Pour un juif, se coltiner chaque année le dernier Woody Allen constitue un acte aussi fondamental que de jeûner (ou d’essayer) à Kippour.
Une sorte de onzième commandement auquel il ne saurait être question d’échapper de peur d’être excommunié à vie, ou répudié par les autres membres d’une communauté par ailleurs guère fréquentée, du moins en ce qui me concerne.
Tu iras voir le dernier Woody Allen et tu loueras sa grandeur, lit-on dans la bible du cinéphile d’ailleurs bien souvent plus d’obédience ashkénaze que sépharade tant les névroses de notre new-yorkais préféré ne peuvent être entendues par des Maurice Boutboul de pacotille dont la métaphysique première se résume à se demander s’il doit rajouter de la harissa dans son sandwich dégoulinant d’huile d’olive frelatée.
Craignant par-dessus tout les représailles iniques d’un Dieu ô combien susceptible et à cheval sur les respects de ses édits dont lui seul feint de comprendre la teneur, je me condamne chaque année à me traîner au cinéma de quartier contempler la dernière petite merveille de Monsieur Allen.
Sauf que depuis quelques temps, au risque d’apparaître comme un félon, comme un renégat, comme un traître à ma propre communauté, j’ai de plus en plus de mal à m’enthousiasmer pour ces prouesses cinématographiques que je trouve d’une redondante fadeur en comparaison des chefs d’œuvres incontestables que le petit binoclard neurasthénique a pu réaliser dans le passé.
Ainsi de son dernier Jasmine, dont la critique ronronnante et bien pensante nous assène que c’est son meilleur film depuis Match Point , qui était lui-même son meilleur depuis “Harry dans tous états”, qui lui-même pouvait se vanter d’être son meilleur depuis “Crimes et Délits”, lequel était sans conteste son meilleur depuis “Hannah et ses Sœurs”, qui sans l’ombre d’un doute demeurait son meilleur depuis “Manhattan”.
Jasmine n’est pourtant pas un mauvais film.
Loin s’en faut.
Comme tous les films de Woody Allen, il possède ce charme indicible, cette fluidité évanescente, cette tranquille nonchalance où le cinéaste névrotique prend un malin plaisir à détricoter des vies qui s’effilochent, à dépeindre des personnages qui, terrorisés par l’idée même de vivre, cherchent un chemin de traverse pour soulager le poids de leurs angoisses écrasantes.
Ici Cate Blanchett, la diaphane et bien souvent horripilante et glaçante actrice australienne, qui nous sert son grand numéro de femme disjonctée, descendue de son piédestal de bourgeoise vuitonée, carburant à la vodka et aux tranquillisants, roublarde posture permettant d’établir une connivence instinctive avec le spectateur d’obédience ashkénaze qui connaît sur le bout de ses tefillins la classification exhaustive des tranquillisants de dernière génération, leur durée d’action, leur effets secondaires, leur vertus essentielles tandis que le Sépharade de service, Maurice Boutboul pour ne pas le nommer, ne connaît lui que la différence entre la Harissa importée de Tunis et celle venant de Sousse.
Tout ceci pour dire que non, Cate Blanchett n’a pas à rougir de sa prestation (même si elle n’aura jamais cette vraie et authentique folie que dégageait en toute simplicité l’inégalée Diane Keaton), une appréciation à modérer tant je connais dans mon entourage proche une flopée de névrosées du même acabit qui aurait pu pour une brick à l’oeuf symbolique proposer une composition en tout point équivalente.
En fait, si la critique se pâme tant et plus, c’est qu’une partie du film, audace inouïe, ose se dérouler à San Francisco et prend ce risque insensé de dépeindre des américains ordinaires, montrés dans leur radicalité la plus extrême puisqu’on les voit en train de manger de la pizza.
Attitude en tout point contraire au dogme allenien démontrant que le cinéaste en a encore sous la kippa.
D’où cette assomption déclamée ici et là que le film serait d’une audace folle, d’une inventivité retorse, une farce sociale d’une cruauté raffinée où Woody Allen fracasserait les codes de la tragicomédie en nous rappelant, vertigineux constat, que tout n’est pas rose en Amérique.
C’est oublier que le film manque singulièrement de muscle, qu’il se contente d’enfiler des clichés convenus (la femme hystérique, la femme cocufiée, la femme libérée) qu’au fond il ressemble aux dernières productions de Woody Allen, hormis l’audacieux et délicieux “Midnight in Paris” : toujours impeccables quant à leurs formes mais paresseux et sans ressort au niveau des dialogues où un Allen à bout de souffle recycle ses vieilles marottes sans jamais parvenir à se réinventer.
Au final, on en arrive à visionner un film ni repoussant, ni exaltant, se contentant juste du minimum syndical pour donner au spectateur de quoi ne pas regretter d’avoir posé un lapin à sa maîtresse qui se trouve être souvent la femme d’André Boutboul, le frère de Maurice.
Ce qui contentera assurément un Sépharade comme Maurice Boutboul, éminent membre d’une communauté que je ne fréquente guère mais peinera à réjouir l’Ashkénaze qui sommeille en chacun de nous, confronté à un film manquant singulièrement d’allen… d’allant voulais-je dire (oui Maurice c’est normal si tu ne comprends pas la chute).
Excellent article, je me suis fendu la peche. Et tu m’as meme presque fait envie d’aller voir ce nouveau Allen. En fait j’y ai meme retrouve du Allen en te lisant, car qui mieux qu’un juif pour depeindre les petits travers de la societe juive.
Si Woody “touchait à chaque fois l’excellence, il y aurait vraiment de quoi s’inquiéter”. De la tendresse bordel ! Son dernier film, que je n’ai pas vu, est tout simplement génial !!!
Entièrement d’accord avec vous.
Il y a des cinéastes comme ça qui ont beau faire n’importe quoi, la critique (française en tous cas) reste bien indulgente.
Clint Eastwood, par exple, pourrait tourner un Inspecteur Harry aujourd’hui, on se prosternerait devant lui en criant au chef d’oeuvre.
Allen a une carte à vie on dirait.
“Ainsi de son dernier Jasmine, dont la critique ronronnante et bien pensante nous assène que c’est son meilleur film depuis Match Point , qui était lui-même son meilleur depuis “Harry dans tous états”, qui lui-même pouvait se vanter d’être son meilleur depuis “Crimes et Délits”, lequel était sans conteste son meilleur depuis “Hannah et ses Sœurs”, qui sans l’ombre d’un doute demeurait son meilleur depuis “Manhattan”.”
Hahahahahaha ! X’cellent, et très bon post (et pourtant j’adore Woody)…
Verlaine n’a jamais parlé de “mesure”… mais de “musique”… “De la musique avant toute chose”… Alors c’est qui le cancre, Monsieur le bouffeur de gefilte fish?
Oh la honte !!!! Merci Simone. Amitiés à Maurice.
Vous n’êtes pas marrant du tout Monsieur Gefilltefish. N’avez pas compris grand chose au cinéma allenien, et je conseille aux restaurateurs Boutboul de France et de Navarre de vous interdire de séjour et de vous renvoyer à votre gefilltefish fadasse.
Ahahah Mme Boutboul !
“vraie et authentique folie de Diane Keaton”
euh… non Diane Keaton n’est pas vraiment folle. Elle est une actrice. Un peu excentrique, hors du moule. Ce n’est pas le compliment le plus judicieux ou juste pour parler de cette actrice formidable.
Sinon, j’ai pour Woody Allen une indulgence insupportable. Je suis donc persuadée que Blue Jasmine est un chef d’oeuvre comme tous les autres.
Vous me cherchez vous ! Mais folle c’est un compliment voyons. Le plus beau d’entre tous.
Pardon.
Je prends les travers de mon psy: la pédanterie sémantique 🙂
Je me suis ennuyée. Point barre. Le lendemain j’ai vu “Elle s’en va”, j’ai pris mon pied.
Ahhhhh. enfin un peu de fraicheur dans cet océan d’eau tiède. Voilà qui est dit : Mister Allen, on le sait tous, ronronne depuis qq années. C’est comme les Noël chez ses parents, on sait déjà comment ça va se passer, mais au fond on adore. Tendresse éternelle.
Le problème n’est pas de savoir si ce film est plus ou moins bon que les précédents, mais d’affirmer haut et fort que Woody Allen est l’auteur d’un chef d’oeuvre absolu qui est l’ensemble de son oeuvre!!!