Portland, une ville complètement à l’Ouest

 

Elle se situe sur la côte pacifique mais le Pacifique a eu la flemme de venir la border et a plutôt choisi de la laisser végéter au milieu de nulle part.

Géographiquement, elle se retrouve coincée entre San Francisco la mythique et Seattle la dégourdie, enfant trop gâté de la côte ouest où viennent s’encroûter les gros mastodontes capitalistes de Boeing, de Microsoft et autres Amazon.

Elle est traversée par une rivière des plus anonymes, au charme introuvable, qui la tronçonne en deux et que chevauchent, à intervalle régulier, des ponts disgracieux au fonctionnement audacieux devant dater de la révolution industrielle, empruntés par des tramways à la mine constipée.

 

Les quelques buildings qui flanquent de leurs carcasses grossières son centre-ville n’ont pas grand-chose pour eux.

Ils ne s’élancent pas hauts et fiers dans le ciel brumeux comme la décence élémentaire l’exigerait, mais dessinent plutôt des courbes ternes et convenues qui siéent d’habitude à des villes grises où s’entassent toute la désespérance humaine.

Et pourtant, Portland a le charme déglingué de ces cités qui se foutent avec insolence de leur apparence et se donnent à vous sans maquillage, n’ayant à offrir que ce que dame nature a bien voulu lui concéder : des ballets de rues qui tournicotent et s’emberlificotent, colonisant des collines verdoyantes, assemblage incertain de pavillons parfois foutraques, parfois racés, toujours différents, comme s’ils s’étaient construits juste pour venir contredire les volontés de l’architecte d’en face.

En somme, Portland ne sait pas frimer et c’est très bien ainsi.

Elle assume ce côté j’m’en foutiste qui finit par convaincre le touriste de passage qu’il ne doit pas être désagréable d’y poser ses valises, histoire de tailler un bout de gras avec elle et d’échanger, autour d’une tasse de café ou d’une bière locale, quelques conseils de savoir vivre.

Difficile de croiser dans cette ville qui semble avoir érigé le cool en principe existentiel une personne qui, un jour ou l’autre, n’a pas eu rencard avec son tatoueur suivi par une session compliquée de piercing.

 

Ce n’est pas une ville, c’est un carnaval à ciel ouvert, une procession de visages peinturlurés, de nez percés, d’oreilles éventrées, de narines défoncés qui s’en va, à toute heure de la journée, se restaurer auprès de ces centaines de Food Carts ressemblant à un troupeau de carrioles coloriés qui colonisent comme d’improbables légions romaines des carrefours entiers.

Et invitent le quidam à s’offrir un tour du monde culinaire sans même avoir à se dépouiller pour s’empiffrer de repas de fortune qui se déclinent de sandwiches en tacos, de currys en shawarma, de sushi en souvlaki, de crêpes en patés impériaux.

C’est qu’ici personne ne semble avoir d’autre occupation que celle de traîner d’un pas mollasson ou tranquille, c’est selon, le long d’avenues plutôt paisibles, presque bourgeoises, où des guitars héro à la petite semaine se prennent pour des avatars de Jimmy Hendrix, quand ce n’est pas un couple de perdreaux même pas sortis de l’adolescence qui s’offre un remake hésitant d’une ritournelle des Smiths.

 

Et puis, à Portland, puisque qu’il paraît qu’il y pleut autant qu’à Vancouver, ils ont trouvé un remède miracle pour lutter contre l’intarissable morosité des ciels maussades.

Ca s’appelle Powell’s, c’est une librairie rêvée, aussi grande qu’un orgasme de bibliothécaire onaniste, avec des myriades de salles qui se chevauchent, se superposent, se marient, offrant au lecteur étourdi par tant de nourriture spirituelle largement de quoi tenir pour affronter des averses qui s’entêtent à lui tenir tête.

Portland l’a bien compris : la vraie vie ne se trouve pas forcément dans des malls qui racontent toujours la même histoire, celle de la grenouille qui se prend pour une princesse et qui finit toujours en crapaud, mais bien plus dans des endroits rapiécés où chacun prend le temps de se réchauffer l’âme à l’ombre d’une tasse de café qui engourdit la faiblesse des hommes à toujours vouloir paraître plutôt qu’à essayer d’être.

 

Portland, c’est l’Amérique qui aurait oublié de grandir et serait restée adolescente pour l’éternité.

Avec de l’acné peut-être mais surtout sans crème Nivea.

La classe quoi.

 

8 commentaires pour “Portland, une ville complètement à l’Ouest”

  1. On veut en savoir plus !
    Et on peut y survivre sans voiture ?

  2. Si vous ne connaissiez pas: http://www.bouletcorp.com/

  3. Cette description de Portland semble proche de la vision de Fred Armisen…
    http://www.youtube.com/watch?v=FE_9CzLCbkY

  4. Sympa comme article. 🙂 J’ajouterais que le slogan de notre ville est: “Keep Portland Weird” ! Cela ne s’invente pas.

    Je suis un “singer songwriter” français qui habite à Portland depuis 7 ans. C’est effectivement une ville agréable à vivre et qui a du charme.

    Pour répondre à Martin on peut y survivre sans voiture. Beaucoup de gens le font. Les transports en commun sont efficaces et c’est une ville très “bike friendly”.

    La scène musicale y est également très active et dynamique (Alena Diane, Pink Martini, The Gossip, The Decemberists, etc…). J’ai la joie de produire et d’enregistrer la plupart de mes disques ici avec des musiciens locaux très talentueux et sympathiques. C’est toujours un bonheur.

    Il y a aussi bien entendu quelques désavantages (il faut aimer la pluie 8 mois par an, il n’y a pas énormément de boulot, le taux de chomage est assez élevé et ce n’est pas une ville très multi-culturelle). Personne n’est parfait!

    Venez nous rendre visite si vous pouvez, cela vaut le détour. Une autre vision de l’Amérique.

    Eric John Kaiser

  5. Merci pour ce témoignage in situ ! Heureux d’apprendre que j’ai pas raconté trop de conneries.

  6. ça ressemble quand même beaucoup à l’histoire de cet habitant de Dunkerque, qui pour se ressourcer, se reposer, se dépayser ;bref, voir “autre chose”, choisit Calais comme destination de vacances …..

  7. bonjour tout le monde! je compte partir travailler aux usa d ici peu de temps et j hesite encore entre 2 villes.. portland et oklahoma city! , beaucoup de personnes m ont dit que portland etait une ville pleine de charme (mais malheuresement assez pluvieuses) mais j ai un petit faible aussi pour okc… cette ville m a l air aussi tres agreable pour y vivre 🙂 donc pouvez vous me conseiller par rapport a ces 2 villes( dans quelles villes il y a le plus d activité etc)
    merci 🙂

  8. Cet article n’est pas signé mais il est très bien écrit !
    Pluie 8 mois par an c’est exagéré, cette année il y a eu à peine un hiver et des températures estivales depuis Mars. Cette ville se transforme très rapidement car énormément de gens de tous les Etats-Unis y élisent domicile permanent.
    Ayant vécu là-bas plus de 10 ans, très dur de revenir à Paris où la qualité de vie est bien plus médiocre…Je ne veux pas trop faire la pub de la ville non plus car avec tout ce flux de nouveaux habitants les loyers ont doublé en 4 ans et c’est aussi chers qu’à Paris à présent.

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