Moi, L…, accro aux anxiolytiques et futur Alzeihmer

Si j’en crois une étude très récente portant sur les ravages des benzodiazépines chez les personnes âgées, je suis mal barré. J’ai une chance sur deux, au détour de la soixantaine, de devenir dément. Ce qui n’est pas sans me surprendre. Je pensais que mes chances de devenir zinzin avoisinaient les 100%.

Je vais donc redoubler d’effort et multiplier mes doses d’anxiolytiques par dix. Je n’entends pas devenir un vieux sage et raisonnable. Je veux pouvoir me balader une plume dans le cul le long du Canal Saint-Martin en dansant la Carmagnole et en chantant vive le roi. Et détrousser les filles. Et insulter le bourgeois.

Je prends des benzodiazépines depuis que j’ai eu l’âge d’effectuer mon service militaire. Depuis je n’ai jamais cessé d’en prendre. Et je ne compte pas m’arrêter. Surtout depuis que j’ai arrêté l’alcool et la télé.

Les médecins sont assurément dans leur rôle lorsqu’ils nous avertissent des dangers de ces merveilleuses pilules qui ont le pouvoir de taire nos angoisses. Qu’assurément, il serait plus avisé de réduire la consommation à quelques semaines. Que celle-ci ne devrait être que ponctuelle et exceptionnelle.

Mais une fois que ces vérités ont été dites, on fait quoi au juste ? On les interdit ou on culpabilise encore plus les consommateurs en leur promettant que s’ils continuent sur cette voie, ils finiront séniles et gâteux ?

Je ne prends pas des benzodiazépines par plaisir.

Je prends des benzodiazépines parce que l’absorption de ces molécules me permet de mener une vie normale. Que sans elles, soit je me serais déjà offert un saut sans élastique au-dessus du pont des Arts, soit j’aurais opté  pour un café au Pastis au réveil. Ou alors je serais devenu fou bien avant l’âge où je suis censé le devenir. Un fou Dostoïevskien. Exalté et résigné. Avec les yeux exsangues et la bouche déformée. Ou bien comme Virgina Woolf je me serais mis à parler en grec ancien aux oiseaux.

Il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause l’utilité des vaccins contre la variole ou la polyo. Ou de mégoter sur les vertus de médicaments visant à soigner une bronchite chronique. Ou de dire sa méfiance vis-à-vis d’antalgiques à prendre en cas de rage de dents aigüe.

Par contre, à intervalles réguliers, les sommités médicales aiment à stigmatiser la frange de la population qui s’adonne à la consommation d’anxiolytiques. Sans jamais rappeler que ces médicaments ont permis à des millions de gens de continuer sur le chemin de leur vie sans être terrassé par des crises d’angoisse ou des attaques de panique qui transforment le quotidien d’une existence en un vaste champ de bataille où les morts se comptent par milliers.

Nous dira-t-on un jour combien de suicides ont été évités depuis l’apparition de ces médicaments ? Combien de tentatives de suicide ne sont restées qu’à l’état de vagues projets ? Combien de familles ont pu continuer à demeurer soudées sans que se délite le lien social ? Combien de personnes ont eu la force de continuer à apprendre le dur métier de vivre alors qu’en eux des vagues incessantes de terreur mugissantes les empêchaient de sortir de leur lit ?

Combien ?

Je veux bien admettre que dans des maisons de retraites, des infirmières peu scrupuleuses administrent, à tort et à travers, à des papys trop jacasseurs quelques pilules de réconfort, mais d’un autre côté la société se donne-t-elle vraiment les moyens d’apporter à nos aînés toute l’attention nécessaire à leur détresse mentale ?

Et surtout, si demain, on restreint l’accès à ces médicaments, par quoi va-t-on les remplacer ? Parce que l’angoisse, elle, ne disparaîtra par simple décret des autorités sanitaires. Par l’alcool ? La coke ? Les deux en même temps? L’imbécilité crasseuse de la télé réalité ?

Ou alors au malade qui confiera à son médecin qu’il ne s’en sort pas, que sa vie est un enfer, que ses nerfs sont débiles, que ses nuits sont perdues, ses jours hagards, lui dira-t-on comme au siècle dernier que tout est question de volonté, qu’il est en parfaite santé, et qu’avec un peu d’exercice physique, tout finira bien par rentrer dans l’ordre ?

Il serait temps qu’on arrête de culpabiliser les consommateurs d’anxiolytiques et qu’on les considérere comme ce qu’ils sont : des malades qui ne se résignent pas et s’en vont, cahin-cahan, superbes de volonté, sur le chemin d’une vie qui les effraye.

Billet écrit après absorption d’une pilule de 2 milligrammes de valium.

 

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Kippour, c’est pour qui?

Rediffusion du papier de l’an dernier.  C’est un billet intemporel. Et oui chaque année Kippour recommence. Bon courage. Soyez fort.

Bon, il me reste une heure et 12 minutes pour accoucher de ce post. Après, je dois cesser d’écrire, de boire, de manger, de copuler, de jouer au cerceau avec mon chat, de nettoyer le four, d’ouvrir mon ordinateur, de répondre à vos commentaires qui sont de plus en plus creux et abscons. Ca ne va pas être drôle, je sens. D’ailleurs, Kippour, ce n’est jamais drôle.

Pour les plus fainéants comme moi qui ont une sainte horreur de s’infliger une séance de liturgies distillées à la synagogue par un rabbin qui te foudroie du regard parce que ta kippa est toute froissée et que tu tiens le livre de prières à l’envers en dodelinant la tête de gauche à droite, au lieu de psalmodier d’arrière en avant comme une girafe mélancolique atteinte de torticolis, on passe sa journée à traîner au lit, à supplier sa pendule de se dépêcher, à soudoyer les aiguilles pour qu’elles se meuvent un peu plus vite, à somnoler dans un état semi végétatif, la gorge sèche, le palais en berne, les yeux affamés. Les heures se traînent, lentes, molles, interminables. Les minutes radotent, les secondes se figent, la grande aiguille passe son temps à papoter avec sa petite soeur au lieu de filer voir ailleurs si j’y suis.

On passe son temps à rêver au moment où l’Eternel, dans sa grande bonté, nous autorisera à nous enfiler un sanglier casher arrosé d’une bouteille de boukha importé de Tunis par les frères Bokobza. Et puis, non en fait. Après la première bouchée, on est déjà rassasié, on a des hauts le cœur, l’estomac s’est rétréci comme une peau de chagrin, une heure après s’être mis à table, on retourne au lit, tout flapi, tout retourné, un peu penaud d’avoir boudé le bouillon de poule et le caviar d’aubergine, tout juste soulagé d’avoir survécu à l’épreuve.

Car c’en est une. Pas fait pour les plaisantins ou pour les petites natures, Kippour.

Normalement, comme un petit fayot de juif bien élevé, il te faut passer la journée à t’amender, à recenser la somme de tes échecs, à compiler toutes les vilaines actions que tu as bien pu commettre durant l’année écoulée. Un best of de toutes nos turpitudes, de nos petites lâchetés, de nos innombrables moments de faiblesse et d’égarement.

Autant dire qu’en 24 heures, la mission s’avère vite impossible.

Au bout de dix minutes de réflexion, on a déjà le vertige en recensant la liste non exhaustive de nos méfaits à répétition, ils s’égrènent comme les perles d’un collier enroulé autour du cou d’une américaine obèse : le jour où on a jeté un regard concupiscent sur la chatte rouquine de la voisine, le jour où on s’est garé sur une place réservée aux handicapés au supermarché du bout de la rue, le jour où l’on s’est surpris à espérer la mort du mari de la chatte de la voisine, le jour où on a jeté des cargaisons de piles dans la poubelle au lieu de les rapporter, comme un brave toutou bien domestiqué, dans le bocal à recycler, le jour où en regardant la rediffusion de Shoah de Lanzmann sur Arte, on a zappé sur la six pour mater, entre deux espaces publicitaires vantant l’efficacité du zyklon, l’amour est dans le pré, le jour où on a téléchargé illégalement le dernier Belle and Sebastian, le jour où au lieu d’aller travailler, on est resté toute la journée à la maison à lire les œuvres complètes de Marc Levy et de Virginia Woolf.

Toutes les heures et toutes les minutes où l’on s’est dit qu’Il n’existait pas et que si jamais Il existait, on ne le félicitait pas vraiment, vu qu’ici-bas, c’est pas tous les jours dimanche, que franchement, Il n’a pas de quoi être fier vu l’état dans lequel le monde se traîne et se suicide un peu plus chaque jour.

Il nous faut aussi penser à nos ancêtres, les remercier, se dire que pour s’émanciper et retrouver leur liberté, les malheureux ont dû se taper quarante années de marche dans le Sinaï, sous un soleil de plomb, quarante années passées a se plaindre auprès de ce pauvre Moïse à qui on n’avait rien demandé, fait trop chaud, on a faim, le pain n’est pas frais, le vin a tourné, Aaron n’a pas fait la vaisselle, la télé ne marche plus, mes chaussettes sont trouées, mon portable ne capte pas, Sarah ne veut plus coucher avec moi, si on avait su, on serait resté en Egypte, le sable est brûlant, la pluie est trop mouillée, les merguez trop piquantes.

C’est fou comme le juif passe son temps à se plaindre. Sale race. Jamais content. Toujours à râler, toujours mécontent de son sort, toujours à rejeter la faute sur les autres. Toujours à se maudire et à maudire les autres. Toujours à vouloir avoir le dernier mot. Toujours à couper les chevaux en quatre, je t’en prie Maurice, si l’homme descend du singe, comment ca se fait que dans la Bible, personne n’en parle ? Et si on n’a pas le droit de manger des poissons avec des écailles, tu crois que le sushimi c’est permis ou pas ? Et si par exemple, tu tombes nez à nez avec un cochon manchot des quatre pattes, est-ce que tu peux le manger vu que ses sabots ne peuvent pas être fendus vu qu’il est né comme ça et que de sabots il n’en a jamais eu, hein Maurice ?

En même temps, c’est long quarante ans.

Surtout pour finir en fumée dans un four crématoire polonais.

Bon, désolé de vous laisser sur cette note paillarde, mais je dois y aller.

Le couscous boulettes cuisiné par le fantôme de ma grand-mère, livré par Fedex m’attend.

Pensez à moi.

Ou pas.

M’en fous.

Ce soir, je serai sauvé.

Vous, je ne sais pas.

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La Kippa, en France, tu ne la porteras pas

C’est le genre de nouvelles qui vous font vaciller et vous amènent à reconsidérer les fondements même de votre identité. Voilà qu’un beau jour en lisant l’entretien d’une personne pour qui jusqu’ici vous aviez autant de sympathie que pour le berger allemand de votre concierge branchée en permanence sur Radio Courtoisie, vous vous surprenez à être d’accord avec elle.

C’est que vous aussi, le port de la Kippa vous insupporte au plus haut point. Le voile vous vous en fichez mais la Kippa, bon sang, à chaque fois que vous voyez un de vos coreligionnaires en arborer une comme l’étendard de sa descendance hébraïque, vous n’avez qu’une envie, l’envoyer valdinguer dans le caniveau.

Non pas que vous soyez un mauvais juif. Bien au contraire. Vous plaignez ceux qui ne le sont pas et dont vous supputez que l’existence doit être bien fade et dégoulinante d’ennui. Vous exaltez à toutes occasions le génie juif ; secrètement, vous pensez même que vous n’avez pas été choisi pour être le peuple élu par hasard.

Et que même si vous entretenez avec l’autre empoté qui siège là-haut dans ses célestes appartements, que personne n’a jamais pu visiter, une relation des plus conflictuelles, que vous êtes divorcé de lui, fâché contre lui, vous continuez néanmoins à vous entretenir avec lui. Vous avez rompu depuis belle lurette vos relations diplomatiques avec ses rabins qui lui servent de larbins mais vous continuez, par des canaux transversaux, à vous enquérir de sa santé mentale qui ne cesse de décliner.

Vous êtes un de ces juifs de la diaspora.

Vous entretenez avec Israël des rapports contrastés et violents mais toujours empreints d’une indéfectible tendresse. Vous vivez pleinement votre judaïsme forcément compliqué sans ressentir le besoin de fréquenter des synagogues que vous fuyez comme la peste. Au fond, vous êtes un petit con areligieux, totalement agnostique, nullement athée qui tout en se méfiant du sacré laisse son coeur ouvert à l’enseignement de la bible.

Bref vous êtes juif.

Et pourtant, quand dans le bus ou dans la rue, vous croisez un autre de ces juifs coiffé d’une Kippa, vous éprouvez comme une gêne. Non pas que vous le réprouviez dans sa foi. Après tout, dans cette vallée de larmes, chacun se débrouille comme il peut. Mais vous vous dites que vous vivez en République où la religion ne peut s’envisager que dans un rapport intime avec un être supérieur et qu’elle ne doit jamais déborder du cadre strictement familial.

Qu’il n’y a nul besoin de se trimbaler avec une coiffe sur le crâne pour assumer sa différence. Vous savez bien que vous n’êtes pas comme les autres, que vous le serez jamais, mais ceci ne regarde que vous. Que vous n’avez pas besoin de vous donner en spectacle aux yeux de goys qui n’attendent que cela pour mieux pour stigmatiser et vous juger comme non compatible avec les valeurs sacrées d’une République forgée à l’ombre d’un christianisme omniprésent.

Mais ce n’est pas tout.

Non, ce qui profondément vous agace, c’est que ces gens que vous respectez malgré tout, ont désormais tout le loisir de vivre leur foi sans embêter personne. Qu’il existe maintenant un pays où ils pourraient se trimbaler avec leurs tefillins, leur kippas, leur talliths sans que personne n’y trouve à redire.

Que cette terre promise, tant attendue, tant désirée, tant voulue, se trouve là, tout juste de l’autre côté de la méditerranée. Qu’elle les réclame. Qu’elle a besoin d’eux. Que vous avez assez souffert d’être un peuple d’apatrides pour rechigner maintenant à vous installer dans ce pays de lait et de miel.

Vous pensez – même si vous pouvez vous tromper – que le juif croyant et assumant sa foi par ce port manifeste de la kippa, s’il veut vivre en conformité avec ses convictions, a le devoir impérieux de rejoindre ce pays où reposent les tombeaux des patriarches sanctifiés. Que ce doit être là-bas que leur destin s’inscrit.

Et que s’ils ne goûtent que modérement à l’agitation confuse de la societé israélienne au point de préferer continuer à vivre dans un pays où, malgré les apparences,  ils seront toujours considérés comme étrangers, alors il leur faut vivre avec une discrétion et une retenue extrême.

Et tout en écrivant ces inepties, vous vous dites que mercredi c’est Kippour et vous vous demandez, comme chaque année, où vous avez bien pu fourrer votre foutue kippa pour aller plastronner à la synagogue !

Quoi ? Je fais ce que je veux.

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Une vie sans portable

Il m’arrive parfois de me sentir très seul. De regarder mes congénères autour de moi et de me demander si je n’ai pas raté le train de la modernité. Si je n’ai pas complètement échoué à être un homme de mon temps. Si je ne suis pas en retard de quelques décennies. Si je n’ai pas attrapé quelque maladie orpheline qui m’empêche de ressembler à mon voisin.

Je n’ai pas de téléphone portable.

C’est dit.

Je peux le réécrire afin que cet aveu apparaisse encore mieux dans toute son invraisemblance métaphysique: je n’ai pas de portable.

Enfin pour être tout à fait exact, il me faut confesser qu’on m’a obligé à en posséder un, un vieux bidule tout usé avec lequel on ne peut que vaguement téléphoner et écrire d’hypothétiques SMS: c’était cela ou le divorce.

J’ai eu beau protester, j’ai dit que je n’en avais pas besoin, que je détestais me trimballer avec cet objet ridicule dans ma poche, que c’était de l’argent jeté par la fenêtre: en vain. On ne sait jamais. Au cas où. En cas d’urgence.

Je ne m’en sers jamais.

Presque personne ne peut m’appeler puisque que je n’ai donné mon numéro à personne. Un numéro que par ailleurs je ne connais pas. Pour le connaître, m’a-t-on gentiment expliqué, il suffirait que je m’appelle. Mais je ne veux pas m’appeler. J’ai encore un souffle de raison.

Mes amis me regardent étrangement. Je sens que désormais ils se méfient de moi. Qu’ils s’apprêtent à me jeter hors de leurs sphères. Ils me disent que j’agis par snobisme. Pour me différencier. Pour me placer d’office sur un piédestal d’où j’aurais tout le loisir de me moquer d’eux. De les toiser.

Ce n’est pas vrai.

Même si quand je les vois pianoter à fond de caisse sur les touches de leur écran miniature, quand je croise le regard supplicié qu’ils jettent à leur téléphone qui tarde à bourdonner, quand je les surprends à secouer leur portable comme s’ils cherchaient à conquérir le graal de l’immortalité, je m’interroge sur ce qui ne tourne pas rond chez eux. A quel moment ils ont dérapé.

J’en arrive même à me demander si ce n’est pas toute l’humanité qui, d’un élan commun, n’a pas sombré dans cette même folie ravageuse. Une sorte de maladie collective qui affecte les individus d’une manière si scandaleusement sournoise qu’ils ne se rendent pas compte combien leur attitude a de quoi inquiéter. Cette incapacité à ne pas rester contemplatif ou simplement passif, cette volonté de savoir à tout instant ce que manigance un ami imaginaire, cette folie furieuse de se marier avec un objet dont on peine à comprendre la réelle utilité.

Parfois je me souviens du téléphone de mon enfance et de mon adolescence. Celui à cadran. Avec le bitoniau que l’on tendait à  son voisin pour qu’il puisse entendre ce que radotait votre interlocuteur. Cela remonte à peine à une vingtaine ou une trentaine d’années et pourtant j’ai l’impression d’évoquer là des temps antédiluviens.

Je suis un homme du passé dépassé par ce qui se passe.

J’essaye de raisonner mes amis, je leur demande ce que j’aurais à gagner à me servir de leur godemichet mental. Avant de répondre ils m’examinent longuement comme si je venais de dire que Juppé m’était sympathique, ils me demandent t’es sérieux là, avant de lâcher un laconique et condescendant mais tout, tu aurais tout à gagner.

Je n’entends plus rien à leurs conversations. Elles ne tournent plus que sur les avantages et les inconvénients de l’Android dernier cri, du nouvel IPhone, de leur  Samsung profilé. On dirait qu’ils s’entretiennent avec gourmandise des attributs de leurs maîtresses respectives. Combien ils pèsent. Le nombre de pixels de leur caméra embarquée. La vitesse d’exécution de leur processeur.

Certains me disent, tu te rends compte que mon téléphone portable possède plus de capacité d’analyse que les ordinateurs qui ont contribué à envoyer l’homme sur la lune. A cet instant précis, je les regarde éberlué et je comprends que le mal dont ils souffrent est profond.

Je les vois de moins en moins.

Les rares fois où je les rencontre, pour une raison qui m’échappe, ils me disent toujours, je viens de t’envoyer un sms pour te dire que j’arrivais, tu ne l’as donc pas reçu ? Je me retiens de leur dire que je savais qu’ils arrivaient puisqu’on avait rendez-vous. Je bafouille que je ne sais pas. Je n’ose pas leur avouer que j’ai oublié d’embarquer avec moi mon portable. Qu’il doit être encore dans la poche de mon veston accroché dans l’armoire.

Ils ne comprendraient pas.

Je ne leur en veux pas.

Je réalise seulement que si je persiste à me comporter de la sorte, les choses vont mal finir. Que je serai excommunié. Mis au rebut. Que les enfants me montreront du doigt quand je m’aventurerai au dehors.

Je vais essayer de m’améliorer. M’entraîner à m’envoyer des sms et tâcher d’y répondre dans la minute. Me bander les yeux et composer un numéro dans le noir. Prendre l’habitude de le poser sur ma table de chevet. L’emmener dans ma salle de bains. Le demander en mariage et l’emmener en lune de miel à Honolululu.

 

C’est quoi mon numéro déjà ?

 

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Laissons Camus tranquille!

Il faudrait peut-être songer à laisser tranquille Albert Camus.

D’abord, on a voulu que ses cendres s’enterrent du côté du Panthéon. Et depuis cet été, on se livre à une guerre picrocholine au sujet d’une exposition  célébrant le prochain centenaire de sa naissance, censée se tenir à Aix-en-Provence, et rendant hommage à ce fils de la méditerranée qui jamais ne voulut choisir entre son Algérie natale et sa France d’adoption.

Drôle de jeu de massacre avec aux premiers rangs la mairesse atypique et légèrement exaltée de la cité provençale et Michel Onfray qui comme Richard Millet ou tout autre plante exotique se meurt d’ennui quand la lumière ne se porte plus sur son auguste personne.

Et au milieu comme juge-arbitre la fille de l’écrivain qui après avoir joué au jokari avec la candidature de Benjamin Stora comme maître de cérémonie semble vaciller à chaque nouvel acte de cette bouffonne comédie qui agite et secoue l’intelligentsia parisienne et donne le tournis aux irréductibles nostalgiques de l’Algérie Française qui dès qu’on prononce le nom de Camus ressortent leur machette pour mieux se défendre contre le fantôme de l’Arabe sanguinaire.

Camus est en train de devenir comme Jaurès, une figure morale d’exception que les politiques de tout bord se complaisent à disputer l’héritage. Que chacun cite à tort et à travers pour justifier ses moindres actes. Que tout le monde veut convier au banquet de sa propre vanité sans jamais se donner la peine de lire ses œuvres complètes.

Peut-être alors se rendrait-on compte que lorsque la mort a eu l’idée saugrenue et obscène de venir le faucher du côté de Villeblin, Albert Camus, tout Camus nobelisé qu’il est, demeure encore un écrivain en devenir. Un romancier en construction qui est tout juste en train de trouver sa voix.

Qui jusqu’ici a composé des œuvres qui souffrent trop de la contagion et de la fréquentation des grands écrivains qui l’accompagnent dans la construction de son être romanesque pour prétendre à être autre chose que des répliques certes inspirées mais trop appliquées de ses modèles.

Que l’Etranger, malgré sa prose lumineuse, souffre encore trop d’avoir été composé à l’ombre de Faulkner et de Kafka pour apparaître comme une création tout à fait originale, peinant à atteindre la puissance dévastatrice de Sanctuaire ou du Procès.

Que dans la Peste, roman à idée simplette, roman boursouflé où Camus en rajoute trop dans la métaphore symboliste, il ne parvient pas à se démarquer Des Possédés ou de Moby Dick et trébuche à créer le grand roman du milieu du siècle, loin derrière Vie et Destin de Grossmann ou Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry.

Ce n’est finalement que la publication posthume du Premier Homme qui instaure la légitimité romanesque de Camus. Là, parce qu’en évoquant le souvenir de son enfance algérienne et la mémoire de sa mère, il touche au plus près de sa vérité d’homme et entame son véritable parcours d’écrivain.

Évidemment de tout cela la dame patronnesse qui sert de mairesse à Aix en Provence, Maryse Joissains-Masini, dont l’histoire retiendra surtout sa volonté de porter plainte auprès du conseil constitutionnel afin d’invalider l’élection de François Hollande, n’en a que faire.

Elle ne se sert que de la renommée d’Albert Camus pour attirer la lumière sur sa ville.

Parce que bien entendu, en 2013, la France ne parlera que de Camus. Que chacun, du chef d’entreprise au politicard de service, ira de son hommage ému. Que la république sortira sa grande soupière en argent pour le décorer à toutes les sauces. Que notre président qui de roman ne lit jamais s’en ira fleurir sa tombe en récitant un éloge transi d’émotion. Que des philosophes de comptoir s’entartreront pour savoir si Camus philosophait ou s’il se contentait de professer une sagesse de bonne du curé.

Ce sera le bal des hypocrites où chacun se sentira obligé de réviser son bréviaire camusien. De parsemer ses dires d’une citation chuchotée à son oreille par un conseiller prévenant. De se réferer à lui pour montrer l’étendue de sa prétendue culture.

Et déjà, de tout ce barnum funèbre, on en a la nausée…

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Fitzgerald en Pléiade ? Quelle hérésie!

Le 20 septembre prochain Francis Scott Fitzgerald débarque en Pléiade. A défaut de décrocher un Nobel posthume, c’est là une consécration qui vous place un écrivain à la plus haute marche des podiums littéraires. Comme une sorte de grandiose cérémonie funèbre où l’âme du romancier, enveloppée dans un gracieux coffret, couchée sur papier bible, marquée d’un liséré d’or, rentre à jamais dans le panthéon des lettres modernes.

On devrait s’en réjouir mais non.

Fitzgerald ne mérite pas la Pléiade.

Ou plutôt la Pléiade ne mérite pas Fitzgerald.

Il existe dans cette momification comme un relent d’académisme qui sied mal à l’écrivain américain qui fut, à n’en pas douter, le plus doué de sa génération. Pas un génie écrasant et tutélaire comme Faulkner, pas un pachyderme encombrant et inutile comme Hemingway, pas un conteur classique et stéréotypé comme Steinbeck, mais une véritable météorite qui a traversé les lettres américaines avec une fulgurance et une flamboyance que l’on ne rencontre qu’une fois dans le siècle.

Il a été un romancier précoce avec l’Envers du Paradis, un brillant et clinquant chroniqueur des années folles dans Les Heureux et les Damnés, un génial prosateur éclaboussant de classe, auteur d’un chef d’œuvre insaisissable avec The Great Gastby avant de se perdre en chemin, de composer un dernier grand roman malade, Tendre est la nuit, puis de disparaître dans l’immensité de la nuit américaine.

Il mourut seul, atrocement seul.

Et totalement inconnu.

Il n’a pas brûlé sa vie. Il ne buvait pas pour mieux se suicider et raccourcir le fardeau de vivre comme Malcolm Lowry. Il buvait parce qu’il avait découvert que l’alcool aidait les gens à le trouver amusant et spirituel. Il buvait pour se convaincre que l’existence était une fête. Il buvait pour s’étourdir et repousser une maladive mélancolie qui était le terreau même de toutes ses créations.

Tout ce qu’il a pu composer, ses nouvelles qu’elles fussent mièvres ou anodines, brillantes ou ébouriffantes, ses romans, parfois bancals et mal charpentés, sont toujours hantés par la grâce d’une écriture qui, fragile et aérienne, ciselée à la perfection, tenant sur un fil d’émeraude, racontait des destins d’hommes et de femmes pris aux pièges de leurs propres rêves et incapables de vivre dans un monde où la brusquerie de la réalité les rejetait encore plus loin dans le crépuscule de leurs songes à jamais recommencés.

Fitzgerald est trop vivant pour s’encroûter et s’assoupir déjà dans les lourds et pesants recueils de la Pléiade. Il est encore trop lumineux pour que ses romans comportent des appendices et des notes bien plus bavardes que ses propres créations. Il est encore trop contemporain pour qu’on l’alourdisse de commentaires d’érudits universitaires qui de son vivant l’auraient toisé du haut de leur rigide savoir et l’auraient jugé bien trop léger et inconsistant pour mériter leurs louanges.

Surtout l’œuvre de Fitzgerald se suffit à elle-même. Elle est d’une simplicité merveilleuse. Elle n’a nulle besoin d’être décortiquée par de rigoristes exégètes qui ont attendu que le train du temps passe et le consacre comme un romancier de tout premier ordre pour reconnaître la grâce de son talent.

Fitzgerald était un enfant prodige qui n’a jamais su ou voulu grandir.

En rentrant dans le catalogue de la Pléiade, voilà qu’il devient d’un coup un vieillard respectueux à qui on adresse des courbettes pour mieux le canoniser.

Il ne méritait pas cela.

Qu’on le laisse donc à jamais dans nos mémoires comme cet astre lumineux qui continue et continuera à éclairer nos existences étriquées comme le fantôme d’un coucher de soleil se suicidant toutes les nuits sur les vagues ensanglantées d’un océan mirifique et majestueux.

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Ne nous quitte pas, Monsieur Arnault

Alors voilà il suffit qu’un éminent homme d’affaires français songe à acquérir la nationalité belge et toute la cavalcade médiatique lui tombe dessus comme un vulgaire chenapan pris la main dans un sac Hermès. Comme si choisir d’immigrer en Belgique relevait du crime d’état ou de l’abandon d’enfant.

Quoi les impôts ?

On ne se souvient pas d’avoir entendu un tel barouf quand Monsieur Brel a déposé ses valises en Gare du Nord.

Ou lorsque que Monsieur Simenon a trimballé sa machine à écrire jusque dans les bordels de la capitale.

Eus-je été à la place de ce Monsieur Arnault que j’aurais agi pareil. Ah mais je vous le demande comment peut-on résister au charme du plat pays une fois qu’on y a goûté ? Comment résister à l’appel de ces bières de moines trappistes qui vous tourneboulent l’esprit et vous ensorcellent l’âme avec leurs noms à vous donner le frisson, de la Mort Subite à la Gueuze Bécasse ?

Qu’est ce qu’il y a les impôts ?

Ce n’est pas la Suisse la Belgique. Ce n’est pas un mouroir pour personnes avariées au bord de tirer leur révérence sur les rives molles du lac Léman. La Belgique, c’est l’exubérance à l’état brut. C’est la générosité incarnée. C’est la drôlerie revendiquée. C’est l’art de ne jamais se prendre vraiment au sérieux. C’est la flamboyance d’un chagrin intemporel qui s’en va enguirlander la mort pour mieux l’étreindre et lui demander de passer son chemin.

C’est Knock le Zoute et le charme fou d’une station balnéaire où l’on ne se baigne jamais.

C’est la mer du nord qui vous dégrise à jamais avec ses longs rouleaux de vagues grises s’en allant vous mordre les chevilles de votre mélancolie toute automnale.

Mais quels impôts ?

On ne peut tout de même pas reprocher à Monsieur Arnault d’aimer arpenter la Grand-Place, de se perdre dans ses galeries au charme discret, de s’asseoir à la terrasse d’un troquet déguster une tasse fumante de chocolat chaud accompagnée d’un ballotin de chocolats aussi moelleux qu’une poitrine de soprano roumaine avant de monter dans un tram direction la place Sainte Catherine où Madeleine doit sûrement être en train de l’attendre.

Comme si on ne pouvait pas être riche à en crever et apprécier en même temps la poésie de Michaux, la peinture de Bruegel l’ancien ou le cinéma d’Agnès Varda ?

Monsieur Arnault est tombé amoureux de la Belgique comme Stendhal s’est amouraché de l’Italie ou Brel des Iles Marquises. Ce n’est pas un crime tout de même. Et ce n’est jamais rationnel l’amour. Ça vous tombe dessus un bon matin sans crier gare en promenant son chien le long d’un canal qui s’en va se suicider quelques kilomètres plus tard à hauteur d’Ostende ou de Charleroi. Ca ne prévient pas.

Mais quels impôts ?

A ce que je sache personne n’a jamais reproché à Monsieur Jean-Philipe Smet, né de père belge, d’avoir choisi de payer ses impôts en France.

Comment ça il les paye en Suisse ses impôts ?

C’est bien ce que je disais : on ne peut tout de même pas reprocher à Monsieur Hallyday d’aimer flâner du côté du lac de Zurich avec ses montagnes…

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La visite de la Warner ou le crépuscule des crétins

Vous ne vouliez pas mais c’est obligatoire. Si vous passez par L.A, vous devez visiter un studio de cinéma. C’est inscrit dans la charte du touriste de base. Marqué en gros sur tous les guides de voyage. Incontournable. Immanquable. Une occasion unique de découvrir l’envers du décor. Une plongée fascinante dans le monde merveilleux du septième art.

Alors, un bon matin, après s’être tapé une heure d’autoroute, une autre pour trouver la bonne sortie, une troisième pour parvenir à l’endroit où se planque l’usine à rêve, vous vous retrouvez, sans trop savoir comment, embarqué dans une sorte de mini bus électrique qui s’en va de son allure triomphale sillonner les allées de la Warner.

Le guide est super sympa. Il a une pêche d’enfer, il sourit tout le temps, il répète tout le temps great, great, great, et il a des supers vannes à dégainer sur les canadiens, les français, les chinois, les afghans.

Il fait une chaleur à crever, le soleil se prend pour Napoléon dans un ciel bleu comme l’enfer, mais on s’en fout.

On est en route pour le royaume des rêves.

Et on va être servi.

Le guide a des fourmis dans la langue et vous invite à vous dégourdir les jambes. On s’enfonce dans une forêt aussi impressionnante qu’un bosquet perdu dans une aire d’autoroute. Avant de s’arrêter pile face à la carcasse d’un bateau qui a jeté l’ancre dans une mini-mare du plus bel effet.

Le guide jubile, vous le reconnaissez ? Non. Pourtant c’est le bateau où trucmuche dans la série bidule prend son café en lisant son journal.

Personne dans la foule des touristes ne sait de quoi il parle mais qu’importe c’est trop great : on le mitraille quand même avec son appareil photo, on prend la pose devant, on est aux anges.

Et quand on rentre dans l’intérieur d’une maison vide comme un cercueil au chômage c’est l’extase absolue. En fait, c’est fou mais la maison n’est qu’une façade. Derrière les murs, il n’y a rien. Mais absolument rien. C’est donc ça l’envers du décor. On y est enfin. On pleure. On reste ébaubi de stupéfaction ahurie. On est presque gêné d’être là. On n’en revient toujours pas. On touche du bout des doigts la magie d’Hollywood.

Le temps de prendre une dernière photo et le guide, toujours aussi content de lui, siffle la fin de la récréation.

Il est temps de passer aux choses sérieuses.

Le tortillard passe sans s’arrêter devant d’imposants entrepôts cadenassés à triple tour. Tiens c’est là où on a tourné Casablanca hulule le guide en trépignant sur son strapontin. On est sur le cul. Transi d’émotion. Et pour être bien sûr de pouvoir revivre à l’infini ce moment unique on prend en photo ce lugubre bâtiment qui ressemble à un hangar pour aéroplanes sur le déclin.

Soudain, le guide devient grave. On ne plaisante plus. Il nous oblige à descendre de voiture et se plante devant une porte comme un chef indien devant son tipi. Il a des trémolos dans la voix. Il nous prévient que l’on s’apprête à rentrer dans le saint des saints. Que surtout il ne faut toucher à rien. Que normalement ce n’est pas autorisé mais que vu qu’il nous a à la bonne, il prend sur lui.

On pense qu’on va voir l’escalier où Brando hurle Stella.

Où Brando marche sur les quais.

Où Brando se prend pour le parrain.

La porte finit par s’ouvrir et là c’est l’extase. Les yeux sortent de leurs orbites, les bouches s’ouvrent grandes, les oreilles frétillent d’émotion : devant nous se tient le décor de Friends. Le vrai. L’unique. Enfin juste le café où les six couillons de service ont réinventé à coup de répliques tonitruantes le théâtre moderne.

C’est tout bonnement prodigieux.

D’une main tremblante, on tend son appareil photo au guide afin qu’il nous prenne en photo assis sur le canapé même où Chandler papotait avec Ross au sujet de la poitrine de Rachel.

C’est inouï ce qu’il nous arrive.

Le reste de la visite passe comme dans un rêve. On lévite. On a encore du mal à réaliser qu’on vient de s’assoir sur le canapé le plus célébre de l’histoire de l’humanité.

Et tout ça pour à peine soixante misérables dollars.

Le guide nous ramène au point de départ, on se congratule, on se tape dans le dos, on n’en revient toujours pas.

Et le lendemain on s’inscrit pour la visite de la Paramount.

Paraît qu’il y a moyen de mirer l’imperméable de Colombo.

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Entre-deux

Il paraît que les français n’ont pas trop le moral ces derniers temps. Du coup moi aussi. Par solidarité patriotique on va dire. Par empathie nationaliste. Sauf que moi j’ai des bonnes raisons d’être déprimé même si je n’ai pas à cravacher pour payer les traites en retard de l’écran plat offert à l’aîné pour sa réussite à l’entrée à pôle emploi.

Pourtant moi aussi je suis au chômage. Au chômage technique même. Avec des perspectives de reprise d’activité à court terme quasi nulles. Voilà ce qui se passe quand on s’amuse à achever un manuscrit. Lorsqu’on l’envoie à son éditeur et que ce dernier le juge apte pour le service. Même s’il faudrait songer à mettre le milieu au début et le début vers la fin. Et penser à effectuer une cure d’amaigrissement au chapitre 7. Ratiboiser le chap 12. Circoncire le 13. Raboter le 14. Emincir le 14. Réduire le 15. Supprimer le 16.

Le 19 aussi.

Rien de bien méchant.

Du simple travail de dactylo que l’écrivain maugrée à accomplir mais qu’il accomplit tout de même.

Désormais il n’y plus qu’à attendre le dernier jeu d’épreuves pour valider le roman et l’envoyer se faire imprimer.

C’est presque fini.

Votre esprit tourne à vide.

Cette angoisse qui vous rongeait depuis des semaines, des mois, des années, cette angoisse à créer jour après jour l’édifice d’un roman tenant à peu près la route, cette angoisse qui vous donnait l’impression que la vie valait la peine d’être vécue a disparu, ne laissant derrière elle qu’un vaste champ de ruines où vous errez sans but.

Ces abrutis de personnages qui hier encore vous tourmentaient avec leurs affects et leurs manies, avec qui vous vous débattiez pour qu’ils apparaissent vivants et point trop bancals ont déserté votre cervelle et sont rentrés chez eux. Les journées n’ont plus de saveur. Elles tournent à vide. Et comme vous n’avez pas encore l’énergie nécessaire pour vous lancer dans une future entreprise romanesque, vous vous sentez comme bon à rien. D’ailleurs vous êtes un bon à rien. Vos parents et vos amis vous l’ont assez répété. Vous finissez par le croire.

Vous vous levez le matin en espérant que la nuit se dépêche d’arriver. Vos traits se creusent. Vous vous traînez dans votre appartement et vous vous surprenez à bavarder avec vos plantes. Rien ne vous intéresse. Pas même les jupons de la femme de ménage. Ni les cabrioles de vos maîtresses imaginaires.

Finalement vous vous décidez à prendre des vacances forcées.  Ce sera déjà ça de gagné.  Vous écrivez un dernier billet sur votre blog à la con, vous prévenez vos lecteurs, enfin plutôt le seul lecteur qui vous reste, que vous serez absent de la semaine, vous laissez votre chat au bon soin de la voisine, vous bouclez votre valise et vous vous envolez pour la Californie, visiter les fantômes de Steinbeck et d’Henry Miller avant d’aller voir si Johnny tient la forme à L.A.

Une vraie vie de chien.

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