Je suis sur le cul, la pornographie rend con

 

Je suis inquiet.

Je viens de découvrir en lisant le journal que la pornographie rend con.

Je me disais aussi.

J’avais bien noté depuis quelque temps qu’intellectuellement je baissais.

J’étais à la ramasse.

Mon cerveau tricotait des raisonnements abscons, mon esprit fricotait avec le néant, je me perdais dans des élucubrations sans queue ni tête, je branlotais des idées vierges de tout sens, j’étais devenu un puceau de la pensée.

Moi qui, avant de me perdre dans la contemplation de vidéos résolument dégoûtantes, brillait par ma sagacité éclairée, voilà que j’étais devenu aussi alerte qu’une otarie mélancolique, aussi vif qu’une girafe circoncise, aussi véloce qu’un hippopotame atteint de coliques néphrétiques.

Mon entourage se désolait.

Je ne lisais plus.

Je trouvais assommant ces romans qui hier encore illuminaient ma vie.

La poésie de mon adolescence me dégoûtait.

Sans cesse, je cherchais la raison de cette décrépitude aussi soudaine qu’abrupte.

Comment un être aussi percutant que moi, à l’intelligence si fine, à l’esprit si agile, à l’éloquence si grande, en l’espace de quelques années avait pu devenir cette personne aussi inconsistante, d’une insignifiance si rare que je jalousais les palpitations cérébrales d’une mouette, capable de discerner un croûton de pain dans une mer de déchets ?

Je m’interrogeais.

Etait-ce cette mortifère association Valium/Coca Zéro qui peu à peu avait grignoté mon cerveau, l’amenant à stagner dans un océan de médiocrité ?

Avais-je trop passé de temps à regarder des matchs de foot, si bien qu’à la longue ma capacité à raisonner s’était comme contractée, que peu à peu mes facultés intellectuelles soulées de hors-jeu de position et de coups du sombrero s’étaient figées, réduites seulement à envisager les avantages et désavantages de l’arbitrage à cinq comparés à l’utilisation de la vidéo ?

Etait-ce la tenue même de ce blog qui, à force d’aligner des billets d’une ineptie absolument constante, d’une niaiserie de plus en plus féconde, d’une vacuité jamais démentie, avait achevé de congeler le reste de lucidité qui me restait ?

Je ne savais.

Je constatais seulement que plus le temps allait et plus je sombrais dans une indécrottable bêtise.

C’est qu’entretemps j’avais découvert un monde que jusqu’ici je n’avais entrevu que lors de mes années de formation quand, la nuit venue, me faufilant en douce dans le salon familial, je restais des heures à contempler sur un écran de télévision les images scandaleusement brouillées de corps effectuant de drôles d’arabesques zézayant des scènes de copulations dont j’avais toujours eu quelque difficulté à saisir l’ordonnancement.

Je découvrais enfin, grâce au biais d’internet, la magnificence de la pornographie rendue enfin accessible à mes cinq sens.

Je goûtais jusqu’à l’écœurement ces scènes parfaitement cadencées où des jeunes suffragettes en tenues d’écolières s’offraient sans vergogne à des tripotées de mâles capables de les entreprendre des heures durant en jouant de leurs membres aux dimensions si extravagantes que je m’entraînais des heures durant à allonger ma propre surface de pénétration.

Je m’émerveillais d’avoir accès à des séquences où des nains fraternisaient avec des dames à la date de péremption plus que dépassée, lesquelles reliques jouaient de leurs rides pour ravir des messieurs encagoulés offerts en sacrifice à des diablesses capables de recevoir en des endroits que je pensais réservés à usage unique des offrandes démultipliées à l’infini.

Je me familiarisais avec la fausse pudeur d’égéries nipponnes bien assez friponnes pour gourmander des friandises restées cachées à mes yeux, je m’accoquinais avec de grandes Frida capables d’engloutir à la suite des choucroutes garnies, je redécouvrais les splendeurs de l’Empire austro-hongrois, je me passionnais pour des cabrioles dispensées dans des préfabriqués somptuaires.

Ou bien accomplies au détour de canapés renversés, dans la lumière crue d’appartements envahis par la foule des grands soirs venue assister au parcours du combattant d’une coiffeuse transformée le temps d’une séquence en Reine de la Nuit.

Et voilà que j’apprends aujourd’hui que c’est précisément le visionnage de ces vignettes pornographiques qui s’avère être la cause de l’encrassement de mon cerveau.

De son engourdissement et de son délitement.

Je me sens floué.

Comment aurais-je pu penser un seul instant que la contemplation béate de ces Caprices de Madame et autres Rodéo sur Juliette puissent un jour assécher la rivière séminale de mes pensées qu’autrefois je recensais dans des annales que je voulais par-dessus tout littéraires ?

 

Je suis sur le cul.

 

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Bring Back Our France

 

Samedi, à Bruxelles, un inconnu vérifiait le bon fonctionnement de son fusil en s’amusant à dégommer d’autres inconnus dont le seul tort était de visiter un Musée juif.

Dimanche, la France disait son amour à un parti national en l’amenant sur l’Olympe de sa représentation européenne.

De toute évidence, les deux évènements n’ont aucun rapport entre eux.

Absolument aucun.

Si encore notre Manneken-Pis à la kalachnikov s’en était allé exercer ses talents dans une mosquée de la banlieue bruxelloise, on aurait pu tenter un rapprochement avec la phobie anti-musulman dont semble souffrir une bonne partie du corps d’élite soutenant la cause de notre nouvelle Marianne nationale.

Et encore.

On eut beau jeu de nous rappeler que ce n’est pas tant les musulmans que ces chez gens-là on abhorre mais bien plus l’étranger sous toutes ses formes, le macaque d’immigré venu piquer le boulot de l’honnête ouvrier, la fouine de travailleur clandestin aux cartes vitales démultipliées, le voleur de poules descendu des Balkans, l’africain aux dents jaunes ou encore le maghrébin vendeur de shit.

La pustule d’étranger qui colonise nos banlieues, sodomise nos vaches, crache sur nos églises, débaptise nos enfants, corrompt notre jeunesse, détricote notre identité nationale, déstabilise nos modes de vie séculaires.

Concernant le juif, on verra plus tard.

Pour l’instant, on n’a rien à lui reprocher.

Pour l’instant.

Chaque chose en son temps.

La réouverture de Drancy n’est pas pour tout de suite.

Et la remontée en première division de Laval et de Vichy n’est pas encore programmée.

Nul besoin de se bousculer, il y en aura pour tout le monde.

Les replis identitaires débouchent toujours sur des catastrophes nationales.

On pense toujours qu’une fois débarrassé de sa vermine intérieure, de cette cohorte d’étrangers qui sucent le sang de la nation en danger, on retrouvera l’allant de sa prime jeunesse, on galopera sur le cheval fougueux de sa renaissance nationale qui nous amènera à nouveau sur les collines verdoyantes de l’Esperance, synonyme de plein emploi, de croissance exponentielle, de criminalité atone, de ciel bleu et de récoltes abondantes.

Oubliant seulement que nous sommes tous l’étranger de quelqu’un.

Qu’une fois soulagé de la figure de l’immigré venu du dehors pour violer nos filles et nos campagnes, il faudra encore expurger du terreau national ceux qui de l’intérieur cherchent à entraver la marche en avant de la Patrie retrouvée : cette quête obstinée d’un ennemi à jamais fantasmé qui finira inévitablement, un jour où l’autre, par ce que le chasseur devienne à son tour chassé.

C’est quand le bourreau commence à avoir les même traits que sa victime que généralement le peuple prend conscience qu’il s’est peut-être trompé en confiant les clés de la maison à des esprits assez exaltés pour avoir cru que la source de tous les problèmes résidait dans la figure de l’immigré.

Trop tard.

En psychiatrie, lorsqu’un malade souffre d’une phobie trop envahissante, à savoir une peur irraisonnée face à un danger inexistant, on lui conseille souvent de suivre une thérapie cognito-comportementale.

Où le sujet souffrant sera amené à confronter l’objet de sa répulsion afin que peu à peu, étape par étape, il prenne conscience de la totale absence de danger qu’il représente.

On se demande si la France n’aurait pas besoin d’une cure de désintoxication de ce tonneau-là.

Histoire d’expurger de son cerveau malade le sang mauvais de ses pensées moisies.

Et l’entreprendre afin qu’elle comprenne que rechercher la cause de tous ses malheurs dans la figure de l’étranger n’est qu’une tromperie intellectuelle destinée seulement à la déresponsabiliser, à l’absoudre de son incapacité du moment à grimper dans le grand huit de l’histoire en cours.

 

Un exercice d’exorcisme afin qu’elle retrouve le beau visage d’un pays qui continue encore à incarner à travers le monde un idéal de tolérance et d’humanisme.

 

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Un chef-d’oeuvre d’attaque de panique

 

La semaine dernière.

Au supermarché.

Premier étage.

Au moment d’emprunter l’escalator, mon corps refuse de s’engager sur la première marche.

Refus d’obstacle.

Il dit non.

Il se crispe.

Un signal d’alerte retentit au fin fond de mon cerveau.

Je regarde le mouvement perpétuel des marches disparaître sous mes yeux.

Je contemple le gouffre vertigineux qui me sépare du rez-de-chaussée.

Je réalise qu’effectivement je suis incapable d’emprunter cet escalier roulant qui semble se dérober sous mes pieds.

C’est ainsi.

Je ne suis pas trop étonné, ce genre de mésaventures m’est déjà arrivé par le passé.

Je contrôle.

Je m’en retourne vers l’ascenseur.

Je l’appelle.

Les portes s’ouvrent.

Se referment.

Je rappuie sur le bouton.

Les portes s’ouvrent à nouveau.

Se referment.

Je ne peux pas.

Je ne peux simplement pas.

Je suis pris au piège de ce supermarché.

J’essaye de me raisonner.

Jusqu’ici je n’ai jamais eu d’appréhension à emprunter un ascenseur.

Alors pourquoi maintenant ?

J’interroge mon cerveau.

Il ne sait pas.

M’assure juste que si je prends cet ascenseur, quelque chose de terrible, d’irrémédiable, de possiblement mortel va se passer.

Cet ascenseur sera mon cercueil.

C’est une certitude ancrée au plus profond de moi.

Comme une vérité mathématique.

C’est bien sûr totalement ridicule.

Je sais pertinemment que si je m’engouffrais dans cet ascenseur, si je le priais de me ramener un étage en dessous, il ne m’arrivait strictement rien.

Sauf que je ne peux pas.

Je suis parfaitement lucide.

Je ne suis même pas vraiment angoissé.

Tant que je ne prends pas cet ascenseur ou l’escalator, il ne peut rien m’arriver.

C’est ubuesque.

Je ne vais quand même pas passer le reste de ma vie à arpenter le premier étage de ce supermarché où j’ai mes habitudes depuis des années.

Je demande au boucher s’il existe des escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée.

Il me regarde d’un drôle d’air.

Je lui explique.

Il compatit.

M’offre de descendre avec moi.

D’arrêter l’escalator.

Non, je ne peux vraiment pas.

Et les escaliers ?

Ils ne servent qu’en cas d’incendie.

Je le remercie.

Lui assure que ça va aller.

Je ris.

Je réalise tout à fait le comique de la situation.

Je retourne vers l’ascenseur.

Essaye à nouveau.

Toujours pas.

J’appelle ma femme.

Je lui raconte.

Elle me demande si je veux qu’elle vienne.

Ce n’est pas la peine.

Je vais bien finir par y arriver.

J’avale un valium.

Je déambule dans les allées du supermarché.

Je lis les étiquettes des boîtes de Corn Flakes.

Me passionne pour la composition des croquettes de chat.

Compare les prix des paquets de pâtes.

Penser à autre chose.

Respirer.

Tout va bien se passer.

Je reprends un valium.

Et encore un autre.

De loin je vois le boucher qui me regarde, légèrement inquiet.

Je lève mon pouce pour lui dire que je contrôle la situation.

Je me dis que ce soir, il aura des choses à raconter à sa femme.

Les pizzas sont en promotion.

Les haricots verts aussi.

Deux paquets pour le prix d’un.

Je devrais les acheter.

A quoi bon ?

Je ne pourrais même pas les manger vu que je suis coincé pour l’éternité dans ce fichu supermarché.

C’est sans espoir.

Je n’ai même pas pris un livre avec moi.

J’imagine la tête du type derrière sa caméra de sécurité se demandant à quel jeu je joue.

Cela doit faire maintenant une demi-heure que je suis là à arpenter les allées de son supermarché.

Sans rien mettre dans mon panier.

Appelant l’ascenseur mais ne le prenant pas.

Je lui souris comme pour le rassurer.

Je ne suis pas un voleur. Ni un terroriste.

Le valium commence à agir.

Je le sens.

La peur reflue.

S’en va.

Se retire.

L’ascenseur.

Je l’appelle, je le prends, il me dépose en bas.

Je paye.

Je rentre chez moi.

Je suis épuisé.

Je vais me coucher.

 

Quand je me réveille, ma femme me dit que j’ai oublié le beurre.

On mange des pâtes à l’eau.

 

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Le jour où j’ai été en prison

 

Moi aussi, comme Jérôme Kerviel, je suis déjà allé en prison.

Pourtant j’étais innocent.

D’ailleurs ces bourricots m’ont relâché au bout de deux heures.

J’ai juste eu le temps de serrer la main à quelques détenus, d’échanger deux, trois paroles avec des malfrats de quartier avant que comme un malpropre on me demande de franchir en sens inverse les portes du pénitencier.

C’était en 1997.

A Chambéry.

Lors du festival du premier roman  où se retrouvent convoqués une dizaine d’aspirants romanciers sélectionnés par les habitants de la ville assez suicidaires ou téméraires pour s’être infusés en intraveineuse la tripotée des premiers romans parus durant l’année.

On réquisitionne aussi les membres d’un club de lecture se réunissant dans le cadre champêtre d’une prison toute proche de Chambéry, constitué exclusivement de prisonniers, afin qu’ils déterminent parmi les romanciers élevés au rang de demi-dieux l’auteur qu’ils aimeraient cuisiner.

Juste histoire voir quelle tête d’empaffé ça peut bien avoir un grognard d’écrivain assez imbu de sa personne pour prétendre rivaliser avec le Créateur en chef.

Cette année-là, c’était moi avec qui ils voulaient se frotter et lorsque la responsable de la manifestation m’avait demandé si j’étais partant pour les rencontrer, crâneur comme je suis, petit gauchiste aux idées courtes mais aux espérances grandes, foin d’une largesse d’esprit dont je pourrais me vanter auprès de ma section du parti auquel je n’appartenais évidemment pas, j’avais répondu oui bien sûr camarade, pas de problème, un taulard n’est-il donc pas un lecteur comme les autres ?

Le matin de l’entrevue, je n’en menais pas large.

Je m’imaginais déjà pris en otage, séquestré par une bande de détenus sanguinaires réclamant l’amélioration de leurs conditions de détention, menaçant de me couper un doigt ou pire s’ils n’obtenaient pas satisfaction, me promenant sur le toit de leur principauté afin de montrer leur détermination sous le regard goguenard de quelques caméras vissées au cul d’hélicoptères alléchés par la possibilité de la mise en bière en direct du futur plus grand écrivain de sa génération.

Dans la voiture me menant à l’échafaud, je pestais contre moi-même. Quelle idée j’avais eu d’accepter.

Tout ceci ne pouvait être qu’un piège. Une souricière. Un traquenard.

On a toujours quelque chose à se reprocher.

Une déclaration d’impôts un peu foireuse, une amende pour stationnement non réglée, un voisin qui m’aurait dénoncé pour comportement équivoque, le vol d’un bonbon dans une boulangerie lors de mon année de sixième, une simulation lors d’un match de foot, une maîtresse revancharde m’accusant d’avoir dérobé ses bigoudis, ma mère ayant porté plainte parce que je ne l’avais pas appelée de la semaine.

J’ai été fouillé, mon sac à dos a été inspecté de fond en comble, ma carte d’identité a été confisquée, le garde a appuyé sur un bouton, les grilles se sont ouvertes, j’ai eu un moment d’hésitation, mon accompagnatrice, l’organisatrice de la rencontre, m’a encouragé du regard, j’ai avancé de quelques pas, les grilles se sont refermées derrière moi avec ce claquement sonore et métallique reconnaissable entre mille signifiant la fin de la liberté, l’entrée dans un monde interlope, inconnu, dangereux, peuplé d’assassins, de pédophiles, de pyromanes, de trafiquants de drogue, de violeurs de chats, d’égorgeurs de lapin.

Ils étaient une dizaine à m’attendre.

Leurs interventions furent furieusement drôles.

Mon roman à ce que je crois me souvenir racontait les aventures d’un jeune professeur dépêché dans une petite ville de province tombant amoureux d’une bibliothécaire, le tout sur fond de souvenir de l’holocauste, de meurtre fantasmé ou réel, de culpabilité plus ou moins assumée.

L’un des prisonniers m’interpella en me disant que mon roman ne tenait pas la route.

Et pourquoi ça ?

Parce qu’à un moment vous parlez d’un mari qui se venge de sa femme en essayant de tuer son amant. Et bien je vais vous dire, elle n’est pas crédible votre histoire. Parce que moi l’amant de ma femme je l’ai tué et c’était pas du tout comme dans votre bouquin.

L’épreuve avec la confrontation du réel.

Un autre, le juif de service qui avait évidemment trempé dans des magouilles financières, quoi d’autre?, m’avoua qu’il en avait marre de ces histoires de Shoah, qu’il avait baigné dedans depuis qu’il était tout petit et qu’il n’en pouvait plus.

Un autre trouvait la couverture trop rouge alors qu’il était daltonien.

Je ne vis pas le temps passer.

Ils finirent par évoquer leur vie en prison.

C’était une nouvelle prison. Moderne. Automatisée.

Ils avaient chacun leur cellule individuelle et tous crevaient de solitude.

Ils ne voyaient presque jamais les gardiens, ils tournaient en rond dans leur cellule, ils s’abrutissaient devant la télévision, ils bouffaient à la pelle des tranquillisants pour tenir le coup.

Des écrivains en puissance.

Ils étaient comme vous et moi.

Ils avaient simplement à un moment donné eu un accident de parcours. Avaient dérapé. S’étaient retrouvés pris au piège de leurs pulsions. Commis un impair. Franchi la ligne. Basculé dans l’illégalité. Mis un pied en dehors des clous. N’avaient pas pu respecter les règles du jeu.

Ils n’étaient ni fous, ni monstrueux, ni dépravés.

Juste humains. Froncièrement humains.

 

J’aurais pu être l’un d’eux.

Vous aussi.

 

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J’ai raté ma vie, je suis juif et pauvre

 

J’ai tellement honte.

Je crains d’avoir dépassé le mitan de ma vie et l’argent continue à me fuir.

Je ne comprends pas.

Pourtant, sur le papier, c’était gagné d’avance.

Avec ma bonne bouille de youpin, mon nom aux consonances russo-hébraïques, mes ascendances mêlées ashkénazes et sépharades, mon omniprésence dans les médias, la fierté assumée de ma judaïté revendiquée, à l’heure où je rédige ces lignes, je devrais être en train de siroter du champagne californien à bord de mon yacht mouillant dans la Baie de Cannes.

Jonglant avec des milliards.

Copinant avec les grands argentiers de ce monde.

Me torchant le cul avec des poignées de dollars.

Offrant à des dames de compagnie des diamants gros comme le Ritz.

Laissant mes chats persans astiquer leurs griffes sur des tableaux de Picasso dispersés aux quatre vents de mes résidences princières, ayant jeté l’ancre dans des atolls aux noms exotiques dont je serais l’unique propriétaire.

C’est horrible à confesser mais je dois être le seul juif pauvre ayant jamais existé depuis le début de la Création.

Je ne sais pas comment je me suis débrouillé pour en arriver là.

Je dois être maudit.

Comment se fait-il que j’en sois encore réduit à louer l’appartement où je vis, à n’être propriétaire d’aucun bien, à ne disposer que d’un seul compte en banque qui flirte toujours, avec une obstination rare, dès le milieu du mois, avec la ligne de flottaison, à ne pas avoir ma table réservée dans les meilleurs restaurants de la ville, à devoir compter sur le fruit de mon seul travail pour pouvoir manger à ma faim, à ne posséder aucun Manoir en Ecosse ?

Je serais donc maudit.

Appartenant au peuple élu et en même temps pauvre comme Job.

Quelle infortune.

Il fallait que ça tombe précisément sur moi.

De tous les juifs qui, sans exception aucune, dorment tous les soirs dans des draps de soie, entassent des lingots dans leur congélateur, crèvent sous le poids d’une fortune tentaculaire, colonisent les bourses du monde entier,  il a fallu que je sois le seul de ma lignée à ne pas connaître sort aussi enviable.

Une malédiction biblique.

Soupçonnant que mon père ait confisqué mes lingots hérités de mes grands-parents, comme c’est le cas dans toutes les familles juives recensées depuis la nuit des temps, je m’en suis allé réclamer mon dû.

Il m’a répondu, mon fils, les sanglots longs des lingots de l’automne bercent mon portefeuille d’une langueur monotone.

A la synagogue, tout le monde me regarde de travers.

Le rabbin ne me salue jamais.

Au moment de la quête, lorsque le bedeau arrive à ma hauteur avec sa corbeille débordant de Napoléons et de pièces montant jusqu’au plafond, c’est avec dédain qu’il me regarde, ne prenant même pas la peine de me tendre son panier, assuré d’avance que les poches de mon pantalon sont trouées.

Je suis un paria.

Je fais honte à toute la communauté.

A cause de cette infortune, il m’arrive de drôles de mésaventures.

Le tandem Ferrara-Maraval , ébloui par la lecture de mes romans tenait absolument à me rencontrer.

Ils m’ont demandé de venir les voir à New York pour une session de travail.

J’ai demandé s’ils pouvaient me payer le billet d’avion, vu que je n’avais pas le début d’un kopek pour m’en acheter un, ils ne m’ont pas cru, ils m’ont dit ” dans tes bouquins, tu te présentes comme un juif et maintenant tu viens nous dire que t’as même pas de quoi te payer un billet d’avion, tu te fous de nous ou quoi ? T’es pas juif, c’est ça ? T’es un imposteur ?”.

 

Je crois qu’ils ont raison : je ne dois pas être juif.

 

Je ne vois pas d’autre explication.

 

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Remplaçons la Marseillaise par la Quête de Jacques Brel

Vu qu’étrangement personne jusqu’ici ne m’a demandé mon avis sur la Marseillaise, je prends les devants.

Eu égard à ma sémillante carrière de secrétaire d’un capitaine de l’armée française lors de mon passage forcé à l’école militaire, je déclare solennellement que ce chant brûlant de fièvre patriotique devrait être réservé exclusivement à un usage militaire.

J’entends que lorsqu’il s’agit d’endurcir des cœurs au moment de livrer bataille, d’exalter le courage de soldats sur les champs d’honneur, de sublimer leur peur à l’heure de monter au front, la Marseillaise possède toutes les qualités requises pour remplir cette impérieuse mission de transformer n’importe quel trouffion de garnison en un fantassin sanguinaire.

Rien que de l’entendre vous donne envie de descendre dans la rue et d’égorger sans sommation la passante du sans-souci, d’étriper votre voisin qui vous emmerde depuis des générations avec sa compilation de Mireille Mathieu qu’il écoute en boucle, d’assommer votre belle-mère qui continue à penser que sa fille aurait pu trouver un meilleur parti que cet hurluberlu d’écrivain à la noix qui gagne des croûtons de pain.

Toutefois, en ce qui concerne les manifestations sportives, les remises de décorations civiles, les parades pacifiques, les discours inauguraux de bâtiments publics, les chants de clôture des meetings politiques, je proposerais volontiers d’échanger cette sanguinolente Marseillaise contre la Quête de Jacques Brel.

Ecoutez donc ces paroles, écoutez-les vraiment, imaginez-vous en train de les chanter, debout devant la cuisinière au moment de passer à table :

Rêver un impossible rêve/Porter le chagrin des départs/Brûler d’une possible fièvre/Partir où personne ne part.

Aimer jusqu’à la déchirure/Aimer, même trop, même mal/Tenter, sans force et sans armure/ D’atteindre l’inaccessible étoile

Telle est ma quête/Suivre l’étoile/Peu m’importent mes chances/Peu m’importe le temps/Ou ma désespérance/

Et puis lutter toujours/Sans questions ni repos/Se damner/ Pour l’or d’un mot d’amour

Je ne sais si je serai ce héros/Mais mon cœur serait tranquille/ Et les villes s’éclabousseraient de bleu/ Parce qu’un malheureux

Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé/Brûle encore, même trop, même mal/Pour atteindre à s’en écarteler/Pour atteindre l’inaccessible étoile.

 

Imaginez une seule seconde un stade entier reprendre ses paroles à l’unisson.

S’époumoner au son de ses paroles magnifiant la lutte toujours recommencée pour atteindre cette inaccessible étoile, symbole de nos rêves les plus fous, porte-parole de nos espoirs les plus insensés, messagère de nos conquêtes personnelles.

Ce serait un chavirement éblouissant.

Plus personne ne rechignerait à chanter un tel hymne.

Le plus introverti de nos sportifs ne pourrait s’empêcher d’articuler ses paroles avec une ferveur transie, de les scander avec une force tellurique, de se les approprier pour mieux les intérioriser, de sentir son corps se tendre vers son objectif d’apparaître sous son meilleur jour afin d’honorer son pays tant aimé.

Même mon chat, quand je le force à écouter ce morceau, a les moustaches qui s’hérissent d’émotion, se fige droit dans ses pattes, les oreilles au garde-à-vous, et ses yeux frissonnent au point que la plupart du temps il finit par tomber dans les vapes ce qui me vaut à chaque fois une visite chez le véto.

Je prétends qu’avec ce chant, demain la France gagnerait la Coupe du Monde, la Coupe Davis, l’Eurovision même.

Que tous les français, ceux de souche, ceux d’ailleurs, ceux au sang mêlé, ceux des villes et des banlieues, ceux aux origines incertaines, aux patronymes tarabiscotés, au moment de l’hymne national, se lèveraient de leur canapé sans sourciller et beugleraient ces paroles à s’en péter les tympans.

Ce chant ineffable de la condition humaine.

Cette ode à l’humilité, au désir de se surpasser, à l’envie de donner le meilleur de soi-même, d’aller au bout de soi afin d’essayer, même si c’est pour échouer, de rendre le monde meilleur, transcenderait la nation tout entière, réunie autour d’un chant qui parlerait à tout le monde, sans distinction de classe ou de rang.

Certes j’entends déjà des esprits grincheux ratiociner en argumentant que ce grand couillon de Brel n’a rien de français, qu’il pue la belgitude, qu’il transpire le plat pays, qu’il empeste les moules frites, qu’il suinte de bière aux noms démoniaques, qu’il postillone le patois de Knokke-le-Zoute.

Balivernes.

Grâce à ce nouvel hymne, nous marcherons en rang serré sur la Belgique, nous fracasserons la frontière, nous déferlerons sur Bruxelles, nous annexerons le Maneken-Piss et, en déboulant sur la Grand Place, nous proclamerons le rattachement de la Belgique à la France.

 

Patriotes de tout poil, chauvinistes de tout bord, amoureux éperdus de la Gaule, levez-vous, l’étendard sanglant de la reconquête a sonné.

 

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L’indispensable Monsieur Guillemin

 

C’est le genre de découvertes qui vous réconcilie avec Internet si d’aventure vous étiez fâché avec lui.

Une rencontre imprévue lors de la rédaction d’un billet de ce blog qui vous amène à découvrir l’univers d’un personnage dont jusque-là vous ne soupçonniez pas l’existence.

Et dont la découverte depuis vous enchante l’esprit.

Cet homme c’est Henri Guillemin.

Hier encore je ne le connaissais pas.

J’ignorais tout de lui.

Et voilà que grâce à la toile il m’est devenu aussi familier qu’un parent dont je me serais senti proche depuis tout petit.

Avec qui j’aurais eu un plaisir fou à converser, à échanger des points de vue, à rivaliser d’anecdotes, à l’entreprendre sur tous les sujets possibles, à l’écouter disserter des heures entières sur Flaubert ou sur Rimbaud, à l’entendre me raconter sa vision de l’Histoire de France, sa traversée du siècle, son combat pour la vérité, son appétit pour tout ce qui élève l’homme.

Grace aux nombreuses émissions qu’il a enregistrées pour le compte de la Télé Suisse Romande, c’est désormais chose possible.

Depuis qu’il a croisé ma route, j’avoue je lui consacre une grande partie de mes soirées.

C’est un conteur éblouissant, doté d’une verve intarissable, capable de vous parler avec une gourmandise non feinte de Pascal, de Rousseau, de Jeanne d’Arc, de Tolstoï, de Céline, de Flaubert, des auteurs ou des personnages qu’il connaît par cœur, qu’il a lu, étudié, saisi dans leur infinie complexité, dont il sait toutes les faiblesses et tous les vices.

Des hommes et des femmes d’exception qu’il n’a eu cesse d’interroger tout au long de sa vie, aux côtés desquels il a cheminé, avec qui il a entretenu un dialogue incessant, les interpellant sans cesse afin de connaître leur vérité, les contours exacts de leurs pensées, la genèse de leur destin.

Il vous parle comme si vous étiez son copain, de ces copains qui peuplent les chansons de Brel, lorsque les femmes vous ont quitté et qu’il ne reste plus qu’eux pour continuer à chanter l’incroyable douleur d’être en vie.

Lors de ses interventions, Henri Guillemin se tient à son bureau, il n’a presque pas de notes, il a l’air grand, il ressemble à Simenon, il a des grandes lunettes imposantes, il porte cravate et veston, il regarde la caméra d’un œil gourmand, d’un œil malicieux et amusé qui palpite d’intelligence mais c’est à vous qu’il parle avec une franchise bonhomme, toujours sur le ton de la confidence, vous invitant à revisiter la vie et l’œuvre des écrivains qui lui sont chers.

Il n’est jamais dans la pédanterie.

Il ne verse jamais dans l’afféterie.

Il est dans la connivence, on a l’impression qu’il vient de sortir de table, qu’il vous a convié dans son salon afin de vous en raconter une bien bonne qu’il vient d’apprendre sur Gustave ou Arthur tout en veillant à vous resservir de temps en temps un cognac qu’il vient de remonter tout exprès de la cave.

Il ne vous écrase jamais de ses connaissances encyclopédiques, il parle avec une aisance stupéfiante, il est bavard, parfois même il se perd dans ses digressions, mais quelle importance, il pourrait vous lire le bottin que vous resteriez à  l’écouter parler, il a une mémoire phénoménale, il jongle avec les noms et les dates, le voilà qui dépoussière l’Affaire Dreyfus, qui s’attaque à Napoléon, qui convoque Pétain pour mieux le clouer au pilori.

Il séduit autant qu’il charme.

Il s’interroge avec vous, il cherche à comprendre, parfois il ne sait pas, quelque chose lui échappe, il sent qu’il achoppe sur le sens d’un poème, il vous soumet une hypothèse mais il n’est pas sûr qu’elle tienne la route, il emprunte des chemins détournés afin de désosser un roman, il convoque des correspondances pour mieux expliciter les obsessions d’un auteur, il fouille dans l’histoire de sa vie afin d’appréhender son œuvre sous un jour nouveau.

C’est le festin de l’intelligence.

La vraie.

Celle qui ne se regarde pas dans le miroir de ses pensées et se trouve brillante.

Celle qui doute toujours.

L’expression d’un véritable humanisme qui comprend que nous sommes tous conviés de force à une odyssée au long cours dont nous ne connaissons ni la destination ni la durée, entassés sur une embarcation des plus frêles, perclus de doutes et d’angoisses et ne trouvant un impossible salut que dans le rassemblement des hommes de bonne volonté.

 

C’est tout cela qui transpire des échappées télévisuelles d’Henri Guillemin.

Une confiance parfois ébranlée mais toujours renouvelée dans l’être humain, dans sa prodigieuse faculté à ensorceler sa vie, une compassion de tous les instants, une envie de savoir et de comprendre qu’il partage avec vous sans chicaner, tout heureux de vous amener à côtoyer des personnages qui ne sont que le reflet de vos tourments les plus intimes.

 

Allez le visiter de ma part.

Il vous attend.

 

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Eric Zemmour ou le complexe du Juif assimilé

 

Eric Zemmour est juif. Moi aussi.

Eric Zemmour est né à Montreuil. Moi aussi.

Il a le devant du crâne dégarni. Moi aussi mais en pire.

Il a un nez bossu. Moi de même.

Heureusement les ressemblances s’arrêtent là.

Là où j’éprouve pour mon pays natal, pays dans lequel je n’aurai fait que passer, qu’une tendresse plus ou moins contrariée, Zemmour lui, assiste tous les matins dans la cour de son immeuble, enrubanné dans son pyjama tricolore, à la levée du drapeau national en écrasant une larme d’émotion.

Zemmour c’est l’archétype du juif plus ou moins honteux, perdu dans le dédale de l’histoire qui, ne sachant plus trop où se trouvent ses racines ou insatisfait de ne pas en posséder d’assez tangibles pour n’être jamais remises en question, s’éprend de sa terre natale d’un amour tellement irraisonné qu’il finit par perdre pied en multipliant les déclarations tapageuses.

A l’image de sa dernière sortie où il décrit que ” Notre territoire (…) renoue dans les villes, mais aussi dans les campagnes, avec les grandes razzias”, avant de dénoncer “des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains, qui dévalisent, violentent ou dépouillent.”

C’est le drame toujours recommencé du juif assimilé.

Qui, perclus métaphysiquement de complexes nés de son statut de paria de l’histoire, toujours vaguement honteux de n’avoir pu recevoir l’hostie sacramentelle de la main de cette France, fille aînée de l’Eglise, cherche par tous les moyens à prouver au Français de souche qu’il est plus français que lui.

Et n’hésitant pas à sortir l’artillerie lourde afin de prouver son attachement indéfectible à cette terre où il a dû naître par inadvertance.

Oubliant seulement que sa condition de juif l’empêchera toujours de s’inscrire pour de bon dans le terreau de cette identité nationale dont il fait pourtant un peu partout la réclame.

Et en rajoutant, à escient, pour ne jamais apparaître comme naturellement équivoque au regard des vrais français qui pourtant, quand les vents contraires se lèveront, le considéreront alors d’un air goguenard, convaincus que malgré ses déclamations répétées d’appartenance à la patrie des droits de l’homme, il demeure avant tout un petit juif cosmopolite, assez roublard dans ses intentions pour prétendre être celui qu’au fond il n’a jamais été : un vrai français.

Le Juif assimilé veut toujours croire qu’il a sa place dans le concert de la République.

Et qui, pour parvenir à s’insérer dans les hautes sphères du pouvoir, au sein des instances décisionnaires où il pense que bat le cœur de la nation, est prêt à tous les renoncements.

A tous les dérèglements verbaux.

Il veut tellement convaincre les autres, tous les autres, que lui aussi appartient de toute éternité à ce pays, qu’il ne cesse de le défendre à longueur de chroniques exaltées, d’éructations radiophoniques alambiquées, d’apparitions télévisuelles controversées, en désignant avec une véhémence rageuse et bouffone, la cohorte imaginaire de tous ceux qui tentent de le pervertir de l’intérieur.

Il doit être constamment dans l’outrance afin que jamais on ne puisse le taxer de faiblesse morale qu’on ne manquera pas d’associer à son statut de juif forcément affairiste.

Le voilà prêt à toutes les compromissions, à tous les renoncements, à tous les errements afin d’apparaître plus Gaulois que la chèvre de Monsieur Seguin.

Il s’en ira s’acheter un château en Sologne, se découvrira une passion pour les grands vins de Bourgogne, présentera sa candidature à des cercles républicains, collectionnera les médailles d’or du mérite national, courtisera des duchesses à particules, chantera la beauté des volcans d’Auvergne et versera une larme sur le tombeau du General lors de son pèlerinage annuel à Colombey.

Il continuera cependant à incarner le Swann d’A la recherche du temps perdu qui jamais malgré sa fortune, sa belle éducation, son raffinement exquis, sa tempérance, ne pourra rivaliser avec les Guermantes, ne restant à tout jamais, aux yeux de la société, qu’un simple israélite.

Pour vivre heureux, le juif doit admettre que son destin ne peut jamais être national.

Pour ne pas se perdre dans des combats qui ne sont pas les siens, il doit rester cet être à part, ce déraciné naturel, cet individu atypique, affranchi de tout sentiment nationaliste, qui du haut de ses siècles d’errance, de persécutions et de pogroms, continue malgré tout à tracer sa route, indifférent au sort des nations, libre de tout attachement à une terre bien définie et tâchant d’éclairer les hommes de sa sagesse puisée dans sa condition d’éternel étranger.

 

Ce devrait  être là son seul devoir.

 

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Le rêve d’une Europe sans l’Allemagne

 

Finalement l’Europe ne s’est jamais vraiment remise de l’Holocauste.

Le crime était trop lourd pour qu’elle puisse survivre à cette abomination.

L’idée de cette Europe, phare de toutes les civilisations, porteuse des idées de progrès et de lumière, rédactrice de la déclaration des Droits de l’Homme, s’est abîmée à jamais dans les fours crématoires d’Auschwitz.

Et elle ne ressuscitera pas.

On aura beau l’élargir, la démultiplier, la passer dans la grande machine à laver de l’Histoire, elle ne se relèvera pas de ce forfait qui l’a plongée dans une nuit si profonde qu’aucune aube ne viendra plus jamais l’illuminer et la sortir de cette torpeur métaphysique où elle est encalminée depuis des décennies maintenant.

Comment peut-on s’imaginer construire une identité européenne commune alors que l’une de ses principales composantes a perpétré un crime d’une telle ampleur, a attenté d’une manière si profonde à l’idée même d’humanité qu’elle a souillé pour toujours le concept de civilisation.

La méfiance sera toujours là.

Il nous est naturellement compliqué de se fiancer avec un pays qui a contribué à assassiner tout ce que précisément l’Europe avait tenté jusque-là de bâtir : un idéal de justice, la croyance en une science rédemptrice, la belle idée de progrès de pour tous, l’accès à une culture humaniste censée nous élever et rendre impossible tout retour à la barbarie moyenâgeuse, à l’obscurantisme le plus échevelé, à ces guerres de religion à répétition.

Afin qu’elle puisse réussir à nous séduire, il aurait fallu imaginer dans un premier temps une Europe sans l’Allemagne dans ses rangs.

C’eût été la seule manière de créer une identité européenne pérenne, dépourvue d’arrière-pensées, débarrassée de ces rancœurs immémoriales, vidée de toute trace de soupçon d’être à nouveau le jouet servile des intentions impérialistes d’une Allemagne ressucitée, visées hier militaires et exterminatrices et aujourd’hui économiques.

On ne peut pas nous forcer à obéir aveuglément aux commandements d’un pays qui hier encore mettait cette même Europe à genoux, l’asservissait, l’ensanglantait, rêvant de la coloniser pour y installer un empire devant durer mille ans.

 

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Les peuples ont la mémoire longue.

A chaque fois que Berlin se permet de les rappeler à l’ordre pour des manquements à des règles budgétaires, ils ne peuvent s’empêcher de penser qu’ils n’ont pas de leçon à recevoir de la part d’un pays qui hier encore prétendait les écraser pour mieux les asservir.

C’est humain.

C’est ce qu’explique d’une manière extrêmement lucide et courageuse Helmut Schmidt, l’ancien chancelier Allemand : “Les Allemands sont exclus de leadership en Europe pour les prochains siècles, car ce sont eux qui sont responsables de la Seconde Guerre mondiale. Et pour la Première, ils y ont largement contribué. Nous sommes responsables, et uniquement nous, de la mort de plus de six millions de Juifs, dont la plus grande partie des Juifs polonais. Et tous les gens, même ceux qui sont nés aujourd’hui, portent cette responsabilité que cette histoire allemande horrible ne se répète jamais “.

Prétendre bâtir une Europe où le vrai centre de décision se trouverait à Berlin relève d’une impossibilité cosmique.

On ne peut exiger de pays et de peuples, qui hier encore servaient de terrains d’expérimentation à des comportements défiant l’entendement, de recevoir des commandements édictés par cette même contrée responsable de ces forfaits à répétition.

L’économie n’est pas tout.

Le cœur des nations bat au rythme des grandes tragédies qui tracent son histoire nationale, pèsent dans les mémoires, régissent leurs émotions.

Si l’on a tant de peine à adhérer à cet idéal communautaire, si nos engouements envers elle sont si volatiles, ce n’est pas seulement la faute à une Europe incapable de nous parler autrement que par le truchement d’un jargon technocratique finissant par nous écœurer.

Ou par l’absence de personnalités capables de l’incarner pleinement.

C’est aussi parce que l’un de ses poumons bat au cœur d’une nation qui nous a trop abîmé par le passé pour que nous puissions à nouveau lui accorder si facilement notre confiance.

 

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Un écrivain au noir

 

Je souffre d’une maladie rare et étrange.

Je ne peux écrire que dans le noir.

Le noir le plus absolu.

Si je pouvais, je fermerais les yeux et j’écrirais en braille sur un clavier destiné à cet effet.

Quand vient le moment d’écrire, que ce soit un roman ou un billet de ce blog ou toute autre activité littéraire, je me réfugie dans mon bureau où tout usage de lampe est bien évidemment proscrit, je m’installe à ma table de travail que j’ai pris soin de disposer de telle manière que mon seul interlocuteur quand je lève mes yeux de l’écran consiste en un simple mur d’une blancheur cadavérique.

Mais ce n’est pas encore suffisant.

La lumière du jour parvient malgré tout à s’immiscer.

Elle se faufile sous la porte, elle rôde dans la pièce, je la sens, je la perçois, je la renifle, elle vient surveiller que je suis bien occupé à travailler, elle me juge, me jauge, m’interpelle, m’agace, me taraude, je lui demande de partir, elle ne veut pas, je m’en vais tirer les volets du salon d’où elle viole l’intimité de mon appartement mais cela ne suffit toujours pas, la garce trouve toujours un moyen de revenir.

Je sors alors les grands moyens.

J’ai installé deux grands rideaux qui séparent ma table de travail du reste de mon bureau et je m’empresse de les tirer.

Ce sont deux rideaux épais, lourds, massifs, qui descendent du plafond jusqu’au sol et empêchent toute lumière de pénétrer à l’intérieur de mon pré carré.

Alors, la lumière du jour a beau cogner contre, essayer de convaincre les rideaux de la laisser passer, tenter de les corrompre à coups de rayons de soleil et autres câlineries lumineuses, s’essayer à s’infiltrer par le parquet, grignoter un espace entre la tringle et le plafond, rien n’y fait : elle est déboutée de toutes ses requêtes.

Mais la partie n’est pas encore gagnée.

C’est que l’écran de l’ordinateur lui aussi est source de lumière.

Une lumière blanche, crue, agressive qui me met au supplice.

Il me faut donc employer les grands moyens.

Farfouiller dans le bureau de l’ordinateur, m’égarer dans le foutoir du panneau de configuration, cliqueter sur le signet “Matériel et Audio”, puis dans “options d’alimentation”, traquer la rubrique “ajuster la luminosité de l’écran” et la réduire au minimum afin que l’écran se mette à chuchoter une lumière suffisamment douce.

Ce serait presque parfait n’était-ce que dans ces conditions, je ne distingue même plus les touches de mon clavier, j’écris en tâtonnant si bien que je multiplie les fautes de frappe, le o se substitue au p, le b se fiance avec le n, le z s’accoquine au e à un point tel qu’en me relisant je ne comprends même pas ce que j’ai bien pu vouloir signifier.

Refusant de m’inscrire à un stage de dactylo en herbe, je rusais et disposais une bougie disposée à côté du clavier, diffusant un halo de lumière assez puissant pour me permettre de discerner les touches entre elles, compromis tout juste acceptable qui vola en éclat le jour, où par inadvertance, dans un mouvement brusque, je renversais de la cire sur les touches.

O rage, ô désespoir qui se perpétua jusqu’au jour où une âme charitable, alertée de mes mésaventures, m’offrit un rutilant clavier lumineux, de ceux que les fous furieux des jeux vidéos emploient pour se livrer à leurs occupations favorites.

Je suis un écrivain des cavernes.

Je ne sais pas pourquoi j’ai besoin de cette obscurité presque totale pour parvenir à aligner des mots.

Des psychanalystes affirmeront que je récrée de la sorte une sorte de matrice originelle.

Qu’en agissant ainsi je redeviens un fœtus dans le ventre de ma mère. Protégé des vicissitudes du monde extérieur. Etablissant une frontière entre le monde réel et mon monde intérieur. Me refugiant à l’intérieur de moi afin d’être au plus proche de ma vérité. Oubliant la morosité de vie du dehors pour retrouver la parfaite quiétude de la vie du dedans.

Je ne sais.

C’est juste ma façon à moi de parvenir à un état où je me retrouve en capacité d’écrire.

Certes je pourrais écrire de nuit mais mes capacités intellectuelles déjà des plus réduites pendant la journée approchent le néant sitôt le soleil couché.

 

Et cette pratique me permet de m’excuser d’avance des inepties que je compose puisque c’est de notoriété publique j’écris comme une vraie taupe…

 

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