Fitzgerald en Pléiade ? Quelle hérésie!

Le 20 septembre prochain Francis Scott Fitzgerald débarque en Pléiade. A défaut de décrocher un Nobel posthume, c’est là une consécration qui vous place un écrivain à la plus haute marche des podiums littéraires. Comme une sorte de grandiose cérémonie funèbre où l’âme du romancier, enveloppée dans un gracieux coffret, couchée sur papier bible, marquée d’un liséré d’or, rentre à jamais dans le panthéon des lettres modernes.

On devrait s’en réjouir mais non.

Fitzgerald ne mérite pas la Pléiade.

Ou plutôt la Pléiade ne mérite pas Fitzgerald.

Il existe dans cette momification comme un relent d’académisme qui sied mal à l’écrivain américain qui fut, à n’en pas douter, le plus doué de sa génération. Pas un génie écrasant et tutélaire comme Faulkner, pas un pachyderme encombrant et inutile comme Hemingway, pas un conteur classique et stéréotypé comme Steinbeck, mais une véritable météorite qui a traversé les lettres américaines avec une fulgurance et une flamboyance que l’on ne rencontre qu’une fois dans le siècle.

Il a été un romancier précoce avec l’Envers du Paradis, un brillant et clinquant chroniqueur des années folles dans Les Heureux et les Damnés, un génial prosateur éclaboussant de classe, auteur d’un chef d’œuvre insaisissable avec The Great Gastby avant de se perdre en chemin, de composer un dernier grand roman malade, Tendre est la nuit, puis de disparaître dans l’immensité de la nuit américaine.

Il mourut seul, atrocement seul.

Et totalement inconnu.

Il n’a pas brûlé sa vie. Il ne buvait pas pour mieux se suicider et raccourcir le fardeau de vivre comme Malcolm Lowry. Il buvait parce qu’il avait découvert que l’alcool aidait les gens à le trouver amusant et spirituel. Il buvait pour se convaincre que l’existence était une fête. Il buvait pour s’étourdir et repousser une maladive mélancolie qui était le terreau même de toutes ses créations.

Tout ce qu’il a pu composer, ses nouvelles qu’elles fussent mièvres ou anodines, brillantes ou ébouriffantes, ses romans, parfois bancals et mal charpentés, sont toujours hantés par la grâce d’une écriture qui, fragile et aérienne, ciselée à la perfection, tenant sur un fil d’émeraude, racontait des destins d’hommes et de femmes pris aux pièges de leurs propres rêves et incapables de vivre dans un monde où la brusquerie de la réalité les rejetait encore plus loin dans le crépuscule de leurs songes à jamais recommencés.

Fitzgerald est trop vivant pour s’encroûter et s’assoupir déjà dans les lourds et pesants recueils de la Pléiade. Il est encore trop lumineux pour que ses romans comportent des appendices et des notes bien plus bavardes que ses propres créations. Il est encore trop contemporain pour qu’on l’alourdisse de commentaires d’érudits universitaires qui de son vivant l’auraient toisé du haut de leur rigide savoir et l’auraient jugé bien trop léger et inconsistant pour mériter leurs louanges.

Surtout l’œuvre de Fitzgerald se suffit à elle-même. Elle est d’une simplicité merveilleuse. Elle n’a nulle besoin d’être décortiquée par de rigoristes exégètes qui ont attendu que le train du temps passe et le consacre comme un romancier de tout premier ordre pour reconnaître la grâce de son talent.

Fitzgerald était un enfant prodige qui n’a jamais su ou voulu grandir.

En rentrant dans le catalogue de la Pléiade, voilà qu’il devient d’un coup un vieillard respectueux à qui on adresse des courbettes pour mieux le canoniser.

Il ne méritait pas cela.

Qu’on le laisse donc à jamais dans nos mémoires comme cet astre lumineux qui continue et continuera à éclairer nos existences étriquées comme le fantôme d’un coucher de soleil se suicidant toutes les nuits sur les vagues ensanglantées d’un océan mirifique et majestueux.

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