La dure vie de l’homme au foyer

                                                                                                                                                                                                                                                         Je suis ce qu’il convient de nommer un homme au foyer.

Certes sans enfant mais au foyer tout de même.

Avec seulement un chat pour me divertir de ma condition d’homme reclus dans son appartement, affairé à écrire des chefs d’œuvres posthumes, à fournir en chroniques plus ou moins foireuses ce blog à la con, et surtout, mais surtout, à veiller au bon ordonnancement des affaires de la maison.

C’est là la tâche que la société m’a conférée, que ma compagne m’a dévolue, que mon entourage m’a forcé à remplir partant du principe absolument imparable que ne travaillant pas vraiment, étant au fond une sorte de parasite dont la terre entière envie le sort, passant le plus clair de mon temps affalé sur mon canapé à jouer au scrabble avec mon chat, je ne pouvais prétendre jouer un autre rôle que celui d’homme à tout faire.

Je ne m’en plains pas.

Pire, je suis une victime consentante.

J’admets volontiers que je mène une existence en tout point confortable, que je suis un privilégié, que j’ai accès à un mode de vie des plus plaisants où je n’ai pas à subir la présence de collègues à l’humour plus que douteux, pas plus qu’il me faut supporter la promiscuité dans les transports en commun, sans oublier le privilège de n’avoir à composer avec aucun chef aux idées courtes.

Pourtant, contrairement aux apparences, ma vie est un enfer domestique qui ne me laisse pas une seconde de répit.

Sitôt Madame partie, je me précipite dans la cuisine où je dois laver, rincer, récurer bols et pots de confiture, beurrier et tasses à café, cuillères et couteaux avant de les disposer dans l’égouttoir que j’aurai pris soin auparavant de débarrasser de la vaisselle de la veille.

Puis je file dans la chambre à coucher, ramasse fanfreluches et autres taffetas éparpillés sur la moquette, tire les rideaux, ouvre les volets, bat le matelas, secoue les oreillers, secoue la couette, secoue les draps, secoue le chat endormi dessus, ressuscite le lit, rectifie la position des lampes sur les tables à chevet, récupère une culotte accrochée au lustre, repère une chaussette sous le lit, cherche sa sœur, ne la trouve pas, redéfait la literie, la déniche planquée sous le traversin, lui passe un savon, file la déposer dans le sac à linge.

Lequel évidement déborde et me donne rendez-vous pour plus tard quand j’irai déposer son précieux contenu dans la machine à laver.

A ce moment précis, le chat déboule de nulle part, miaule à s’en fendre les moustaches, tu as faim, non, tu veux un câlin, non, tu veux jouer, non, tu veux te battre, non plus, quoi alors, il se roule par terre comme un épileptique en fin de vie, se mord la queue, s’éborgne avec sa patte, c’est bon j’ai compris, c’est l’heure de sa litière que je m’empresse de vider, d’aplanir, d’égaliser pendant que Sa Seigneurie me surveille du coin de l’œil, prêt à appeler la SPA si jamais je bâclais mon travail de ratissage.

Je suis en nage.

Retour à la cuisine.

Inspection des placards et du frigo, inventaire des produits manquants, rédaction de la liste de courses, lecture de l’ardoise où Madame a griffonné ses désidérata du jour, pommes golden, jus de mangue, fil dentaire (surligné trois fois), nouvelle apparition inopinée du chat, j’ai faim, déjà, oui, non c’est trop tôt, miaulement sauvage, raclement du parquet, griffonnage de la corbeille à fruits,  je cède, je remplis sa gamelle.

Je file sous la douche, m’habille, me rends au supermarché, m’aperçoit que j’ai oublié le linge, revient sur mes pas, m’en empare, repart, dépose le linge dans le tambour,  remplit mon caddie, paye sous le regard narquois de la caissière, reprend le chemin de la maison, merde le fil dentaire, j’ai oublié son putain de fil dentaire, retourne au supermarché, finit par le trouver planqué à côté des boîtes de céréales, paye sous le regard de plus en plus narquois de la caissière, repasse récupérer le linge, me vautre dans l’escalier sous le regard railleur de la voisine, franchit je-ne-sais-comment la porte de l’appartement, atterrit dans l’entrée sous le regard sournois de mon chat : cette fois, il ne veut rien sinon contempler le spectacle de son maître décomposé aussi pâle qu’un ours polaire sous le soleil d’Agadir.

Ranger les provisions, plier le linge, commencer à préparer les lasagnes du soir- holocauste de sauce tomate à la cuisine- coup d’œil à l’horloge, bientôt midi, je suis mort, vidé, éreinté, lessivé, texto de l’autre, n’oublie pas mon fil dentaire, c’est ultra important, je ne réponds pas, je ne réponds plus, j’ouvre le journal et je consulte les petites annonces.

                                                                                                                                                                                                                                                       Cherche livreur, cherche comptable, cherche concierge, cherche aide-soignant, cherche professeur de piano, cherche dresseur de puces, cherche jardinier, cherche peintre en bâtiment, cherche bel étalon pour me démonter préférence grand black bien musclé.

                                                                                                                                                                                                                                             Dommage.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Le Dieu de l’Ancien Testament, ce Dieu bipolaire, hypertendu et psychotique.

                                                                                                                                                                                                                                                             Je ne suis pas un grand lecteur de la Bible.

A dire vrai, elle m’est aussi indigeste qu’un couscous boulettes préparé par un moine polonais.

Je la trouve fabuleusement répétitive, truffée de détails inutiles, pleine de directives assommantes, de noms improbables, de récits guerriers redondants, de sermons sentencieux, d’une litanie de commandements, de recommandations et d’édits qui rendent sa lecture des plus rébarbatives.

La plupart du temps, il faut bien le dire, on s’ennuie comme un rabbin mort.

Comme si le texte n’avait pas été retravaillé et que l’éditeur l’avait publié tel quel sans se livrer à un quelconque travail de correction.

Mais comme – qu’on le veuille ou non – nous sommes tous peu ou prou des enfants du Livre, que nos imaginaires, nos valeurs, notre morale, l’essence même de notre être trouve son origine dans ce texte sacré, il nous appartient de temps à autre, de le redécouvrir et d’en lire quelques chapitres afin de nous étourdir de quelques vérités vaguement métaphysiques.

En parcourant la Bible, c’est un peu comme si nous revisitions la maison de notre enfance ou ce qu’il en reste, que nous explorions chacune de ses pièces et redécouvrions à chaque fois des épisodes survenus au premier âge de notre vie avec son lot de personnages folkloriques, d’anecdotes truculentes, de souvenirs en pagaille dont on mesure avec le temps l’importance qu’ils ont pu avoir au cours de notre existence.

C’est l’histoire à jamais recommencée de nos parents, de notre famille, de nos ancêtres dans laquelle nous cherchons d’impossibles réponses à nos angoisses existentielles, des explications à nos comportements si singuliers, la racine même de ce que nous fûmes un jour, ce à quoi nous avons été confronté, ce qu’il a fallu endurer pour en arriver jusqu’à maintenant, la longue et indéchiffrable histoire de l’humanité.

Et puis surtout, il y a l’Autre, le Créateur, l’Éternel, le Dieu des Dieux, le Maître de l’univers, le Grand Manitou qui a réponse à tout, qui sait, devine, anticipe, dicte, interpelle, sermonne, récompense, extermine, exige, réclame, châtie, convoque, punit, radote, s’arrache les cheveux, trépigne sur place, pique des colères telluriques, détruit, reconstruit, redétruit, se comporte comme un dictateur sanguinaire, capricieux et atrabilaire avec qui il faut sans cesse composer, dont on ne sait jamais dans quelle humeur on va le retrouver, capable de casser toute la  vaisselle du mariage avant de s’excuser et de filer au BHV du coin acheter un service encore plus prestigieux que l’ancien. 

Le Dieu de l’Ancien Testament, c’est incontestable, souffre des nerfs et d’une hypertension très mal soignée.

Il est tout le temps à fleur de peau.

A suivre le récit de ses exploits, de ses sautes d’humeur intempestives, de ses changements d’attitude soudains, on devine que le pauvre n’a pas toute sa tête.

Il est monstrueusement susceptible, un rien le met en rage, il est jaloux comme une midinette écervelée, sentimentalement immature, atteint de mégalomanie galopante, souffre de symptômes bipolaires qui le classent dans la catégorie des grands malades, allant du schizophrène borderline au psychotique de service.

Et comme la terre étant son asile, on comprend mieux pourquoi nous autres simples humains avons parfois un peu de mal à évoluer dans Sa Cour de Récréation.

Il change d’humeur comme de barbe.

Un jour affable et généreux, plein d’amour et de tendresse envers Son Peuple, affectueux comme un Saint-Bernard céleste, il peut d’une seconde à l’autre changer du tout au tout, tempêter à s’en fendre le coccyx, traiter ses sujets d’incapables notoires, de cloportes, de jean-foutre, de branleurs, leur promettre l’enfer avant de se raviser l’instant d’après et de redevenir doux comme un agneau.

Totalement ravagé.

Un Louis de Funès sous acide.

A sa décharge, il faut dire qu’il a hérité ( en même temps c’est lui qu’il l’a choisi ) du peuple le plus chiant de la terre, le plus récalcitrant, le plus indomptable, le plus obtus, le plus rebelle, le plus geignard, j’ai nommé les Hébreux qui dans le genre jamais contents s’imposent comme une référence en la matière.

Suffit de lire leur récit d’après la sortie d’Egypte pour s’en convaincre.

Fait chaud, y’a rien à bouffer, j’ai soif, j’ai mal au pied gauche, le pain est trop cuit, pas assez cuit, les gosses s’ennuient, la douche fuit, la clim ne marche pas, les toilettes sont bouchées, le matelas grince, les Mazots n’ont aucun goût, on s’ennuie, les activités sont nulles, c’est marche ou crève, tu parles d’un voyage organisé, on était mieux en Égypte, au moins on avait un toit, si j’avais su je ne serais jamais venu, c’est encore loin la Terre Promise dis Moïse ? 

Moïse c’est le plus grand cocu de l’histoire de l’humanité.

Le type le plus gentil de la terre, toujours réglo avec son patron, affable, calme, pondéré, patient, presque jamais un mot plus haut que l’autre, cherchant toujours à concilier l’intérêt de son Dieu et celui de son Peuple, un négociateur de première, une crème d’homme à qui l’Autre Ravagé pourtant, suite à un minuscule écart de conduite, dans un geste d’une cruauté inouïe, impensable, intolérable, interdira de fouler cette terre promise auquel Moise avait consacré toute sa vie.

                                                                                                                                                                                                                                            Quel enfoiré.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Vies parallèles, morts silencieuses

                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Aujourd’hui, demain, après-demain, de nouveaux migrants, des femmes, des enfants, des jeunes gens, des mères, des pères quittant des zones de combat trouveront la mort dans des embarcations de fortune le long des côtes grecques ou turques.

Comme on ne retrouvera jamais leurs corps ou alors dans un tel état de décomposition qu’ils seront sans identité réelle, comme aucun vidéaste n’aura filmé leurs derniers instants, comme ils n’apparaîtront nulle part à la une de nos journaux, à nos yeux ils ne seront pas vraiment morts ; ils n’auront jamais vraiment existé, ils auront juste disparu comme disparaissent chaque jour dans l’anonymat le plus complet des dizaines de milliers de personnes.

Fin de l’histoire.

Nous avons nos problèmes qui nous sont propres : Uber va-t-il briser le monopole des taxis, l’hiver s’est-il installé pour de bon dans l’hexagone, le PSG peut-il vraiment finir le championnat invaincu, doit-on inscrire le principe de déchéance nationale dans notre constitution, qui succédera à Jean-Louis Debré à la tête du Conseil Constitutionnel, Celine Dion parviendra-t-elle à surmonter la mort de son René, faut-il imposer des quotas lors des nominations aux Oscars ?

Pendant ce temps-là, par une nuit froide et sombre, une nuit sans lune, une nuit sans étoiles, une nuit sans rien, sur une mer agitée, une vague plus puissante que les précèdentes provoquera la culbute d’un bateau de mauvaise facture : en une seconde, des corps se retrouveront immergés dans l’eau glacée, il y aura des cris, des hurlements, des plaintes, des gémissements, des appels à l’aide, des pleurs, des vagissements.

Il fera un noir absolu, un noir sidéral, un noir de fin du monde, des corps s’agripperont les uns aux autres, une lampe torche à la lumière tremblotante éclairera des bouches recrachant des grandes brassées d’eau, éclairera des visages déjà bleuis de froid, éclairera des regards apeurés d’enfants appelant leurs parents à leur rescousse, éclairera des bras en train de battre l’eau afin de ne pas couler, éclairera la coque du bateau désormais hors de portée, éclairera le spectacle d’une mort inéluctable, éclairera les visages baignés de larmes d’hommes et de femmes qui auront compris que leur voyage de la dernière chance s’arrêtait là, que leur dernière heure était arrivée, que bientôt ils ne seront plus que des cadavres flottant à la surface de l’eau ou gisant dans les profondeurs marines.

 

En quelques minutes, ils seront tous morts.

Et nous n’en saurons rien.

L’apprendrions-nous que nous dirions c’est malheureux, l’apprendrions-nous que nous penserions c’est épouvantable, l’apprendrions-nous que nous songerions c’est affreux avant de reprendre une nouvelle tasse de café, avant d’écouter la météo, avant de passer sous la douche, avant d’entamer une nouvelle journée de travail.

A l’heure où le sel de la mer commencera à grignoter les corps sans vie de familles mortes d’hydrocution, de noyade ou simplement de fatigue, des corps de nourrissons, des corps de gamins, des corps d’adolescentes, nous sortirons de chez nous : il fera froid, le temps sera gris, le métro sera bondé, toutes les places assises seront prises, on restera debout le temps du trajet, on pensera à ce week-end, à quel film nous pourrions aller voir, si avec un temps pareil, il ne faudrait pas mieux annuler notre escapade à Fontainebleau, si on n’organisait pas plutôt une bonne fondue entre amis. Ou une raclette.

Oui tiens une raclette, ce serait peut-être mieux, c’est plus digeste que la fondue, il faudra que j’en parle à Jean-Luc tantôt.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Tantôt.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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La France sans les Français, ce serait le paradis sur terre


Oh ça va, nul besoin d’aller pleurnicher auprès de votre député ou d’alerter votre directeur de conscience ou de saisir le médiateur de la République, vous savez bien que malgré mes quarante-huit balais au compteur, je ne suis pas bien sérieux, je suis le roi des cloportes, je me complais seulement dans l’invective et je n’aime rien tant que vous provoquer.

Mais tout de même.

Entre nous.

Cette idée d’une France sans les Français (enfin certains), cela ne sonne-t-il pas à vos oreilles comme le plus doux des rêves, n’est-ce pas l’esquisse d’un sourire que j’ai cru apercevoir se former sur vos lèvres quand vous avez lu le titre de ce billet comme une sorte d’approbation tacite ?

Vous n’avez pas pu vous en empêcher.

Soudain vous aussi, vous l’avez eu cette image d’un pays débarrassé de sa cohorte d’esprits chagrins qui empoisonnent l’espace public, le fantasme d’une France libérée de ses crevards de nationalistes à la petite semaine, le rêve fou d’une contrée délivrée de ses petits marquis crevant de trouille d’être envahis par des anachorètes débarqués des quatre coins de la planète.

Imaginez une seule seconde la France peuplée de gens doux et polis, affables et débonnaires, souriants et bonhommes, hospitaliers et ouverts d’esprit, modestes et tranquilles, optimistes et confiants dans leur avenir, imaginez la France peuplée mettons de… Canadiens par exemple !

Ce ne serait plus un pays, ce serait le Jardin d’Eden grandeur nature.

Ce serait le Paradis, le vrai, celui qui existe seulement dans les livres d’enfants.

Ce serait le royaume de Dieu sur terre.

Parce que tout de même, si on y réfléchit deux secondes, la France, c’est tout de même le plus beau pays au monde.

Avec ses fleuves et ses rivières, ses mers et son océan, ses montagnes et ses collines, ses volcans et ses vallons contenus dans un périmètre si étroit, c’est un fantasme de créateur, c’est une vision de rêve, c’est l’alliance parfaite de la nature et du ciel, c’est une promesse d’éternité.

C’est beau et chatoyant comme un tableau de maître, c’est doux et tendre comme un sein maternel, c’est riche et généreux comme un philanthrope céleste, c’est plein de paysages variés, de contrastes heureux, de terroirs si divers qu’on a du mal à croire que c’est le même ciel qui les chérit, c’est une déclinaison infinie de plaines qui se ressemblent mais ne sont jamais tout à fait les mêmes, de coteaux qui donnent le tournis, de rivages splendides où se fracassent en riant des océans de vagues, de monts perchés à des altitudes si hautes que les oiseaux viennent de loin pour les contempler.

C’est une alchimie, une harmonie, une symphonie. 

Une nostalgie aussi.

Et des monuments assis au milieu de cités millénaires, des églises plantées au cœur de villages figés dans des postures d’éternité, des tours et des beffrois, des châteaux et des cathédrales, des jardins et des musées qui témoignent tous du génie de l’homme.

Oui, c’est un beau pays que ce pays-ci.

Mais voilà à force de vivre dans un tel pays, certains de ses habitants en ont perdu le sens commun ; à la longue ils sont devenus vantards et arrogants, mesquins et hautains, ils se sont recroquevillés sur leurs acquis et n’ont plus été capables de suivre la marche du monde, ils se sont égarés sur le chemin de leurs illusions perdues, ils sont devenus amers, suspicieux, peureux, se terrant dans leurs habitations comme si la fin du monde était pour demain : ils ont perdu foi en eux-mêmes, en l’avenir, en leurs enfants, ils crèvent de trouille, ressemblent désormais à ces vieillards qui se méfient de tout, se cherchent un chef pour les sortir de ces ténèbres.

Moi ce pays, je l’observe de loin.

Il me fascine et me révulse en même temps.

Il m’agace prodigieusement, il me porte sur les nerfs, il a le don de m’exaspérer mais je ne peux m’empêcher d’écrire sur lui, de lui rendre hommage à travers une langue que j’essaie ne pas rudoyer de trop, de l’aimer à ma façon.


Je le visite de temps à autre et à chaque fois de le quitter, au moment de monter dans l’avion du retour, quand ce dernier prend son envol, en regardant par le hublot cette terre qui m’a vu naître,  je me dis si seulement.. 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Arrêt de 30 millions d’amis : mon chat a entamé une grève de la faim illimitée

 

Avec la mort soudaine de Bowie, cette histoire de kippa qui m’a mis les papillotes à l’envers, j’en suis venu à oublier la principale information de la semaine dernière, j’entends la prochaine mise à l’écart de 30 millions d’amis.

Dire que cette nouvelle m’a bouleversé ne parviendrait pas à rendre l’effroi qui m’a saisi quand j’ai appris la scélérate et honteuse et infâme décision prise par France Télévisions d’écarter cette émission de sa grille des programmes.

Depuis je pleure et traîne une épouvantable gueule de bois, je n’ai plus goût à rien, je passe des heures à regarder mon chat sans trouver le courage nécessaire pour lui annoncer la terrible nouvelle, connaissant trop ses tendances suicidaires : sensible comme il l’est, je le sais capable d’entamer une grève de croquettes illimitée pouvant mettre en péril sa déjà fragile santé.

Ou alors s’enfermer  à triple tour dans le tambour de la machine à laver pour en ressortir en lambeaux. Se pendre au lustre du salon en s’étranglant avec sa propre queue. S’ouvrir les moustaches. Fouiller dans ma boite à pharmacie et s’offrir une overdose de valium. Me prendre en otage et me séquestrer aussi longtemps que France Télévision ne change sa décision.

C’est que dès le début de notre rencontre, bien avant même nos fiançailles officielles célébrées par le grand rabbin de France, je lui ai fait miroiter qu’un jour nous passerions tous les deux à 30 millions d’amis, c’était un pacte secret entre lui et moi : il acceptait de vivre la difficile existence d’un chat d’écrivain à la seule condition de se retrouver un jour sous les feux des projecteurs.

Il se voyait déjà lové sur mes genoux, coiffé et peigné comme jamais, regardant de son air mystérieux l’œil de la caméra, tachant de s’attirer ses faveurs pendant que je confierais à la France entière, les yeux dans les yeux, l’importance de mon chat dans mon labeur d’écrivain sans qui (la présence duquel) jamais je n’aurais été capable de remporter trois prix Goncourt d’affilée, deux prix Nobel consécutifs et une flopée de récompenses littéraires aussi longue que sa queue.

Nous poserions devant un feu de cheminée, lui dans son panier, moi dans mon fauteuil, une pile de livres éparpillés sur la table basse, des cadavres de souris égarés sur le tapis : d’une voix languide et tremblante d’émotion, je le présenterais à la caméra voici Sa Majesté Winston (le prénom a été changé conformément à la volonté de mon quadrupède), on zoomerait sur sa petite bobine, il feindrait de dormir.

Je dirais l’histoire de sa vie, sa naissance au Canada, ses années d’exil en France, son retour dans sa terre natale, son judaïsme chancelant, sa perpétuelle quête identitaire, son aversion innée pour les bergers allemands et leurs propriétaires, son idéal progressiste, son désir de venir en aide à tous les châtrés de la terre, son indicible paresse, ses problèmes d’insomnie, son angoisse existentielle d’être un chat errant sans terre ni racine, son fol espoir qu’il survive à ma disparition programmée.

C’eût été son quart d’heure de gloire à lui, son entrée dans le royaume des chats qui comptent, la consécration de toute une vie, l’apothéose d’une existence vouée à supporter les sautes d’humeur de l’écrivain le moins doué de sa génération.

 Quel mouche a donc piqué ces zèbres de France Télévision pour mettre au rebut une émission aussi indispensable au bien-être de millions de Français à qui il ne reste plus que leurs animaux domestiques pour attendrir leur douleur de vivre dans un pays sur le point de basculer dans la guerre civile ?

Pourquoi tant de cruauté gratuite  ?

N’ont-ils donc pas compris ces messieurs dames de l’audiovisuel que nos chats et nos chiens, nos lapins et nos oiseaux, nos hamsters et nos furets, demeuraient le seul point d’ancrage dans des vies qui se délitent de toutes parts, que jamais ils ne nous ont été si nécessaires, si précieux, si prompts à nous consoler, que sans eux nous aurions déjà basculé dans le désespoir et la détestation de soi la plus radicale ?

Et que la vision de les voir défiler sur nos petits écrans rehaussait encore un peu plus l’attachement que nous leur portions ? 

Une pétition circule pour l’abandon de cette décision inique.

Signez là.

Au nom de tous les chats et chiens français, binationaux ou de souche.


Et en pensant au mien qui à cette minute précise pointe sur ma tempe sa patte gauche en menaçant de me rendre borgne comme Œdipe.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Le Juif sans kippa expliqué aux nuls, aux médias et aux Juifs avec kippa


Je crois pouvoir affirmer que je suis juif.

Les lecteurs de ce blog, les malheureux, en savent quelque chose.

Cependant, au risque de vous décevoir, je ne porte pas de kippa, je ne bouffe pas casher, je ne mets jamais les pieds à la synagogue ou alors seulement pour assister au mariage de la fille de Simone Boutboule, je ne porte pas de papillotes et pas seulement parce que je suis chauve, je ne lis pas l’hébreu, je ne vais pas en vacances en Israël et je donne pas d’argent au CRIF (par contre s’il veut bien m’en donner, je suis preneur)

Les Juifs que je connais et hélas j’en connais beaucoup sont exactement comme moi.

Pour tout vous dire, de tous les amis juifs que j’ai eu, et là aussi j’en ai eu beaucoup mais vraiment beaucoup, aucun, absolument aucun ne portait la kippa pour aller acheter sa baguette de pain.

Jamais.

J’insiste, je ne suis pas un cas unique, je ne suis pas antisémite, je ne suis pas un mauvais Juif ou un renégat, je suis et me sens profondément juif, j’ai passé ma vie à fréquenter d’autres Juifs issus de milieux les plus divers, des Ashkénazes, des Sépharades, des lourdingues (surtout chez les Sépharades), des torturés du cerveaux (que des Ashkénazes) mais jamais, jamais je n’ai eu à me coltiner de Juifs qui se baladaient avec une calotte sur la tête.

A dire vrai, ces Juifs-là je ne sais pas bien qui ils sont, où ils habitent, à quoi leurs vies peuvent bien ressembler, s’ils ronflent en dormant, s’ils jouent au golf ou s’ils pratiquent les arts martiaux.

Surtout j’aimerais une bonne fois pour toute qu’on cesse d’associer le Juif de base, le Juif de souche mettons, le Juif sans signe distinctif particulier, le Juif comme vous et moi, au Juif religieux qui possède deux services à vaisselle, qui confond sa synagogue de quartier avec sa résidence secondaire, qui consulte la Bible avant de jouer au loto, qui s’habille comme Rabbi Jacob et dont la femme se prénomme Rachel et la maitresse Léa.

Ce Juif-là représente, il me semble, une très petite minorité des Juifs de France.

Une minorité visible mais une minorité tout de même.

Je le répète à l’intention des médias, des masses travailleuses, des Français de base, des directeurs de journaux, ce Juif-là qu’on vous montre sans arrêt dans les journaux télévisés ou à la sortie des écoles, est presque un Juif imaginaire.

Un Juif d’Épinal.

Une caricature de Juif.

Un Juif trop juif pour être juif.

Je sais : vu de l’extérieur, il est difficile de comprendre comment on peut se prétendre et se sentir profondément juif tout en mangeant du saucisson et en croyant en Dieu seulement quand on a une rage de dents.

Le Juif est aussi compliqué à saisir qu’une grille de mots croisés inventée par un aveugle.

Pour faire court, se revendiquer juif, c’est dire et affirmer et réaffirmer à chaque nouvelle génération son appartenance à un peuple, à une mémoire, à une culture, à une éthique qui remonte à la nuit des temps.

C’est avoir dans sa bouche le goût des cendres d’Auschwitz.

C’est se reconnaître dans un Dieu qui n’existe pas ou plus ou alors qui est parti en vacances sans laisser d’adresse où pouvoir le joindre.

C’est avoir constamment cet étrange sentiment d’être de nulle part et en même temps de partout.

C’est sentir couler dans ses veines le poids des déportations, des pogroms, des exécutions sommaires.

C’est une métaphysique de l’existence.

C’est avoir un goût pour tout ce qui touche au livre, à la loi, à l’étude, au savoir.

C’est une conscience et un défi à renouveler chaque jour.

Une désespérance et une souffrance dont on essaye de guérir par le rire.

C’est une méfiance née de siècles de persécutions pour tout ce qui n’est pas soi, qui n’est pas juif.

Surtout c’est une exigence.

Et c’est une morale héritée d’un Dieu dont on se plait à remettre sans cesse en question l’existence.

Ou comme dirait Woody Allen ” Non seulement Dieu n’existe pas, mais en plus nous sommes son peuple élu ”.

                                                                                                                                                                                                                                                     C’est tout, absolument tout sauf une question de kippa.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Brel, Bowie, quand on n’a plus que la mort

                                                                                                                                                                                                                                                  Ce n’est pas pour faire mon provocateur de salon mais je n’ai jamais vraiment aimé Bowie.

Enfin disons que je ne l’ai jamais compris.

Je suis passé à côté.

Je ne suis jamais parvenu à pénétrer sa musique et pourtant dieu sait que j’ai essayé.

Il n’existe rien de plus rageant et de plus triste que de rester à l’extérieur de l’univers d’un artiste majeur, c’est comme de se retrouver à la porte d’un immeuble dont on devine qu’il abrite des appartements féeriques mais qui pourtant refuse obstinément de vous laisser entrer et vous enjoint de déguerpir.

On se sent si bête, on s’en veut, on voudrait tant se laisser charmer, mais rien n’y fait : pour des raisons inexplicables, on n’accroche pas, on échoue à tisser des affinités électives avec le compositeur, on se force cependant, on s’oblige à l’écouter, on espère à chaque fois que le déclic se produira, on est tellement de bonne volonté, on supplie nos sens de se montrer plus dociles ; en vain : à chaque fois on doit s’avouer vaincu et maudire notre infirmité.

Pourtant Bowie, j’aurais dû l’adorer.

Ne serait-ce que pour Brel.

Je crois en fait que j’étais fier que Bowie reprenne Brel par le biais de Scott Walker.(Ce sera la même chose avec Morrissey)

Fier pour Brel.

Quand Bowie reprend Amsterdam, guitare sèche et dépouillée, voix abrasive, phrasé dépouillé, il n’interprète pas la chanson, il la fait sienne, il triture son chant, il contorsionne les paroles, il allonge les mots, il gémit, il raconte, il clame, il proclame, il attendrit, il scande : il se montre de bout en bout d’une authenticité rare et se réapproprie la dramaturgie du morceau.

C’est bien cela qui rassemble Brel et Bowie au-delà des racontars qui peuvent fleurir ici et là : leur parfaite authenticité, leur théâtralité tout sauf artificielle, leur manière d’être tout entier à leur musique, à leur public, à eux-mêmes.

Et puis leur gentillesse aussi qui est juste un autre mot pour dire leur humanité.

Je ne sais pas mais en y repensant je crois que j’ai toujours été ému par la gentillesse de Bowie – je ne trouve pas d’autre mot – de cette gentillesse de petit garçon plein de malice qui semble vous dire, malgré ses maquillages, ses travestissements, ses personnages imaginaires, je ne suis pas si différent de vous, je suis comme vous, je vous ressemble comme vous me ressemblez.

Une absence totale de calcul, de tricherie, d’afféterie qui peut aller, qui doit aller jusqu’à une certaine forme d’obscénité.

Une honnêteté poussée jusqu’à l’extrême, un dépouillement tellement entier qu’il en devient effrayant, une radicalité si extrême qu’elle vous prend à la gorge et vous malmène, vous ramène à l’essence des choses, à la vie, à l’amour, au sexe, à la mort.

La mise à nu d’un homme qui ne veut rien cacher, qui se montre sans concession, qui s’affiche pour ce qu’il est et non pas pour ce que les autres aimeraient qu’il soit.

Sur scène Brel était Brel comme Bowie était Bowie à travers sa création de Ziggy Stardust.

Dans Ziggy, Bowie reprenait souvent une étrange chanson de Brel, La Mort.

Une chanson du début quand Brel était encore un peu obséquieux, un peu maladroit, un peu boutonneux.

                                                                                                                                                                                                                                                        C’était une boutade lancée à la face de la mort.

                                                                                                                                                                                                                                                       Depuis hier, on sait que ce n’est plus une plaisanterie.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                        Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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La cuisine c’est meilleur que le sexe


Au fond, le sexe est très largement surcoté.

Beaucoup de sueur, d’ahanements, de déhanchements, de renversements de position, de tâtonnements, d’erreurs de jugement, de feulements, de travestissement, pour un résultat somme toute plus que mitigé : quelques secondes d’éternité avant la débandade, le retour à la case départ, le rappel des troupes, la sonnerie aux morts.

Tandis que la cuisine, la cuisine, voilà un exercice qui satisfait à part égale le corps et l’esprit.

Qui demande tout autant de délicatesse, de tendresse, de rudesse qu’une partie de jambes en l’air mais avec un résultat autrement satisfaisant que ces râles porcins de deux corps en train d’agoniser de plaisirs plus ou moins partagés.

Moi en ce moment, ce doit être l’hiver, ou la nouvelle année, ou le réchauffement climatique, ou la montée en puissance d’Alain Juppé, mais je suis en pleine période brioche.

Je vis brioche, je pense brioche, je baise même brioche.

Eh bien, je le dis tout net : vous aurez beau me mettre d’office Scarlett Johanson dans mon lit, rejointe par n’importe quelle nymphette à la mode, pour rien au monde je n’échangerai ma brioche confectionnée par mes petites mains contre une relecture de mon kamasoutra personnel orchestré par ces deux ravissantes demoiselles aussi affriolantes soient-elles.

Ah vous raconterais-je le pétrissage de la pâte, l’érection du levain, le saupoudrage de sucre, l’ajout progressif de ces morceaux de beurre que délicatement j’introduis et laisse pénétrer dans le cœur de ma préparation, le travail progressif de mes mains qui n’ont cesse de malaxer cette mixture en un approfondissement toujours plus lointain, la pâte qui me répond, se rebelle, se dérobe, elle en veut plus, toujours plus, quelle garce, ma poigne qui ne lâche rien, continue son labeur, redouble d’ardeur et de vigueur mêlées, finit par dompter la texture rebelle.

La première phase de gonfle où je récupère pendant que Madame, bien au chaud au-dessus d’un radiateur, se refait une beauté, devient autre, gonfle de plaisir, gonfle de désir, gonfle d’envie, s’épanouit dans son vaste récipient, soupire d’aise, se laisse aller, s’abandonne, se sent pousser des ailes au point de tripler de volume.

Je la saisis, elle est chaude, elle brûle la petite, elle se consume, elle vibrionne, elle n’est plus que râles et feulements, je l’étale, je la fraise, je l’allonge, je m’enfonce en elle, elle gémit, elle frémit, elle ronronne, elle ne se contrôle plus, elle devient toute languide, elle ne répond plus de rien, elle se laisse travailler, elle est à moi, toute à moi, je suis son maître, je la câline, je l’étire, je la retourne, je l’entreprends de milles et une manières, je la tourneboule, la roule en boule.

C’est l’extase.

C’est le triomphe de la chair.

L’empire des sens.

Plus tard, je la reprendrai une dernière fois, juste pour le plaisir de la posséder encore, de lui tresser des lauriers, de l’accommoder comme je le l’entends, de badigeonner son corps repu du jus d’un jaune d’œuf gouleyant à souhait, de la façonner pour qu’elle resplendisse de mille feux quand sous le feu de la chaleur d’un four tournant, elle s’en ira brunir de plaisir.

Pendant quelques heures, elle trônera impériale sur la table de la cuisine.

A chaque fois que je passerai devant elle, je me souviendrai de notre étreinte, de ce plaisir que nous nous sommes procuré, de notre complicité, de nos corps qui se sont donnés sans vergogne, de notre lente montée du désir, de l’apothéose de nos sens chavirés.

A un point tel que ma compagne, jalouse de notre entente, s’empressera de la dévorer pour ne point avoir à souffrir de sa présence.

                                                                                                                                                                                                                                                         Ah la jalousie des femmes !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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De François Hollande, je n’attendais rien mais il m’a quand même déçu


Ce n’est pas du désamour ; d’amour entre François Hollande et moi, il n’y en a jamais eu, même pas une ébauche, même pas le début d’un flirt.

Ce n’est pas de la désillusion ; je ne nourrissais guère d’illusions à son sujet même si, avec le temps, le prestige de la fonction, le poids de la charge, je croyais en la capacité du bonhomme à se sublimer et à surprendre.

C’est juste de la déception.

Une déception d’autant plus amère que de lui je n’attendais rien, ni en bien ni en mal, j’avais voté pour lui comme d’autres se marient de raison.

Au dernier moment, le fiancé Dominique tant convoité avait chu par excès de lubricité, François, qui jusqu’alors se tenait en embuscade, s’était proposé de le remplacer ; résigné, désireux surtout de changer d’air, on l’avait adopté pour le pire et le meilleur, se doutant tout de même qu’à ses côtés, ce ne serait pas dimanche tous les jours.

Les débuts ne furent guère fameux, de nombreuses disputes éclatèrent, de la vaisselle fut brisée : lui promettait qu’avec le temps, sous peu, d’ici la fin de l’année au plus tard, le quotidien s’améliorerait, on pourrait à nouveau faire bombance, changer le revêtement du toit, voyager au long cours.

Il jurait sur son âme, il ne pouvait en être autrement, c’était mathématique, après la pluie viendrait forcément le beau temps : pour l’heure, il fallait continuer à faire le dos rond, à patienter, à prendre sur soi, à encaisser les coups, bientôt les vents nous seraient favorables.

En attendant que le destin nous sourît à nouveau, il s’aventura dans de grandes expéditions à l’étranger, déclara la guerre à la moitié de la planète, joua avec ses petits soldats, adopta des mesures martiales, bomba le torse, roula des pectoraux.

On l’avait pris pour un oiselet, il agissait comme un matador.

A la maison pourtant, c’était toujours la même rengaine : on en avait fini de manger notre pain blanc, les prochaines récoltes s’annonçaient abondantes, en moins de temps qu’il ne faudrait pour le dire, on retrouverait le chemin de notre splendeur passée.

Le temps a passé, la fièvre a continué de monter, lui n’en démordait pas, elle finirait par baisser, il en répondait de sa vie, il jurait sur la tête de ses enfants, il mettait sa tête à prix, il s’agenouillait devant moi, se tapait sur le poitrail, me tendait un couteau et me suppliait de l’éventrer si jamais l’avenir lui donnait tort.

Au moment de se coucher, il disait ”tu verras, j’ai consulté les astres, ils vont tous dans le même sens, demain dès l’aube, nous allons entrer dans l’été de notre vie ”.

A place de l’été tant attendu, nous avons eu le droit à un hiver sans fin.

La guerre a éclaté, des barbares sont entrés dans nos villes, la sang a coulé à grands flots, il a endossé sa tunique guerrière, a réuni tout le village, a proclamé l’état d’urgence.

Un soir, ivre de sa puissance, désireux ne point voir son autorité être remise en cause, pensant surtout aux échéances futures, il a tapé du point sur la table et s’est exclamé ” je déchoirai le premier qui se tiendra sur mon chemin ”.

On a pensé qu’il agissait là sous le coup de la colère, que le spectacle de tous ces morts l’avait égaré, qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il disait.

Sauf que non.

Le lendemain, il n’a pas voulu en démordre.

Il ne changerait pas d’avis, il ferait ce qu’il avait dit, c’était une question de principe, quand on est un homme de stature, on ne revient pas sur sa parole.

On a convoqué les anciens, les vieux sages, les penseurs et les philosophes : tous l’ont conjuré de revenir sur sa parole, il valait mieux se dédire que de poursuive dans cette voie, qu’il n’aboutirait à rien à s’entêter de la sorte, que sa mesure était inepte, inefficace, inapplicable, qu’il allait perdre son âme, créer de la division dans le pays, jeter l’opprobre sur des citoyens au-dessus de tout soupçon.

Il s’est entêté.

C’est à ce moment que j’ai décidé de divorcer.

Je ne veux plus rien à voir avec lui, il a trop abusé de ma patience et a fini par me salir.

                                                                                                                                                                                                                                             Finalement, il ne valait pas mieux que l’ancien.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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En 2016, je me fous de tout

 

Au fond, si je réfléchis bien – ce qui m’arrive une fois l’an – j’en arrive à la conclusion que je me fous de tout.

Du fin fond de ma conscience délabrée, je me dis que rien n’a vraiment d’importance hormis les grandes questions métaphysiques qui continueront à nous hanter jusqu’à la nuit des temps, les seules au fond dignes d’intérêt, les seules qui méritent notre attention, les mêmes que nos ancêtres se posaient, les mêmes qui interrogeront la conscience de nos enfants, les mêmes sempiternelles questions sans réponses qui sont l’essence même de toute existence humaine, son sel, son moteur, son centre.

Les affaires politiques, le prix de la baguette, les cours de la bourse, la course aux Oscars, les peines de cœur de nos vedettes, la Coupe de France, l’élection présidentielle, les morts petites et grandes, les accidents de parcours, les sorties de route, tout ce qui constitue le pain quotidien de nos journaux, ce vacarme incessant de l’actualité, les gesticulations des grands de ce monde, les guerres et autres conflits territoriaux, ce ruminement de nos vies quotidiennes n’étant là que pour nous divertir, nous empêcher de penser, nous étourdir, nous endormir et permettre à notre cerveau de prendre des vacances.

D’échapper à la folie qui sans cesse nous guette, nous attend au coin de la rue, sommeille en nous et attend son moment pour passer à l’offensive et nous étrangler.

De cette folie de l’esprit qui s’extirpant des contingences de l’époque, de l’air du temps, de tout ce jeu de dupes, renvoie l’homme à sa vérité première et l’amène à se confronter à sa condition d’être vivant né du hasard ou de la nécessité, de ce vaste fatras de la cosmologie primitive d’où il est issu et où il retournera, de ce bourbier métaphysique qui, depuis toujours et à jamais, colle à ses semelles de vent soupirant un siècle après l’autre leur poids de mélancolie, de tristesse et de terreur.

Le reste ne demeurant qu’ornements, façade, trompe l’œil, us et usages, mœurs et coutumes, courbettes et politesse, savoir-vivre et vie en société, sourire de circonstances, amour du prochain, estime de soi, respect de l’autre, morale de l’ordre, travestissement, tourniquet des habitudes, carnaval des postures, je travaille donc je suis, fiche de paie, points pour la retraite, loyer à payer, factures à régler, l’été sera-t-il chaud, y-aura-t-il de la neige à Noël, Allo Charlie Papa Tango, la terre meurt mais ne se rend pas : le parfait ordonnancement de la société industrielle qui permet à l’homme de vivre comme un rat des champs, de feindre d’exister, de se prendre au sérieux et de participer à la comédie humaine dans tout ce qu’elle de plus abject et de plus sublime.

 freud2

Alors, va pour une nouvelle année, montons à bord de son train fantôme, les rafraîchissements seront servis dans la voiture balais, pour les blessures intimes et les pertes de confiance voyez avec le chef de gare, ne vous préoccupez de rien, la forme sans le fond n’est-ce pas là l’essentiel, la vie, la vie, ô la vie et rien d’autre, de l’amour si possible, de la tendresse sinon, un corps qui tourne rond, une âme qui ne perd pas le nord, le moins de pertes à déclarer, un chat pour garder le cap, des livres comme des bites d’amarrage, de la bravoure en toutes circonstances, un peu de reconnaissance si possible, des amis, de l’ivresse, de la poésie, du vin, des rires, des rires, des rires.

                                                                                                                                                                                                                                              Des rires.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

 

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