entre les mains de n’importe quel adolescent mal dégrossi la possibilité de savoir, en trois coups de cuillère à pots, que oui Claire Chazal appartenait bien à la confrérie des goy en goguette, tout comme PPDA d’ailleurs, sans parler de Lionel Chamouleaud, d’Arlette Chabot, de Laurence Ferrari, de Thomas Hughes, toute cette fratrie d’horripilants catéchistes qui cachetonnent au cercle très secret et pourtant très influent de la presse catholique.

C’est toujours la même sempiternelle rengaine. A peine sussurrons-nous le mot pestiféré de juif que le lobby judéobolchevikmaçonique se met en branle, agite le drapeau rouge de leurs pauvres petites consciences tuméfiées et traumatisées, sonne le rappel de leurs troupes, font sonner le clairon de leur indignation offusquée, et aussitôt, les membres de la communauté incriminée s’empressent de nous ressortir encore et toujours les mêmes clichés rances qui datent de Mathusalem, Vichy, Pétain, la Collaboration, tout ces épiphénomènes qui n’ont jamais été que le fait de quelques hurluberlus égarés dans la masse triomphante des résistants de tout bord.

Cependant, il est à noter, et c’est là toute la douce ironie de l’histoire, qu’il se pourrait fort bien que la plupart du temps, les gens qui s’attachent à ce genre de détail somme toute bien inoffensif, à savoir si le présentateur de son émission favorite, ne serait pas finalement d’ascendance sémite, sont bien souvent… les juifs eux-mêmes.

Parfaitement.

Soyons honnêtes, nous raffolons de ces savoureuses révélations d’apprendre à la dérobée qu’un tel, déguisé sous une appellation cent pour cent gauloise, n’est autre qu’un fils Bokobza, né à la Goulette et nourri de couscous boulettes depuis son berceau, ou que telle autre, se trouve être en fait, la fille d’un certain docteur Duschmolk qui a épousé, en secondes noces, je te le donne en mille, une fille Benhamou. Non ? Si je te jure. C’est mon boucher qui me l’a confié. Allez avouons aussi que lorsqu’une telle nouvelle apparaît, nous éprouvons comme un réel sentiment de fierté de savoir que décidément nous ne sommes pas les héritiers du peuple élu pour rien…

D’ailleurs, au fait, tu ne sais pas mais Sagalovitsch, tu sais le clown qui ratiocine dans Slate, il paraîtrait en fait que…. NON? SI

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Banonnonramama

 

Décidément DSK et Tristane Banon forment un bien joli couple. Entre Dominique qui revient, tout sauf en catimini à Paris, avec ce sourire extatique et indéchiffrable, qu’on voit d’habitude, chez ceux qui carburent, dès l’aurore apparue, aux antidépresseurs de quatrième génération, promenant leur mélancolie maladive, le long de couloirs aseptisés de haute sécurité d’un hôpital psychiatrique de province, et Tristane, plus écervelée et imprévisible que jamais, qui n’en manque pas une pour nous rattraper par la manche, en nous postillonnant et moi, et moi, et moi, moi aussi j’ai des émois qu’on ne parle pas assez de moi, on peut dire que les deux font la paire.

Tristane crevant de jalousie rentrée de voir Dominique plastronner en jubilant devant les caméras du monde entier, à deux point de se prendre pour Gene Killy et de taper des claquettes avec sa promise devant le parterre humide de sa mansarde parisienne, et Dominique, dans la solitude dorée de sa bibliothèque, dégorgeant de pléiades platinées collectionnées mais si peu ouvertes, s’entretenant avec le fantôme de Victor Hugo rôdant encore et toujours autour de la plage des Vosges, pour lui demander, comment s’amender sans avoir l’air de se déballonner

Tristane, elle, ne sourit plus. Elle souriait du temps où, toute guillerette et un peu pompette, elle s’en allait dîner du côté de chez Ardisson, raconter fleurette au sujet de ses aventures pas vraiment guillerettes avec Dominique la bête. Désormais, Tristane rejoue les Canons de Navaronne en nous balançant, entre les dents, un appel. Pas du 18 juin mais du 24 septembre. Mais quelle différence ? C’est toujours la même litanie : la patrie est en danger, les loups sont entrés dans Paris, la justice a été confisquée par les riches et les puissants ; dans les rues de Paris, les mâles en rut peuvent palucher à leur guise la première passante rencontrée, sans que personne ne s’en émeuve ou ne s’en offusque, le tout sous la bienveillance outrancière de la maréechaussée qui assiste à ce spectacle somme toute bien bonhomme sans moufter de la matraque.

 

Des colonies de retraités priapiques draguent en toute impunité des jeunes filles à la sortie des cours de récréations, encouragés dans leurs travers pervers par une justice rendue aveugle et complice par une classe politique en passe de socialiser, à coups de jeux d’influence à peine dissimulés, les sous-sols encombrés du Palais de Justice.

La France se meurt, les femmes agonisent, Versailles se tait, le Palais se terre, l’Assemblée Nationale s’enivre de puissance et de gloire, le Sénat se morfond d’indifférence, la canaille plastronne dans les avenues de la capitale, la race inférieure à tout envahi, les canons grondent, et comme toujours, le peuple ronronne en attendant des jours meilleurs.

On ne sait plus quoi faire avec toi, Tristane. Tu as l’air tellement perdue dans l’arrière-cour de tes pensées filandreuses, tellement égarée dans le dédale de tes sentiments contrastés, qu’on a comme une envie, tout naturelle, de t’épauler, de te prendre dans nos bras et de te consoler, en te serrant très fort, contre notre cœur attendri. Même si on ne sait plus très bien pourquoi tu pleures.

Et puis, dans le même mouvement, en parcourant ta prose d’écolière outragée, cette prose boursouflée et toute pataude de lycéenne contrariée, on éprouve comme une gêne indicible mais néanmoins bien réelle, à se retrouver confronté à cette écriture d’une platitude infinie, d’une paresse sans nom, d’une insignifiance avérée comme si, à force de twitter les mots et de triturer des messages lapidaires sur ta page Facebook, tu ne savais même plus ce qu’écrire voulait dire, que tu avais perdu la confiance des mots, comme si ceux-ci, à force d’être maltraités, banalisés, martyrisés, s’étaient révoltés et t’avaient abandonnée, te laissant, seule et désemparée, sur le trottoir endormi de tes rêves évanouis.

Peut-être aussi, n’as-tu jamais su comment te les approprier ces mots, quand bien même ta fiche d’état civil te décrirait comme écrivain. Peut-être que ta posture d’écrivaine n’est qu’une imposture. Je ne sais.

Voilà Tristane où on en est avec toi. On ne sait pas ce qui se passe dans ta vie mais on devine que ce qui s’y passe est tragique. Et rien que pour cela, alors que c’était notre première intention, on n’a pas envie d’en rajouter, ni de faire le mariole avec la carriole des malheurs qui t’accablent. Qu’ils soient imaginaires ou inventés.

Du moins, pas cette fois.

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Lloyd Cole, Jean-Phillipe Blondel et moi

 Je m’étais juré quand j’ai apposé ma signature au bas de ce contrat mirobolant, concluant ainsi d’interminables semaines de palabres passées à ergoter sur le montant de mon transfert chez Slate, que jamais je ne parlerais de littérature dans mon blog, enfin, mettons que jamais, je n’émettrais un quelconque avis sur un roman venant de sortir en librairie, posture intellectuelle des plus respectables que j’attribuais alors à ma légendaire probité, à ma farouche volonté de ne pas jouer la midinette de comptoir, minaudant à tire larigot sur les travers nombrilistes de la littérature française, littérature que par ailleurs je ne fréquente guère, voire pas du tout, vu que la dernière librairie francophone de Vancouver, depuis qu’elle a eu la bonne idée de m’inviter pour une soirée exceptionnelle dédiée à la rencontre d’un écrivain majeur de la scene littéraire vichysoisse, a déposé, la semaine suivante, son bilan.

Bref, c’était décidé, je ne me mêlerais pas aux joutes littéraires qui animent les arrières-cours de récréation des magazines culturels de la capitale.

Sauf que.

Sauf que l’année dernière, il m’est arrivé une drôle d’histoire. Une parmi tant d’autre, mon existence ressemblant de plus en plus à la succursale d’un magasin de farces et attrapes destinée à des vieillards hypocondriaques.

Donc, un jour, comme disait mon alter ego, Simon sagalovitsch, dans un roman signé d’un tartartin de Sagalovitsch, “je fourrageais tranquillement dans le grand trou du cul que représente Internet, passant allégrement de la lecture de France Foot à l’excavation d’un poème de Keats lu par la voix toute tremblante de Francis Scott Fitzgerald (La métaphysique du hors jeu, éditions Actes Sud, page 4852)” lorsque, encore plus désœuvré qu’à l’ordinaire, encore un peu plus désespéré qu’à l’accoutumé, cherchant un énième motif pour repousser à un peu plus tard la tâche qui m’incombait alors, celle d’écrire précisément la suite du passage cité ci-dessus (vous me suivez? Moi, en toute franchise, j’ai du mal, avec tout cet échafaudage de niveaux d’intertextualité qui se chevauchent), je tapotais, pris d’un soudain accès de nostalgie, dans un moteur de recherche, le nom de Lloyd Cole.

Connaissez pas Lloyd Cole je suppose? Chanteur britannique à la voix incertaine qui connut au détour des années 80 un succès certain avec son groupe les Commotions. Cf. Lloyd Cole and The Commotions. Notamment en interprétant un tube interplanétaire, Forest Fire. Puis un autre, Lost Week End. Signe particulier : avait l’attachante ou l’agaçante manie, c’est selon, d’émailler ses lyrics de noms d’écrivains, Simone de Beauvoir, Norman Mailer, ou d’actrices mythiques, Greta Garbo, Eva Marie Saint. Avec Morissey, Lloyd Cole permit à la pop anglaise de délaisser les sorties d’usine pour fréquenter les couloirs de l’université, section littérature comparée.

 Bref, ce jour là “où je fourrageais…”, tapotant donc Lloyd Cole sur Google, je tombais sur son site, puis sur son courrier des lecteurs où là, à ma grande surprise, je dénichais un mail écrit par une personne que je connaissais sans vraiment la connaître. Jean Philipe Blondel, tel était son nom. Connaissez pas Jean Philipe Blondel non plus ? Décidément, vous ne savez pas grand chose. Jean Philipe Blondel, écrivain français, né à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Quand il n’écrit pas, enseigne l’anglais à des éleves nés à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Auteur de nombreux romans Juke Box, This not a love song, A contretemps, qui s’attache à décrire, dans une langue aérée et vivante, les aléas de la vie moderne, à travers la description de personnages, vivant à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie, qui semblent être sortis tout droit d’une pochette de disque signée des Smiths, servant de bande originale à un film de Jim Jarmusch. Un très bon écrivain que je n’avais jamais lu. (La description ci dessus étant donc nulle et non avérée).

 

 

Le contraire n’étant pas vrai.

Hein?

En d’autres termes, Monsieur Blondel avait lu un de mes innombrables chefs d’œuvre, et un jour où il avait encore trop bu, il m’avait envoyé un mail en me disant qu’il me devait tout, que j’étais son phare, sa lumière céleste, que jamais, de toute sa mort, il n’avait lu un roman aussi ensorcelant que le mien, et que rien que pour cela, il tenait à remercier ma mère de m’avoir mis au monde. Sur quoi, j’avais répondu -ce genre d’échange se produisant souvent entre deux écrivains de tout premier plan- que moi aussi j’éprouvais pour lui une gratitude infinie, que ses romans me hantaient depuis tout petit, et que si j’étais devenu écrivain, c’était juste pour avoir le plaisir de voir mes livres, posés à coté des siens, dans ma bibliothèque personnelle. Et ainsi de suite…

Jusqu’à ce fameux jour où je tombais sur le mail que Blondel avait écrit à Lloyd Cole, mail où il racontait combien ses chansons avaient compté pour lui, que de toute sa mort, il n’avait jamais écouté un tel disque, et qu’il tenait à remercier sa mère de l’avoir mis au monde etc., etc… Sur quoi, dans la foulée, je m’étais fendu d’un petit mail à son attention, pour lui raconter comment j’étais tombé sur son message sur le site du chanteur anglais.

Blondel me répondit qu’il s’en souvenait vaguement et prétexta qu’il avait bu plus que de raison ce soir là, ayant dû fêter l’accession de Troyes en Première Division, avec François Baroin, dans son bureau de l’hôtel de ville. Oui, comme vous l’aurez compris, Blondel a ce que l’on appelle communément un problème avec la boisson. Comme nous tous. Fin de l’affaire.

Sauf que non.

Tout le contraire.

Six mois passèrent.

En juillet dernier, je reçus enfin de ses nouvelles.

Cette fois, il ne s’était pas contenté de m’adresser un mail mais il m’avait carrément envoyé un livre. Un roman. Signé de sa main. Intitulé Et rester vivant. Publié aux éditions Buchet Chastel. Je fus très content de constater qu’il avait réglé son problème de boisson. Poli, un peu circonspect tout de même, sur ma réserve, n’ayant pas d’autres chat autre que le mien à fouetter, je commençais à lire la première page :

 “Bien sûr, ca m’a déjà traversé l’esprit, d’écrire sur cette période-là. J’ai tourné autour. J’ai effleuré. Mais je me disais que si je me mettais vraiment à raconter ce qui s’était passé, personne ne me croirait. Parce qu’il y a des limites à la fiction, mine de rien. Bref, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai pas changé d’avis. Je ne cherche pas l’adhésion. C’est un combat perdu d’avance. Simplement hier soir, j’ai reçu ce drôle de message électronique. Il émanait d’un collègue écrivain que je connais à peine mais dont je lis avec plaisir les rares romans- il est du genre dilettante, dans l’écriture de livres, un tous les quatre ou cinq ans, ca semble lui suffire. Il s’appelle Laurent Sagalovitsch. Il habite sur le côte Pacifique du Canada. Hier, il devait s’ennuyer un peu. Alors il a surfé sur internet, comme nous le faisons tous un peu parfois, par pur désœuvrement. Il est allé sur le site de Lloyd Cole…”

 

 

J’imagine que j’ai dû ressentir le même émoi que le spectateur qui venant assister à une rencontre entre le PSG et le Football Club de Montélimar, découvre, sur l’écran géant du Parc des Princes, sa bobine entrain de regarder sa bobine, avant de réaliser que cette bobine n’est autre que la la sienne de bobine et de secouer comme un poirier sa dulcinée pour qu’elle regarde à son tour sa bobine regarder sa bobine se regarder. Le grand frisson. Suivi d’un sentiment étrange de se demander ce que je fous là au juste ? Et est-ce bien de moi dont on parle ? Et serait-ce donc ainsi que je m’orthographie ? Avant de sombrer dans un accès de mégalomanie galopant : rentre ici Sagalovitsch, le panthéon des lettres francaises s’ouvre devant toi.

Pour ce qui est du roman, hormis mon apparition inopinée, il n’a bien sûr aucun intéret. Aussi médiocre que Rattlesnakes, l’un des plus beaux et des plus lumineux albums de la pop anglaise de tout les temps, signé Lloyd Cole and the Commotions. Une histoire à dormir debout, écrite dans une langue surchargée, encombrée de poncifs et de lieux communs. Aussi raté que le chef d’oeuvre absolu que constitue Stranger than Paradise de Jim Jarmusch. Un style ampoulé décrivant des personages d’une fadesse insondable. Aussi indigeste à lire qu’une nouvelle de Raymond Carver ou qu’un roman de Richard Ford.  

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Calvi, Platini, même génie.

 

J’avoue, bien que j’aime à fanfaronner à longueur de post sur ma propension toute naturelle à n’apprécier personne, à jouer sans forcer de ma misanthropie, encline à me faire enrager de dédain devant la crétinerie avérée, dûment constatée, de mes contemporains, à ne m’épanouir que dans la déconstruction systématique de l’autre, n’importe quel autre, vous, moi, l’amant de ma sœur, la sœur de ma cousine, la cousine de mon chat, il existe pourtant, sur cette maudite terre, un être pour qui j’éprouve un sincère élan de sympathie, une réelle adoration, un être que je place très haut dans mon Olympe personnel, d’habitude peuplé d’êtres qui ont quitté cette vallée de larmes depuis bien longtemps. Cet être, ce ne peut être que vous Yves Calvi. Oui je l’écris ici, Yves Calvi, je vous aime. Sans ambages, sans une virgule d’ironie, sans aucune trace de second degré.

Pour vous, si vous me le demandiez, je serais prêt à traverser l’Allemagne à cloche-pied et à pactiser de bon coeur avec mes cousins germains, à partager la couche d’une paysanne bavaroise à la poitrine dégoulinante de chair à saucisse, à m’accoquiner avec une ouvrière édentée des chantiers navals de Gdansk, à partir en voyage d’étude à Varsovie avec Ségolène Royal comme camarade de chambre. Pire, je serais prêt à reconnaître la supériorité intrinsèque de l’Olympique Lyonnais sur l’AS Saint-Etienne, à confesser que Jean Michel Aulas m’a toujours été sympathique, et à proclamer que Philipe Sollers demeure à ce jour le plus grand écrivain de langue française du sixième arrondissement de la Capitale.

Étudiant en journalisme, j’aurais choisi comme sujet pour ma thèse de doctorat, Yves Calvi ou la quintessence du Génie Français, un condensé de ce qui compose la panoplie parfaite de la magnificence de l’esprit français à travers les âges : la bonhommie feinte, la roublardise teintée de mauvaise foi, l’intelligence pétillante alliée à une capacité à se déjauger toute en finesse.

Platinien. Voilà l’adjectif qui me vient spontanément à l’esprit si je le laisse vagabonder sur la faconde éblouissante d’Yves Calvi, sur cette manière toute finaude qu’il a de mener son émission, avec cette même maestria que Platini avait de régaler Boniek, de transversales arrivant toujours à bon pied ; cette aptitude, qui est la marque des plus grands, à endôsser le rôle du cancre de service, pour que le téléspectateur le plus ahuri finisse par comprendre à quoi ca sert au juste une agence de notation, est-ce-qu’une centrale nucléaire, ça peut véritablement finir par provoquer une explosion comme celle d’Hiroshima, est-ce-que si l’essence précède l’existence, pourquoi les taxes sur l’essence continuent-elles à prospérer… tout ce florilège de questions, que même ivre mort, on n’oserait poser à son compagnon de beuverie, de peur de se faire rembarrer et d’être obligé de rentrer chez soi en frôlant les murs.

Au contraire des autres grands dadais du petit écran imbus de leurs mesquines personnes, le Calvi ne la ramène jamais, lui. Même s’il connait son sujet sur le bout de sa tonsure, il prend toujours un malin plaisir à jouer au corniaud de service, établissant dès lors une véritable complicité avec le téléspectateur qui, du coup, dans le vaste désert de son ignorance infinie, se sent un peu moins seul, et peut se retourner vers sa chérie, occupée à préparer la purée du repas vespéral, en lui disant tu vois, lui aussi, il n’y comprend rien à cette histoire de triple AAA.

Calvi c’est l’ami idéal avec qui on a envie de descendre cul sec une bouteille de calva tout en allant chanter sous les fenêtres du président de France Télévision que les bourgeois c’est comme les cochons, plus ca devient vieux, plus ca devient bête.

Calvi, c’est le tonton adoré de nos repas de famille du dimanche après-midi qui en a toujours une bonne a raconter, qui aide la maitresse de maison à débarrasser, une fois les agapes achevées, et qui s’en va jouer après, à la balle au prisonnier avec tous les marmots de la famille, pendant que le reste de la troupe sirote son café en se foutant de sa gueule. Le voisin qu’on n’hésiterait pas à déranger pour voir si d’aventure il ne veut pas aller parlementer avec le locataire du dessus pour le prier gentiment de baisser un peu la musique. Le type à qui on demanderait, sans même le connaître,  de nous aider à changer le pneu de la Renault vu que moi en mécanique…. Tout juste si on ne se réjouirait pas de savoir qu’il est l’amant de votre femme.

Calvi, c’est Flaubert se prenant pour Bouvard dans Bouvard et Pécuchet, avec ses expressions bien à lui, “moi je sais pas mais depuis que je suis journaliste j’ai toujours entendu “et dieu sait que nous autres français quand il s’agit de critiquer ou de se plaindre on n’est jamais les derniers”, “vous voyez parfaitement ce que je veux dire mais vous ne voulez pas répondre ce que je peux comprendre tout à fait”, “voilà qu’est-ce que ça veut dire exactement que la Grèce est en faillite et je vous demanderai d’être le plus clair possible tant on n’y comprend plus rien à cette affaire”

Yves Calvi, apprenez que pour la première fois de ma vie, moi, tout Sagalovitsch que je suis, j’ai été amené à envoyer, pas plus tard que la semaine dernière, un mail au service des réclamations de France Télévision, non pas pour confier mon inquiétude de trouver que depuis quelques jours, vous aviez une petite mine, ou que décidément votre chemise couleur violette jurait de trop avec la cravate jaune de votre invité posté juste à votre gauche.

Non, non, pour me livrer à ce genre de préoccupations, j’attends de me retrouver dans les catacombes d’une maison de retraite, au fin fond de la Dordogne. Cette fois là, l’affaire était plus que sérieuse. Vos patrons, pour un prétendu droit à l’image, nous avait coupé, à nous autres expatriés, déracinés et autres déportés de leur terre natale adorée, la retransmission de vos émissions. Comme ça, du jour au lendemain. Sans un mot d’explication. Plus rien. Deux cent fois, j’ai relancé mon abruti ordinateur pour qu’il consente à me donner ma ration quotidienne de C’est dans l’air. En vain. Stupéfaction. Anéantissement. Très vite sont apparus à peu près les mêmes symptômes que j’avais éprouvés lorsque j’avais essayé d’arrêter net de suçoter mes pastilles de temesta.

Des tremblements inopinés, des crises de larmes soudaines, des envies irrésistibles de défenestration. Je voyais mon existence défiler sous le joug monotone d’une vie privée de votre auguste lumière. Je songeais très sérieusement à écrire à David Douillet, mon tout nouveau secrétaire d’Etat, pour lui demander d’user de tout son poids, afin que France 5 revienne sur cette décision des plus sottes. Heureusement d’autres que moi s’en sont chargés, se sont facebookés sous l’intitulé, rendez-nous c dans l’air!!, et depuis hier, vous êtes à nouveau à mes côtés. Mais quelle frayeur.

Je vous en conjure, plus jamais ça, mon cher Yvon. Mon coeur n’y résisterait pas.

 

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Vancouver, la chute

 
La chute est dure: depuis vendredi dernier, Vancouver n’est plus la ville au monde la plus agréable où vivre. Elle a dégringolé lamentablement à la troisième place du classement opéré comme chaque année par The Economist, devancée désormais par Vienne et Melbourne. Ca fait mal. Se faire dépasser par des australiens à peine sortis de leur cambrousse, passe encore, mais se faire croquer tout cru par des bougres de bourgeois d’autrichiens à peine dénazifiés, la pilule de Zyklon B est dure à avaler.
Il est vrai que la nouvelle était attendue. Moi même, qui pourtant ne sort jamais de chez moi ou alors seulement quand le soleil est de la partie, soit le 23 juillet de chaque année, j’avais bien noté depuis quelques mois, que quelque chose d’imperceptible mais pourtant de bien réel, avait changé dans l’atmosphère de la pacifique cité: les mouettes tiraient une tronche d’enterrement, les écureuils se traînaient à l’ombre d’arbres à la mine pataude, les ratons laveurs avaient encore grossi, leurs estomacs ventripotents râpant le bitume, les coyotes se terraient dans la foret et n’osaient plus s’aventurer en ville pour laper des litres de café à l’eau au Starbucks du coin, les ours arrivaient à peine à tenir sur leurs skis, les phoques et autres otaries rechignaient à venir piquer une tête en pleine centre-ville. C’est dire.
 

 

Même les montagnes avaient perdu de leur beauté d’antan, jouant sur leurs acquis, pas foutus d’élever leur niveau de jeu, se “saminasrisant “ à vue d’œil. Elles ronronnaient des hivers pluvieux, sous un ciel de plus en plus maussade. Les habitants n’étaient pas en reste. Tout juste si la mairie ne devait pas les appeler tous les matins pour leur rappeler d’avaler leur portion quotidienne de 15 kilomètres à parcourir à cloche-pied, en moins de douze minutes. Les vieux, au lieu de filer doux, sur leurs vélos profilés, le long du Pacifique, avaient tendance à flemmarder de plus en plus, et n’hésitaient plus à s’accorder des pauses interminables pouvant dépasser la minute, tandis que leurs troupeaux de chiens, en forme post-olympique, refusaient de nager plus loin que deux miles de la côte.
Les chinois souriaient encore moins que d’habitude, les junkies ne maniaient plus avec leur célérité habituelle leurs seringues d’héroïne, et la ville avait dû organiser, de toute urgence, des classes de rattrapage, pour qu’ils n’accusent pas un retard trop conséquent sur leurs voisins défoncés de Seattle. Sûr que pendant ce temps là, ces gnougnouniafiers de viennois devaient en profiter pour affûter encore un peu plus leurs techniques de dépistage de youpin, enfin plutôt du seul youpin que leurs grands-parents avaient oublié de dénoncer à la Wehrmacht lors de la belle époque de la seconde guerre. 
 
 
 

 

 

N’empêche, se retrouver comme ca troisième place, alors que depuis des années on plastronnait en tête du classement, ça vous casse net le moral d’un déporté. Surtout d’un déporté français. Certains ont dit, ça c’est encore la faute à Sarkozy, on aurait dû voter Bayrou en 2007 ; quelques plaisantins, des nouveaux arrivés à coup sûr, pas encore défrancisés, ont suggéré d’inviter DSK pour une tournée gratuite des suites d’hôtels de la ville; d’autres ont avoué, lors de la réunion du comité central des français boutés hors de France, que depuis les Jeux Olympiques de 2010, ils ne passaient plus leurs tondeuses qu’un jour sur deux, que pour effectuer leurs courses, ils avaient pris la sale habitude d’utiliser leur voiture plus d’une fois par mois, et que, pour couronner le tout, ils avaient ramené en douce, de leur périple au Mexique, des cageots d’avocats élevés en usine. Après avoir longuement délibéré, le conseil de la Renaissance Nationale a tranché dans le vif, et les a condamnés à séjourner plus de deux semaines en Métropole, au cours de l’année à venir. Vu que Paris se morfond comme un petit morveux de cancre, à la seizième place, la sanction est à la mesure du traumatisme subi.

Moi j’avais voté pour les dézoner directement à Haare (Zimbabwe) ou à Dacca (Bangladesh), villes qui trustent les dernières places au classement général, pour qu’ils se rendent compte un peu, quelle chance ils ont de vivre dans une ville où il est possible de pagayer à 6 heures du matin sur les eaux calmes du Pacifique et de se retrouver à 6h34, toujours du matin, en train de dévaler des kilomètres de pistes de poudreuse. S’ils ne changent pas leur compartement honteusement laxiste, l’année prochaine, on leur organisera un voyage organisé, aux frais des anciens combattants du Hamas, dans les faubourgs de Téhéran voire dans la banlieue de Damas ou celle de Tripoli, si elle existe encore. J’en connais, depuis l’annonce des sanctions adoptées, qui font moins les malins. Moi le premier. Depuis ce matin, j’entraine mon chat en vue du marathon des félins sémites qui soit se tenir en 2013, à Tel Aviv, avec port de la kippa impératif, et obligation de s’astreindre à un régime de croquettes casher.

Bio les croquettes bien sûr.

 

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La sortie de la rentrée littéraire (2)

 

Pour les écrivains qui n’ont pas été baptisés à l’église de Saint-Germain ou/et adoubés par le grand rabbin de Copernic, les prémices du mois de septembre coïncident avec une lente mais inexorable descente en enfer d’où ils ressortiront au milieu du mois de décembre, essorés, exsangues, amers, épuisés, désillusionnés, désabusés, éreintés, écœurés, meurtris, vexés, hagards, ahuris de découvrir que leur livre s’est vendu à 323 exemplaires dont la plupart ont été achetés en douce par belle-maman et ses amies du cercle de lecture de la paroisse municipale de Savigny sur Clairis.

Ainsi que par une tripotée d’amis fidèles et compatissants qui, vous voyant décliner jour après jour, et sombrer dans une dépression profonde, ont organisé, un dimanche de pluie, dans leur résidence secondaire, un téléthon à vocation humanitaire pour écrivain en détresse, afin de réunir assez de fonds pour acheter, d’un coup d’un seul, une trentaine d’exemplaires de votre chef d’œuvre impérissable sur www.amazon.fr, ce qui a eu pour effet immédiat, de vous placer le temps de quelques précieuses nanosecondes, à la 38 525ème place des meilleures ventes du site, toutes catégories confondues. Sans oublier de laisser, en passant, quelques commentaires pertinents et d’une justesse inouïe qui vous ont émus jusqu’aux larmes, « un véritable coup de cœur écrit dans une langue qui n’est pas sans rappeler les meilleurs romans d’Anna Galvada «  signé Jacqueline N. qui n’est autre que votre bonne vieille tante de Bourg en Bresse qui a toujours su que son neveu en avait là dedans, ou encore, « un livre d’une justesse tout simplement bouleversante que j’ai littéralement dévoré « commentaire laissé par Pierre T., plus connu sous le même patronyme que le vôtre, vu que le Pierrot en question n’est autre que votre frère ou l’ombre de votre frère.

 

Depuis que votre roman plastronne dans toutes les bonnes librairies, vos journées commencent toutes par une recherche effrénée, grâce à l’entremise toute putassiere d’un maudit moteur de recherche, d’un article consacré à votre grand roman, recherche compulsive et mille dois répétée, qui se solde invariablement par l’humiliation suprême de lire sur l’écran imbécile de votre ordinateur gâteux, “ qu’aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés “ et vous invite, en toute amitié, à vérifier l’orthographe des termes de recherche, juste au cas où vous ne vous souviendrez plus comment s’épelle votre nom, soit d’essayez d’utiliser d’autres mots, comme, écrivain raté, écrivain aucun article, écrivain roman rentrée littéraire désespéré, ou encore, ultime solution, d’employer des termes plus généraux, comme, écrivain suicide mode d’emploi, coût obsèques romancier nul.

 

Finalement, à bout, un peu honteux mais qu’importe, il en va tout de même de votre honneur, vous vous résignez à appeler votre attachée de presse dont le nom et le numéro de téléphone figure dans la trousse de secours délivrée par votre éditeur, soucieux de préserver votre santé mentale. A l’énonciation de votre nom bafouillé à toute vitesse, il se peut fort bien que la dite attachée de presse qui a autre chose à foutre que de parler à d’illustres inconnus, surtout en ces temps de rentrée littéraire, vous demande de répéter votre identité, ce que vous faites, en vous éclaircissant la voix, et en prononçant distinctement chaque particule de votre nom, ainsi qu’à toute fin utile, afin il ne subsiste aucun malentendu, le titre de votre roman. Si, après quelques secondes de silence glaçant, elle vous répond qui donc?, raccrochez et allumez directement le gaz. Si elle vous demande d’une voix un peu sèche, en écornant votre nom à coucher dehors, qu’est ce que je peux faire pour vous ? prétextez que votre chatte vient de succomber à une attaque de panique en apprenant que DSK s’apprêtait à revenir en France et que vous rappellerez plus tard.

Ceci dit, la plupart du temps, l’accueil sera des plus chaleureux, toute la maison d’édition étant déjà au courant que vos ventes sont aussi atones que les chances de Jean Marie Baylet de gagner les primaires du PS, que vous êtes passés en l’espace de trois semaines d’un triple A à un quadruple E, que malgré une campagne de presse agressive, les secrétaires des journalistes des services culturels de tous les journaux de la capitale ont répondu qu’ils se trouvaient tous en arrêt maladie, suite à la lecture de votre ouvrage. Sauf un, puisque votre attachée de presse vous annonce d’une voix toute tremblante d’émotion non retenue, que selon toute vraisemblance, dans le supplément littéraire de la gazette de la République du Centre Nord qui devrait sortir la semaine prochaine, un grand article vous est consacré, et que d’ailleurs, vous faîtes bien d’appeler parce que la journaliste, qui, à ses heures perdues, aide son mari d’agriculteur, à nourrir le troupeau de vaches de leur élevage bovin, aimerait connaître quelques éléments de votre biographie pour parfaire son article.

 

 

Ô Gloire, Ô Renommée, Ô Consécration. Sitôt raccroché, vous envoyez un mail collectif à toute la famille pour les avertir, que la roue est entrain de tourner, que vous êtes au seuil d’une ère nouvelle, que le brouillard a levé l’ancre, que les lendemains s’annoncent radieux, que chantonnent les rossignols, que belle est la vie, et les admonester de se précipiter, dés dimanche prochain, auprès de leur kiosquier préféré, se procurer un exemplaire de cette gazette qui fait autorité dans le milieu, vu qu’ils ont été les tout premiers à consacrer un article à Anna Gavalda, du temps béni où elle était encore une illustre inconnue.

Parfaitement.

 

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