Le rugby ou la consécration de la bête sur l’homme

Parisiens, planquez-vous, le monde de l’ovalie débarque au stade de France.

Ce sera évidemment un public bon enfant.

Contrairement à l’infâme hooligan qui contemple ahuri 22 demeurés jouer à la balle au prisonnier avec leurs pieds, l’amateur de rugby est lui, de toute éternité, d’essence supérieure.

Tout d’abord, il est bien élevé.

Il ne jure pas, il ne crache pas, il ne soulage pas sa vessie contre les piliers soutenant les tribunes, d’ailleurs il ne boit que de l’eau. Gazeuse si possible.

C’est un gentleman.

Venu tout droit de ces nobles terres du sud-ouest où l’on se fait un devoir d’apprendre aux jeunes cadets que le respect de l’adversaire, l’amour du maillot et la fidélité à son terroir priment sur toute autre considération.

Que si le rugby demeure un sport de conquête, cette dernière ne doit être considérée que comme l’expression non pas d’une envie d’écraser l’autre mais bien plus comme une métaphore du vivre ensemble dans une société prompte à sacraliser la masculinité qui sommeille en chacun de nous.

Les rugbymans sont solidaires.

Ils savent la dureté de l’existence. L’âpreté de la vie. La rudesse du quotidien.

Ils ne trichent pas.

Ce sont des forçats aux pieds d’argile.

Des colosses de poètes qui rimbaldisent à coups d’empoignades de testicules qu’ils mastiquent du bout des doigts afin de mieux ressentir l’animalité de leur vis-à-vis.

Des hommes de bonne volonté qui vont au bout d’eux-mêmes afin de s’éprouver pour pouvoir se regarder dans la glace avec la certitude d’être l’un de ceux que le destin a choisi comme émissaire privilégié.

 

Ce sont des pragmatiques qui jugent que la terre ne ment jamais.

Ils connaissent la valeur du mot travail.

Ils respectent les anciens et honorent la mémoire de leurs aînés.

Ils pensent que la vie ne se pense pas.

Elle se vit. Elle se mange. Elle se dévore.

Foin des arguties intellectuelles, ils s’honorent d’être les dépositaires d’un nouvel ordre moral où la discipline remplacerait la fantaisie, la lutte frontale la tentation de la feinte, la marche en avant la ruse par l’arrière.

Et si parfois ils boivent c’est pour mieux célébrer la fraternité des hommes qui se sont mis à nus.

Ils jouent à un jeu dont bien souvent ils peinent à comprendre les règles tant elles sont ardues dans leur indéchiffrable complexité.

La preuve est que l’arbitre, dans un long soliloque savant, doit sacrifier de longues minutes à tenter de leur expliquer le pourquoi de ses décisions.

Pourtant le rugby exalte des qualités que l’on retrouve d’habitude chez les troupeaux de bovins.

La charge tout en finesse sur le porteur de l’ovale, le rassemblement de la meute pour protéger le bien acquis, l’extraction de ce bien vers le dépositaire du jeu qui d’un coup de pied bien ajusté dégage la balle en touche.

Le troupeau alors se rassemble en rang d’oignon et adoptant la pose du constipé de service, s’essayant à convaincre ses intestins d’assouplir son règlement interne, ils attendent que le lanceur se déleste de la gonfle pour tenter de s’en emparer en empoignant l’un d’entre eux qu’ils propulsent vers des hauteurs insoupçonnées afin que sa trajectoire rencontre celle de l’objet volant à peine identifié.

Le ballon une fois récupéré, un tâcheron de service se charge de le propulser haut dans les airs avant de piquer au milieu du troupeau égaré un sprint de déterré afin de se retrouver à l’endroit exact où le ballon amorce sa redescente vers la terre.

Un grand jeu de stratégie donc.

Le passionné de rugby aime à se gausser du passionné de football, sport d’enfants gâtés pratiqués bien souvent par des jeunes gens qui ne seraient même pas tolérés pour récurer les chiottes de grandes écoles que fréquentent assidûment les petits marquis de l’ovalie.

 

Reste que le football enchante tous les peuples de la terre là où le rugby n’enlumine que la vie de quelques nantis.

 

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Quand sonne l’heure de commencer un nouveau roman

 

Voilà.

Les vacances sont finies.

Le contrat a été signé, l’argent a été viré, la date de remise du manuscrit fixée.

Il n’y a plus qu’à.

A se mettre au travail.

A coucher sur le papier ce qui danse dans le cerveau depuis longtemps déjà.

Cet assemblage encore incertain d’idées, d’émotions, de sensations qui dessineront les contours du roman.

Cela semble simple.

Ça ne l’est pas.

 

Les jours passent et on retarde le moment de s’y mettre.

On a peur. Vraiment peur.

Comme avant de monter à bord d’un vaisseau fantôme.

On est transi d’angoisse.

De cette angoisse qui jour après jour vous paralyse et vous épuise.

On aimerait continuer à rêver à son roman.

A l’écrire mentalement.

A jongler sans contrainte avec les mots.

A jouer à imaginer le destin des personnages.

A détricoter à l’infini l’intrigue.

Un jour, on se dit demain c’est décidé je me lance.

J’ai déjà trop tardé.

Je dois me forcer.

Mais demain survient et l’on passe sa journée à s’éviter.

 

On s’invente mille et une occupations.

On repeint la cuisine. Le plafond de la salle de bains. La penderie du corridor.

On pense, c’est foutu.

Cette fois c’est certain je n’y arriverai pas.

Je n’ai pas l’énergie nécessaire pour revivre le cauchemar de la dernière fois.

Je n’ai pas la force d’être l’esclave de ce roman vorace qui durant deux longues années va me mettre au supplice.

Deux années où l’on ne cessera de penser à lui.

A chaque instant de notre vie recluse et monotone.

Sans jamais pouvoir s’accorder une seconde de répit.

D’une manière obsessionnelle.

Ce sera l’enfer.

On rêve d’une vie tranquille.

On songe à devenir facteur. Ou conducteur de bus. Ou alors fossoyeur municipal.

Partir le matin à son travail, à déjeuner avec ses collègues, rentrer le soir fourbu et éreinté.

Vidé.

 

On attend le déclic.

On change la disposition du bureau.

On achète un nouveau carnet. Un nouveau clavier. Un nouveau cahier.

Sur la première page, on marque la date du jour.

D’un coup on a la tête vide.

Pourtant hier encore on fourmillait d’idées.

Mais là rien ne vient.

Absolument rien.

Comme si l’esprit s’était mis à l’arrêt.

Avait pris congé.

Il ne faut pas forcer.

Ça va venir.

C’est toujours comme ça.

On devrait le savoir tout de même.

Après tout ce n’est pas comme si c’était la première fois.

 

Non.

C’est pire. Bien pire.

On ne peut se plaindre à personne.

On ne vous comprendrait pas.

Vous êtes seul.

Au pied de la montagne qui vous écrase de toute sa hauteur.

Au bord d’une piscine sans fond.

On y trempe son pied mais l’eau est glacée.

On ne veut pas plonger.

On le doit pourtant.

On ne sait rien faire d’autre.

 

Et puis un beau matin, sans trop savoir pourquoi, on s’installe devant son écran et on écrit une première phrase qui sonne comme le chant d’un nouveau départ.

 

La guerre est enfin déclarée.

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Brel ? Un homophobe misogyne dangereux pour la société

 

Brel m’a toujours été un fidèle compagnon de chagrin.

Tant il est vrai qu’on n’écoute rarement Brel quand dans votre vie il ruisselle de soleil.

Il demeure une sorte de consolateur qui lorsque votre âme sourcille et tressaute dans des mers d’infortune vient vous rassurer que vous n’êtes pas le seul à en baver.

Qu’il sera toujours là pour attendrir votre peine.

Qu’il vous devine et vous comprend.

Qu’il ne vous abandonnera jamais.

Qu’il sait tout comme vous que la vie est une belle saloperie qui mérite malgré tout d’être consumée avec une avidité de tous les instants.

Or donc, l’autre jour, pour une raison déja oubliée -météo obtuse ou courrier en retard- je devais être précisément dans cet état-là.

Vaguement Maussade. Tristement triste. Pathétiquement mélancolique.

Pour échapper à cette angoisse qui me grignotait de l’intérieur et me rendait aussi alerte d’esprit qu’une chauve-souris cheminant sous un soleil d’été, je revisionnai le concert de Brel donné à l’Olympia en 1966.

Comme d’habitude je fus bouleversé par l’effarante générosité de cet homme.

Par son incroyable capacité à habiter ses chansons.

Par cette façon unique de se donner tout entier, sans jamais calculer, sans jamais s’économiser.

De se dépouiller sans jamais se départir d’une tendresse et d’une humilité quasi biblique.

Il était là, planté devant son micro, tout de noir vêtu, évoluant dans un simple cercle de lumière, suant de compassion, crachant devant un parterre de bourgeois assurément effarés son dégoût des gens qui économisent leurs vies au lieu de la brûler.

Puis vint le moment des bonbons 67.

Quand Brel, au sommet de son art, revisite sa confiserie datant de 1964 en la mettant au goût du jour.

Où son amoureux transi et couillon s’essayant à conquérir une damoiselle à coups de paquets de bonbons est devenu une sorte de grand dadais encore un peu plus crétin que Brel prend un malin plaisir à efféminer à outrance.

Et d’un coup, en le voyant interpréter ce personnage affrété et quelque peu inverti, sans m’empêcher de rire aux éclats tant il parvenait avec sa gestuelle à caricaturer avec délice son révolté aux idées courtes, je songeais que de nos jours, ça ne passerait plus.

Peut-être étais-je un peu trop intoxiqué par tout le charivari orchestré autour du mariage pour tous mais là soudain il m’est apparu que de toute évidence la chanson choquerait.

Qu’on n’hésiterait pas à crier au blasphème.

A l’homophobie grossière.

A la caricature de mauvais goût.

Et je me demandais si, au final, on ne considérerait pas Brel aujourd’hui comme un chanteur bêtement provocateur.

Si ces textes ne soulèveraient pas l’indignation.

Ne provoqueraient pas la colère des ligues de petite vertu.

Si sa tendre rancœur envers les femmes ne serait pas sévèrement jugée et réprimandée par la ligue des droits de l’homme.

Si ses attaques répétées envers les curés et le clergé ne déclencheraient pas des appels à la censure et au boycott.

Et des rappels à l’ordre venus tout droit du Vatican.

S’il ne serait pas trop entier dans ses agacements pour prétendre parader à la télévision sans que le CSA ne se fende d’un communiqué outré.

Et de me demander si cette hypothétique levée de boucliers constituerait un progrès ou une reculade.

Si effectivement, il ne serait pas rassurant que de nos jours on ne puisse plus se moquer, même gentiment, de gens qui se sentent menacés dans leur identité.

Qu’on prenne la peine de les protéger de la bêtise crasse venue de gens qui aiment tant se moquer de ceux qui empruntent des chemins de traverse pour tenter d’exister au grand jour.

Ou bien alors faudrait-il le déplorer en se disant que de se réfréner ainsi constituerait le début du renoncement.

Que cette forme d’auto-censure que désormais nous nous appliquons sans même nous en rendre compte ne serait qu’une manière honteuse d’abdiquer pour ne pas se compromettre.

Pour ne pas être soupçonné d’être une personne malfaisante.

Je me souviens qu’il y a deux ans dans un article paru dans libé et signé de ma plume, je parlais d’un endroit qui m’évoquait un salon où se croiseraient de vieilles lesbiennes anglaises.

Je m’étais aperçu le lendemain en lisant le journal que mon papier avait été revisité et que désormais mes anglaises n’étaient plus lesbiennes mais simplement frigides.

Et je crois me souvenir de ne pas m’en être offusqué outre-mesure.

 

A posteriori, c’est peut-être inquiétant, non ?

 

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Manifeste pour un nouveau mouvement : les Memen

Femen par-ci, Femen par-là.

Il est temps de réagir.

Je ronge mon frein depuis trop longtemps.

L’heure de la révolte a sonné.

Je contre-attaque.

Et bille en tête, j’annonce sur le champ la création d’un nouveau mouvement : les Memen.

Mouvement visant à rétablir et à promouvoir à travers toute la planète les droits inaltérables du mâle. Rasseoir son autorité défaillante. Veiller à ce que le mâle demeure, envers et contre tout, la pierre angulaire de la société occidentale.

Empêcher par tous les moyens que les femmes envahissent les prés carrés de la masculinité en péril : le foot, la consommation de bières, la conduite automobile, la présentation du journal télévisé, la présidence de la république, la fréquentation de sites pornos, le poker, les paris sportifs, le canapé, la tonte de la pelouse…

Autant d’activités que les femmes ne cessent de vouloir nous ravir et s’approprier.

Il suffit.

Trop longtemps, au nom du honteux et fourvoyé principe d’égalité, nous leur avons laissé le champ libre.

Nous avons perdu nos bastions.

Nous avons cédé sans même combattre.

Nous nous sommes résignés à voir notre autorité remise en cause sans jamais nous rebeller, sans jamais élever la voix et dire notre désarroi d’être relégués au fond de la classe d’où, impuissants, nous avons constaté que les femmes piétinaient sans vergogne nos acquis et nos droits.

Nos droits immémoriaux à être ceux qui décident, ceux qui tranchent, ceux qui agissent.

En silence, nous avons pris la direction de la cuisine dont nous nous sommes obligés à apprendre les rudiments.

Sans broncher nous nous sommes initiés au lavage de la vaisselle.

Puis, immanquablement, ce fut le tour de l’apprentissage du passage de balai. Et de la serpillère. Du bissel. De l’aspirateur.

A force, nous sommes devenus des mollusques tout juste bons à aller chercher les moutards à l’école, les torcher, visiter les allées du supermarché, jouer du fer à repasser, accompagner madame dans ses tournées de shopping, sacrifier nos parties de poker nocturnes contre des soirées passées à voir des ballets ou des spectacles de danse contemporaine.

Il est temps de reprendre le pouvoir.

Faute de quoi, nous disparaîtrons à tout jamais.

Bientôt, nous ne serons plus bons qu’à être utilisés comme de simples outils de reproduction avant d’être remisés au fond du placard, enfermés à double tour, condamnés au silence.

Réveillez-vous, camarades.

Nous sommes sous la menace d’un danger mortel.

Envahissons les stades, et dès qu’une femme ose s’approcher de ces enceintes sacrées, sortons haut nos couilles triomphantes et velues pour signifier que cette fois nous ne nous laisserons pas faire.

Les stades seront notre premier combat.

Le début de notre reconquête..

L’étape fondatrice de notre révolte salvatrice.

Le football nous appartient de toute éternité.

Il n’y a rien à négocier, rien à transiger, rien à discuter.

Rendons les tribunes vierges de toute gonzesse qui par essence n’entend rien aux règles du roi des sports.

Après, nous envahirons à notre tour les églises et les synagogues et, tout en portant haut l’étendard de nos testicules conquérants, nous rappellerons que Dieu, dans sa grande sagesse, nous a d’abord créés.

Que ce furent les femmes qui cédèrent aux avances du serpent.

Avec les conséquences que l’on sait.

La parité, ce simulacre de démocratie, sera notre nouvel ennemi.

Nous regagnerons les rangs de l’assemblée nationale. Ceux des conseils généraux. Des mairies. Des foires agricoles.

Les femmes ne sont pas faites pour commander ou pour légiférer.

Ou alors seulement pour négocier le prix de leurs fanfreluches et autres taffetas que nous les obligerons à porter.

Nous brûlerons leurs jeans. Leurs baskets. Leurs sweats.

Tous ces apparats de la masculinité qu’elles se sont approprié sans nous demander notre avis.

Camarade Memen, je compte sur toi.

Rejoins-moi dans mon combat.

 

Il en va de ta survie.

 

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Nous sommes tous des vieux cons

Je le reconnais bien volontiers, je suis un vieux con.

J’ai des goûts de vieux con, des opinions de vieux con, des envies de vieux con.

Des idées de vieux con.

Et comme tout vieux con qui se respecte je pense que les jeunes cons d’aujourd’hui sont beaucoup plus cons que les jeunes cons que nous avons été.

Rien ne trouve grâce à mes yeux.

Tout était mieux avant. De mon temps. A mon époque.

Le passé est ma religion, le présent ma prison, le futur mon cauchemar.

Je vomis mes contemporains. Et les cadets de mes contemporains.

J’exècre cette nouvelle génération composée de crétins analphabètes, de geek incultes, de jeunes gens totalement illettrés qui se masturbent le cerveau à coups de tweets ineptes, intoxiqués par ces réseaux sociaux qui signent d’une manière éclatante la mort de la pensée.

Je pense très sincèrement que depuis les Smiths, la musique est devenue une activité réservée à des trépanés du cerveau incapables d’enchanter la mélancolie qui est à la base de toute musique, cette affliction du cœur s’attendrissant sur lui-même, cette propension à chérir sa propre douleur pour mieux la cajoler.

La pop a signé son acte de décès en 1987.

Le dernier très très grand roman occidental date de 1947, il s’appelait Au-dessous du volcan.

Depuis, à part quelques fulgurances signées Cormac McCarthy, Roberto Bolano ou Katherine Pancol, elle se traîne de faux chefs-d’œuvres en faux chefs-d’œuvres, empilant des romans qui ne sont que de pâles perroquets répétant à l’infini des récits dénués de toute originalité, de toute envergure, de toute audace narrative.

La chanson française n’existe plus.

Que ce soit la chanson de variété ou la chanson à texte, tout n’est désormais que fadaises, mélodies mièvres, rimes pauvres, refrains abscons.

Les chanteurs d’hier étaient des poètes.

Ceux d’aujourd’hui, des pantins télévisuels élevés dans le culte de l’argent et de l’apparence, incapables de parler au cœur des gens ou d’illuminer notre quotidien par des ritournelles intemporelles.

Les footballeurs d’hier ressemblaient à des artistes, consumés par l’art du beau geste et la recherche de l’absolue perfection.

Aujourd’hui ils ne sont plus que des putains serviles, obsédés par le seul souci de capitaliser au maximum leur carrière, passant d’un club à l’autre comme le proxénète navigue de bordel en bordel.

Tout est devenu médiocre, insipide, sage, si sage.

On ne se révolte plus que pour retarder l’âge de son départ à la retraite.

Au lieu de penser à vivre et au bonheur d’exister, à la joie atroce d’être vivant, les peuples s’encrassent dans des considérations mesquines où ne prédominent plus que des occupations centrées sur leur putain de pouvoir d’achat, cette mère maquerelle qui danse le long des caddies clairs.

Plus de révolte, plus d’élan vers le rêve, plus de rêves d’ailleurs.

L’occident ne sait plus se réinventer et compte les jours qui le séparent de sa mort programmée.

Les gens se traînent, insatisfaits, amers, recroquevillés sur eux-mêmes, apeurés, tristes, malheureux de ne pas posséder des biens qui une fois acquis les rendront encore plus solitaires, encore plus divorcés d’eux-mêmes, encore plus avachis dans les fosses communes d’une fausse modernité incapable d’enluminer leurs misérables vies.

Ils n’attendent plus rien de rien.

 

Brad Pitt n’est pas Brando. Jean Dujardin n’est pas Belmondo. Emmanuelle Béart n’est pas Gina Rowlands. Ibrahimovic n’est pas Van Basten. Messi n’est pas Maradona. Zidane n’est pas Platini. Cabrel n’est pas Brel. Federer n’est pas Mac Enroe. Tarantino n’est pas…

Et toi, vieux con et fier de l’être, qui aligne dans ce billet désenchanté poncifs sur poncifs, clichés sur clichés, vignettes sur vignettes, ne vois-tu donc pas que tu n’es qu’une caricature de pauvre pitre dont les gémissements existentiels n’intéressent absolument personne si ce n’est l’ombre de ton chat qui d’ailleurs lui aussi trouve que les souris d’aujourd’hui n’ont plus le charme et l’allant de celles de sa jeunesse triomphante ?

 

Décidément, il ne faudrait jamais écrire de billet le dimanche en fin d’après-midi.

 

(Le premier qui me sert la chanson de Brassens comme commentaire, je le dénonce à la gestapo. Compris ?)

 

 

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Le jour où j’ai acheté un vélo d’appartement

 

C’était l’année dernière.

Pour fêter la remise de mon manuscrit et l’à-valoir l’accompagnant, je décidai de me congratuler sous la forme d’un présent qui clôturerait en fanfare cette année des plus fastes où j’avais éclaboussé de mon génie toujours inconnu les vastes champs de la pensée contemporaine.

Guilleret, je m’en allai siroter les arcades d’un centre commercial à même de satisfaire ma soif vorace d’un achat qui viendrait récompenser ce long cortège de mois passés en réclusion forcée, ces jours interminables où, claquemuré dans mon bureau, j’avais donné contenance aux fariboles valdinguant dans mon cerveau.

Evidemment je ne trouvai rien qui répondit à mes attentes.

L’idée d’acheter un téléphone portable capable de prendre ma température tout en me prédisant l’avenir ne me disait rien.

Je n’avais pas besoin d’un nouveau MP8. Ni d’une deuxième paire de chaussures. Et encore moins d’un troisième couscoussier.

Je me serais bien offert la discothèque complète de Dylan, de Brel ou des Smiths, mais les disquaires pointaient désormais au cimetière municipal.

Dépité, je songeai à m’offrir un tensiomètre de dernière génération capable d’enregistrer les moindres secousses de mon cœur palpitant d’angoisse, quand soudain surgit l’idée évidente que je devrais plutôt songer à prendre soin de mon corps délabré.

C’est que la vie d’un penseur éclairé comme moi provoque des ravages sanitaires incommensurables : une alimentation défaillante, une sédentarité acharnée, une consommation illimitée d’excipients en tout genre -antidépresseur, coca zéro, anxiolytiques- qui finissent par déboucher sur des crises hémorroïdaires à répétition elles-mêmes provoquant de douloureux élans arthritiques.

Refusant de m’inscrire dans une quelconque salle de sport où j’aurais passé le plus clair de mon temps à comprendre le fonctionnement de machines à remonter le corps, j’optai en toute sagesse pour l’achat d’un vélo d’appartement, seul engin capable de me réconcilier avec les joies de l’exercice physique.

Je me rabattis sur le moins onéreux et le plus simple d’utilisation.

Une selle, un cadre, un guidon à peine tarabiscoté, un pédalier et une roue avant.

Je l’installai dans mon bureau.

Il était rouge et noir.

La vendeuse adorablement cajoleuse me convainquit de l’absolue nécessité de m’acheter une montre capable de mesurer mon pouls afin d’être certain que je n’allais pas contraindre mon cœur à produire des efforts allant bien au-delà de sa capacité d’approvisionnement.

Mon médecin me donna son feu vert.

A condition de ne pas dépasser un seuil qu’il chiffra à 70 pour cent de ma fréquence cardiaque maximale. Vous devez être capable de parler pendant que vous pédalez, me dit-il.

J’acquiesçai tout en me disant intérieurement que je n’étais pas encore assez timbré pour prétendre à m’entretenir à haute voix tout en cavalant sur un vélo aussi d’appartement fut-il.

Je me procurai également quelques mignonettes d’eau minérale et un bananier géant.

Sans oublier une panoplie de serviettes à éponger.

Par une belle après-midi d’été, je partis en ballade.

Je n’allai pas bien loin.

Déjà parce que le vélo, malgré tous mes efforts, ne daignait pas bouger d’un centimètre de son emplacement initial, ce qui en soi n’avait rien d’étonnant, mais surtout parce qu’au bout de deux minutes trente pendant lesquelles ma montre magique m’indiqua que mon cœur avait tambouriné à 333 pulsions minutes, je sombrai dans un désespoir sans fond.

Je ne comprenais pas ce que je foutais là, arc-bouté sur ce vélo manchot, affairé à mouliner sur un pédalier récalcitrant, enregardant d’un air hagard une roue en acier tournant sur elle-même en une lente et poussive procession, le tout dans l’espace confiné d’une pièce où d’habitude je galopais sur les vastes prairies de mon inspiration enchantée.

Je pensais espérance de vie, je pensais victoire sur le cancer, je pensais ma prostate vivra, je pensais je suis éternel, je pensais un esprit sain dans un corps sain, je pensais exploits répétés dans le lit, je pensais je vais manger sainement, je pensais salade, haricots verts, viandes blanches, mais surtout je pensais je vais abdiquer, je vais arrêter sur-le-champ ce simulacre d’autoglorification de mon corps et attendre, au bord de mon bureau, le passage de la voiture balai.

En fait je pensais trop.

Je découvris ce jour-là que la pensée est l’ennemi du sportif en chambre.

C’était là le grand secret.

Pour se maintenir en forme, il ne faut jamais se penser en train de se maintenir en forme.

C’est ainsi que quatre fois par semaine je me retrouve à crapahuter sur mon vélo immobile.

Pour me tenir compagnie, je peux compter sur le fidèle soutien d’Yves Calvi qui désormais pédale à mes côtés.

Enfin plus exactement sur l’écran de mon ordinateur où je visionne captivé les rediffusions de C’est dans l’air.

Je n’ai toujours pas compris le pourquoi du comment de la question de la dette ou le but de l’intervention au Mali mais c’est sans importance.

 

Je crois que je suis en train de devenir immortel.

 

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N’allez pas voir Gatsby, lisez-le

 

A la fin Gatsby meurt. Dans sa piscine. Tué par le garagiste. Et personne ne viendra à son enterrement. Comme personne n’est venu le jour des funérailles de Fitzgerald.

Absolument personne hormis Dorothy Parker.

Fitzgerald est mort seul. Seul comme un chien. Inconnu ou pire méprisé.

Oublié.

Il est mort de tristesse.

Rongé par une mélancolie noire que l’alcool ne parvenait même plus à soulager.

Heurté de voir que plus personne ne s’intéressait à lui. Qu’il était passé de mode. Et ne trouvant pas en lui assez de ressources pour continuer le combat de vivre.

Il voulait être aimé. Admiré. Loué.

Ce fut son seul tort.

Il avait trop besoin du regard des autres pour exister.

Il ne se suffisait pas à lui-même.

Il était trop sensible pour affronter le monde où, éternels paradigmes, dominent toujours les crasses jalousies et les admirations éphémères.

Son cœur palpitait de trop pour se confronter à la rudesse d’un monde jamais assez cruel envers ceux dont l’existence se résume à un combat sans cesse renouvellé avec leurs propres démons.

D’un coup les gens décidèrent de cesser de l’aimer.

Par caprice. Par mode. Par paresse.

Parce que les gens ne pensent jamais par eux-mêmes.

Parce qu’ils ne répondent qu’aux sollicitations que l’époque, en grande prêtresse putassière, se targue d’imposer.

Et qu’ils suivent toujours docilement le mouvement.

Il n’y a rien à attendre du film de Baz Luhrmann.

Parce qu’il sera forcément raté. Parce que Di Caprio ne sera jamais Gatsby. Parce que Gatsby n’existe pas.

Parce que la phrase de Fitzgerald ne dessine que des arabesques de mots si parfaitement composés, suspendus dans une intemporalité si éthérée, gravitant dans le clair-obscur d’une poésie si pudique, si intime, si fragile, qu’aucune caméra ne pourra jamais imiter ou reproduire sa parfaite cadence.

Alors oui bien sûr on trouvera que les scènes des soirées données par Gatsby sont éblouissantes et magistralement restituées.

On imagine déjà les savants mouvements de caméra tournoyant follement dans les jardins éclaboussés de lumières, s’envolant soudainement dans les airs, s’attardant sur les fontaines de champagne, sur les cascades de cotillons, sur les cavalcades de couples s’esclaffant à perdre haleine sur les parterres de danse au son entraînant d’un orchestre rutilant où les cuivres répondent aux trombones, les cymbales aux trompettes, le tout sous le regard complice d’une lune éclatante.

On devine que la restitution de l’époque sera saisissante de vérité.

Et que les acteurs seront tous absolument parfaits.

Mais du roman, du charme indicible de ce livre fantôme où les personnages n’existent qu’à travers la délicatesse inouïe du style de Fitzgerald, de cet attendrissement constant de la phrase qui s’en va murmurer à l’oreille du lecteur envoûté des velours d’adjectifs suaves et d’adverbes sensibles, il ne restera rien.

Pas plus que l’évanescence de ces personnages qui ne se meuvent que dans le hâlo tremble d’un théatre d’ombre fugace dessinant une implacable tragédie humaine où les coeurs sont prisonniers tout autant des sortilèges du passé que de la persistence des conventions sociales.

Ne demeurera que la façade.

Les fondations grossières.

La vulgarité et le toc.

La grossièreté et la lourdeur.

Demain Leonardo Di Caprio montera le tapis rouge sous les vivats de la foule en délire.

Arrivé en haut des marches, il se retournera pour gratifier les photographes d’un sourire enjôleur.

Il aura alors le monde à ses pieds.

Fitzgerald, lui ne sera pas ressuscité.

Il continuera à être ce géant de la littérature américaine, mort dans la solitude la plus absolue.

Ignoré triomphalement par ceux-là mêmes qui se précipiteront pour assister à la projection de Gatsby et applaudir à tout rompre au moment du générique final.

 

Les écrivains ne vivent jamais deux fois. Leurs personnages, eux, sont éternels.

 

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Dylan, Like A Camouflet

Bob Dylan est brisé. Effondré. L’homme chancelle, atteint au plus profond de son âme. Il a perdu le goût de vivre. Il songe désormais à se retirer dans un monastère en attendant la délivrance ultime, cette mort qui seule pourra effacer la trace de cette odieuse infamie.

Depuis qu’il a appris que la Grande Chancellerie de la légion d’honneur opposait un refus catégorique à sa nomination en tant que chevalier de la prestigieuse académie, il éprouve une honte indicible et n’ose même plus regarder ses enfants en face.

Il détricote ses journées à se lamenter en ressassant les possibles raisons de ce discrédit, de cette tache qui désormais le poursuivra bien après sa mort, de ce terrible affront sonnant comme un cinglant désaveu de cette existence qui n’aura été au bout du compte qu’une vaste tartufferie.

Une de ces vies indignes passées à se vautrer dans la débauche et la luxure, le stupre et la paresse.

Dylan vient de comprendre avec l’annonce de ce tonitruant discrédit qu’il a raté sa vie.

On ne se remet jamais d’une pareille mésaventure.

Apprendre au détour de ses soixante-dix ans qu’on ne pourra jamais rejoindre Stone et Charden au panthéon universel des étoiles ayant illuminé leur époque a de quoi assombrir les malheureuses années vous restant à vivre.

Que faire après une telle disgrâce si ce n’est disparaître à tout jamais en espérant une improbable rédemption posthume et se retirer dans la solitude de son désespoir glacé en demandant pardon au Créateur de s’être abimé dans une existence placée sous le signe d’une indicible vanité ?

Il croyait quoi au juste le petit youpin à la voix atrocement éraillée ? Qu’il pouvait prétendre appartenir à la même élite où pavoise une sommité aussi émérite que Marc Lavoine ?

Qu’au seul prétexte d’avoir été l’homme qui a changé à lui seul la face de l’Amérique il pourrait cohabiter avec des esprits aussi éclairés que Bernard Darniche, Mireille Dumas ou Jean-Pierre Foucault ?

Allons donc!

On n’allait quand même pas attribuer ce sacré graal à ce branquignol de chansonnier dont le seul fait de gloire est d’avoir composé une kyrielle d’insignifiantes ritournelles tout justes bonnes à être comparées avec des sonnets de ce falot de T.S Eliot ou de ce farfadet d’Arthur Rimbaud.

Et encore.

Mais comment donc ce péquenot d’amerloque à la carrière si éphémère, qui n’a eu aucune espèce d’influence sur le destin de son pays, a-t-il pu penser un seul instant qu’il pouvait souffrir la comparaison avec Franck Lebœuf, Arlette Chabot ou Fabienne Thibeault ?

Comment peut-on s’aveugler de la sorte ? Comment peut-on arriver à se mentir à soi-même pour s’égarer ainsi dans les limbes de sa propre fatuité ?

Comment pouvait-il s’imaginer, ce gringalet aux lunettes fumées, que ses chansons en tout point inaudibles, au discours convenu et d’une fadeur insondable pouvaient concurrencer les sublimes mélodies aux paroles inoubliables scandées par la voix magistrale de Michel Sardou ?

Ou que son poussif et insignifiant Like A Rolling Stone aux paroles totalement incompréhensibles à la rythmique simplette possédait ce même pouvoir enchanteur, cette même portée lyrique, ce même vertigineux tempo que le sémillant et inoubliable Santiano de Monsieur Hugues Auffray à qui Dylan doit tout ?

Non, monsieur Robert Zimmerman, rien absolument rien dans votre misérable carrière ne vous prédispose à mériter pareil honneur.

Et notre chère ministre de la culture serait bien plus inspirée de proposer Mireille Mathieu en place de votre sinistre personne, elle qui mieux que tout autre a su chanter et incarner le génie français et partant universel.

 

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Il faut se loger pour vivre et pas vivre pour se loger

De toutes les surprises que peut réserver la déportation ou l’expatriation dans un pays étranger, en l’occurrence pour les quelques retardataires venant de débouler ahuris sur les pages de ce blog tarabiscoté, au Canada c’est assurément la question du logement qui remporte de très loin la palme du dépaysement.

Il est vrai que le français qui débarque en cette terre lointaine trimbale quelques paquets de traumatismes liés à son expérience toute parisienne de dénicher un logement décent sans avoir auparavant assassiné ses parents afin de toucher un éventuel héritage.

Il se souvient alors de ces longues files d’attentes serpentant à l’infini dans des cages d’escalier insalubres remplis de pauvres hères comme lui, revenus de tout, portant sur leurs visages les marques d’une lassitude infinie et anticipant, déjà résignés et vaincus, le droit d’aller voir ailleurs si j’y habite.

Il se remémore la brusquerie inquisitrice des propriétaires, leur rapacité, leurs incessantes questions sur le niveau de ses revenus, leurs exigences démesurées, leurs impitoyables désidératas, leurs comportements de petits caporaux capitalistes vous renvoyant à votre statut de brave petit précaire qui ferait mieux de songer à s’installer à la campagne au lieu de prétendre vouloir habiter un studio de 12 mètres carrés au loyer correspondant à la somme de ses émoluments annuels.

Il se rappelle de l’humiliation d’aller demander à un quelconque cousin de se porter garant, l’obligation de se coucher devant les demandes extravagantes du propriétaire, l’exigence de fournir la preuve de sa solvabilité, l’exhibition de ses fiches de paye comme autant de signe de son infamie sociale, de sa situation irrévocable d’attardé social incapable de trouver un gîte à la hauteur de ses attentes.

Autant dire que quand arrive le moment de chercher un logement dans un pays étranger, le futur locataire n’en mène pas large.

Aussi quand après sa première visite dans un appartement aussi vaste que le grand palais, demandant d’une voix chevrotante au propriétaire quelles seraient les conditions pour avoir l’honneur d’habiter ce château en Espagne, ce dernier lui rétorque, débonnaire, ”régler un demi-mois de caution et veiller à payer le loyer le premier de chaque mois “, le couillon de parisien feuillette son Harraps pour s’assurer d’avoir bien compris les nouvelles règles du jeu.

Le Harraps l’assure de sa bonne compréhension.

Alors l’exilé, effaré, hagard, perdu, déboussolé, se doutant d’une mauvaise plaisanterie, part dans un grand soliloque où il s’en va assaillir de questions le maître des lieux qui le dévisage d’un air éberlué, ” vous êtes sûr que c’est tout, vous ne voulez pas voir mon visa, mes feuilles de paye, mon certificat de naissance, mon livret de famille, mon permis de conduire, mes relevés bancaires, ma carte du parti, mes coupons de rationnement, mon arbre généalogique, mes prévisions astrologiques, mon ADN, mon horoscope, mes couilles, mes dents, les lignes de ma main, la peau de mon zob…?”

Mais le bougre de propriétaire s’entête, non il ne veut rien de tout ça.

Evidemment il y a une entourloupe.


C’est que la loi relative au logement locatif dans le nouveau pays d’accueil (le Canada pour le crétin de service qui n’aurait pas lu ou pas compris les propos liminaires de ce billet) se situe très exactement à l’inverse de ce qui pratique en Gaulle.

A savoir que si le brave locataire n’est pas solvable le premier du mois, il reçoit une amicale notice du propriétaire l’enjoignant à régulariser sa situation sous les 15 jours.

Passé ce délai, si le locataire n’a toujours pas obtempéré, il saisira l’organisme de régulation qui convoquera les deux parties afin d’entendre leurs points de vue respectifs.

S’il apparaît que locataire n’a pas de quoi payer son loyer, le tribunal ordonnera son expulsion et veillera à son exécution sous les plus brefs délais.

Bref, sans rentrer dans les subtilités retorses du règlement, si le locataire ne paye pas son dû, il dégage dans le mois. De son propre gré ou par l’intervention d’un tiers.

Si bien que le propriétaire ne prend pas grand risque à vous louer son appartement. Au pire il y perdra une semaine de loyer.

Si bien que le propriétaire, en toute logique, se doute bien que si vous postulez pour son logement c’est que vous avez les moyens de vous le payer.

Si bien que le propriétaire n’a pas la trouille somme toute légitime de vous voir rester ad vita aeternam dans son baraquement sans pouvoir vous déloger en cas de manquement de paiement.

Si bien que trouver un logement s’avère être d’une facilité déconcertante.

Si bien que tout le monde s’y retrouve : le propriétaire peut dormir sur ses deux oreilles et le locataire aussi, partant du principe que si un accident de la vie l’empêche de régler son loyer, il pourra toujours déménager pour un appartement moins onéreux, plus en rapport avec ses moyens.

J’imagine que les économistes doivent appeler cela la flexibilité ou quelque chose d’approchant.

Je sais, cela doit apparaître comme affreusement capitaliste. Limite fascisant. Complètement contraire à la déclaration des droits de l’homme.

Un saut dans la dérégulation la plus échevelée. Une atteinte à la dignité humaine. Le retour du Tiers état.

 

En attendant, à revenu égal, je vis dans un palace de 70 mètres carrés, situé en plein centre-ville, visité le matin, signé dans l’après-midi.

 

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Du bonheur d’être apatride

Ah qu’il est doux d’être sans patrie. De n’appartenir à aucune terre. De ne se réclamer d’aucun héritage national.

D’être totalement libre dans ses agissements, dans ses raisonnements, dans ses emportements sans jamais succomber aux assauts d’un passé par trop encombrant emprisonnant l’esprit dans un corset identitaire qui finit par l’écœurer.

Non pas être un citoyen du monde, idéal naïf et trop bien-pensant d’une humanité versant dans un océan de béatitude niaise, mais juste être citoyen de sa propre république.

Suivre ses propres règles sans jamais contrevenir à celles de votre pays d’accueil.

Etre fidèle à la mémoire de ses aînés qui ne furent que d’autres orphelins de l’Histoire.

Ne se définir que par rapport à son propre système de valeur sans que jamais ne vienne interférer l’image tutélaire d’une patrie qui réclame et exige toujours d’être à ses côtés pour défendre des valeurs qui ne sont pas toujours les vôtres.

S’ériger en propre juge de sa destinée sans jamais être obligé de se demander à tout instant si on n’est pas en train de jouer contre son camp.

Être libre de toute forme d’autorité, de tout carcan idéologique, de toute cette pesanteur formelle que la nation qui vous a fait naître exige de vous en retour de sa fausse prodigalité à vous avoir offert le gîte et le pain.

Etre là sans l’être vraiment, suspendu dans les limbes d’une pensée détachée, déliée, émancipée de tout dogme, de tout référent à un champ lexical propre à la grammaire d’un pays qui s’en va d’un pas martial dicter ses lois autocratiques.

Etre sans histoire mais pas sans mémoire.

N’avoir de compte à rendre à personne si ce n’est à soi-même.

Etre seul au monde et se féliciter de l’être.

Etre voyageur mais sans port d’attache où se réfugier en cas de mauvais temps et continuer pourtant son périple intérieur sans jamais prendre le risque de se retourner en convoitant l’abri de côtes hospitalières.

S’essayer à vivre debout en refusant le confort offert par la nation, cette mère nourricière qui finit par nous étrangler de son amour férocement exclusif.

Avoir des enthousiasmes spontanés pour des villes étrangères, pour des peuplades lointaines, pour des paysages inconnus.

Ne pas reculer devant ses passions qui vagabondent au gré de son humeur changeante.

Et souffrir aussi.

D’être précisément sans racines, sans caveau, sans tombeau.

Seul.

D’une fragilité inouïe.

Savoir que nous ne sommes de nulle part et que ce nulle part nous encercle de ses vastes incertitudes.

Ne pouvoir compter sur personne, ne jamais avoir le loisir de se reposer pour souffler le temps de se recomposer mais d’être toujours en alerte, sur le qui-vive, prompt à être vilipendé par les autres qui n’accepteront jamais totalement votre différence revendiquée.

Etre différent et mourir d’indifférence.

Mais ne jamais s’apitoyer sur son sort par risque de trop s’écœurer de sa propre médiocrité.

 

Et se noyer dans la mer cuivrée de son ineffable légèreté.

 

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