Bonne nouvelle : les Smiths ne se reforment toujours pas

C’est le plus grand fantasme de n’importe quel organisateur de festival de musique au monde : annoncer à la planète médusée que le temps d’un concert les Smiths se reformeront.

Le festival de Coachella qui se tient courant avril, en Californie, pensait avoir décroché le pompon. Ils avaient même assuré Morrissey, bouffeur de légumes crus devant l’éternel, que durant les festivités, il ne serait procédé à aucun holocauste de viande.

Evidemment, comme d’habitude, se drapant dans sa splendeur immaculée, le Moz a dit niet. Moi vivant, les Smiths resteront ce qu’ils ont toujours été : le plus grand groupe de pop anglaise depuis les Beatles. Voir d’avant les Beatles.

Au lecteur ahuri qui se gratterait les couilles enfarinées en se disant mais c’est qui les Smiths au juste, je n’aurai qu’une seule amicale parole : dégage de cette page et va te palucher en écoutant Oasis. Les autres peuvent rester.

Pour le fan des Smiths, la possible reformation de leur groupe chéri sonnerait comme un désaveu cinglant et anéantirait à tout jamais l’admiration quasi-religieuse qu’il porte à ce groupe.

Ce serait accepter que finalement, à postériori, les Smiths étaient un groupe comme les autres. Qu’eux aussi, au final, étaient prêts à souiller leur âme juste pour amasser quelques euros de plus.

Prêts à feindre la joie de retrouvailles forcément factices qui sonneraient comme autant de renoncements aux valeurs quasi sacramentelles qui ont fondé l’essence et l’unité même du groupe : la pureté, l’intransigeance, la radicalité, le refus de tout compromis, la promesse de ne jamais tricher, de ne jamais se soumettre aux lois du marché, de tracer leur route sans jamais s’acoquiner avec l’industrie racoleuse et putassière des grands majors imposant leurs diktats à des groupes prompts à accepter tous les renoncements pour s’imposer sur la scène musicale.

Moi je suis intact et ça m’est égal écrivait Rimbaud dans une saison en enfer.

Les Smiths ne peuvent pas se reformer.

Ce serait ressenti comme un crachat lancé à la face de leur étincelante jeunesse.

Un affront à tout ce qu’ils ont pu représenter et incarner dans l’imaginaire de ceux qui continuent à les révérer comme le groupe qui aura su, mieux que quiconque, consoler leur coeur pour mieux leur dire qu’ils n’étaient pas seuls au monde : cette grâce inouïe, cette mélancolie buissonnière, cette tristesse joyeuse et soyeuse que dégageait chacune des chansons composées par Marr/Morrissey/Joyce/Rourke.

Même s’il est vrai que la plupart d’entre nous n’ont jamais vu les Smiths en live.

Et que de temps à autre, dans nos moments de faiblesse, il nous arrive  de penser que de les voir en concert ne serait-ce qu’une seule fois, ce serait comme une apothéose. Ce serait inimaginable d’intensité et d’émotion. Ce serait beau à en chialer. Ce serait comme de remonter le temps et de croire encore tous les lendemains possibles.

Sauf que non.

Une fois le concert achevé,  une fois l’euphorie des retrouvailles passées, une fois ce moment de grâce à jamais évanoui, nous nous réveillerions au petit matin blafard avec un goût amer de cendres dans la bouche.

Ce même goût atroce qui nous étreint le cœur quand après des années de poursuite assidue, la femme de nos rêves se donne enfin à nos envies pour mieux se débarrasser de nous.

Alors l’image de  cette femme devenue par principe inacessible, perchée dans des olympes dorées, s’affadirait.

Alors elle nous apparaîtrait comme soudainement laide et affreusement banale.

Et très vite nous en viendrions à regretter cette virgule de de félicité où durant une nuit brûlante nous avons cru la posséder.

Il faut continuer à rêver qu’un jour les Smiths finissent par se reformer. En priant le ciel pour que ce souhait ne soit jamais exaucé. C’est là le prix à payer pour que les Smiths restent ce qu’ils ont toujours été : le plus grand groupe du monde de la terre.

 

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Les Rolling Stones, 50 ans pour rien

Les Stones, les Rolling Stones, le plus mauvais groupe de rock de la planète – voilà c’est dit – ont donc 50 balais. Moi pas encore. Je peux donc jubiler en paix et clamer que cette bande de jean-foutres camés jusqu’aux orteils, que ces rebelles embourgeoisés avec leurs ribambelles de châteaux en Espagne, que ce singe hurleur de Jagger aux gesticulations pathétiques et mille fois recommencées m’ont toujours apparu comme une navrante caricature de la quintessence de l’esprit pop.

Là où les Beatles se montraient délicats, les Kinks, ironiques, les Doors, épiques, les Beach Boys, subtils, les Stones ont toujours été lourdeaux, vulgaires, redondants, intellectuellement limités, accumulant clichés sur clichés, incapables de donner à leur musique une quelconque touche de transcendance ou de poésie.

Ce qui pour des anglais pur jus est toujours des plus décevants.

Même si Lennon, malgré tous ses efforts pour prétendre le contraindre, ne gravitait pas non plus dans des latitudes très élevées, il avait pour lui un charme doucereux, une élégante mélancolie, une retenue calculée qui inspirait une sorte de respect.

Et, avec la tête de pudding de Paul Mc Cartney, il se montrait parfois capable de composer des chansonnettes quasi-parfaites, des petits morceaux d’éternité gravés dans le marbre du temps, des ritournelles impeccables qui rivalisent de perfection avec quelques morceaux des Smiths.

A la différence de cette grande girafe toute déglinguée de Jagger, qui, à part de se contorsionner sur scène comme une ballerine disloquée s’essayant à dégonfler ces hémorroïdes, n’a jamais rien branlé d’autre que sa queue qu’il portait comme l’étendard de son identité, jamais rien écrit qui sorte de l’ordinaire d’un cerveau limité carburant aux amphétamines de synthèse,  se contentant d’amasser des royalties pour payer ses pensions alimentaires et régaler sa brochette de nymphettes accrochées à ses testicules.

Peut-être bien mais, attention gamin, les Stones étaient avant tout sauvages. Des vrais rebelles sans cause. D’ailleurs ne transpiraient-ils pas le foutre et le stupre, n’incarnaient-ils pas une jeunesse prête à toutes les digressions, se moquant de toutes les conventions, prompts à choquer le bourgeois et à effrayer la royauté ? Si, si. Bien sûr les Stones faisaient peur. L’Angleterre tremblait devant l’agissement provocateur de ces énergunèmes qui se servaient de leurs membres pour astiquer le manche de leurs guitares.

Finalement les Stones ont plus été des pornographes outranciers que des musiciens sincères soucieux de composer des chansons aériennes et inspirées. Ils composaient des chansons comme ils baisaient. A la chaîne. Avec des gros riffs de guitare aussi subtils que des versets du nouveau testament. Sans aucun mystère. Dépourvus de toute sensibilité, de cette sensibilité exacerbée, de cette souffrance à être qui devrait être la base de tout acte musical, de tout élan vers la création. Les Stones n’étaient pas des métaphysiciens. Encore moins des pataphysiciens. Tout juste des bêtes de scène ressemblant à des monstres d’un cirque monastique.

Il ne restera pas grand-chose des Rolling Stones.

Tout juste si dans les encyclopédies des temps futurs consentira-t-on à leur accorder une maigrichonne pastille en signalant que le sommet de la poésie du XXème siècle représentée par Like a Rolling Stone de Dylan, chanson révolutionnaire, chanson pivot, chanson parfaite, ne fait aucunement allusion à un groupe de rock anglais qui dans les années soixante défraya la chronique par leur goût affirmé de mettre en scène leur ambivalence sexuelle avant de devenir, dans les décennies suivantes, un groupe sans âme voué au grand capital, un produit marketing tout juste bon à remplir des bonbonnières de stades remplis par des hordes de fans ahuris.

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Belle and Sebastian compte sur nous

Allez toi l’auvergnat qui sans façon a téléchargé de la musique alors que dans ta vie il faisait riche, au lieu de te lamenter sur la mise en bière de Mégaupload et de ses affidés, tous ces pourvoyeurs de séries débilitantes, corruptrices de notre jeunesse en perdition, je te propose de te réconcilier avec le web en participant à une bonne action, où tu verras, tu retrouveras ta dignité perdue et ton appétence à mener une existence digne d’être vécue. Bref, décroche ton téléphone et vas t’en taper dans ta barre d’adresse, le lien suivant :  http://www.kickstarter.com/projects/godhelpthegirl/god-help-the-girl-musical-film. Tu y es ? Donne l’argent. Donne te dis-je. Ne discute pas. 5.10.15.50.1500 euros. Peu importe. C’est le geste qui compte. Comment ça tu ne comprends pas l’anglais ? Avec toutes les séries que tu t’es tapé, tu ne sais toujours pas baragouiner dans la langue de Faulkner ? Bon assieds-toi je vais t’expliquer.

Alors voilà. Stuart Murdoch se trouve être le chanteur d’un groupe nommé Belle and Sebastian. Si tu me dis, “la série télévisée ?”, je te dénonce à Hadopi sur le champ. Non, pas la série avec le gentil toutou, mais le groupe de pop écossais. Après les Smiths, le deuxième groupe le plus grand de toute la terre. Enfanté à Glasgow. Comme Lloyd Cole, Jesus and Mary Chain, Simple Minds, Orange Juice, Franz Ferdinand. Que des tocards. Auteur d’albums qui excepté le plus que parfait  If you’re feeling sinister, miracle de pop lumineuse et scintillante, peuvent apparaitre parfois languides et rébarbatifs comme une pluie d’automne sur un lac ougandais  ou sublimes comme la course d’un cheval à l’arrêt sur un hippodrome versaillais. C’est selon.

Chansons qui détricotent des vies intemporelles. Tantôt suaves et mélodieuses. Parfois geignardes et ennuyantes mais toujours entraînantes. Ou pas. C’est selon. Bref, un grand groupe comme on les aime. Le genre de groupe sur lequel le critique, en panne d’inspiration, pourra toujours commencer son papier par “si Baudelaire (Ou Rimbaud ou Verlaine ou Lautréamont) était vivant, il s’appellerait Stuart Murdoch et chanterait au sein de Belle and Sébastian “.  Avant de conclure son article par “si Keats (Byron, Shelley) était né dans les années 80, il jouerait de la guitare au sein de Belle and Sebastian”. Donc, pour résumer et aller à l’essentiel, tout sauf  des petites frappes de tête à claques oiseuses et décervelées qui se prennent pour le nombril de Manchester ou le trou du cul de Liverpool. Tout le contraire. Des jeunes gens polis, propres sur eux, catholiques, enfants de choeur lettrés et désespérés et par là-même forcément attachants. Effet de miroir. Magie de la pop. Ô mon frère, ô mon semblable. Quand le ciel bas et noir pèse comme un couvercle. La vraie vie est ailleurs. Tendre est la nuit. Vieil Océan, je te salue.

Sinon, Belle and Sebastian doit être le groupe que l’on entend le plus dans les films indépendants américains (Juno, Storytelling…). Pas étonnant après cela que la tête pensante du groupe ait eu comme une furieuse envie de manier la bobinette. Pour mener à bien son projet, il s’est associé à un gentil producteur, Barry Mendel, entre autre, récolteur de dollars pour les films de Wes Anderson (Rushmore, La famille Tenenbaum). Problème ? Ils ont besoin d’oseille. Comme tout le monde. Et c’est là que tu peux les aider. En te dépouillant de ton tuxedo d’occasion pour qu’ils puissent tourner leur film cet été sans être obligés d’aller caresser dans le sens du poil,  le chibre d’un requin syndiqué à Hollywood  et possédant une villa à Barbara. En échange de quoi, au regard de ta contribution, tu recevras, un pins, une carte postale, un poster du film, ton nom au générique, la possibilité d’assister au tournage voire de figurer dans le film. Bref tu seras étroitement impliqué dans l’élaboration du long métrage qui devrait recevoir la caméra d’or à Cannes en 2013.

Dépêche-toi, il te reste 20 jours. Si d’ici là, ils n’ont pas récolté assez de blé, le projet ne se fera pas et ce sera par ta faute. Et là, mon gaillard…

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Le plus grand groupe du monde de la terre

Pour payer la très coûteuse maison de retraite de Morrissey qui, comme condition préalable à sa mise à l’écart, a exigé que tous les autres pensionnaires de son futur établissement mortuaire s’alimentent uniquement de salades venues du potager, il a bien fallu que les Smiths trouvent encore une astuce pour se renflouer. Cette fois, après le best of I, le best of II, le best of 3 et demie, le best of du best of, le top du best of, le pire du meilleur du best of, le coffret the Sound of the Smiths, the music of the Smiths, the Sound of the music of the Smiths, ils nous ont concocté une jolie valise du plus bel effet, intitulée l’intégrale remasterisée, avec pas moins de 8 CD à s’enfiler. Le top du top. The compil.

Cette fois juré, c’est la der des der, celle que tout Smithien qui se respecte se doit de posséder, au risque sinon de se faire flageller le torse, à l’aide d’une poignée de glaïeuls cueillies par la main du maître en personne, et que quelques hurluberlus de fans de la première heure ont recueillis lors de concerts donnés dans les années 80, avant de les congeler ou de les garder dans un flacon de formol.
Evidemment, cette fois, il était absolument hors de question que je marchasse dans cette honteuse combine destinée à payer l’entretien du potager bio de Momo. Hors de question. Out of question.
J’ai donc décidé de me rebeller.
Intransigeant jusqu’au bout, faisant preuve d’une ténacité en tout point exemplaire, j’ai exigé et obtenu qu’Amazon ne me l’envoie pas derechef par express mais consente à me le faire parvenir sous les 3,4 jours.
Et vlan ! Dix euros d’économisés d’un coup d’un seul. Morrissey peut dire au revoir à sa maison de retraite labélisée Jose Bové.
Je ne suis pas une vache à lait tout de même.

N’empêche.
Les Smiths.
Steven Morrissey, Johnny Marr, Andy Rourke, Mike Joyce.
Une poignée d’albums et une collection de singles qui, à eux seuls, ont changé le visage des années 80. Lui ont donné à jamais cette coloration de mélancolie joyeuse, de désespoir guilleret, un mélange de pureté inouie et d’élan vers une perfection inaccessible. Ces riffs de guitare primesautiers, accompagnés par la voix hantée de Morrissey. Ces paroles transies de poésie adolescente, couplets parfois mièvres, souvent sublimes qui nous racontaient, à nous, pauvres puceaux s’apprêtant à entrer dans l’arène, à quoi il fallait s’attendre : le cynisme à tout crin, les jalousies mesquines, les amitiés impossibles, les amours contrariées, les appels à une autre vie, la certitude de la solitude.

Les Smiths.
1982-1987.
Nés à Manchester. Morts à Manchester. Fauchés au sommet de leur gloire. Tirant leur révérence avant de sentir s’apesantir sur leur cou les parfums mortifères de la corruption, les concessions obligées à des capitaines d’industries voraces et sans âmes, la tournée dans des stades surdimensionnés, la facilité, le succès, la célébrité, la gloire, les plateaux de télé, le passage au Grand Journal, l’interview avec Claire Chazal, le petit déjeuner à l’Elysée, la poignée de main sur le perron avec les puissants de ce monde, le renoncement, la fin, la chute.

 

Moi je suis intact et ça m’est égal prétendait Rimbaud dans une Saison en enfer.

Intact.

Intact, le génie de ces Mancuniens sortis de nulle part, capables, à coups de chansons claquant comme des slogans d’une génération s’apprêtant à épouser un monde en crise, chômage, sida, récession, d’attendrir nos âmes meurtries, de consoler nos chagrins sans fin, de nous épauler dans notre lutte au quotidien pour ne pas s’abandonner complètement à l’air putassier du temps, pour s’essayer à garder, envers et contre tout, la sublime naïveté de nos adolescences à jamais perturbées.

Intact.

Intact le charme ensorcelé de ces chansons que le temps n’a pas affecté et qui nous prenaient par la main et nous disaient, n’aie pas peur, je suis là, je serai toujours là, ici et maintenant, aujourd’hui et demain et même après-demain, tout à tes côtés je me tiens, tu n’es pas seul, regarde, moi aussi je ne vais pas bien, moi aussi je ne me comprends pas bien, moi aussi j’ai mal à moi et j’ai mal aux autres, moi aussi je suis perdu, moi aussi je souffre, mais si on souffre ensemble, alors on ne souffre plus vraiment, pas vrai ? Si on désespère ensemble, alors on ne désespère plus vraiment. Si on pleure ensemble, on ne pleure pas vraiment. On peut s’en sortir. On peut s’aider. On peut s’épauler. Tu n’es plus seul au monde puisque je suis là. Et puisque tu existes alors moi aussi je ne suis plus seul.

Intact.

Intact. Morrissey. Le porte-parole de nos pensées qu’on n’osait édicter et que jusqu’alors on ne rencontrait qu’à l’ombre de recueils de poésie abimés, le soir venu, dans la solitude recluse de nos chambres obtuses, quand le silence du monde nous étreignait et que l’on se demandait comment s’y prendre pour ne pas sombrer. Ces paroles disséquées, chantonnées, murmurées qu’on apposait en tête de nos journaux intimes où l’on se demandait, entre deux pages mouillées, si l’amour existait vraiment, et si oui, où se cachait-il, comment fallait-il procéder, quels chemins à emprunter pour le dénicher ?


Intact. La rage. L’envie de combattre. La nécessité d’en découdre. La lutte. Le monde t’appartient. Lève-toi et chante. Rebelle-toi. Va contre l’ordre établi. N’écoute pas les discours mensongers des politiciens amputés du cœur et de l’esprit qui s’essayeront à te courtiser. Ne te retourne pas. Sois ferme dans tes convictions. Ne cède pas. Va. Va t’en conquérir le monde. Il t’attend. Il suffit de le vouloir. N’aie pas peur d’avoir peur. Ta peur est ton moteur.

Les Smiths.

On ne se remet pas de l’écoute des Smiths. Nés au monde avec eux, engendrés par eux, on poursuit sa route, avec leur musique toujours en arrière-fond, comme la bande sonore de nos existences, qu’elles fussent accomplies ou inachevées, difficiles à appréhender ou limpides de simplicité. On n’a pas trop le choix. C’est l’inconvénient d’avoir grandi aux côtés du plus grand groupe de rock que le monde ait jamais connu et ne connaîtra jamais plus. Tout ce qui vient par la suite semble fade. Convenu. Etriqué. Mensonger. Sans intéret. Ou pour le dire en des termes plus concis, c’est de la merde.

Ou bien, pour le dire autrement, en des mots plus policés : “de toutes les facons depuis la séparation des Smiths, la musique, elle est morte. S’il y avait un groupe qui arrivait à leurs chevilles, ça se saurait. Et viens pas m’emmerder avec tes crétins d’Oasis, tes branleurs d’Artic Monkeys, tes tapettes d’Arcade Fire, tes zboubs de Kooks, tes demeurés de White Stripe. Que des branleurs de copieurs de pisseurs de crachoteurs je te dis. Ne discute pas, et monte dans ta chambre, crétin d’idiot de fils que j’ai engendré par erreur.”

Et le premier qui prétend le contraire je te l’expulse manu militari de ce blog, je relève son numéro IP et je l’envoie à monsieur Hadopi.
Farpaitement.

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Lloyd Cole, Jean-Phillipe Blondel et moi

 Je m’étais juré quand j’ai apposé ma signature au bas de ce contrat mirobolant, concluant ainsi d’interminables semaines de palabres passées à ergoter sur le montant de mon transfert chez Slate, que jamais je ne parlerais de littérature dans mon blog, enfin, mettons que jamais, je n’émettrais un quelconque avis sur un roman venant de sortir en librairie, posture intellectuelle des plus respectables que j’attribuais alors à ma légendaire probité, à ma farouche volonté de ne pas jouer la midinette de comptoir, minaudant à tire larigot sur les travers nombrilistes de la littérature française, littérature que par ailleurs je ne fréquente guère, voire pas du tout, vu que la dernière librairie francophone de Vancouver, depuis qu’elle a eu la bonne idée de m’inviter pour une soirée exceptionnelle dédiée à la rencontre d’un écrivain majeur de la scene littéraire vichysoisse, a déposé, la semaine suivante, son bilan.

Bref, c’était décidé, je ne me mêlerais pas aux joutes littéraires qui animent les arrières-cours de récréation des magazines culturels de la capitale.

Sauf que.

Sauf que l’année dernière, il m’est arrivé une drôle d’histoire. Une parmi tant d’autre, mon existence ressemblant de plus en plus à la succursale d’un magasin de farces et attrapes destinée à des vieillards hypocondriaques.

Donc, un jour, comme disait mon alter ego, Simon sagalovitsch, dans un roman signé d’un tartartin de Sagalovitsch, “je fourrageais tranquillement dans le grand trou du cul que représente Internet, passant allégrement de la lecture de France Foot à l’excavation d’un poème de Keats lu par la voix toute tremblante de Francis Scott Fitzgerald (La métaphysique du hors jeu, éditions Actes Sud, page 4852)” lorsque, encore plus désœuvré qu’à l’ordinaire, encore un peu plus désespéré qu’à l’accoutumé, cherchant un énième motif pour repousser à un peu plus tard la tâche qui m’incombait alors, celle d’écrire précisément la suite du passage cité ci-dessus (vous me suivez? Moi, en toute franchise, j’ai du mal, avec tout cet échafaudage de niveaux d’intertextualité qui se chevauchent), je tapotais, pris d’un soudain accès de nostalgie, dans un moteur de recherche, le nom de Lloyd Cole.

Connaissez pas Lloyd Cole je suppose? Chanteur britannique à la voix incertaine qui connut au détour des années 80 un succès certain avec son groupe les Commotions. Cf. Lloyd Cole and The Commotions. Notamment en interprétant un tube interplanétaire, Forest Fire. Puis un autre, Lost Week End. Signe particulier : avait l’attachante ou l’agaçante manie, c’est selon, d’émailler ses lyrics de noms d’écrivains, Simone de Beauvoir, Norman Mailer, ou d’actrices mythiques, Greta Garbo, Eva Marie Saint. Avec Morissey, Lloyd Cole permit à la pop anglaise de délaisser les sorties d’usine pour fréquenter les couloirs de l’université, section littérature comparée.

 Bref, ce jour là “où je fourrageais…”, tapotant donc Lloyd Cole sur Google, je tombais sur son site, puis sur son courrier des lecteurs où là, à ma grande surprise, je dénichais un mail écrit par une personne que je connaissais sans vraiment la connaître. Jean Philipe Blondel, tel était son nom. Connaissez pas Jean Philipe Blondel non plus ? Décidément, vous ne savez pas grand chose. Jean Philipe Blondel, écrivain français, né à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Quand il n’écrit pas, enseigne l’anglais à des éleves nés à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Auteur de nombreux romans Juke Box, This not a love song, A contretemps, qui s’attache à décrire, dans une langue aérée et vivante, les aléas de la vie moderne, à travers la description de personnages, vivant à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie, qui semblent être sortis tout droit d’une pochette de disque signée des Smiths, servant de bande originale à un film de Jim Jarmusch. Un très bon écrivain que je n’avais jamais lu. (La description ci dessus étant donc nulle et non avérée).

 

 

Le contraire n’étant pas vrai.

Hein?

En d’autres termes, Monsieur Blondel avait lu un de mes innombrables chefs d’œuvre, et un jour où il avait encore trop bu, il m’avait envoyé un mail en me disant qu’il me devait tout, que j’étais son phare, sa lumière céleste, que jamais, de toute sa mort, il n’avait lu un roman aussi ensorcelant que le mien, et que rien que pour cela, il tenait à remercier ma mère de m’avoir mis au monde. Sur quoi, j’avais répondu -ce genre d’échange se produisant souvent entre deux écrivains de tout premier plan- que moi aussi j’éprouvais pour lui une gratitude infinie, que ses romans me hantaient depuis tout petit, et que si j’étais devenu écrivain, c’était juste pour avoir le plaisir de voir mes livres, posés à coté des siens, dans ma bibliothèque personnelle. Et ainsi de suite…

Jusqu’à ce fameux jour où je tombais sur le mail que Blondel avait écrit à Lloyd Cole, mail où il racontait combien ses chansons avaient compté pour lui, que de toute sa mort, il n’avait jamais écouté un tel disque, et qu’il tenait à remercier sa mère de l’avoir mis au monde etc., etc… Sur quoi, dans la foulée, je m’étais fendu d’un petit mail à son attention, pour lui raconter comment j’étais tombé sur son message sur le site du chanteur anglais.

Blondel me répondit qu’il s’en souvenait vaguement et prétexta qu’il avait bu plus que de raison ce soir là, ayant dû fêter l’accession de Troyes en Première Division, avec François Baroin, dans son bureau de l’hôtel de ville. Oui, comme vous l’aurez compris, Blondel a ce que l’on appelle communément un problème avec la boisson. Comme nous tous. Fin de l’affaire.

Sauf que non.

Tout le contraire.

Six mois passèrent.

En juillet dernier, je reçus enfin de ses nouvelles.

Cette fois, il ne s’était pas contenté de m’adresser un mail mais il m’avait carrément envoyé un livre. Un roman. Signé de sa main. Intitulé Et rester vivant. Publié aux éditions Buchet Chastel. Je fus très content de constater qu’il avait réglé son problème de boisson. Poli, un peu circonspect tout de même, sur ma réserve, n’ayant pas d’autres chat autre que le mien à fouetter, je commençais à lire la première page :

 “Bien sûr, ca m’a déjà traversé l’esprit, d’écrire sur cette période-là. J’ai tourné autour. J’ai effleuré. Mais je me disais que si je me mettais vraiment à raconter ce qui s’était passé, personne ne me croirait. Parce qu’il y a des limites à la fiction, mine de rien. Bref, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai pas changé d’avis. Je ne cherche pas l’adhésion. C’est un combat perdu d’avance. Simplement hier soir, j’ai reçu ce drôle de message électronique. Il émanait d’un collègue écrivain que je connais à peine mais dont je lis avec plaisir les rares romans- il est du genre dilettante, dans l’écriture de livres, un tous les quatre ou cinq ans, ca semble lui suffire. Il s’appelle Laurent Sagalovitsch. Il habite sur le côte Pacifique du Canada. Hier, il devait s’ennuyer un peu. Alors il a surfé sur internet, comme nous le faisons tous un peu parfois, par pur désœuvrement. Il est allé sur le site de Lloyd Cole…”

 

 

J’imagine que j’ai dû ressentir le même émoi que le spectateur qui venant assister à une rencontre entre le PSG et le Football Club de Montélimar, découvre, sur l’écran géant du Parc des Princes, sa bobine entrain de regarder sa bobine, avant de réaliser que cette bobine n’est autre que la la sienne de bobine et de secouer comme un poirier sa dulcinée pour qu’elle regarde à son tour sa bobine regarder sa bobine se regarder. Le grand frisson. Suivi d’un sentiment étrange de se demander ce que je fous là au juste ? Et est-ce bien de moi dont on parle ? Et serait-ce donc ainsi que je m’orthographie ? Avant de sombrer dans un accès de mégalomanie galopant : rentre ici Sagalovitsch, le panthéon des lettres francaises s’ouvre devant toi.

Pour ce qui est du roman, hormis mon apparition inopinée, il n’a bien sûr aucun intéret. Aussi médiocre que Rattlesnakes, l’un des plus beaux et des plus lumineux albums de la pop anglaise de tout les temps, signé Lloyd Cole and the Commotions. Une histoire à dormir debout, écrite dans une langue surchargée, encombrée de poncifs et de lieux communs. Aussi raté que le chef d’oeuvre absolu que constitue Stranger than Paradise de Jim Jarmusch. Un style ampoulé décrivant des personages d’une fadesse insondable. Aussi indigeste à lire qu’une nouvelle de Raymond Carver ou qu’un roman de Richard Ford.  

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London Burning

Finalement, comme le souhaitait d’une manière tout à fait putassiere et opportuniste, les filous organisateurs des JO de Londres qui, sur ce coup là, ont senti d’où le vent soufflait, l’appel sanglant des Clash a bien été entendu. Comme l’expectorait tout en l’espérant Joe Strummer dans ses versets apocalyptiques de la mythique chanson ( voir post ci dessous), les jeunes se sont enfin réveillés, ont piqué les boots de leurs ainés, et ressorti les blousons cloutés de derrière la collection des vieux vinyls encrassés de poussière de leur paternel rassis, assis dans leurs canapés à attendre le clap de fin.

Les loups sont entrés dans la ville. Certes plus pour se procurer la dernière paire estampillée Nike ou Adidas que pour réciter des chapelets à la gloire de John Lénine. Mais enfin c’est déjà un bon début. Ça va bien à l’Angleterre d’être ainsi à feu et à sang. C’est l’Angleterre qu’on a aimé. Celle en noir et blanc. De la classe ouvrière, dents cassés, yeux vitreux, teint couperosé, entassée bien au chaud, dans le ventre des tribunes d’Anfield ou d’Old Trafford voir d’Ellan Road, le stade coupe gorge de Leeds et de sa racaille de joueurs et de supporters.

De la pluie qui pisse des sots de rots et de la boue bien grasse encrassée dans les surfaces de destruction. Celle des mods et des skins. Des Who et des Stones. Des Buzzcoks et des Jam. Des bastons et des matraques.
Des batailles toutes chevaleresques entre des bobbys imperturbables campés sur leurs chevaux impeccables de droiture, et des hordes de hooligans défoncés à la bière à 18 degrés, s’arrêtant, entre deux largages de pierres, pour aller pisser un bon coup contre des murs de brique rouge. Celle de la révolte sans but et des buts pas très clairs.

Celle là même que chantait et espérait Morrissey, le chanteur préferé de David Cameron tout de même, dans l’une des plus cinglantes et parfaites chansons des Smiths, Panic : Panic on the streets of London/ Panic on the streets of Birmingham/I wonder to Myself/ Could Life ever be sane again/So you run down to the safety of the town/ But there’s panic on the streets of Carlisle/Dublin Dundee/ Humberside.


Certes Morrissey voulait juste qu’on aille pendre le salaud de de DJ qui persistait à passer de la soupe de musique qui ne lui parlait pas de sa vie et ne l’aidait pas à comprendre comment cheminer sur les sentiers tortueux de l’existence. Pas qu’on aille fracasser les boutiques de grandes enseignes de magasin de sports juste pour avoir le plaisir de se mirer devant la glace, histoire de voir si le dernier blouson que portait Jude Law en faisant son repassage et qu’on a maté l’autre jour dans les pages graisseuses du défunt News of the World, est si seyant que cela.

On a les révolutions qu’on peut. Désormais, au lieu de se lamenter sur le démantèlement des usines ou sur la misère d’habitats laissés à l’abandon par les pouvoirs publics, on désespère de ne pas posséder la même paire de souliers que Thierry Henry ou que de David Beckham. On enrage de continuer à bouffer des match de foot sur des écrans mesquins et rétrécis alors que les gens bien nés ont le droit d’avoir Wayne Rooney et Gareth Bale quasiment dans leur salon.

Les temps changent. Les idéologies ont désertés les cerveaux. Les idées ont emprunté des raccourcis inquiétants. Les cerveaux s’intoxiquent de jeux vidéos débilitants et de vies virtuelles anesthésiantes. C’est la fin du vieux monde. De la bonne vieille Europe. On attend plus que les fossoyeurs pour tourner de bon cette page d’histoire qui nous tient en haleine depuis deux siècles maintenant. Une éternité.

Il est grand temps d’engager un nouveau metteur en scène, de nouveaux acteurs, de nouveaux scénaristes. La page est blanche, l’avenir incertain, les repères vacillants. Ou comme le chantait notre Miossec national dans On était tellement de gauche:
Et quand vous apprenez un jour par la poste/Que de vous on ne veut plus/Vous repensez alors Cocktail Molotov/ Ça ne serait pas arrivé si on s’était battu/ Mais c’est trop tard pour que l’on rechausse/ Les vieilles idées que l’on croyait perdues/ C’est désormais bon pour les gosses /Allez les enfants, foutez le raffut.



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