Le bon vieux temps du service militaire

 

Ah quand je vois cette jeunesse française glandouiller sur les réseaux sociaux, enquiller les petits boulots, maugréer contre leurs aînés, se plaindre de leur sort, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils sont malgré tout de grands privilégiés qui s’ignorent.

Ont-ils seulement conscience, ces jeunes gens nés dans les années 80, d’avoir échappé à la plus grande tragédie jamais survenue dans toute l’histoire de l’humanité, j’ai nommé le service militaire obligatoire ?

Cette année ou ces dix mois que nous devions accomplir sous les ordres de la République même pas en danger, affectés dans d’improbables et sinistres garnisons de province, à obéir aux ordres stupides d’un maréchal des logis aviné et analphabète tout à sa joie d’avoir à malmener une jeunesse à peine sortie des jupons de leurs mamans.

Ces longs et interminables mois passés à éplucher des patates, à récurer des chiottes, à balayer des cours, à battre sous une pluie cinglante le pavé de casernes désolées en chantant des airs aussi joyeux que  “les oies sauvages vont vers le nord ” tout en respectant la fameuse cadence du pas militaire qui ne souffre d’aucune approximation.

Les rebuffades, les mille et une mesquines humiliations, les réveils au beau milieu de la nuit à coups de grenade de plâtre pour s’en aller visiter la campagne environnante, les nuits passées à effectuer des rondes inutiles, l’obligation de ne jamais contester l’autorité, de se soumettre sans broncher à des ordres sonnant comme des diktats.

La solde misérable atteignant à grand-peine les 400 francs, les manœuvres consistant à jouer à la guerre, les heures planquées dans un trou à guetter un ennemi imaginaire, les conversations surréalistes échangées dans un talkie-walkie avec son supérieur pour l’avertir qu’à deux heures, à environ cinq cents mètres, on venait de repérer une Renault de couleur rouge possiblement remplie de soldats de l’Armée rouge, Chef je répète, à deux heures une Renault communiste approche.

Les marches de nuit forcées, les feux de camp sous la pluie, les rations de survie inbouffables, la vie au grand air, l’art de se camoufler sous le regard de vaches interloquées, l’apprentissage de la conduite à tenir en cas d’attaque nucléaire, les pétochantes séances de tir à balle réelle, l’inlassable démontage remontage des fusils, les courses effrénées avec des masques à gaz, l’astiquage minutieux des Rangers.

Et toujours ce sentiment atroce de perdre son temps, la sensation de participer à un opéra tragi-comique, de servir de souffre-douleur à des petits caporaux tout fiers de servir leur pays, petit nazillons en culotte courte jouissant de leur pouvoir de commander une jeunesse effarée par l’immense bêtise de leurs officiers supérieurs, condamnée à obéir à des sergents-chefs bornés, à des lieutenants sadiques, à des capitaines d’infanterie portant encore en eux la nostalgie de l’Algérie française.

Evidemment, comme tout un chacun, j’ai été pistonné.

Une vague connaissance a réussi à me trouver un poste de secrétaire à l’Ecole Militaire.

Mais avant cela, ce fut les classes à Grenoble, dans un régiment de chasseurs alpins, au beau milieu de l’hiver.

Et malgré l’effroi de ces deux mois passés à greloter d’ennui dans les massifs alpins, le souvenir d’une franche camaraderie avec mes compagnons d’infortune, de ces êtres que jamais en temps normal je n’aurais été amené à fréquenter : un postier, un agriculteur, un cuistot, la découverte d’une France jusqu’ici inconnue.

L’unique avantage du service militaire : la vraie mixité sociale, le réel mélange de bonshommes venus d’univers qui d’ordinaire ne se croisent jamais, l’abolition des privilèges, le rapprochement forcé entre des gens aux trajectoires contraires, la solidarité dans l’adversité, les encouragements réciproques à ne pas craquer, à taire son envie de rébellion, l’amitié vraie sans chichis ni vernis.

L’Ecole Militaire ensuite.

Huit mois à regarder les heures s’écouler dans la torpeur d’un bureau où jamais rien ne se passait, la valse des apéros, des pots, des remises de médailles, l’ahurissement de découvrir la gabegie orchestrée de main de maître par des officiers bien souvent incapables de rentrer chez eux tellement leur sang charriait des torrents d’alcool.

La vie monotone d’une institution prestigieuse menant grand train dans le décor somptueux d’une Ecole Militaire somnolant à l’ombre de la Tour Eiffel, la fatigue nerveuse de ne rien accomplir de ses journées, rien si ce n’est de parcourir les grands magasins afin de ravitailler le général en cadres de tableaux servant à illustrer des gravures de l’Ancien régime qu’il offrirait par la suite lors de ses déplacement à l’étranger.

Un monde fascinant, hors du temps, hors de tout, choyant ses appelés du contingent sans qui toute cette belle machine s’effondrerait, la connivence avec des généraux à deux étoiles, leurs bavardages alcoolisés, leurs confidences sur cette France qui ne comptait plus sur eux pour assurer son prestige.

 

Dix mois de perdus.

Mais dix mois qui malgré tout m’apprirent bien plus sur la nature humaine que n’importe quelle autre entreprise que j’eus à servir.

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Non travailler à la maison n’est pas de tout repos

 

Souvent quand je confie à quelqu’un que je travaille exclusivement à la maison, ne m’aventurant à l’extérieur que pour me ravitailler en Coca Zéro ou permettre à mes poumons de respirer l’ivresse des sommets, je sens monter en lui le sentiment teinté de jalousie envieuse que je suis le plus chanceux des hommes.

Qu’il échangerait bien toute sa maigre fortune pour se retrouver à ma place.

Pourtant je suis à peu près certain que s’il venait à adopter le même genre de vie que je mène depuis des années, une vie solitaire, recluse, en perpétuelle confrontation avec soi-même, occupé à batailler contre cette inclinaison toute naturelle à la paresse et l’oisiveté, au bout d’une semaine, on le retrouverait au service des grands brûlés de l’existence, réclamant sa ration de psychotropes et suppliant d’être ramené à la vie normale.

C’est que la vie en solitaire, même si elle se déroule dans le décor familier de sa propre habitation, parmi le fouillis domestique de chaussettes à l’abandon et de vaisselle cavalant dans l’évier, ne convient pas à tout le monde.

Disons-le tout net : il faut une certaine dose de courage, d’abnégation et de volonté pour rester toute la journée durant en tête à tête avec soi-même avec comme seul compagnon d’infortune un chat roupillant du matin jusqu’au soir et comme unique distraction celle de jouer au mikado avec sa kyrielle de crayons à tailler.

Ce combat qu’il faut mener jour après jour pour trouver en soi l’énergie suffisante afin d’effectuer le périlleux voyage entre son lit et son bureau, sans s’offrir un détour par le salon où pourtant un canapé des plus moelleux attend d’assister en grandes pompes à votre avachissement royal qui sonnerait le glas de vos velléités à mener à bien vos travaux pourtant essentiels à votre survie financière.

Cette implacable rigueur qu’il faut s’appliquer afin de ne pas succomber à l’impérieuse envie d’aller gambader au dehors, de s’égarer dans les travées d’un café, de retarder par tous les moyens le moment de se retrouver assis le séant vissé sur sa chaise à essayer de poursuivre la tâche qu’on s’est assigné d’accomplir avant la fin de la journée.

Cette absolue nécessité de se mettre au travail sans le recours d’une tierce personne, chef de service sévère, tâcheron de sous-fifre ou collègue plus ou moins amical qui viendrait interrompre le fil de vos rêveries en vous signalant qu’il leur faut avant midi tapant le résultat de votre expertise concernant le dossier de l’expropriation de Monsieur Dupneu ou votre article sur les mérites comparés des tapis ronds à travers le monde.

Ces mille et une tentations qu’il faut éviter : la contemplation énamourée du plafond, l’arrêt prolongé devant sa fenêtre à regarder les joutes chevaleresques de deux pigeons amoureux, l’envie subite de repeindre sa bibliothèque, l’appel du cabinet à boisson, la tentation du rien, l’invitation du lit à prolonger sa sieste, l’offrande de la baignoire à savourer ses eaux moussantes, la possibilité de visionner en solitaire le dernier épisode de sa série du moment, la pensée toujours présente de se dire que rien ne presse, absolument rien.

L’affreux moment de la pause déjeuner, la flemme immense de se préparer à manger, le repli piteux sur une boîte de sardines à l’eau avalée debout dans la cuisine, les deux œufs flapis dégustés à même la poêle, le reste du ragoût encore froid ingurgité à la louche, le yaourt descendu en deux coups de cuillère à pot, la tristesse d’un repas passé dans le silence d’une maison figée dans une intemporalité imperturbable.

La sieste tout de même.

Mais le réveil amer, le café froid, la solitude encore, personne à qui parler, ces questions qui restent sans réponse, le retour dans la chambre des tortures, l’oubli dans un travail qui n’avance pas, le désir de tout envoyer paître, l’appel de la vraie vie, l’obligation de continuer coûte que coûte, le refus de se laisser aller, cette lutte épuisante contre son appétence pour la procrastination.

La journée qui s’achève, le retour de la compagne qui elle, a vraiment travaillé, qui elle, a le droit d’être épuisée parce qu’elle s’est farcie une heure de métro, qui vous raconte dans les moindres détails sa journée horrible sans jamais vous demander ce que fut la vôtre, se doutant bien que comme d’habitude vous avez dû la passer à jouer aux osselets.

 

Avant d’enchaîner avec la petite phrase assassine qui vous rend d’un coup nostalgique de votre célibat d’antan : au fait, qu’est-ce que tu as préparé à manger, je meurs de faim ?

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Et Papon au Panthéon, c’est pour quand ?

 

La Résistance envahit le Panthéon.

C’est bien.

On n’aura jamais assez de saluer la mémoire de ces hommes et femmes qui, à l’heure où une certaine France s’offrait sans rechigner à l’envahisseur allemand, trouvèrent en eux les forces nécessaires pour s’insurger contre cette collusion abjecte.

Et payèrent parfois au prix de leur vie leur obstination à refuser ce mariage de raison et parfois d’amour en tentant par tous les moyens de sauver l’honneur d’une patrie qui rivalisait de traîtres courbettes pour s’attirer les sympathies de leur cousins germains.

Ces Justes parmi les Justes nous avons le devoir d’honorer encore et toujours leur mémoire, de veiller à ce que jamais nous n’oubliions l’incroyable courage qu’il leur a fallu pour se dresser contre l’ordre établi, leur sublime témérité à tout mettre œuvre pour empêcher la barbarie de prospérer à l’aune d’une république prête à toutes les bassesses pour ne pas fâcher l’envahisseur tout surpris de découvrir la remarquable docilité d’une nation peu revêche à défendre son honneur bafoué.

Afin de ne pas oublier ce moment de l’histoire où la France vacilla et ne trouva rien à redire à collaborer avec la peste brune, afin de pas verser dans le mythe affabulateur d’une France résolument résistante, il serait bon de bâtir aussi juste en face du Panthéon une sorte de Saloparthéon.

Un monument érigé à la gloire de nos plus éminents fils de pute qui salirent par leurs agissements délétères la mémoire nationale.

Qui orchestrèrent sans sourciller la déportation de milliers de Juifs.

Qui veillèrent à ce que les valeurs pestilentielles du Troisième Reich se propagent dans nos villes et dans nos campagnes.

Entrez donc ici Maurice Papon, René Bousquet, Paul Touvier, vous qui les premiers comprirent que le destin de la France ne se jouait plus à Paris mais bel et bien à Berlin.

Vous qui, pleins de clairvoyance, visionnaires avant l’heure, réalisèrent que le salut de la patrie en danger consistait à ouvrir grandes les cuisses de la République afin de la laisser être fourragée par les coups de trique des Panzers teutons.

Sur le fronton de ce monument bâti en forme de francisque géante, on inscrirait “Aux sublimes salauds, la France méconnaissante”.

On ne pourrait pas visiter le Panthéon sans au préalable s’offrir un détour par cette caverne de l’histoire nationale afin de saisir dans toute son affreuse diversité ce que fut la France des années quarante.

Une véritable petite boutique de nos horreurs mémorielles.

Sur leurs cercueils cabossés on viendrait déposer nos gerbes de dégoût.

On s’en irait cracher sur leurs portraits appendus à des plafonds délabrés.

Le soir tombé, en cachette, les nostalgiques du Maréchal pourraient venir se recueillir sur la tombe de leurs glorieux aînés et prier pour que l’heure du redressement national ne soit plus très loin.

On pourrait étendre le concept à d’autres catégories et saluer la mémoire de nos généraux les plus lâches, de nos penseurs les plus ineptes, de nos chimistes les plus brouillons, de nos physiciens les plus ballots, de nos écrivains les plus bavards, de nos hommes politiques les plus corrompus, de tous ceux qui dans leur domaine, par l’excellence de leurs incompétences, souillèrent notre récit national.

Ainsi, on pourrait enfin se regarder en face.

S’accepter tels que nous sommes.

Tout à la fois géniaux et misérables. Capables du pire comme du meilleur. Sans cesse tiraillés entre notre envie de nous sublimer et notre inclinaison à nous comporter de la plus crasse des manières.

Une France monstrueusement humaine.

Et savoir d’où l’on vient, comprendre que le pire est toujours possible, réaliser que la république est fragile, entreprendre les générations futures sur la perfidie des discours trompeurs, des idées toutes faites, des tentations d’établir des ordres nouveaux.

 

L’inauguration aurait lieu en 2020 et le discours serait prononcé par le Président de la République, en la personne d’une édile d’un quelconque mouvement national…

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

 

lire le billet

Appel à la jeunesse de France désireuse de s’installer au Canada

 

Cette année, ils sont près de 50 000 français grincheux à oser se présenter sur la ligne de départ.

50 000 maudits français, âgés entre 18 et 35 ans, qui n’aspirent qu’à une seule chose : décrocher leur fichu PVT (Permis Vacances Travail) pour découvrir les charmes surcotés de ce Canada de pacotille, poser les premières pierres de ce qui constituera pour nombre d’entre eux la grande aventure d’une émigration qui s’achèvera quelques mois plus tard dans les larmes et le sang.

L’adieu à la France, la fin du cauchemar, l’au-revoir parfois définitif à cette terre nourricière dont, confis d’ingratitude, repus d’égoïsme anti-patriotique, ils ne veulent plus entendre parler, pauvre petits pioupious fatigués de vivre dans la désespérance d’une nation qui, pétrie d’immobilisme, figée dans de vieux schémas séculaires, creuse sa tombe et n’attend plus que le coup de grâce pour basculer dedans.

50 000 enfants gâtés qui ne calculent pas leur chance de vivre dans un pays où le Doliprane est presque gratuit, où un état providence les chouchoute et les câline avec la même attention qu’une mère nourricière vis-à-vis de sa tripotée de moutards, où ils ont la possibilité de se loger dans un vingt mètres carrés somptuaire en déboursant à peine moins d’un millier d’euros par mois.

Sauf qu’au final, ils ne seront que 6750 à décrocher ce précieux sésame.

Les autres seront obligés de retourner à la mine.

Franchement, je ne comprends pas bien cet engouement pour le Canada.

Ces jeunes gens prétendument las de vivre dans un pays à l’horizon embouché ont-ils seulement conscience qu’ils s’apprêtent à poser le pied dans une contrée où les gens sont heureux de vivre ?

Comprennent-ils réellement le sens de cette horrible assertion ?

Se rendent-ils compte ce que cela peut signifier de se retrouver ainsi parachuté au sein d’une population versée dans un optimisme béat, perdu au milieu d’une faune d’énergumènes qui ne savent que sourire et passent leur temps à se dire bonjour ou à s’échanger des sourires complaisants ?

De vrais culs-terreux qui prennent la peine de remercier le chauffeur de bus d’avoir stoppé leur engin à l’arrêt prévu, qui ne cessent d’afficher en toutes circonstances une affabilité extrême, toujours prompts à défendre la veuve et l’orphelin, jamais fichus de grommeler leur insatisfaction atavique ou de montrer le début d’un soupçon de mécontentement en éructant une palanquée d’injures ?

Imagine-t-on un seul instant le choc culturel que cela peut représenter ?

Sans oublier l’implacable flexibilité du monde du travail, la retorse capacité des employeurs à vous juger non pas sur la liste de vos prétendues qualités affichées sur votre CV mais bien plus sur vos réelles aptitudes à accomplir le travail demandé, cette outrecuidance insupportable à vous accepter tels que vous êtes, noirs, arabes, auvergnats sans jamais se soucier de vos origines.

Le Canada n’est pas le paradis qu’il prétend être.

Il faut débourser des sommes folles pour déguster un ersatz de fromage, être prêt à se farcir des baguettes de pain aussi appétissantes que des sushis polonais, déguster des vins aussi gouleyants à boire que des citronnades norvégiennes, s’empiffrer de burgers indigestes ou de poutines écœurantes.

Etre dérangé au restaurant toutes les deux minutes par l’intervention inopinée d’une serveuse vous harcelant de demandes intempestives et incongrues ” Ca vous plaît ? “, ” La cuisson vous convient ? “, ” Besoin de rien d’autre ? ” quand elle ne vient pas vous remplir à ras bord votre verre d’eau tout en vous adressant un grand sourire enjôleur.

Etre confronté à une administration des plus sadiques qui écoute vos récriminations sans jamais s’emporter ou élever la voix, devoir se frotter à des entreprises de service public qui comprennent vos attentes et se mettent en quatre pour les satisfaire, être contraint de marmonner un ” très bien, merci ” à votre caissière de supermarché qui ne manque jamais une occasion de vous  demander “comment se passe votre journée jusqu’à présent” ?

Un véritable voyage au bout d’un enfer climatisé placé sous le sceau de la tranquillité de vivre.

Une plongée radicale au cœur d’une société émolliente à souhait où les enfants sont heureux d’aller à l’école, où l’on pratique le bénévolat animé de la seule volonté de contribuer à rendre la vie meilleure, où l’on ne cesse de promouvoir le respect de chacun, de ses traditions, de ses coutumes, de son mode de vie, afin de vivre ensemble dans la concorde et l’harmonie.

Vouloir émigrer de France au Canada, c’est comme désirer d’échanger son valeureux pitbull contre un indolent Saint-Bernard.

C’est renoncer à exister en s’opposant.

C’est consentir à penser que finalement l’homme est bon par essence.

Une horreur existentielle.

Jeunesse de France, ne pensez pas que l’herbe est plus verte au Canada que dans l’hexagone.

Elle est juste mieux entretenue.

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Google, le quatrième Reich

 

Donc l’autre jour, ça devait être jeudi, oui c’est ça c’était jeudi, je moulinais tranquille sur mon vélo d’appartement, histoire d’évacuer tout le stress accumulé dans la journée, notamment l’échec retentissant de ma pâte feuilletée destinée à une tarte au thon qui jamais ne se réalisa.

Comme d’habitude lors de cet exercice quotidien de moulinage immobile, je parle de vélo là pas de cuisine, afin de ne pas dépérir d’ennui et repousser la tentation de me défénestrer en sautant le cul le premier de ma selle, j’avais commandé à mon ordinateur de me diffuser le dernier épisode de “C’est dans l’air” intitulé “Google, maître du monde”.

On a les vertiges qu’on peut.

Tout à ma concentration d’obliger mes jambes à se régler sur une cadence n’affolant pas de trop mon cœur haletant, je manquai le petit texte introductif servant à présenter les invités présents ce jour-là sur le plateau.

Je n’aurais pas dû.

Le premier à prendre la parole fut un certain M. Alexandre qui froidement, sans que personne n’en trouve à  redire, martela d’une voix métallique que le but ultime de Google était de lutter contre la mort, d’œuvrer à la mort de la mort, ses dirigeants s’inscrivant dans le courant de pensée nommé transhumanisme destiné à se servir de l’apport des nouvelles technologies afin de repousser les frontières de notre humaine condition.

Les pédales m’en sont tombées d’ahurissement.

Je pensais très sincèrement que son infirmier personnel allait débouler sur le plateau pour le ramener sagement à sa niche en lui administrant une solide piqûre de morphine, de bromure, de valium.

Mais non.

S’en suivit la diffusion d’un reportage où un employé de la prestigieuse firme californienne démontrait la géniale inventivité des fameuses Google Glass.

Ainsi, présupposant que demain il devrait se rendre à Paris, s’interrogeant sur la nécessité d’emporter ou non avec lui un parapluie, il se mit à poser la question en un anglais impeccable à sa paire de lunettes, “Is it going to rain tomorrow in Paris ?”

Ce à quoi cette dernière, par l’intermédiaire d’une vignette interactive apparaissant devant ses yeux émerveillés, confirma la possibilité qu’il put effectivement pleuvoir dans la ville Lumière et l’encouragea par là-même à se munir d’un parapluie ou d’un K-way ou d’un béret ou d’une casquette ou d’un bonnet.

Il est à noter que l’employé, durant tout le temps de sa démonstration, avait le regard absolument extatique voire orgasmique de celui qui revient d’un voyage intergalactique où il se serait entretenu avec Dieu en personne.

Le même genre de regard que j’aurai le jour où je réussirai ma pâte feuilletée et que je viendrai ici-même vous raconter le pourquoi du comment de cette réussite culinaire.

Après quoi, d’autres invités nous expliquèrent que bientôt grâce à Google, on conduirait sans conduire, on baiserait sans baiser, on pisserait sans pisser, etc, etc…

En résumé, on ne ferait plus grand-chose et ce temps gagné à ne pas se concentrer sur notre conduite automobile, à ne pas s’inquiéter de la déliquescence de nos cellules nerveuses, on pourrait l’employer plutôt à demander à nos lunettes s’il restait des pains au chocolat à la boulangerie ou si Belle-maman pourrait me refiler sa recette de sa pâte feuilletée qu’elle réussit à la perfection.

C’est là que je compris  que le but ultime de Google ce n’était pas l’argent, ce n’était pas la bourse, ce n’était pas la publicité, ce n’était pas la fréquentation de son moteur de recherche, non, c’était d’établir tout bonnement un nouveau règne sur la terre.

Le règne de l’homme affranchi de toutes ses contingences humaines. Le royaume de Dieu sur terre. La possibilité de rivaliser avec le Créateur.

Hitler, en toute modestie, prévoyait que son Reich durerait mille ans.

Google, lui, vise l’éternité.

Tout en étant incapable de nous expliquer comment, si on est assuré de ne plus jamais tomber malade, si nos cerveaux carburent à plein régime au super sans plomb, si l’on est débarrassé de toutes les contraintes de notre vie domestique, étant bien entendu que ce serait un robot en charge de promener Médor et de descendre les poubelles, on pourrait bien employer nos journées.

Si on n’est plus occupé à essayer de doubler par la droite une voiture lambinant sur la bande d’arrêt d’urgence, si on n’a plus à se soucier du prix de ses obsèques, si on n’a même plus à s’inquiéter du temps qu’il fera demain, à quoi bon vivre ?

 

Parce que l’éternité, je n’ai rien contre, mais si c’est pour rester en tête à tête à parler avec des lunettes, franchement je préfère passer mon tour.

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Je suis dépassé par mon époque

 

J’ai parfois cette étrange et déconcertante impression de ne pas appartenir à mon temps.

D’être déclassé.

De vivre hors de mon époque.

D’avoir un comportement en tout point archaïque, de me montrer réfractaire à l’idée même de modernité, freinant des quatre fers pour ne pas être emporté dans ce maelström de nouvelles technologiques qui déboulant de toutes part, à une vitesse souvent sidérante, me bousculent de trop et me malmènent.

Je vois autour de moi des amis ouvrir des comptes instagram, d’autres se servir de snapchat, certains recourir au sexting, la plupart s’épancher sur leurs profils Facebook ou échanger leur réflexions à coups de tweets et, les regardant évoluer de la sorte, je me demande, non sans angoisse, si j’appartiens au même monde que le leur.

Parfois je culpabilise.

J’ai l’impression d’être encroûté dans le passé, ancré dans une indécrottable nostalgie, incapable de saisir les enjeux et les défis de mon temps, impuissant à participer à cette nouvelle révolution s’accomplissant sous mes yeux ébahis.

Peut-être est-ce un sentiment normal voire même sain de se sentir étranger à son temps, en total décalage avec les évolutions qui nous étranglent de leurs fausses péripéties, tout ce ballet de petites merveilles technologiques dont on peine à saisir l’intérêt si ce n’est celui d’engraisser les nouveaux veaux d’or de l’industrie marchande.

Vivre ne devrait jamais aller de soi.

C’est une constante remise en cause qui exige de nous des trésors de volonté et d’abnégation, le défi sans cesse renouvelé de ne pas trahir nos idéaux personnels, de rester fidèles à ses rêves d’enfants, de prendre soin des gens qui nous entourent, de savoir l’éphémère de l’existence et tenter par tous les moyens de l’enjoliver pour qu’elle ne sombre pas dans la laideur du désespoir.

Je ne veux pas m’encombrer d’objets dont je ne comprends ni l’utilité ni l’intérêt.

Je me trimballe avec un vieux téléphone dont je ne me sers jamais, je ne me prends jamais en photo, je me sers d’un antique téléviseur juste pour visionner des films, lorsqu’il m’arrive, une fois l’an, d’avoir une idée, je ne m’empresse pas d’aller la partager sur des réseaux sociaux, il m’arrive même de passer des heures à ne rien faire, à force j’ai l’impression de vivre au ralenti.

Je ne cultive pas cette différence.

Je subis la modernité.

Je ne fais pas exprès de rester à quai.

Je ne suis animé d’aucune idéologie qui par principe s’opposerait à tout ce qui posséderait l’apparat de la nouveauté.

Ainsi j’éprouve une immense fierté à être le bloggeur le plus doué de ma génération, territoires d’outre-mer compris.

Simplement, je ne veux pas être entraîné dans cette sarabande folle qui tend à faire passer le superflu pour l’essentiel, à confondre la belle idée de progrès avec celle de l’immédiateté, à nous contraindre à nous comporter uniquement comme des consommateurs avides de se procurer la dernière imbécilité en vogue sans jamais s’interroger sur leur réelle nécessité.

Je vois des gens attendre le prochain modèle d’un téléphone cellulaire avec la même impatience fébrile qu’autrefois on guettait la dernière publication d’un philosophe essentiel.

J’assiste à des conversations passionnées tournant autour d’une  application révolutionnaire permettant de connaître la fréquence de nos clignements de paupières ou de calculer le nombre de calories brûlées pendant notre sommeil.

Là où dans des temps pas si reculés, on se demandait encore si l’essence précédait l’existence ou si la mort de Dieu signifiait la liberté suprême.

 

Il faut être absolument moderne clamait Rimbaud.

Ce qu’il fit en tournant résolument le dos à son époque pour s’en aller conquérir des ailleurs exotiques et s’essayer à posséder la vérité dans une âme et un corps.

Vaste programme mais qui reste toujours d’actualité.

Du moins je l’espère.

 

( Et pour prouver que je ne suis pas irrécupérable, vous pouvez suivre l’actualité de ce blog par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

A gauche, en sortant de l’Elysée

 

C’est la grande perversion du Hollandisme, enfin de la supposée doctrine censée représenter ce mouvement de pensée dont personne ne sait au juste de quoi il retourne et surtout pas le principal intéressé.

A force d’aller de reculades en triples saltos arrières, de flips flops linguistiques en catéchèse verbeuse, d’annonces foireuses en déclamations alambiquées, le pauvre petit trouffion d’électeur, qui tous les cinq ans s’en va rosir de plaisir l’urne électorale, ne sait plus trop repérer sa gauche de sa droite.

Certes il a bien compris depuis belle lurette que le grand soir n’était plus inscrit au programme des réjouissances prévues pour les décennies à venir, que Bruxelles patrouillait dans les sentiers de la République avec une lampe torche pour débusquer les lapins fraudeurs, que l’économie se jouait au centre et non plus sur les ailes au risque de provoquer quelques embouteillages dans la surface de réparation.

Les temps sont au réalisme.

Et comme la société française ressemble de plus en plus à une mamie acariâtre s’accrochant comme une vieille bique revêche à ses reliques et à ses lubies, voilà que plus personne n’ose venir la déranger dans ces certitudes vacillantes, de peur qu’elle ne se mette à toupiller sur elle-même avant de s’envoler dans la montgolfière bleu marine maraudant comme le fantôme d’un U-boat dans les sphères hexagonales.

D’où cette légitime perplexité du brave couillon se réclamant encore et toujours de gauche, interrogeant le miroir de ses illusions perdues et se demandant, en regardant les agissements équivoques du gouvernement actuel, s’il ne serait pas en train d’assister aux funérailles de ce que furent ses engagements et autres utopies.

A force de vouloir cajoler et rassurer cette France qui crapote de peur et vocifère à longueur de manifestation sa volonté d’être momifiée de son vivant et d’être plongée dans le formol de ses croyances éternelles, on en vient à décréter un embargo sur tout ce qui pourrait l’amener à croire en son avenir.

Au lieu de lui asséner une salutaire paire de baffes, de celle qu’on assène à une personne en proie à une crise d’hystérie survenue après la découverte d’une punaise des bois taillant le bout de gras avec une coccinelle dans les tréfonds de sa literie, on préfère lui administrer une double ration de camomille en lui chantonnant des comptines d’autrefois.

Bientôt, l’exécutif s’en ira rechercher dans ses archives nationales le cadavre de sa bonne vieille guillotine, histoire de satisfaire les désirs de son peuple qui, reniflant le sang impur gargouillant au cœur de ses villes et de ses campagnes, se languit de ses condamnés à mort et de ses quartiers de haute sécurité.

La France a la pétoche mais personne n’ose lui dire qu’elle est simplement victime d’hallucinations, de ces hallucinations qu’on soigne seulement à coup d’électrochocs.

Et l’électeur de gauche aimerait bien que son très estimé représentant cesse de penser à sa réélection, arrête de nous supplier avec ces discours empestant la suée rance des tabatières de l’ENA, et s’essaye à tracer des horizons qui ne soient pas que des ratiocinations indigestes sur des pactes de compétitivité aussi stimulants à entendre que des bulletins météos crachotés sur des ondes A.M.

Faute de quoi, il se pourrait fort bien, un de ces quatre matins, las de ces renoncements et de ces atermoiements, qu’il ne s’en aille à son tour battre le pavé et dire son dégoût d’avoir été trahi par celui qui hier encore voulait défier la finance et aujourd’hui astique l’argenterie du mobilier d’état en prenant soin de ne jamais ne serait-ce que l’ébrécher.

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Je ne veux pas d’enfants

 

La société a décrété : tu dois faire des enfants pour assurer mon bon fonctionnement et veiller à ma prospérité.

Dieu a déclamé : il te faut procréer afin que tes descendants continuent à me révérer et s’assurer que mes parts de marché ne fléchissent pas de trop.

Ta mère t’a dit, donne-moi un petit-fils, je n’ai pas envie de passer le reste de mes jours à veiller sur ton père qui radote de plus en plus.

Tes amis t’ont dit, qu’est-ce que tu attends pour être père ? Tu sais que le compteur tourne et que les années perdues ne se rattrapent pas.

Et toi, comme un pauvre couillon égaré dans les limbes de ton éternelle hésitation, tu continues à dire, non, non, non, très peu pour moi, j’ai déjà assez de problèmes comme ça pour ne pas de surcroît m’encombrer d’un moutard dont je ne saurais que faire, si ce n’est lui donner des biberons de Temesta pour calmer ses angoisses.

Je ne vois pas au nom de quel impératif moral il me faudrait à tout prix me délester de quelques spermatozoïdes afin que le monde compte un représentant, un de plus, un de trop.

Je me contrefous de savoir que je n’aurai pas de descendance directe, que nul trublion, fruit de ma volonté et de mon sang mêlé, ne viendra fleurir ma tombe une fois l’an ni ne perpétuera ma mémoire de sombre crétin en chantant mes supposées louanges à travers les siècles.

Après moi le déluge.

Je ne vois pas en quoi vivre serait si exaltant pour que je m’octroie la possibilité d’offrir à un gamin innocent la chance de connaître le charme ineffable d’une crise d’hémorroïde, la fréquentation d’un banquier corrompu, la déception d’un amour impossible, le désespoir de supporter une équipe de foot moribonde, sans oublier la litanie des questionnements métaphysiques allant du pourquoi du comment de la naissance de l’univers au mystère de la réussite d’une sauce béchamel.

Je n’ai jamais bien compris pourquoi les gens doués d’un brin de raison commettent ce crime impardonnable de donner la vie comme si cette dernière ressemblait à une perpétuelle fête foraine alors qu’on sait tous qu’elle n’est qu’une succession d’échecs, une compilation de projets avortés, un empilement de rêves jamais réalisés qui nous laissent à tous, au bout du compte, un drôle de goût amer et rance dans la bouche.

Ou alors agiraient-ils de la sorte pour s’assurer seulement que, quand leurs forces viendront à manquer, que leur cœur commencera à connaître des ratés, que l’espérance se sera enfuie comme une chauve-souris, il restera encore la présence de cet être chéri pour les réconforter et les empêcher de crever seul comme un chien sans collier ?

Je peux concevoir que dans la folie de la jeunesse insouciante, quand l’ivresse brûlante du premier amour altère notre raison et colore l’existence, on puisse dans ce soudain embrasement des sens succomber à la tentation et s’offrir, sous la forme d’un charmant bambin, une concrétisation de cette communion momentanée des âmes.

Mais après ?

Quand revenu de ces fables d’adolescent, on s’aperçoit tout penaud que le livret A ne rapporte que 1.25 % par an, que les plombiers ne travaillent pas le dimanche, que le livre le plus en vendu dans l’hexagone en 2013 a été 50 nuances de Grey, qu’il fait froid l’hiver et que si ça se trouve Lara Fabian ne pourra plus jamais rechanter.

Et qu’on ne sait toujours pas si la vraie vie est ailleurs.

Ceci dit, d’un autre côté, ce serait quand même fichtrement ennuyeux de fêter tout seul la victoire de Saint-Etienne en finale de la Ligue des Champions ou d’assister en solitaire à la reformation des Smiths…

 

Chérie, annule le repas chez les Bokobza, ce soir, je te sors le grand jeu !

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Farid de la Morlette, ne t’avise pas de toucher à mon chat !

 

La France a peur.

Les barbares sont de retour.

L’ombre des années trente plane comme un vautour menaçant autour du fantôme de la République en danger.

Et voilà qu’au beau milieu de ce charivari, on découvre avec effroi qu’un dénommé Farid de la Morlette a eu l’ idée saugrenue de jouer au jokari avec Oscar, un pauvre chaton qui n’avait rien demandé à personne.

Peuple de France, chats de Gaule, chiens de l’hexagone, canaris de Lille, lapins de Montpellier, écureuils de Brest, hamsters de Bordeaux, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles : aujourd’hui le terrible Farid de la Morlette roupille en prison et n’est pas près de recommencer à martyriser quelconque animal de son quartier.

Enfermé dans un quartier de haute sécurité, claquemuré entre les quatre murs d’une cellule capitonnée avec Jojo la Trempette, le redoutable égorgeur de pigeons, il ne peut même pas étancher sa soif de mal en écartelant des rats, l’administration pénitentiaire ayant pris soin avant sa venue de dératiser de fond en comble sa cahute.

La carrière de Farid la Morlette, le Himmler des chats de gouttière, est terminée.

Il était temps.

Depuis l’annonce de cette sinistre nouvelle, mon chat ne dormait plus.

Je voyais dans son regard inquiet qu’il commençait à se demander, si moi aussi par hasard, je n’appartenais pas à la race des Farid de la Morlette.

J’ai eu beau lui dire que moi c’était plus Saga de la Branlette, j’ai bien vu qu’il ne me croyait pas.

Désormais il m’interdit de l’approcher.

Je n’ai même plus le droit de lui gratouiller le ventre ou de lui chatouiller les moustaches ou de lui tortiller les oreilles.

Harcèlement félin qu’il a miaulé, tu sais combien tu risques pour ce genre d’attouchement ? La perpétuité. Tu veux que j’écrive au juge peut-être ? Tu veux finir tes jours en prison ? Sur une chaise électrique ?

Je n’ai pas moufté.

Je sais qu’il serait capable de me dénoncer.

C’est que je ne l’ai pas épargné tout au long de notre vie commune.

Je dois le reconnaître.

J’ai même fait montre envers lui d’un sadisme innommable.

J’ai sciemment profité de ma supériorité physique pour abuser de lui.

Dès son plus son jeune âge, au lieu de le laisser roupiller, je n’ai eu cesse de l’asticoter, de le houspiller, de le poursuivre à travers toute la maison, de le forcer à se planquer dans la machine à laver pour échapper aux mille et un sévices que je lui faisais subir, jour après jour, en toute impunité.

Sa nourriture, que je planquais exprès sous une coupelle de telle façon qu’il ne puisse la goûter et que, rendu fou par l’odeur alléchante, il se mette à entamer une danse de sioux en tentant de délivrer ses croquettes prisonnières à coups de museau répétés.

Mes hurlements d’indignation quand il me ramenait à la maison des souris ou des oiseaux encore à moitié-vivants à qui je m’empressais de rendre la liberté.

Les leçons de morale à deux sous que je lui infligeais alors.

Mes péroraisons interminables sur la souffrance inutile qu’il infligeait à des victimes innocentes alors que de toute évidence il se contentait de répéter des schémas ancrés en lui depuis la nuit des temps.

Les voyages en voiture ou en train que je l’obligeais d’accomplir dans une cage pas plus grande qu’une boîte d’allumettes où il avait à peine la place de s’étaler, contraint de se tortiller dans tous les sens pour rapatrier sa queue à l’intérieur.

Ma conduite automobile des plus heurtées qui, à chaque fois que je pilais à un stop aperçu au tout dernier moment, amenait immanquablement sa cage à valdinguer sur la banquette arrière et interrompait à chaque fois sa sieste mille fois recommencée.

Les minables cagettes en carton où je l’obligeais à se calfeutrer.

Les jouets débiles que je lui achetais, poisson fantôche, souris en toc, plume d’oiseaux artificiels qu’il mordillait sans conviction, l’air navré, juste dans le but de me contenter et d’ éviter de déclencher mon courroux au regard des investissements somptuaires que je venais de lui consacrer.

C’est seulement aujourd’hui que je prends pleinement conscience de ces comportements délétères et outrageusement dégradants.

Je me suis affranchi de toute morale pour adopter un comportement en tout point contraire à la déclaration des droits de l’homme et du chat.

Sans le savoir, j’étais moi aussi un Farid de la Molette.

 

Je ne cesserai de le regretter toute ma vie.

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet

Hier, à 21h14, j’ai fini de lire Proust

 

Et quand j’eus fini d’achever la lecture de ces 2401 pages représentant au total un poids de 1.590 kg dans la collection Quarto qui rassemble en un seul volume l’intégralité d'”A la recherche du temps perdu”, je me suis levé, je me suis congratulé, you’ve done it boy, you’ve done it, you’re a fucking genius, j’ai roulé une pelle à mon chat, j’ai accompli trois tours de pâtés de maison, à reculons et à cloche-pieds, réalisant qu’après quatre longs mois de servitude proustienne, j’allais enfin retrouver ma liberté de lecteur.

J’allais dire au revoir à tous ces personnages aussi délicieux que désuets, les Swann, Odette, Charlus, Cottard, Albertine, Guermantes et autres Saint-Loup qui tous les soirs, comme des maîtres de cérémonie austères et sévères, me convoquaient à leur chevet et m’enchaînaient à leurs aventures aussi palpitantes à parcourir que le journal de bord d’un escargot engagé dans une course en traîneaux disputée au fin fond de l’Alaska.

Car il le faut savoir, il ne passe rien, absolument rien tout au long de ces 2400 pages, tout comme il ne se passe jamais rien dans nos vies, rien à part ces infinies palpitations de notre moi intérieur, ces mille et une secousses de nos pensées agitées que Proust décortique avec une passion méticuleuse, presque maladive, attentif aux moindres soubresauts survenant à l’ombre de son esprit aussi sensible et réactif que l’aiguille de ces appareils enregistrant en temps continu les mouvements sismiques de notre planète en perpétuelle ébullition.

Et si parfois je me suis lamenté d’ennui comme un spectateur condamné à assister à une mortifère rencontre de ligue 1 disputée un soir d’hiver entre Valenciennes et Toulouse, j’ai aussi connu d’authentiques moments de grâce où j’ai cru me métamorphoser en un véritable chirurgien de l’âme, capable d’appréhender dans toute son infinie complexité les innombrables variations du cœur humain bataillant avec ses propres démons.

Cette sensation vertigineuse de pénétrer au plus profond des arcanes de l’âme humaine, d’en saisir toutes ses facettes, d’appréhender ses ineffables mystères, de s’approcher au plus près de la vérité de l’existence, non pas dans ses manifestations extérieures mais dans l’intimité de ses contradictions intérieures, de ses aspirations les plus secrètes et le plus souvent tues, l’incroyable mécanisme de notre vie cérébrale décrite avec la précision maniaque d’un archéologue attentif à ses moindres évolutions.

On ne peut pas lire Proust en se grattant les couilles tout en regardant d’un air distrait les dernières aventures d’une mouette s’essayant au vol plané en dégringolant du haut de l’immeuble d’en face.

Il faut être tout entier à sa lecture, obliger son cerveau à décortiquer, mot après mot, cette succession vertigineuse de phrases prenant le temps de se raconter dans un entortillage savant de circonvolutions complexes, apprivoiser leurs musiques ô combien singulières en contraignant sa respiration à adopter le rythme propice afin de se laisser gagner par la lente ivresse de ce style déclinant une narration avançant comme des sables mouvants où se meuvent des personnages appartenant à un passé figé dans l’éther du temps.

Manquer parfois de s’étouffer.

Connaître des moments de désespérance et de découragement.

Avoir des envies de s’emparer du volume pour s’en servir comme assommoir à sa propre inconsistance.

Se sentir vivre avec une intensité qu’on n’avait pas connu depuis bien longtemps.

Comprendre qu’on ne se comprendra vraiment jamais mais être reconnaissant de l’avoir compris.

Rester émerveillé devant la capacité réflexive d’un homme qui semble avoir l’intelligence et la sensibilité d’un million.

Etre au plus proche de soi, découvrir le vertige de sa propre personnalité s’épanouir à la lecture de ces paragraphes emberlificotés, deviner que confusément quelque chose d’indicible mais pourtant de bien réel s’est opéré au plus tréfonds de son âme et en rester ébahi de contentement.

Surtout avoir l’humilité de reconnaître être parfois resté en lisière du roman, de ne pas avoir accompli les efforts nécessaires pour saisir toute sa beauté et son étrangeté et se promettre d’y revenir dans dix ans pour rattraper ce manquement inexcusable.

 

Et, en attendant ces retrouvailles programmées, continuer à essayer d’écrire des romans tout en restant conscient de leur effroyable petitesse…

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

lire le billet