L’abominable Monsieur Millet

A chaque rentrée littéraire, son petit scandale. Sa polémique étriquée qui fait chavirer d’indignation la plume impeccable de bonne conscience des gratte-papiers de la presse nationale, le doigt sur la couture de leurs claviers, prompts à déclamer que la littérature part à vau-l’eau.

Cette année c’est Richard Millet avec sa nauséeuse défense d’Andres Breivik, le sympathique névropathe auteur d’une très réussie omelette norvégienne, à qui l’on doit le charivari saisonnier.

Sitôt le livre annoncé, bruit et fureur ont agité le landernau des lettres nationales.

On s’est offusqué, on a hurlé au loup, on a vomi l’écrivain par ailleurs gros rabatteur de supputés talents chez Gallimard, coupable d’avoir pris la défense de Breivik en qui il voit une magnifique incarnation d’un résistant refusant de voir son Europe millénaire se transformer en une succursale de l’Islam.

Il va sans dire que je n’ai pas lu l’opuscule de Millet pas plus que je n’ai perdu mon précieux temps à m’égarer dans la lecture de l’un de ses précédents ouvrages. Et que les thèses qu’il défend, la chute de l’Europe chrétienne, l’affadissement de la langue, la montée d’un islamisme sanguinaire, m’intéressent et m’interpellent tout autant que le sort des baleines bleues en mer de Chine.

Et que son hommage littéraire à Breivik me glace à priori le sang.

Mais pour autant je n’ai aucun goût pour les autodafés ni pour les exécutions sommaires sur la place publique.

Il n’y a pas de livres tabous.

Les pamphlets antisémites écrits pas d’obscurs négationnistes ne me dérangent pas. Ils m’amuseraient plus par leur extravagance sauvage. Et même s’ils peuvent parfois me choquer ou me heurter voire m’offenser, n’est-ce pas Monsieur Hessel, je ne demanderais pas à la justice leur retrait.

Comme je ne pense pas un seul instant qu’ils puissent contaminer des esprits aussi fragiles soient-ils. Que leur pouvoir de nuisance est nul. Et qu’ils ne séduisent que ceux qui veulent bien se laisser séduire. Et que se répandre en lamentations offusquées à leur sujet ne contribue qu’à attirer l’attention dessus.

Surtout lorsque l’auteur de cette infamie littéraire n’attend que cela. Que l’on se doute que Monsieur Millet doit jouir de se voir ainsi vilipender. Qu’il exulte en voyant que la condamnation de ses idées scandaleuses s’affiche désormais à la une de tous les journaux. Qu’il éjacule de plaisir en lisant tous les petits marquis de la pensée contemporaine réclamer qu’on lui coupe la main.

Ah qu’il eut souffert si son traité eut été reçu dans la plus parfaite indifférence. Si personne n’avait pris la peine de dire combien cet ouvrage empestait. Si nulle part, absolument nulle part, il eut eu droit à une quelconque tribune s’offusquant que cet écrivain aux idées odieuses puisse prétendre siéger au sein d’une maison d’édition aussi vénérable que Gallimard.

La tentation était sûrement trop forte.

Il fait toujours bon de s’indigner. De montrer que l’on se trouve du bon côté de la barrière. Que, fort de son humanisme de bon teint, l’on se ne souscrit en rien à ces discours de haine. Que s’il le faut, on serait prêt à dégoupiller sur le champ une pétition dûment signée par toutes les belles âmes de la capitale pour réclamer au ministre de la culture d’agir dans les plus brefs délais afin que notre littérature cesse d’être souillée par ces esprits malveillants.

Richard Millet, avec sa tronche de Marlon Brando revisité par le fantôme de Louis Acariés, macère livre après livre son amertume de ne pas être un grand écrivain.

Il n’est pas de plus grande souffrance pour un être versé dans la grande littérature et se rêvant un destin d’immortel que de réaliser que ses livres ne sont que d’aimables postillons que le temps effacera des bibliothèques.

Qu’on le laisse à cette terrifiante solitude.

Ce serait là la plus belle des réponses.

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Neil Armstrong, le criminel de l’espace

Non ce ne fut pas un petit pas pour l’homme et un grand pour l’humanité. Tout le contraire. Ce fut l’ultime croche-patte que l’homme, dans toute sa crasseuse vanité, s’infligea pour s’automutiler sur le dôme du progrès.

Non seulement l’exploration de la lune ne nous rapporta rien, absolument rien, si ce n’est de lustrer de gloire les étoiles pâlissantes du drapeau américain, mais elle assassina l’une des plus belles et des plus évocatrices rêveries que l’homme n’ait jamais eue.

Pendant des siècles, la lune fut cet astre merveilleux, énigmatique, fascinant que l’homme aimait à contempler quand le chagrin se faisait trop lourd. Quand la pesanteur de vivre nous engourdissait de trop. Quand la réalité prenait les traits cauchemardesques d’une existence moisie que rien ne venait éclairer dans sa torpeur d’un quotidien effarant d’ennui.

Alors, par la lucarne de sa fenêtre, il pouvait se perdre à loisir dans la contemplation émerveillée de cette féerie ensorcelée et sans cesse changeante que dessinait cet astre rêveur, cette lune suspendue dans l’immensité du ciel étoilé se penchant avec sollicitude sur nos peines de cœur et sur nos amours défunts.

La lune confidente de nos pensées les plus secrètes.

La lune amicale comme une grande sœur attentionnée.

La lune tendre comme une amante délicate.

Sitôt que Neil Armstrong a posé ses godillots sur le ciel lunaire, il a souillé à jamais ce rêve d’un astre dont le mystère avait constitué tout au long de l’histoire de l’homme la source de tant de rêveries et de tant de fantasmagories.

Il ne fallait pas dépuceler la Lune.

Aujourd’hui quand on la contemple, maintenant qu’on sait à quoi elle ressemble, vaste et terne champ de cailloux gris, elle ne nous inspire plus rien. Tout juste si on prend le temps de la contempler. A quoi bon ? Elle reste là plantée dans la voûte du ciel comme un astre ahuri et encombrant.  Tout juste si elle ne gêne pas.

Elle est devenue cette femme fantasmée  à qui pendant des siècles on a écrit des lettres tremblantes d’amour et dont on découvre, une fois que son vrai visage nous a été révélé, qu’elle ne ressemble en rien à l’image qui peuplait notre imaginaire.

D’un coup, elle a perdu tout de sa magie et de son pouvoir d’évocation ou de séduction. Elle ne nous enchante plus.  Ne nous emeut plus.

Elle reste là, hagarde et déboussolée, perchée au-dessus de nos têtes, se cherchant une raison d’être, ne la trouvant pas.

Elle ne sert plus à rien.

Mon père était un chercheur d’or, l’ennui c’est qu’il en a trouvé chantait Brel.

Et Dylan, comme toujours, mieux que personne, dans sa chanson Licence to Kill, a dit notre désenchantement et notre désarroi :

Man thinks ’cause he rules the earth/ He can do with it as he please / And if things don’t change soon he will/ Oh, man has invented his doom / First step was touching the moon.

Armstrong a peut-être décroché la lune.

Il a surtout assassiné la part d’enfance qui sommeillait en nous.

A trop vouloir repousser les frontières, l’homme atteint à sa finitude. Bientôt il ne lui restera plus que la nostalgie pour rêver.

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Défense d’Armstrong

Ah qu’ils sont donc contents les cassandre d’opérette, les journalistes aigris et la populace revancharde. Des années qu’ils attendaient cela. Qu’ils guettaient sa chute. Qu’ils rêvaient à
sa mise en bière. Qu’ils nous prédisaient qu’un jour le masque tomberait. Qu’éclaterait l’assourdissante vérité. Que la supercherie serait enfin découverte.

C’est qu’ils en avaient trop souffert. De cette insupportable succession de succès acquis par ce coureur revenu de l’enfer d’un cancer des testicules pour s’en aller conquérir des
maillots jaunes et les défier de sa superbe arrogance sur leurs Champs Élysées.

De cet horrible et horripilant américain, débarqué de son Texas natal, où les seules montagnes à gravir doivent être des derricks de champs pétrolifères, un américain plein de morgue outrancière qui osait venir parader sur les routes de nos villes et de nos cantons, de nos champs et de nos cols.

Lance Armstrong n’était pas sympathique. Hinault non plus. C’était un carnassier froid et calculateur que la fréquentation de la mort avait transformé en un être qui connaissait trop la valeur du temps, savait trop l’éphémère du temps qui passe et ne revient jamais, pour se perdre en bavardages ou répondre, le sourire au dent, à des sollicitations hypocrites.

Il ne venait pas sur le Tour de France pour se faire aimer ou aduler. Il n’avait pas besoin de cela pour se sentir exister. Il avait flirté de trop près avec le mot fin pour s’embarrasser
d’une popularité de fête foraine qui ne s’entiche que des médiocres et dénigre les meilleurs.

Il était le meilleur.

Et il le savait.

Et les autres le savaient.

Tous les autres. Ses coéquipiers autant que ses adversaires. Les journalistes comme les suiveurs. Les directeurs de course comme les pilotes d’hélicoptères. Les égarés sur le bord de la route comme les effarés sur la ligne d’arrivée.

Et comme il se savait supérieur, il n’avait pas besoin de fricoter avec eux pour gagner leurs suffrages. Cela ne l’intéressait pas.

Le grand champion se suffit toujours à lui-même.

Il n’avait pas besoin de la lumière des autres pour se sublimer. Il courait pour lui. Pour prouver à la mort que non seulement il lui avait échappé mais qu’il avait pris de l’avance sur elle. Et qu’elle ne le rattraperait pas de sitôt.

Il était un champion métaphysique.

Qui se dopait.

Comme se dopent, se sont dopés, se doperont tous les coureurs qui se présentent un jour sur la ligne de départ de ces compétitions qui exigent d’eux des efforts que le corps humain ne peut tout simplement pas fournir.

Il n’est pas question de triche ici.

Le Tour de France avec ses trois semaines de course folle disputée sous des chaleurs souvent caniculaires, avec ses étapes qui n’en finissent pas de finir, avec ses étapes qui culminent à des altitudes où mêmes les ours ont du mal à respirer, avec ses étapes disputées à des vitesses affolant les compteurs afin de satisfaire les diffuseurs, exigent des coureurs qu’ils aient recours à des substances interdites.

Tout le monde le sait.

A ce jeu-là, Armstrong s’est montré une nouvelle fois le plus habile. Le plus intelligent. Le plus adroit.

Il n’était pas le meilleur parce qu’il était dopé.

Il était le meilleur parce qu’il avait eu la “chance” de bavarder avec la mort. Et que cette conversation lui avait appris une chose, une seule : que pour triompher dans le cheminement de sa vie, il ne faut compter que sur soi-même, ne jamais pactiser avec les faux-semblants, et tracer sa route sans jamais se retourner.

Armstrong ne s’est jamais retourné.

Et c’est pour cela qu’aujourd’hui caquètent de joie les jaloux et les envieux, les médiocres et les aigris.

Ils l’ont enfin rattrapé.

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Je suis géphyrophobe, pas vous ?

L’été tirant enfin à sa fin, les crèmes à bronzer ne servant plus qu’à lustrer le parquet de ses souvenirs de vacances, voici venu le temps des aveux et des confidences restés jusqu’alors confinés dans le placard de la mémoire confisquée.

Voilà, il m’est pénible de le revéler mais je suis ce qu’on appelle un géphyrophobe. Ce qui ne signifie en rien que je collectionne les gyrophares en pagaille ou que j’éprouve une passion irraisonnée pour les Zéphyrs. Non, tout simplement, j’ai peur des ponts. Des petits comme des grands. De ceux qui s’élancent haut dans le ciel comme de ceux qui rasent les fleuves ou les rivières.

Une peur panique. Tellurique. Atroce. De cette peur qui vous glace le sang et les os. Qui déferle en vagues successives et vient se fracasser contre les rives de votre conscience terrorisée. Vous empêche de raisonner. Vous cloue au pilori. Vous donne des regrets d’être né.

Étrangement, je n’ai pas peur en avion. Je prends les ascenseurs sans trembler. Les tunnels aussi. Je ne suis pas agoraphobe ou alors modérement,  alors que je devrais l’être. Je n’éprouve qu’une tendre indifférence pour les araignées. Non en réfléchissant bien, ma phobie des ponts est la seule dont je puisse me vanter. La seule qui m’empêche de vivre normalement. Qui peut m’amener à effectuer un détour de 50 kilomètres pour éviter de passer dessus.

Le pire c’est que cette peur je l’analyse parfaitement.

Elle est triple.

Indubitablement, je souffre de vertige. Il m’est par exemple impossible de franchir un pont suspendu. Certes tous les ponts sont par nature supendus mais j’entends par là ces ponts à l’armature si légère qu’ils semblent ne tenir qu’à un fil. De ceux qui voltigent à des altitudes insensées. De ceux qui cotoyent les cieux et bavardent avec les nuages. Ceux-là me sont à
jamais interdits. A la rigueur je peux les emprunter la nuit venue quand le ciel se confond avec la terre. Quand le noir recouvre la distance qui sépare le pont de l’étendue d’eau serpentant en dessous de lui. De jour, c’est au-dessus de mes forces.

A cette peur du vide s’ajoute la peur de l’enfermement. Le fait qu’une fois engagé sur la bretelle d’un pont, il n’existe plus aucun moyen de s’en échapper. Vous vous retrouvez là, coincé au-dessus-de l’eau, pris au piège, sans pouvoir effectuer un demi-tour salvateur ou emprunter une sortie de secours. Une fois que vous êtes sur un pont, vous n’avez aucun moyen de faire machine arrière. Il n’y a pas même pas une minuscule aire de repos où s’arrêter au cas où. Juste au cas où. Et cette absence de pouvoir s’accorder une halte, cette impossibilité à se soustraire à cette atmosphère menaçante me terrifie.

Inutile de dire qu’un pont qui s’allonge au-dela de 300 mètres me met au supplice. Il ne semble jamais finir. Il s’étend devant vous à perte de vue. Il n’a pas de fin. Vous avez quitté la terre ferme et vous vous retrouvez littéralement suspendu dans les airs. Pour l’éternité.

Mais le pire c’est cette idée folle que j’éprouve quand je me dois de franchir un pont. Cette idée folle, sotte, insensée mais pourtant bien réelle que, contre ma volonté, je pourrais être amené à sauter dans le vide. Que sur une impulsion par nature incontrôlable, je serais amené à me précipiter hors de ma voiture pour franchir la rambarde de sécurité. Ce que les psychiatres appellent une bouffée d’angoisse. Je sais pertinemment que c’est une bouffée d’angoisse. Que cela n’arrivera jamais. Que je ne suis pas suicidaire.

Et pourtant.

Et pourtant rien qu’à l’idée que je vais être obligé de passer sur un pont, j’ai des sueurs froides. J’ai beau me raisonner. Me dire que je délire. Que tout ceci est ridicule. Que ce n’est qu’un pont, un simple pont. Ces paroles teintées de bon sens ne peuvent rien contre la panique qui me saisit. Je suis impuissant, réduit à avaler des kilomètres de tranquillisants pour contenir ces accès de panique.

Prévoyant un court voyage en Californie dans une semaine, j’ai commencé à répertorier les ponts que je serais amené à franchir. J’en tremble d’avance.

Fort heureusement l’Amérique est une contrée formidable. C’est ainsi qu’en fouraillant sur le net j’ai appris qu’il existait un service spécial de la police de la route qui pouvait se charger à votre place de traverser le pont. Il suffit de les appeler, un brave secouriste vient alors prendre votre volant et vous conduit, en toute sécurité, de l’autre côté du pont.

C’est à ce degré d’humanité qu’on reconnaît un grand pays!

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Vive le racisme libre !

On a eu chaud. Un peu plus et la banque du Canada lançait sur le marché des billets de cents dollars avec peinturluré dessus le visage d’une asiatique penchée sur son microscope. A la dernière minute la vénérable institution bancaire a fait marche arrière prétextant que les enquêtes d’opinion révélaient que la plupart des canadiens sondés s’offusquaient de cette forme de racisme latent consistant à associer l’image du monde scientifique avec des gens originaires d’Asie. Trop réducteur. Trop stigmatisant.

Comme si les Asiatiques ne pouvaient pas aussi prétendre à exceller dans d’autres domaines comme ceux des arts ou de la chasse au caribou. S’offusquant que ce serait privilégier une ethnie sur une autre.

Fabuleux cache sexe ! La vérité est toute autre : il eut été pénible pour un certain nombre de canadiens même s’ils s’en défendront en jurant que leur esprit de tolérance n’est plus à démontrer, de devoir régler l’achat de leur moto-neige à coups de billets de 100 dollars respirant des parfums de Chine.

Evidemment pareille mésaventure n’arriverait jamais en France. Il ne viendra à l’idée de personne, au sein du conseil d’administration de la banque de France, de proposer que les nouvelles pièces de 1 euro soient à l’effigie d’un quelconque Noir. Pas plus de suggérer qu’un Arabe de souche puisse prétendre à plastronner sur le versant d’une pièce de 2 euros.

On n’ose imaginer l’effroi qui s’emparerait de la nation si une telle décision était votée : les évanouissements à répétition survenant au moment de payer sa baguette, les urgences saturées par l’afflux de patients atteints d’infarctus à l’instant  de régler sa blanquette de veau, la ruée vers les banques pour réclamer des pièces non salies par des représentations nègres ou maghrébines, la panique d’une population étranglée d’indignation d’être représentée par des gens à l’origine plus que douteuse.

Pourtant quel bel symbole ce serait ! Avoir le portrait d’Aimé Césaire sur nos petites pièces de monnaies. Ou de Marius Trésor. Un beau visage resplendissant de négritude assumée. Quel formidable appel d’air cela représenterait !

Evidemment pour les Arabes le choix serait plus difficile : notre glorieuse république pratiquant depuis toujours un racisme institutionnel parfaitement orchestré empêchant
toute personne d’origine maghrébine d’accéder à des postes à responsabilités, il serait plus ardu de trouver une égérie arabisante à plaquer sur le cuivre de notre monnaie.

Quant aux juifs, n’en parlons même pas. Déjà qu’ils œuvrent en sous-main en colonisant nos établissements financiers, en jouant sur les leviers de l’économie afin de favoriser l’entregent sémite, on ne saurait admettre de voir l’un d’eux s’afficher dans l’ovale d’une pièce de 5 centimes d’euro.

De toutes les façons leur nez disgracieux ne rentrerait pas dans le cercle argenté…

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Le point Sagawind

” Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1″, proclame la fameuse loi Godwin.

C’est devenu une habitude. Dès lors que dans un papier, les miens par exemple, on dérape en osant rappeler le bon vieux temps du nazisme, on se fait immanquablement  rattraper par un internaute de passage qui sort son carton rouge sous la forme d’une perfide remarque signalant à l’auteur de l’article qu’il s’est encore pris la plume dans le pot de colle de Godwin.

Ce qui ne manque pas de m’étonner.

A dire vrai, c’est le contraire qui serait surprenant.

Il faudrait plutôt se demander comment dans une discussion on peut à un moment ou un autre ne pas se référencer au nazisme.

Dès lors que l’on s’entend que le nazisme, avec ses corollaires funèbres que furent la Shoah, les chambres à gaz, les fours crématoires, est depuis la naissance du Christ l’évènement le plus marquant survenu dans l’histoire de l’humanité, il apparaît somme toute logique que toute conversation finisse par l’évoquer.

Oui je sais camarade, nul besoin de te fatiguer en laissant un commentaire offusqué signalant que si la Shoah fut certes un bien triste évènement ô combien regrettable, il ne fut pas le seul. Et d’égrener la kyrielle d’évènements douloureux qui ont essaimé le fleuve putride de l’Histoire : le génocide des Indiens d’Amériques, l’esclavage, la guerre d’Algérie, les guerres de religion, la déforestation, etc., etc…

Oui je sais camarade d’infortune tu es fatigué d’entendre parler de la Shoah encore et toujours. Tu aimerais qu’on passe l’éponge. Le passé est passé. Il ne fut pas glorieux mais on ne va pas s’éterniser dessus pendant des siècles. Il faut aller de l’avant. Chaque peuple a connu ses déconvenues. Ce n’est pas parce que les juifs ont été visés qu’il faut nous enquiquiner avec ça à tort et à travers. C’est bon. Et puis ce qui se passe en Israël ce n’est pas joli joli non plus hein ?

Et pourtant.

Il faudrait avoir de la chiure de pigeon dans les yeux pour ignorer que la Shoah ne fut pas non seulement la pire des abominations possibles mais qu’elle marque une césure définitive dans l’histoire de l’homme, qu’elle enterre à jamais les idéaux du siècle des Lumières, cette fantasmagorie de l’idée de progrès contribuant à l’émancipation de l’homme.

Le fait que ce furent les juifs ou les tziganes ou les homosexuels qui eurent à en souffrir n’a rien à voir dans cette considération. Ou alors dans la stricte mesure où pour la première et seule fois dans l’histoire de l’humanité, on a voulu exterminer tout un peuple, non pas pour des visées économiques ou financières – conquêtes de territoires, d’argent, de ressources naturelles, de main d’oeuvre – mais juste parce que ce peuple était.

L’extermination des juifs n’a rien rapporté aux nazis.

Ce fut juste un meurtre de masse métaphysique.

L’homme n’a pas trébuché à Auschwitz. Il y a creusé sa propre tombe.

Le point Godwin n’est que la conséquence de cet enterrement de première classe.

L’onde de choc du nazisme est tellement puissante, elle dégage une telle force tellurique que nous ne pouvons pas y échapper.

C’est ainsi que j’énonce ici une nouvelle loi, le point Sagawind qui peut se résumer ainsi : “Toute discussion qui à un moment ou un autre ne fait pas référence au nazisme n’a pas lieu d’être”.

 

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Mais bouffez-les ces surfeurs !

D’emblée le combat est inégal. Entre des surfeurs dont l’univers mental se résume à l’apparition d’une nouvelle vague et le requin, monstre d’intelligence et de ruse, le destin choisira toujours ce dernier pour faire triompher les forces de l’esprit sur la vanité des riverains des mers.

N’empêche ces derniers, remontés comme des coucous à l’heure du changement d’heure, sont bien décidés à ramener les requins dans le droit chemin. Pour des raisons qui leur sont propres, ils refusent obstinément de servir d’apéritif à ces infâmes carnassiers des océans, fantasme de toutes nos peurs marines, qui, quand l’ennui les gagne, s’amourachent des maigrelettes gambettes des surfeurs en goguette dont ils emportent le souvenir au large en traçant des sillons de sang qui épouvantent les plaisanciers pendant des décennies encore.

Pourtant, la vie de requin n’est pas des plus reposantes.

Alors qu’ils paressent tranquillement dans des eaux endormies en contant fleurette à des baleines impavides en se remémorant le bon vieux temps où l’homme n’était encore qu’un vague projet à l’étude, ils sont constamment dérangés dans leur sieste dominicale par le clapotement incessant de planches à repasser qui colonisent les rivages de mers ensoleillées.

Il faut s’imaginer le vacarme de ces planches se fracassant sur la surface de l’eau et dont le bruit assourdissant, effrayant, redondant, se répercute, en s’amplifiant, dans les profondeurs nautiques. A force, le requin qui lui n’a jamais emmerdé personne devient fou et finit par péter un aileron.

Exactement à l’image du propriétaire de l’appartement 3C lorsque son voisin du dessus ramène une bibliothèque à monter de chez Ikea et entreprend de la construire en milieu d’après-midi. Et sur laquelle il continue à tambouriner longtemps après que le soleil se soit couché, bientôt imité par tout l’immeuble qui, en signe de solidarité avec ce voisin aux abois, entonne l’internationale à coups de marteaux invasifs et de scies sauteuses.

La fin ne peut-être que tragique. C’est soit le suicide au valium soit la sortie par le haut sous la forme d’un coup de sonnette au voisin suivi d’un lancer sans préavis de la marmite en fonte de belle-maman direct dans la poire de l’inconnu de l’appartement 4D.

Qu’on se le dise. Les sympathiques surfeurs qui à longueur d’année cultivent leurs bronzages sur leurs tapis volants en enchaînant des sauts de cabri surpris à l’heure de la tonte sont les seuls responsables des malheurs qui leur arrivent.

C’est un fait : le surfeur a les idées courtes.

Au lieu de se contenter d’admirer et de respecter ces vieux et nobles océans en restant bien tranquillement affalé sur les plages ensablées à mater le bikini de la femme de son meilleur ami, le surfeur, insatisfait de naissance, las de relire les derniers potins du magazine people piqué à la cousine de sa femme, ne s’en laisse pas conter et se décide à jouer l’équilibriste sur les crêtes des vagues indomptées.

Le tout dans une posture des plus ridicules où l’arrière-train pointé vers la ligne de flottaison, le torse à  l’horizontale, les bras suspendus, il se prend à rêver à courir sur l’eau avant de voler en éclats et de valdinguer dans l’immensité du ciel azuré.

Le requin lui n’a pas ce genre de distraction. Les agences de voyages pour requins fatigués qui proposent des destinations exotiques afin de se décontracter les mâchoires sont encore rares. Pour survivre, les requins sont obligés de nager, nager encore, nager toujours, sans jamais s’accorder une pause, pour finir par tomber sur un phoque égaré en haute mer qu’il dégustera en l’assaisonnant d’un saumâtre jus de crevettes aux calamars farcis.

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Les surfeurs qui transforment l’océan en cimetière marin n’ont que ce qu’ils méritent. Ce sont des suicidaires récidivistes. Des pleurnichards pleutres. Des perturbateurs aquatiques.  Je ne pleurerais pas leurs morts prochaines. Ce serait comme de s’attendrir sur le sort d’un chat qui s’amuserait à venir gratter le cul d’un ours en pleine cueillette de myrtilles sauvages.

Ou sur celui d’une gazelle qui s’amuserait à venir brouter les testicules d’un lion affairé à recoiffer sa crinière.

Dans ces cas-là, l’affaire ne peut que mal se passer.

Il faut laisser le requin à son antique solitude.

 

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Mais pourquoi je déteste tant la France aux Jeux Olympiques ?

Décidément j’ai un réel problème avec les Jeux Olympiques. A ranger dans la catégorie ” grande question existentielle encore irrésolue “. Tout juste à côté de la mort de Dieu et de la chute de l’homme après Auschwitz. Un problème si aigu qu’il m’amène à m’interroger sur le fondement même de mon identité.

Je suis encore sous le choc.

Hier alors que d’un oeil distrait je regardais ce gringalet de Renaud Lavillenie s’élancer pour son dernier essai, lors du concours au saut à la perche, je me suis surpris à espérer du plus profond de mon âme qu’il se rate lamentablement. J’ai même peut-être prié. Je voulais vraiment qu’il échoue. C’était plus fort que moi. Pourtant je savais pertinemment que s’il venait à se manquer, cela signifierait que la médaille d’or reviendrait à un Allemand. A un Allemand !!!! Je supportais donc un Allemand. Oui, moi, tout Sagalovitsch que j’étais, je souhaitais avec une ardeur fervente la victoire d’un possible ou probable petit-fils de kapo SS.

Voilà des révélations qui, au détour d’une anodine retransmission télévision, vous changent radicalement un homme.

Mais d’où, d’où me vient donc cette haine farouche pour tout ce qui s’apparente à la France ? Parce que cet exemple du perchiste français, je pourrais le multiplier à l’infini. Sitôt qu’un athlète franchouillard ou qu’une équipe cocardière se présentait sur un parquet ou dans un bassin durant ces jeux, je voulais les voir faillir et repartir la mine basse, la queue entre les jambes.

Je jouissais de leurs échecs.

Leurs triomphes me navraient.

Je crois que je redoutais de les voir plastronner des semaines durant à la une des journaux où à longueur de pages, quelques greffiers de journalistes nous raconteraient l’exploit historique de nos compétiteurs en remontant jusqu’à leur petite enfance. Je déteste cela. Cette façon de s’auto-glorifier de son génie national à travers les faits et gestes d’un quelconque sportif. Cela m’exaspère. Me navre. M’horripile.

Le sport ne devrait pas avoir de frontières et tous les sportifs devraient être apatrides.

Mais ce n’est pas tout.

Je ne comprends pas le nationalisme ou le chauvinisme. Je l’exècre. Le vomis.  Peut-être par envie. Ou par jalousie. Né d’un père né à Bruxelles, d’une mère enfantée à Sousse, ayant eu un grand-père originaire de Minsk, une grand-mère de Bucarest, une autre de Tunis, je conçois qu’il me soit difficile de me revendiquer d’une quelconque patrie.

Vivant loin de ma terre natale où au final je n’aurais fait que passer, je ne ressens aucune affinité élective particulière avec la France. Je suis né en France. C’est tout.

Mais cette détestation ?

Mais cette animosité ressentie durant tout ces jeux envers les représentants de la fille ainée de l’église, d’où me vient- elle ? Où puise-t-elle ses racines ? Cette rage négative qui me gagne à chaque fois que je vois un drapeau tricolore, à quoi ou à qui dois-je l’attribuer ?

Je ne sais.

Ou alors serait-il vraiment possible que je voie à chacune de l’apparition d’un de ces athlètes une réincarnation de l’esprit de Vichy ? Qu’à mes yeux ahuris ils sont tous des petits-fils de ces braves gendarmes qui sont venus recueillir ces malheureux juifs le 16 juillet 1942 pour les parquer sans sourciller au Vel d’Hiv ?

Se peut-il que je sois aussi obtus que cela ?

Pourtant je suis récupérable.

L’autre jour, n’ai-je pas pesté comme un beau diable quand l’équipe canadienne féminine de soccer s’est faite crucifiée à la dernière minute des prolongations par leurs rivales américaines ? C’est donc que j’aurais aimé la voir triompher ! Et quand elle a disposé de l’équipe de France pour la conquête de la médaille de bronze, je n’ai pas boudé mon (double) plaisir.

Comme quoi il se peut que je sois sur le chemin de la rédemption.

Quelle horreur !!!

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Les J.O en streaming, c’est pas jojo

Considérant que le visionnage des J.O est devenu un exercice obligatoire en ce mois d’août où le monde s’accorde une dernière respiration avant de croiser le fer avec la crise, la vraie, l’ultime, celle qui va affamer nos portefeuilles, je me suis astreint à les regarder ces fichus jeux du cirque avec leurs haltérophiles gérontophiles, leurs kayakeurs castagnant des cascades, leurs judokas en jupettes et leurs nageurs en string léopard.

Mon téléviseur, planté dans le salon comme un étendard flamboyant de ma pauvreté s’enrichissant jour après jour, réduit à devenir un aquarium pour mes illusions perdues, j’ai dû, encore une fois, supplier mon ordinateur de bien vouloir crachoter quelques images volées sur un site de streaming de contrebande.

Je l’ai soudoyé en lui promettant une nouvelle webcam et quelques rames de mémoires si bien qu’après avoir longuement délibéré avec son disque dur, il a fini par accéder à ma demande.

Il n’aurait pas dû.

Depuis je vis un véritable enfer.

A ce jour, je n’ai toujours pas pu suivre une course du début jusqu’à la fin. Arrive toujours un moment où l’image se fige, où les coureurs restent pétrifiés comme s’ils jouaient à un,
deux, trois soleils, immobiles comme des colonnes de Buren, avant que piqués au vif par une mouche Tsé Tsé intéressée par la visite scrupuleuse de mon écran, ils ne se mettent à galoper à triple allure afin de rejoindre leur double qui pendant que l’image s’immolait en direct, en avait profité pour filer une centaine de mètres plus loin.

J’ai vu des sauteurs rester perchés au-dessus de leurs barres de qualification pendant de très longues minutes, sans se décider à la franchir, hésitant encore à retomber sur le reposoir mollasson posté de l’autre côté de la Tamise.

J’ai aperçu des myriades de disques voler dans le ciel de Londres et ne jamais retomber, s’offrant une excursion intemporelle au-dessus d’un stade olympique figé dans une stature d’immortalité béate.

J’ai contemplé des marteaux cherchant un clou à enfoncer sans jamais le trouver, incapables de s’arracher des mains d’un lanceur slovaque atteint de paralysie aigüe.

Longtemps, il m’a été offert de disséquer les gambettes d’une sauteuse en longueur désireuse de s’émanciper avant de se raviser et d’attendre l’arrivée d’un bus à impériale pour s’envoyer en l’air.

Souvent, sans même me prévenir, des sites de retransmission se sont suicidés en direct me laissant désemparé et sans autre alternative que d’aller voir ailleurs si l’image n’était pas plus verte, n’en trouvant aucune, en cherchant encore, sans résultat, contraint dès lors à patienter en espérant que les faux départs se multiplient jusqu’à mon retour.

J’ai reçu des dizaines de propositions indécentes de femmes délaissées qui toutes me trouvaient irrésistibles et me conjuraient de les rappeler pour convenir d’un rendez-vous.

J’ai participé à des centaines de jeux concours qui me promettaient de gagner la berline de mes rêves.

Mais j’ai pu aussi grâce à la puissance redoutable de mon ordinateur, surprenant de ténacité, assister dans le même mouvement à une course à l’échalote sur un vélodrome en ébullition tout en suivant les tribulations d’une heptathlonienne se disputant avec sa perche à sauter.

A force, grâce à un entrainement intensif, j’ai fini par voir un judoka sauter des haies, un triathlète gambader sur une jument encore à dresser, un haltérophile séduire une cible de
tir à l’arc, une basketteuse enfourcher une planche à sauter, un handballeur se marier avec un poteau de corner, une pongiste rouler une pelle à une surface de réparation, un perchiste s’amouracher d’un panneau de basket au point de vouloir le sauter.

Au final, je n’ai rien vu.

Je ne suis même pas sûr que les jeux aient vraiment commencé. Les journaux en ligne m’assurent que oui mais comment les croire ? Je n’ai plus en confiance en personne.

J’attends juste désormais la crise pour me sentir un peu moins seul.

 

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Vertige de l’égo

Selon d’éminents professionnels de la profession qui se sont réunis en conclave dans le soubassement d’une synagogue désaffectée, le plus grand film de tous les temps depuis l’invention du septième art se nomme désormais Vertigo de Monsieur Alfred Hitchcock.
Pourquoi pas ?

Pour une raison mystérieuse que les exégètes exigeants attribueront au fait que nous vivons dans une époque vertigineuse ou que la coupe de cheveux de James Stewart correspond mieux aux canons de la beauté masculine contemporaine ou que les nichons de Kim Novak valent bien toutes les récompenses au monde ou que San Francisco est décidément une ville super chouette, il a supplanté Citizen Kane qui jusque-là paradait en tête du palmarès.

Ces classements à répétition qui s’ingénient à répertorier les cent plus grands films, livres, chansons, tartes aux citrons meringuées, soupes aux choux, de tous les temps sont évidemment d’une crétinerie sans nom.

Au nom de quoi peut-on prétendre que tel film mérite d’être considéré à tout jamais comme le plus grand long métrage jamais réalisé ? Comme s’il agissait de mesurer la plus grosse citrouille jamais éclose ou de décerner le titre de l’escargot le plus rapide au monde ou de remettre les palmes académiques au prêtre auteur du plus grand nombre de défloraisons d’orphelins nés dans le Sussex.

Que Vertigo soit un grand film, c’est entendu. Et Citizen Kane aussi. Et Mullohand Drive de même. Et Oscar aussi. Si, si. Et Les feux de la rampe. Et Sur les quais. Et le Parrain.
Et Manhattan. Et A bout de souffle. Et Rio Bravo. Et Les Gendarmes et les gendarmettes. Et La Mélancolie d’un berger de campagne. Et Le soleil ne ment jamais deux fois. Et Laurent de Mongolie. Et Le Premier des irritants. Et Les Ailes de la routine.

Mais affirmer que l’un d’entre eux supplante tous les autres s’apparente à une escroquerie intellectuelle de haut vol. D’une vanité folle. D’une  insolente crânerie. Un exercice en tout point puéril et vain, digne d’une cour de récréation où des écoliers prépubères s’entendent à supputer la professeure la plus douée dans l’enroulement de sa langue autour d’un bâton à la réglisse.

On pourrait s’entendre à dresser un classement des cents films les plus marquants de l’histoire du cinéma sans pour autant s’essayer à les départager, en s’accordant sur le fait qu’ils constituent une liste non-exhaustive des films qui par leur audace, leur créativité, leur poésie, s’imposent comme des oeuvres marquantes, indissociables de l’art qu’ils représentent.

Sans nul besoin de les affubler d’une quelconque place protocolaire. Sans les affubler d’une chasuble avec un numéro inscrit dans le dos.

Il n’y a pas de premier dans l’art, ils n’existent que des ex-aequo.

 

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