Israël ne doit plus tergiverser. Il leur faut passer à l’attaque désormais. Impérativement. Peu importe de savoir à quel niveau exact les Iraniens en sont arrivés dans leur mise au point de la bombe atomique. On s’en fout. Tout le monde sait qu’ils sont encore en train de gagner du temps, de grappiller des années pour mieux, demain, nous torpiller. Non, non, fini ces tergiversations infinies, ces interminables réunions de cabinet où l’on se demande, entre deux tasses de café, s’il faut y aller ou pas. Il faut y aller. Point barre. Il n’y a plus à tortiller. Il faut sortir la grande artillerie, la couverture aérienne, les missiles, les tomahawks, les porte-avions, les sous-marins, les mirages, le brouillage électronique, les bombes à retardement, à fragmentations.
C’est vital. Pas pour Israël dont le sort nous indiffère complètement mais pour nous. Oui, pour nous, pauvres occidentaux qui, de semaine en semaine, n’en finissons pas de bouffer de la vache enragée, de décliner des existences moroses comme de l’eau de Cologne fabriquée à Bologne, des vies atones rythmées par des plans de rigueur mollassons, bien trop tièdes dans leur conception pour déclencher des émeutes, des vagues de suicides, des pandémies de pendaisons, des symphonies de défenestrations.
La sinistrose nous gagne.
On n’en finit par être terrorisé par des grandes folles d’agences de notations qui nous traumatisent avec leurs injonctions à répétition. Quel affligeant spectacle nous donnons de nous-mêmes. Nos grands-parents se battaient contre des ennemis, des vrais, avec des véritables gueules de tortionnaires, des anges de la mort, des suppôts de Satan, ça finissait en boucherie, ça se vautrait dans le vomi de sperme ; à tous les repas, on buvait de la soupe aux viscères, on bouffait de la chair déchiquetée, on s’étripait pour un quartier d’oignon.
Si ça continue à ce rythme de molasse, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir raconter de bien glorieux à nos enfants ou à nos petits enfants ? Hein ? Qu’un jour, à bout, on a volé un paquet de Barilla au Franprix de l’avenue Montaigne ? Qu’on a pris le risque insensé de grimper dans un bus par la porte arrière sans prendre la peine de poinçonner son ticket ? Qu’au comble de l’exaspération, emporté par notre élan, grisé par notre courage, nous sentant comme invincibles, nous nous sommes fendus d’un mail anonyme, envoyé à Matignon où, en toutes lettres, nous avons écrit un “flûte” retentissant ?
L’époque n’est pas au panache. Nous, enfants de parents nés durant le baby-boom, nous sommes une génération qui ne laissera aucune trace dans les manuels d’histoire. Nous sommes des cancres absolus. Au moins, nos parents se sont plus ou moins révoltés contre l’ordre établi, ont joué au mikado avec des pavés, ont tiré la langue à des CRS, mais nous, nous, je vous le dis, si on continue ainsi, on va passer pour les plus grands charlots de l’histoire de l’humanité.
Pour la première fois dans l’histoire, l’homme occidental aura passé le plus clair de son temps à rester chez lui, occupé à se gratter les couilles en matant à la chaine des vidéos de cul décharnées, à papoter avec son écran d’ordinateur à la cervelle de moineau, à télécharger des séries abrutissantes de bêtise dégoulinante, à laisser des messages, sur des pages de réseaux sociaux, d’une “absconnerie” foudroyante, “aujourd’hui à la boulangerie, j’ai mangé un pain au chocolat sans chocolat. MDR. Trop fort, le boulanger avait oublié de mettre le chocolat. Dingue non ?”
Alors, je vous en conjure, messieurs les hébreux, prenez vos responsabilités, et bougez-vous un peu. Après tout, vous avez quand même assez de talent pour savoir nous mijoter de bonnes vieilles histoires qui nous tiendront en haleine pendant plusieurs générations. Ca fait près de soixante-dix ans maintenant que vous n’en foutez pas une. Juste à jouer à chat perché avec des palestiniens aussi inoffensifs que des sauterelles indonésiennes. Dieu ne vous a pas choisi comme peuple élu pour pantoufler dans le confort douillet de vos abris anti-gazaouis. Vous êtes missionnés pour secouer le cocotier de l’histoire surtout quand cette dernière a tendance à s’assoupir. Pour tout dire, depuis votre fabuleux opéra de l’Holocauste, on s’emmerde ferme. Vous avez tellement terrorisé les consciences de nos politiques, avec vos images de cadavre décharné, d’empilements de squelettes, de fours crématoire, que plus personne n’ose se risquer hors de ses frontières et déclencher un conflit pour un oui ou pour un non. Il faut demander l’autorisation à Papa Onu et Maman Otan, un couple sage comme la mort, qui répond toujours “plus tard”.
Rassurez-vous, on vous sera éternellement reconnaissant de nous avoir fait vivre, durant de paisibles décennies, dans une période de paix et de prospérité, où l’homme, après avoir livré, tout au long d’un siècle ensanglanté, des batailles titanesques, avait besoin de souffler un peu, mais là, c’est bon, je vous jure, il a récupéré. Désormais, regardez-le, il tourne en rond dans la cage dorée de son existence sclérosée. Le malheureux en est réduit à à se passionner pour des zboubs de triple A, pour un premier ministre grec fantôche, pour des Berlusconneries milanaises.
Par pitié, redevenez donc les pestiférés de l’histoire. Les trublions des temps modernes. Nos emmerdeurs capitaux. Relisez votre contrat que vous avez passé avec l’Éternel. Vous avez une responsabilité devant le genre humain. De donner l’exemple. De tracer des perspectives. De secouer l’homme de sa torpeur. De l’amener à se sortir les tripes. De se confronter à lui-même. Respectez votre contrat. Attaquez en premier. Envoyez la sauce. Ne chipotez pas. N’attendez pas qu’ils passent à l’offensive pour réagir. Ils ne le feront pas. Ce sont des Perses. Autrement dit des pacifistes de couilles molles. Des grandes gueules. Très forts pour déclamer du haut du perchoir de l’Onu, des propos hauts en couleur, qui nous promettent des lendemains bien sanglants, mais pas assez couillus pour traduire leurs paroles en actes.
Vous avez rendez-vous avec l’Histoire. Encore une fois. Ne vous dérobez pas à votre devoir tout méphistophélien d’apporter à ce monde un peu de fantaisie, de couleur, de drame.
Le monde vous en saura éternellement reconnaissant. Une nouvelle fois.
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Voilà, c’est presque fini. Encore quelques jours et les romans de la rentrée de septembre chemineront vers le cimetière de leurs espérances non tenues : longue et morne procession de livres invendus, invendables, cancres absolus au palmarès des ventes, encéphalogramme plat, courbe de vente atone, diagramme d’exemplaires achetés traçant une ligne anorexique, tripotée de romans sentant encore bon les effluves de l’imprimerie, dont les libraires se débarrasseront, en versant une larme de phacochère, avec le même soulagement à peine feint que prennent des frères et des sœurs lorsqu’ils déposent, à la maison de retraite, la vieille mémé qui squattait depuis trop longtemps le canapé du salon. Contraints de dégager des espaces conséquents, les libraires laisseront se vautrer en toute quiétude la colonie innombrable de beaux livres et de dictionnaires volumineux qui émigreront fin décembre vers des étagères surchargées de maîtresses de maison débordées, trouvant refuge entre deux pots de confiture à la groseille et trois tubes de crème hydratante, avant d’être à leur tour invités à aller voir ailleurs si j’y suis, au premier frimas de l’hiver venu, afin de laisser place nette à la vague déferlante du carrousel des romans de janvier.
En novembre, il n’y a plus de place au doute pour l’écrivain qui a été boudé par les prix littéraires, ignoré par la critique, condamné par le silence de plomb venu des chapelles littéraires qui ont refusé d’apposer leur label “bon pour la vente” sur la quatrième de couverture : son roman est un four absolu, ses lecteurs sont aussi nombreux que les tentes d’improbables indignés sur la place Tienanmen, plus personne n’ose lui adresser la parole, il reste chez lui, cloîtré, amer, renfrogné, regardant désabusé les premiers feuillets de son nouveau roman éparpillés sur son bureau, en se demandant à quoi bon, à quoi rime toute cette comédie, je suis un imposteur, si j’avais su quelle tournure toute cette ridicule comédie allait prendre…
Pourtant la vie continue, et celle d’un écrivain, connu ou inconnu, est rythmée par les salons, foires, festivals du livre qui se tiennent chaque fin de semaine un peu partout, aux quatre coins de l’hexagone, passage obligé pour le romancier, envoyé de force par son éditeur : remplir sa mission de VRP dans une étable ou sous une tente placée à la va-vite sur la place de la mairie.
Tout commence à l’aube d’un samedi matin, dans la grisaille froide d’une gare parisienne, où une cohorte d’écrivains complètement à la ramasse se retrouvent là, leur billet de tgv à la main, une mince valise dans l’autre, égarés, ahuris, se regardant les uns les autres, en tâchant de reconnaître un camarade de classe, ne reconnaissant personne ou alors seulement un vague collègue de la même maison d’édition que la sienne, qu’il soupçonne par ailleurs de coucher avec l’attachée de presse, sinon comment expliquer son dernier papier dans l’Est Républicain, sans oublier quelques visages connus d’écrivains célèbres et anoblis, chaperonnés par des attachées de presse attentionnées, leur tenant une tasse de café bien chaude, pendant qu’ils s’affairent à se recoiffer dans les toilettes de la brasserie, avant de s’en aller rejoindre leur place dans un wagon de première classe, bien à l’écart du troupeau d’écrivains anonymes, parqués dans des estafettes de seconde zone, à l’étroit, enchâssés sur des banquettes inconfortables, tout au long d’un voyage qui les emmène dans le trou du cul de la France, à Besançon ou à Laval, un voyage silencieux, effectué pour les plus attentionnés d’entre eux à relire leurs œuvres complètes ou à compulser les petites annonces du pèlerin magazine.
Puis, vers midi, ce sera l’arrivée sur le quai d’une anonyme gare d’une sous-préfecture de province où l’attendent, en rang d’oignons, toute une flopée de mères de familles souriantes, convoquées pour l’occasion, afin de vous transbahuter à votre hôtel, juste le temps de déposer votre maigre bagage, avant de repartir au galop pour le mot de bienvenue de monsieur le maire, dans les salons d’honneur de la mairie, un discours circonstancié qui se terminera inévitablement par la citation d’un illustre auteur, histoire de montrer qu’il a longtemps flirté avec la littérature avant de se tourner vers la politique, puis, satisfait de sa prestation, il invitera tout ce petit monde à boire le verre de l’amitié, agrémenté de spécialités du cru sur lesquelles se jetteront les écrivains affamés, avant de s’en aller admirer les tableaux peints par les artistes locaux, madame l’épouse du maire en tête, puis d’être rattrapés au vol par de gentilles organisatrices qui leur tendront leur badge et un petit dossier d’accueil où sera indiqué le numéro de leur stand, l’heure des repas et des départs de la navette pour rejoindre l’hôtel, l’emplacement des toilettes, une petite bouteille d’eau, une barre chocolatée et un pin’s à l’effigie de la ville.
Arrivé à son stand, l’écrivain se retrouve face à une pile impressionnante de ses propres livres, rangés avec délicatesse par le libraire du coin qui ne manquera pas de venir le saluer, en lui confiant qu’il apprécie ses romans,”tout particulièrement le dernier, très réussi, surtout la fin”, et que c’est un grand honneur pour lui de vous rencontrer, et que si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez surtout pas, je compte sur vous, d’accord ? D’accord.
Alors débute le supplice interminable de ces heures qui s’écoulent sans se presser, de cette foule qui passe devant vous sans jamais s’arrêter, parce que tout simplement vous n’êtes rien, vous n’existez pas, puisque vous n’avez pas eu le droit de passer au vingt heures ou de concourir à Secret Story ou d’être la maîtresse d’un cuisinier à la mode ou d’avoir eu la chance d’être le majordome d’un acteur maintenant décédé, vous êtes là, transparent, invisible, inutile, il fait chaud, la promiscuité avec d’autres écrivains tout aussi transparents que vous devient vite intenable, vous sortez prendre un verre, un deuxième, vous reprenez votre place, rien n’a changé, un de vos collègues désœuvrés prend l’un de vos ouvrages, consulte la quatrième de couverture avant de le remplacer en murmurant intéressant, par politesse vous lui rendez la pareille, intéressant.
A un moment donné, une personne finit quand même par s’arrêter devant votre pile de livres, lit votre nom, s’empare d’un exemplaire qu’elle parcourt d’un air pénétré avant de le reposer d’un air gêné en vous adressant un sourire contrit puis de repartir un peu plus loin, ou alors, elle vous pose la question que vous redoutiez d’entre toutes, le redoutable “de quoi ca parle ?”
La question qui, d’un seul coup, vous fait tout regretter, d’avoir écrit ce livre, d’être venu ici, de vous être réveillé ce matin, d’être né : vous bafouillez un pathétique “c’est difficile à dire, mais c’est plutôt genre un polar ou carrément un roman d’amour ?” insiste la lectrice potentielle, vous lancez un regard terrifié vers votre ami le libraire qui, manque de bol, s’est justement absenté pour aller pisser, “disons que ce n’est pas si simple, ce serait plutôt un roman qui tenterait de répondre à la question du pourquoi du silence de Dieu pendant la Shoah”, ah d’accord, très cool, je vois le genre, comme dans la liste de strindberg, bon je vais faire un tour, je dois demander à mon mari ce qu’il en pense, je repasserai peut-être plus tard” ; une autre heure passe, vous avez déjà gribouillé trois pages entières sur les buvards offerts par le libraire pour noter le nom d’un récipiendaire d’une improbable dédicace, vous vous levez, vous parcourez les allées du salon plein comme un œuf, vous êtes fatigués, vous avez faim, vous allez vous en jeter un au bar du coin.
Quand vous revenez, la gentille organisatrice vous avertit que c’est l’heure, le car vous attend pour vous emmener au repas gastronomique prévu à l’auberge du vieux village, vous la suivez, vous somnolez pendant le voyage, vous débarquez au milieu de nulle part, vous vous installez à une table, n’importe laquelle, on vous amène l’entrée, vous buvez plus que de raison, vous échangez des banalités avec votre voisin de table qui se trouve être un illustrateur pour livres d’enfants, intéressant, le vin est bon, vous convoquez une deuxième bouteille, une troisième.
Le lendemain matin, vous vous réveillez avec une gueule de bois longue comme le tunnel sous la manche. A peine descendu dans le hall que votre chaperonne vous attrape par la manche et vous ramène sur le lieu de votre supplice de la veille, vous arrivez à votre stand pour découvrir qu’on vous a parqué tout au bout d’une table, “désolé, il a fallu faire de la place parce qu’une vedette du petit écran est attendue”, il y a comme de la fébrilité dans l’air, les gens commencent à affluer pour tenter d’apercevoir la bête, là voilà, elle arrive, elle vient tout droit de Paris, elle est bien habillée, elle vous salue en passant tout en regardant ailleurs, la foule s’agglutine, les appareils photos crépitent, les enfants écarquillent grands leurs yeux, les dames piaffent d’impatience, les hommes jouent les blasés, on vous demande de vous pousser encore un peu plus, vu que vous gênez pour la photo, vous disparaissez sous la table…
Dans le train du retour, vous vous dites plus jamais ça.
De retour chez vous, vous vous précipitez dans votre bureau, vous vous emparez du début de votre roman, vous vous apprêtez à le jeter par la fenêtre quand votre femme vous demande ce que vous faites, vous explosez, vous lui dites c’est fini, j’abandonne, votre femme compose en toute urgence le numéro du samu littéraire, le standard est bondé, on vous fait patienter, c’est l’heure de pointe du dimanche soir…
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Personnellement, de mon lointain Canada, je pensais que Charlie Hebdo avait depuis longtemps mis la clé sous le paillasson. Jusqu’à ce que ce matin, la nouvelle de l’incendie de ses locaux ne me rappelle qu’il sévissait encore. Ce qui ne change rien à ma vie, puisque je le confesse bien bas, je n’ai jamais acheté ce journal de ma vie. Pire, je crains même ne l’avoir jamais lu. Et j’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne me souviens même pas l’avoir tenu un jour entre mes mains. Je pourrais dire la même chose de 30 millions d’amis, 60 millions de consommateurs, 10 millions d’onanistes, le tripoteur magazine, témoignage crétin, ok podium, télé 3 jours, Madame Figaro et sa tripotée d’enfants non désirés : fig mag, fig maison, fig déco, fig divorcés, fig en chaleur.
Quoiqu’il en soit, je tenais à adresser mes félicitations à la direction de ces petits farceurs de Charlie Hebdo. Convenons-en, le coup a été magistralement joué. Mourinho n’aurait pas fait mieux. Lundi, je mets une odieuse et infâme caricature de Mahomet en une, mardi je me fais refaire une beauté aux frais de l’émir, mercredi j’investis les locaux de Libé, et jeudi, ni vu ni connu, comme à la parade, je me retrouve propulsé en une de Libération. Impeccable et imparable.
Avec un peu de chance, leur compagnie d’assurance ira jusqu’à remplacer leurs vieilles bécanes d’ordinateurs, datant des années soixante-dix, par des Asus flambant neufs ; d’anonymes bienfaiteurs leur enverront des bons gratuits pour festoyer, aux frais de la princesse, aux restos du cœur ; Emmaüs leur refourguera une cargaison de vêtements chauds bien pelucheux pour passer l’hiver sans encombre, et des veuves désœuvrées viendront offrir leurs services pour réchauffer gracieusement leur membre transi.
Et en attendant, au lieu de moisir dans un coin fétide du XXème arrondissement de la capitale, les voilà calfeutrés bien au chaud, à deux pas de la place de la République, avec une table attitrée Chez Léon, un usage illimité de la photocopieuse et des pin’s de François Hollande à ramener à leurs bambins. Chapeau bas. Et en plus, ils pourront désormais papoter autour de la machine à cafter avec Nicolas Demorand. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Trêve de conneries et retour à la réalité.
Chacun pourra comprendre que certains musulmans n’apprécient que modérément de voir Mahomet faire le mariole en une d’un journal, satirique ou pas. Encore que. Personnellement, je connais très mal ce Mahomet, si ce n’est qu’un jour, il s’est envolé dans le ciel et que depuis il est porté disparu, et en général, j’ai beaucoup de mal à m’entendre avec les prophètes. Les portes-paroles du Fils de Dieu, avec leurs sermons rigides et austères comme des noyaux de prunes congelés, m’assomment d’ennui ; je ne comprends rien aux palabres entortillés de Bouddha et de Vishnu, n’ayant aucune envie de me retrouver métamorphosé, dans une vie prochaine, en une branche de saule pleureur dépressif ou en escargot, fut-il de Bourgogne. Quant aux prophètes juifs, leurs litanies infinies et leurs suppliques pathétiques adressées à un Dieu obtus et maniaco-dépressif me font méchamment sourire.
Autant dire que le geste de s’en aller brûler le local d’un journal, sous prétexte d’avoir été offensé dans sa foi par une simple caricature, m’est aussi difficile à comprendre et à admettre que de se prétendre être un supporter de l’Olympique Lyonnais, de préférer Robbie Williams à Morrissey, ou de s’enticher des romans de Katherine Pancol.
Pour autant, afin de ne pas me voiler la face de ma burqua personnelle, je me dois, en conscience, de me demander quelle tête j’aurais, si d’aventure demain, un petit plaisantin de dessinateur s’amusait à dessiner Moïse, figure pour qui, je l’avoue, j’éprouve comme une certaine tendresse, en train de jouer au frisbee avec les tables de la loi, être occupé à uriner sur un buisson ardent ou boire la tasse lors de la traversée de la mer rouge.
Franchement ?
Franchement, je pense que je rirais. Jaune.
Franchement, je ne me priverais pas pour taxer le dessinateur d’antisémite primaire, remarque qui s’applique tout autant à mon postier quand il ne prend pas la peine de me monter mon colissimo ou à ma boulangère quand elle n’a plus de baguette moulée.
Franchement, je crois que je serais embêté.
Comme si mon petit cousin, lors du repas de Pessah, se mettait à péter à table.
Il se pourrait aussi que je trouve cela drôle mais je n’en suis pas si certain.
En fait, je ne sais pas trop.
Si derrière ce dessin, je ne décèle aucune intention malhonnête de stigmatiser les travers supposés d’un peuple, si ce dessin n’a d’autre visée que de déclencher le rire, je ne m’en formaliserais pas. Je ne prétends pas que je rirais à m’en fendre mes hémorroïdes mais je jure que jamais, jamais, je n’irai me plaindre au Crif ou à la Licra, et que jamais, il ne me viendrait l’idée de demander à mon neveu de se renseigner sur l’art de composer des explosifs.
Maintenant, si le dessinateur se trouve être un fils Benhamou ou Cohen, je lui dirais, fais moi plaisir, viens à la maison, couche avec ma femme et donne moi un fils à ton image….
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N’ayant, tout comme les jurés du prix Goncourt, lu aucun livre se trouvant sur la dernière liste des poulains à même de remporter la mise, je pense être particulièrement bien placé pour livrer mon pronostic bien réfléchi quant à la nature du futur lauréat, heureux récipiendiaire d’un chèque de 10 euros.
Participants à la fête:
Carole Martinez, Du domaine des Murmures (Gallimard), Alexis Jenni, L’art français de la Guerre (Gallimard), Sorj Chalandon, Retour à Killybegs (Grasset), Lyonel Trouillot, La belle amour humaine (Actes Sud).
Membres du jury du peuple souverain:
Bernard Pivot, 71 ans, Edmonde Charles Roux, 91 ans, Didier Decoin, 66 ans, Robert Sabatier, 88 ans, Patrick Rambaud, 65 ans, Tahar Ben Jelloun, 66 ans, Regis Debray, 71 ans, Francoise Chandernagor, 66 ans, Francoise Mallet Joris, 81 ans, Jorge Semprun, décédé.
Moyenne d’age, 74 ans. Si on compte Semprun, on grimpe à 76.
Statistique du sale gosse : 87,7 % des malades atteints de la maladie d’alzheimer ont plus de 75 ans.
A vue de nez, on peut supposer que Alexis Jenni part grandissime favori. D’abord, c’est un premier roman. Un auteur en devenir donc, qui répond parfaitement au souhait d’Edmond de Goncourt, 115 ans, et de son frere Jules, 141 ans, qui sont toujours désireux, malgré leur calvitie de plus en plus accentuée et leurs problèmes récurrents à la hanche gauche, de récompenser un auteur pas encore anobli par la république des lettres.
Autre indice qui laisse à penser qu’Alexis Jenni va décrocher la lune et être courtisé dans la foulée par son banquier, la taille monstrueuse de son livre : 633 pages pour un poids total d’environ 998 grammes. Autant dire que la moitié des membres du jury, atteint d’arthrite et de conjonctivite, n’a pas pu physiquement tenir la distance, vaincu par ce poids rédhibitoire. Ce qui représente toujours un avantage certain puisque les jurés seront tentés de penser que les lecteurs en auront au moins pour leur argent.
De surcroît, cette année, on célèbre en grandes pompes le centenaire de la maison Gallimard. La ville de Paris a déjà rebaptisé la rue Sébastian Bottin en rue Gallimard. Il serait très surprenant voire impoli de la part des vénérables membres de l’académie Goncourt de ne pas récompenser un auteur issu de la prestigieuse maison. Un crime de lèse-majesté. Une tache indélébile sur l’histoire jusqu’ici irréprochable du Prix Goncourt, Gallimard ayant grandement contribué au rayonnement des lettres françaises à travers les âges.
Depuis que Sorj Chalandon a été honoré en recevant le grand prix de l’Académie Française, sa côte apparaît en chute libre. En effet, n’importe quel libraire vous le dira, il très compliqué voire impossible de faire cohabiter deux bandeaux rouges sur une même jaquette. C’est foutraque, ça finit par manger la moitié de la couverture, le titre disparaît, le nom de l’auteur surnage à peine. De plus, Sorj Chalandon demeure tout de même un affreux gauchiste, autrefois journaliste à Libération.
Reste Lyonnel Trouilot qui peut toujours créer la surprise, au cas où les deux enfants Gallimard se tireraient la bourre au point de ne pouvoir être départagés. Auquel cas, Régis Debray, toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin, verrait peut-être d’un bon œil de décerner le Goncourt à un écrivain franco-haïtien. Comme en plus, les excellentes éditions Actes Sud, dont on ne dira jamais assez à quel point ils ont contribué à redonner un souffle nouveau à la littérature française en prenant le risque de publier des romans de jeunes romanciers époustouflants de talent (Laurent Gaudé, Laurent Cohen, Laurent Sagalovitsch), tout en ayant l’insolence d’avoir pignon sur rue à Arles, Place Nina Berberova, 13200, Bouches du Rhône, et non dans les caves des Deux Magots, ce choix audacieux et courageux permettrait de fermer une bonne fois pour toutes le clapet aux mauvaises langues de toute cette colonie d’auteurs frustrés et jaloux, déjà prêts à jouer les pleureuses en entonnant le refrain bien connu, tous pourris, tous corrompus, Pivot t’es foutu, les écrivains sont dans la rue ; des magouilles on en a plein les couilles, rendez-nous les cuisses de grenouilles et les fenouils d’Anouilh.
Restent évidemment les imprévus. Les impondérables. Une souris d’agneau trop cuite, une bouteille de vin bouchonnée, une canette de Perrier éventée, et tout peut basculer dans l’anarchie la plus totale. Quelques uns des jurés pourraient exiger de leurs majordomes qu’on attele la cariolle et qu’on les ramène immédiatement dans leurs chambres ; dans la panique générale, il se peut fort bien que les boîtes de médicament des membres les plus vulnérables du jury, se mettent à cavaler sous la table et être englouties par les coquilles d’escargots jetées par inadvertance par un papy farceur.
Avec les conséquences effroyables qu’on imagine : les crises de nerfs, les torrents de larmes, les empoignades, les couverts qui volent, les insultes qui fusent, l’inévitable lancé de purée à la truffe, Françoise qui s’en prend à Edmonde et exige qu’elle lui rende sa serviette, faute de quoi, elle la provoquera en duel, demain dès l’aube, au Champs de Mars, Robert qui, tout en jouant avec ses allumettes suédoises, s’essaye de les raisonner en fourrant son doigt dans l’oreille de Didier, Bernard, complètement paf, qui se met à chanter à gorge déployée, qui c’est les plus forts, évidemment c’est les Verts, Tahar qui se lance dans un numéro de danse du ventre, Didier qui demande à Régis mais où a bien pu passer Jorge, Patrick qui joue au mikado avec les asperges de Françoise.
Si bien qu’in fine, sur le coup de 13 heures, Didier Decoin sortira sur le perron de chez Drouant pour annoncer à la meute de journalistes présents que le prix Goncourt 2011 a été décerné à l’unanimité à André Gide pour son roman, Les caves du vatican paru aux éditions… Gallimard.
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Il est toujours affolant de constater combien la télévision peut reculer les limites de la connerie humaine. A ce petit jeu, W9 vient de frapper un grand coup de gong en proposant très bientôt à son panel de téléspectateurs, circoncis du cerveau depuis leur naissance, voire même avant leur conception, une nouvelle émission dont le simple intitulé laisse à penser que le genre humain n’a pas encore complètement touché le fond de son incontinence mentale, j’ai nommé, à la recherche du nouveau Claude François et de ses clodettes.
C’est magnifique non ?
L’homme moderne, celui né des Lumières et de la Renaissance, serait donc parvenu, bon an, mal an, à s’extirper des fanges stériles du moyen-âge, à se réinventer un idéal philosophique de vie et de beauté, à triompher de la barbarie et à promouvoir la démocratie, les lendemains qui chantent et l’espoir d’une vie meilleure pour tous, pour en arriver, un jour d’octobre 2011, à penser et à concevoir un tel concept ?
On imagine déjà le principe: une bande de demeurés, qui d’habitude se contentent de faire rougir de honte leur miroir et d’emmerder leur entourage avec leur imitations de cloclo, viennent cette fois parader en grandes pompes sous les hourras et les vivats d’un public composé uniquement de spectateurs possédant un Q.I négatif, le tout dans le décor préfabriqué d’un clinquant studio de télévision. Puis sous le regard attendri d’un jury ahuri, se contorsionner le trou de balle, en entamant quelques pas de danse cadencés, tout en se fracassant la voix sur cette année-là j’ai pleuré au téléphone lorsque Belinda la mal-aimée m’a dit qu’elle avait cassé son jouet extraordinaire et que depuis elle songeait à s’exiler à Alexandrie ou à Rio pour voir si lundi prochain il n’y aurait pas du soleil.
Encore plus fort dans cette surenchère de pornographie audiovisuelle, l’un des membres du jury sera le fils de cloclo en personne.
Et de prier le ciel très fort pour que la mort soit vraiment la fin de la fin du voyage, parce que quels que soient les sentiments que puissent nous inspirer le chanteur bondissant, à la croupe rebondie, à la chevelure cendrée et à la voix de chèvre castrée, personne, absolument personne sur cette terre, ne mérite d’assister, de son strapontin céleste, à un spectacle d’une telle obscénité. Voir son rejeton qu’on a à peine connu, jouer ainsi au maitre des cérémonies, doit donner des regrets de n’avoir pas commis de son vivant un génocide d’infanticide.
Evidemment, les candidats seront départagés lors de l’examen final qui consistera à démonter une ampoule pétaradante de watts, les pieds dans une baignoire remplie d’eau, et un godemichet dans le cul.
Ceci posé, le principe de l’émission reste des plus séduisants et pourrait donner des envies et susciter des vocations.
Voyons voir.
Ainsi les allemands, très remontés de devoir rembourser la dette Kolossale de ces branleurs de parasites de grecs, pourront se consoler en organisant un très bonhomme, “à la recherche du nouveau Adolf et de ses adolfettes”. Les candidats seront jugés sur leur aptitude à dessiner des aquarelles ratées, à effectuer un rasage millimétré de leur moustache, le bras droit levé bien haut, à démontrer leur capacité à cuire des petits fours, en écoutant du Wagner à fond la caisse, tout en prêtant une oreille attentive à Eva en train de jacasser et se plaindre de Goebbels qui n’arrête pas de lui piquer ses petites culottes pour les offrir au chien d’Himmler, et à reconnaître, du premier coup d’œil, le petit juif au nez crochu planqué dans un public composé de tziganes homosexuels.
Le Parti Socialiste pourrait organiser “à la recherche du nouveau François Mitterrand et de ses mitterandettes” avec Mazarine dans le jury. On jugera les candidats sur leur dextérité à manier la langue française à la perfection, à se montrer capable de mener une double vie sans se faire pincer par Jean-Pierre Pernault, à être à-même d’avaler une fricassée d’ortolans, lors d’un repas où l’on comptera comme convives, les petits enfants de René Bousquet, à supporter sans broncher la présence de Michel Rocard pérorant pendant des heures sur les vertus de l’autogestion, à manipuler le jury de telle sorte que ce dernier se mette à organiser un téléthon pour sauver Edith Cresson de la banqueroute, et à subir une chimiothérapie forcée tout en continuant à charmer son auditoire.
Comment ça c’est déjà fait ? Les primaires tu dis ? Et qui a gagné ? François ? François Mitterrand ? Mais les morts n’avaient pas le droit de jouer et les revenants encore moins! François Hollande tu dis ? Non ? Mais voyons il ne ressemble pas du tout à Mitterrand ? Son fils spirituel tu dis ? Tu en es sûr ? Bon pourquoi pas.
Et, in fine, Slate de lancer un grand concours à la recherche du nouveau Saga. Le candidat idéal devra être maniaco-dépressif, vert de rage, petit, presque chauve, irascible, nerveux, pète-sec, haineux, atrabilaire, anti-français, anti-allemand, anti-poker, anti-goy, anti tout…
Si tu te reconnais, écris-moi, je transmettrai à qui de droit.
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Les temps modernes ont accouché d’une nouvelle forme de charlots, j’ai nommé, les joueurs de poker. Professionnels, j’entends. Je ne parle pas ici des carpettes d’opérette qui tapent le carton avec des coquillettes en guise de jeton, dans le décor négligé d’une salle à manger, à peine éclairée par une lumière blafarde et tremblotante. Je convoque ici les nouveaux crétins tout-terrain qui, au prétexte qu’ils amassent des millions comme d’autres les feuilles mortes, se prennent pour les nouveaux intellectuels des temps jadis.
Le cerveau en moins, les lunettes noires en plus.
Généralement, le joueur de poker, le vrai, le pro, quand on a la chance de l’entendre pérorer sur la nature de son art, donne l’impression d’écouter Clausewitz chantonner son art de la guerre. Non, dusmochk, contrairement à ce que tu pourrais penser dans la désolation de ta connerie infinie, le poker n’est pas un simple de jeu cartes où celui qui a la meilleure main remporte la mise. Du tout. C’est tout le contraire.
Apprends donc que le poker tel qu’il se pratique dans les hautes sphères du savoir et de la connaissance, met en avant des ressorts et des mécanismes que seule la fréquentation à haute dose de la psychanalyse telle que l’enseignait Lacan, au collège de France, permet d’appréhender. Il va sans dire que le véritable joueur de poker a rédigé, lors de ses années de formation, une thèse de troisième cycle sur ” Dostoïevski ou le prisme de la narration transcendantale mis à l’œuvre dans l’intertextualité structuraliste de Crime et Châtiment “, s’est encanaillé l’esprit avec la correspondance secrète et encore inédite entre Freud et Jung, avec Heidegger comme juge arbitre, et s’endort toutes les nuits en convoquant comme marchand de sables le fantôme de Nietzsche papotant avec celui de Lautréamont.
Cette somme de connaissance lui permettant, d’un seul coup d’œil, de dresser le profil psychologique de ses adversaires en trois dimensions, d’établir la carte intime de ses réflexions les plus secrètes, de deviner si lorsqu’il était encore tout gamin, il préférait le Benco au Banania, s’il s’endort du côté droit ou en chien de fusil, si la jauge de sa Mustang est pleine ou seulement à moitié pleine, à quand remonte sa dernière visite chez le proctologue, s’il commence par s’habiller le matin en enfilant d’abord son caleçon puis son tee shirt ou bien le contraire. Et tout cela, j’insiste, d’un seul coup d’œil, jeté à la dérobade, avec toute la nonchalance voulue, sans même que la ronde des joueurs pourtant tout aussi fûtés et affûtés que lui ne s’en aperçoive.
Le pokerman est un avant tout un comportementaliste. La nature humaine qu’il a envisagée, dans la solitude de sa retraite effectuée dans sa suite désolée du Carlton, sous tous ses aspects, n’a plus de secrets pour lui. Il possède le flair épanoui d’un fox terrier albanais, l’intelligence canine d’un renard affamé rôdant autour d’un poulailler invisible, la vista ensorcelée d’un lanceur de fléchettes irlandais, capable de réciter Finnegans Wake dans sa version gaélique, tout en sirotant sa pinte de bière. Surtout, il possède très exactement la même puissance intellectuelle et émotionnelle qu’un videur, certifié conforme, sévissant à l’entrée d’une boîte de nuit qui en deux temps trois mouvements renifle, à la seule vue de sa paire de chaussettes, un emmerdeur potentiel ou un noceur désargenté.
Une partie de poker ressemble à un combat titanesque entre des intellects qui s’affrontent à mains nues. A regarder le spectacle de ces visages impénétrables, recroquevillés sur eux-mêmes pour mieux entendre ce que leur esprit leur communique, on est saisi d’une admiration sans borne, comme si on pouvait enfin voir à l’œil nu, les poulies de l’intelligence coulissant, légères et alertes, sur les rails de la pensée, et convergeant ensemble, comme un vol de grues dans un ciel effaré, vers le cortex d’où naît la réflexion puis l’étincelle décisive qui commande à la prise de décision : je passe, je suis, je me couche, je relance de 1000, je pourrais ravoir des chips, les toilettes c’est par où ?
Les joueurs de poker d’aujourd’hui sont les joueurs d’échecs d’hier.
Le cerveau en moins, les lunettes noires en plus. Déjà dit, je sais.
La même capacité à élaborer des stratégies qu’eux seuls sont à même de comprendre. La même propension à anticiper les réactions de son adversaire, à sonder l’insondable, à descendre si profondément en soi au risque parfois de se perdre et de sombrer dans la folie.
La même solennité quand ils se préparent à abattre leur cartes ou à mouvoir un cavalier.
Cette même afféterie quand ils manipulent leurs jetons avant de lancer leurs pions dans la bataille, comme s’ils étaient en train de peser le pour ou le contre sur une possible intervention militaire en Iran et de ses possibles retombées sur l’équilibre de la terreur au Moyen-Orient.
Toute cette frime de pacotille lorsqu’ils découvrent leurs cartes, du bout de leurs doigts, avec la même intensité dans le regard que celui d’un chimpanzé qui croise son reflet dans un miroir déformé.
Cette dextérité de comptoir à deviner l’indicible, à percer cette muraille invisible qui distingue le vrai du faux, les faux semblants aux…
” Oh Saga, tu relances ou tu te couches ?”
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Depuis que Miossec a arrêté de boire, les tenanciers bretons tirent la langue et contemplent la Pointe du Raz en attendant des jours meilleurs. Leur chiffre d’affaire a mauvaise mine, les tonneaux de bière croupissent dans leurs caves, les bouteilles de calvas leur tiennent compagnie, les verres de bière pleurent à chaudes larmes.
Les clients des rades brestois filent doux dès que le chanteur franchit le seuil de leur établissement préféré. Rien de plus déprimant que de voir un ancien camarade de boisson carburer à la bière sans alcool et au Perrier sans bulles. C’est vaguement culpabilisant, on se demande si, à son tour, il ne faudrait pas penser à arrêter, l’estomac a des vagues à l’âme, l’âme a des maux d’estomac, on n’ose à peine demander au patron de nous remettre la même chose, on a l’ivresse triste, le regard éteint, la gorge sèche, on reluque du coin de l’oeil le nouvel alcoolique anonyme avec sa figure de cire qui ne rit plus à vos blagues de mauvais goût, qui ne s’esclaffe même pas à la première connerie éructée, on finit par ressembler à un personnage fatigué d’un roman de Simenon, on a peur de déranger, et on finit par rentrer chez soi pour s’enfiler en solitaire le fond d’une bouteille de calvados, achetée par pack de dix au Leader Price du coin de la rue.
Chansons ordinaires peut donc se vanter d’être le premier opus de Miossec écrit, composé et enregistré à l’eau claire. Ce qui franchement, de prime abord, ne saute pas aux yeux. Miossec ça reste Miossec. Et c’est tant mieux. Bourré ou sobre, ses albums sont toujours aussi foutraques et bancals, alternant le sublime avec le médiocre, des ritournelles entêtantes et des chansonnettes mal fagotées. Mais on s’en tape. C’est comme ça qu’on l’aime. Un peu bordélique. Un peu va-comme-je-te-pousse. Un peu paresseux. Pas un de ces maniaques des studios qui passent leurs nuits à se branlotter le manche de guitare avec des ordinateurs bioniques, perclus de manettes et de boutons, pour tenter d’apprivoiser la perfection, avec le risque de signer un disque aseptisé comme un lavabo astiqué par un GI aux arrêts. Ce qui était d’ailleurs un peu le cas du dernier, Finistériens, où Miossec, avec son comparse Tiersen, se la jouait à la Phil Spector, et embourgeoisait son son, en sonnant comme une publicité feutrée qui vanterait les charmes discrets d’une compagnie d’assurance. Exception faite du magistral Chiens de Paille qui annonçait déjà les lendemains qui déchantent.
Miossec, on le devine, après deux heures passées dans la touffeur moite d’une cabine d’enregistrement, doit avoir des fourmis dans la voix et des trémolos dans les chevilles. Ce qui tombe bien vu qu’on ne sait toujours pas, après huit albums, si on peut ranger Miossec dans la catégorie chanteur. Décrire la voix de Miossec c’est aussi compliqué que de tenter de décrypter le phrasé d’un roman de Faulkner. Il ne murmure pas comme Daho ou Murat, il ne gueule pas comme Pagny ou Johnny, il ne sifflote pas comme Joe Dassin, il ne roucoule pas comme Mike Brant, il n’envoûte pas comme Baschung, il ne chuinte pas comme Stephan Eicher.
Miossec, il râle du Miossec. Une espèce de chanter/parler animal, à la sauce gainsbourienne, qui le rend d’emblée sympathique, vu qu’il donne l’impression que, si seulement on avait un peu de temps devant soi, on pourrait en faire de même. Sauf qu’il y a la vaisselle à faire, les mioches à coucher, la femme à câliner, les poubelles à sortir, la voiture à amener chez le garagiste, la facture d’électricité à régler, les volets à repeindre, la pelouse à tondre, les mouettes à nourrir, le parquet à cirer, la télé à dépoussiérer, la concierge à amadouer…
Toute cette tracasserie sans fin du quotidien qui font le miel des chansons de Miossec. Sans oublier les femmes chagrines, les couples qui se délitent, les queues qui battent de l’aile, les cœurs écorchés, les tromperies honteuses, les putes généreuses, les amours qui se cassent la gueule, les ivresses des sentiments qui se fracassent contre le mur de la routine, les amis envahissants, les gueules de bois sordides, les réveils pâteux, les remords sans fin, les souvenirs trembles de la veille, les cachets d’aspirine périmés et la cafetière qui ne veut pas marcher.
Dans Chansons Ordinaires, Miossec donne l’impression de s’être un peu calmé, comme s’il s’était réconcilié avec lui-même ou du moins qu’il avait signé une armistice avec ses démons. Juste le strict minimum. Qu’il trouve un peu plus grâce à ses yeux. Qu’il n’aime plus trop à se détester, comme avant. Qu’il ne courbe plus l’échine sous le poids d’une vie détricotée à l’ombre de sentiments outragés. S’il est toujours son pire ennemi, il commence à s’en amuser et à se foutre de sa gueule. Ce qui constitue un exercice toujours réjouissant.
Miossec décline des vies toujours ratées, forcément ratées, mais ce n’est plus forcément tragique. Les femmes ne sont plus là pour le rappeler à l’ordre et le culpabiliser, les compromis taillent les virages et tracent la route, on accepte de vivre vaille que vaille, on espère que cette fois les fondations seront assez solides pour durer, on a foi en l’amitié qui vaut bien tous les coups de queue de la terre, on serre les poings, mais cette fois non plus de rage, mais juste pour s’encourager et garder le cap, on se surprend à croire en la tendresse, et si ce n’est pas encore le Nirvana, ce n’est déjà plus l’enfer.
Pas si mal.
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L’Amérique a eu les Kennedy, John, Bob, Ted, leurs frasques à répétition, leurs présidences classieuses, leur résidences secondaires à Martha’s Vineyard, leurs voiliers racés, leurs élégances intouchables, leurs impeccables gueules de beaux gosses, polies au marbre de la mafia, leurs maîtresses innombrables, Marilyn, Ava, Audrey, la standardiste de la maison blanche, la maquilleuse de Jackie, la manucure de John… Pour ne pas rester à la ramasse, la France peut désormais miser sur le casino royale de Rollande : Ségolène, François, leur quatre rejetons, leur captation à répétition des élections présidentielles, le Poitou Charente, la Corrèze, Poitiers, Tulle, Josiane (Balasko), leurs régimes spectaculaires, leurs flâneries sentimentales, leurs étourderies lexicales. Et tout comme chez les Kennedy, sitôt qu’un passe par la fenêtre, un autre réapparaît comme par enchantement par le soupirail de la chambre à coucher. John mord-il la poussière que Bobby se ramène. Ségo se ramasse-t-elle que François surgit.
Les Kennedy pouvaient compter sur John Edgar Hoover pour les renifler de chambre d’hôtel en maison de passe, les figures d’équilibristes des deux jouvenceaux socialistes ont peut-être fait les délices des soirées de Monsieur Guéant. Les Kennedy se sont dépucelé le cerveau dans des confréries Harvardiennes, François et Ségolène se sont déniaisé le cervelet à la cafétéria de l’ENA. Les Kennedy ont fait frissonner une Amérique se servant de leurs images comme des godemichés à multiples facettes, les Rollande ont… Non faut pas pousser là.
Les Rollande sont le sparadrap de la gauche centralo-socialo-communiste française. Ce qui ne manque pas d’étonner voir d’estomaquer le commentateur, peu au fait des joutes politiciennes corréziennes poitevines, qui ne peut s’empêcher de se demander si le choix de désigner Monsieur Rollande comme candidat à la présidentielle ne relèverait pas d’une sanglante tentative de suicide annoncée. Partant du constat très humaniste que ce qui se ressemble s’assemble, on peut émettre l’hypothèse qu’un couple qui, avant de s’éparpiller au détour de la cinquantaine, a compté trente années de fréquentation assidue à son compteur, avec quelques marmots encombrant le porte bagages pour l’attester, a pu être un de ces couples fusionnels, tant sur le plan sentimental qu’intellectuel, symbole resplendissant de l’interpénétration des sentiments mêlés, des échanges complices distillés au coin du feu sur leur façon de concevoir la chose politique au sein de la société française, des roucoulades énamourées sur la responsabilité incombant au chef de tenir ses troupes et de les mener à la victoire finale.
Bref que chacun, au contact de l’autre, ait pu finir par se forger une identité peut-être pas jumelle ni consanguine sur tout les points – il se peut fort bien qu’après toutes ces années de vie commune, leur avis continue à diverger sur le temps de cuisson à accorder à un gigot cuisiné à la vapeur – mais tout au moins, reposant sur le même socle intangible d’idéaux voire d’idées (sait-on jamais).
D’où la perplexité. D’où le gratouillage de crane. D’où le doute. Parce que Ségolène, hein, on la connait bien. On se l’est quand même assez farci ses dernières années pour comprendre qu’elle ne respirait pas la plénitude des alpages suisses ou la tranquillité d’esprit des marais poitevins, qu’elle souffrait tout de même d’une légère tendance à se prendre pour la réincarnation de Mary Poppins, qu’elle se comportait de temps à autre comme une héroïne exaltée, échappée d’un roman de Dostoïevski, qui en connaissait un rayon sur le dérèglement des sens et sur l’appétence de chacun d’entre nous à entretenir des rapports plus ou moins cordiaux avec une sorte de folie fébrile à même de nous amener à agir d’une manière quelque peu inconsidérée.
D’où la suspicion somme toute légitime qui fait se demander si Roro ne souffrirait pas des mêmes maux, qui s’exprimeraient certes d’une manière beaucoup plus feutrée, mais affecteraient tout autant sa façon d’envisager le réel que sa feu compatriote de boudoir. Que, quand bien même extérieurement, il se poserait plutôt là comme l’épigone attitré d’une république apaisée, en sous-sol, dans le mécanisme interne de son psychisme secret, de ses ressorts intimes, il existerait quelques fêlures dans la carapace, conséquence impitoyable de trente années de vie commune à vivre aux cotés d’une dame à la psychologie (parfois)altérée.
Et tous les grands psychiatres vous le diront, à force de se coltiner jour après jour des êtres souffrant (parfois) d’une propension à prétendre entendre les oiseaux chantonner en grec et les canards roucouler en latin, mal bénin dont souffrait Virginia Woolf qui n’était pas une imbécile, comme quoi, à force, par un mécanisme des plus naturels, votre propre psychisme finit (parfois) par s’user voire se surprend à jouer au caméléon et à imiter les errances de l’être en souffrance. Phénomène, je le précise afin de ne pas m’exonérer, qui peut arriver (parfois) aussi au romancier.
Bon, j’en conviens, comme toute hypothèse, ceci n’est qu’une hypothèse.
Mais n’empêche.
Je continue à marteler qu’on se sort pas indemne de trois décennies passées aux cotés d’une femme qui s’est (parfois) sentie investie d’une mission toute divine.
Evidemment, pour ne pas prendre une volée de bois verts par des féministes enragées qui sont prêtes à vous amener direct à l’échafaud sitôt qu’on se murmure à voix basse que Madame Royal n’a pas nos faveurs, entendant par là que notre affection ne repose que sur le fait qu’elle appartient au deuxième sexe, je serais prêt à signer une lettre stipulant que l’inverse serait tout aussi vrai.
Pour juger de la pertinence de mon hypothèse des plus farfelues, il ne reste plus à attendre que mai 2012. Ou 2017. 2022. 2027. 2032. Le temps que les enfants Rollande prennent du gallon et s’inspirent du parcours de leur vénérables parents en postulant, à leur tour, aux plus hautes fonctions de l’état.
Bon courage aux futures générations.
Le cauchemar ne fait que commencer.
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J’avoue, hier encore à cette heure-ci, j’hésitais. Aubry ? Hollande ? Hollande ? Aubry ? Rester chez moi ? Une partie de pétanque avec mon chat ? Passer l’aspirateur à cloche-pied, en reculant, de gauche à droite, les yeux bandés ? Allumer un cierge face à l’océan ? Une séance de spiritisme pour demander à Steve Jobs son avis ? Bref, j’étais perdu dans le labyrinthe de mes pensées déboussolées. D’un côté, en regardant le visage émacié et chétif d’Hollande, ce visage autrefois bonhomme et désormais malingre, avec ces traits creusés et cette glotte froufroutante, je me disais, plein de bonté attendrie, va, vote pour lui ne serait-ce que par charité chrétienne, au moins à l’Elysée, on prendra soin de lui, il sera bien nourri, il mangera à sa faim, il retrouvera des couleurs, il n’aura plus ce visage qui ressemble de plus en plus à celui d’un rescapé de Treblinka ou de Koh-lanta, attendant dans un corridor gelé qu’on l’amène à la potence en réclamant qu’on lui apporte enfin son dernier repas.
Et de l’autre côté du miroir, il y avait Martine, remontée comme un coucou suisse carburant au Viagra et au Prozac, pugnace comme un Tyson de la grande époque, mordante comme un Pitt Bull shooté au Pastis, prête à en découdre avec le premier malotru qui oserait la contredire. Alors François, Martine, Martine, François, Maths sup, Maths spé, Ribery, Tiberi, Pantani, Panzani?
Et puis, comme un miracle céleste, hier sur le coup de 17H13, une dépêche estampillée urgentissime est tombée sur mon téléscripteur : Josiane Balasko déclarait qu’elle voterait pour François Hollande. Un cataclysme. Un coup de tonnerre dans un ciel serein. Un Big Bang intellectuel. Le genre de nouvelles qui vous prennent au dépourvu, vous renversent d’émotion et vous transpercent tout net le cervelet.
Au début, bien sûr, comme des millions de mes compatriotes, je ne voulais pas, je ne pouvais pas y croire. Trop beau, trop fort, trop énorme, trop intense. J’ai dû rafraîchir ma page une bonne douzaine de fois avant que l’information ne parvienne véritablement à s’incruster dans mon cerveau débile. Balasko avait enfin pris sa décision et, dans sa bonté infinie, avait consenti à nous la communiquer. J’en aurais chialé d’émotion non retenue.
Soudain, je compris ce qu’avait pu ressentir Moïse sur le mont Sinaï lorsque après sa sieste dominicale, L’Eternel avait daigné lui apparaître. Ce sentiment indescriptible de toucher soudain au sublime, au surnaturel, d’être confronté de plain-pied à quelque chose qui nous dépasse et nous terrifie dans le même mouvement. L’apparition ensorcelée de La Vérité qui vous éclabousse de sa lumière céleste et intemporelle et fait que, tout à coup, on pressent que la donne à changé, que le monde a basculé dans une autre dimension, qu’une nouvelle ère s’offre à nous. Vertigineux.
M’eût-on annoncé que David Beckham allait, in fine, signer à Saint-Etienne et non plus à Paris comme annoncé, que je n’aurais pas été plus remué.
Parce que attention Balasko, c’est du lourd, du très lourd. Ce n’est pas Emmanuelle Béart qui se prend pour la réincarnation de Georges Sand, de la Pompadour et de Madame de Lafayette. Intellectuellement, ça se pose là. Non seulement une grande actrice ayant contribué, d’une manière indubitable, à la renaissance du cinéma français, que dis-je, à la flamboyance de la Culture Française, que dis-je encore, au rayonnement de la Pensée Made In France, une icône indéboulonnable de la dernière vague, une estampe incontournable du classicisme français dans toute sa splendeur retrouvée, une statue du commandeur, mais aussi, mais surtout, une conscience, une vraie, une femme à mi-chemin entre Simone Signoret et Virginia Woolf, mâtinée d’une couche d’Hanna Arendt et de Gertrude Stein. Bien plus qu’une simple actrice mais l’incarnation même du génie français à travers les âges, décliné sous toutes les latitudes.
Depuis, c’est drôle, mais je me sens comme libéré. Je ne doute plus. Je ne me sens plus tiraillé entre François et Martine. Au fond, c’est ça le véritable rôle des intellectuels. Penser à notre place. Nous éclairer quand nous ne parvenons plus à trouver en nous les ressources suffisantes pour discerner le vrai du faux, à différencier l’avoir de l’être, l’essence de l’existence. Des phares qui, dans leur solitude recluse, pensent le monde, l’envisagent sous toutes les coutures, le décortiquent, arrivent à le conceptualiser, à le déchiffrer, puis, en l’espace d’une formule lapidaire, concise, parviennent à nous le résumer d’une telle manière que le temps d’un instant, à notre tour, nous avons l’impression de le saisir dans sa globalité et de l’appréhender d’une manière intelligible. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. Je est un autre. E=MC2. Un coup de dés n’abolira jamais le hasard. Il faut imaginer Sysiphe heureux. L’enfer, c’est les autres. Je voterai François Hollande.
Voilà. Ma décision est donc prise. En conscience, je ne peux pas résister à l’appel de Josiane. Je ne peux pas. Ce serait une trahison des clercs. Une remise en cause de toutes les valeurs auxquelles je crois. Il faut parfois avoir l’humilité de s’effacer devant la puissance d’une pensée qui nous dépasse et à laquelle nous n’avons d’autre choix que d’adhérer les yeux fermés. J’ai confiance. J’attends juste de connaître l’avis d’Ophélie Winter pour trancher définitivement. Si d’ici dimanche, elle ne s’est pas manifestée, alors c’est sûr, je marcherai dans les pas de Josiane. La tête haute et le regard fier.
lire le billetPour payer la très coûteuse maison de retraite de Morrissey qui, comme condition préalable à sa mise à l’écart, a exigé que tous les autres pensionnaires de son futur établissement mortuaire s’alimentent uniquement de salades venues du potager, il a bien fallu que les Smiths trouvent encore une astuce pour se renflouer. Cette fois, après le best of I, le best of II, le best of 3 et demie, le best of du best of, le top du best of, le pire du meilleur du best of, le coffret the Sound of the Smiths, the music of the Smiths, the Sound of the music of the Smiths, ils nous ont concocté une jolie valise du plus bel effet, intitulée l’intégrale remasterisée, avec pas moins de 8 CD à s’enfiler. Le top du top. The compil.
Cette fois juré, c’est la der des der, celle que tout Smithien qui se respecte se doit de posséder, au risque sinon de se faire flageller le torse, à l’aide d’une poignée de glaïeuls cueillies par la main du maître en personne, et que quelques hurluberlus de fans de la première heure ont recueillis lors de concerts donnés dans les années 80, avant de les congeler ou de les garder dans un flacon de formol.
Evidemment, cette fois, il était absolument hors de question que je marchasse dans cette honteuse combine destinée à payer l’entretien du potager bio de Momo. Hors de question. Out of question.
J’ai donc décidé de me rebeller.
Intransigeant jusqu’au bout, faisant preuve d’une ténacité en tout point exemplaire, j’ai exigé et obtenu qu’Amazon ne me l’envoie pas derechef par express mais consente à me le faire parvenir sous les 3,4 jours.
Et vlan ! Dix euros d’économisés d’un coup d’un seul. Morrissey peut dire au revoir à sa maison de retraite labélisée Jose Bové.
Je ne suis pas une vache à lait tout de même.
N’empêche.
Les Smiths.
Steven Morrissey, Johnny Marr, Andy Rourke, Mike Joyce.
Une poignée d’albums et une collection de singles qui, à eux seuls, ont changé le visage des années 80. Lui ont donné à jamais cette coloration de mélancolie joyeuse, de désespoir guilleret, un mélange de pureté inouie et d’élan vers une perfection inaccessible. Ces riffs de guitare primesautiers, accompagnés par la voix hantée de Morrissey. Ces paroles transies de poésie adolescente, couplets parfois mièvres, souvent sublimes qui nous racontaient, à nous, pauvres puceaux s’apprêtant à entrer dans l’arène, à quoi il fallait s’attendre : le cynisme à tout crin, les jalousies mesquines, les amitiés impossibles, les amours contrariées, les appels à une autre vie, la certitude de la solitude.
Les Smiths.
1982-1987.
Nés à Manchester. Morts à Manchester. Fauchés au sommet de leur gloire. Tirant leur révérence avant de sentir s’apesantir sur leur cou les parfums mortifères de la corruption, les concessions obligées à des capitaines d’industries voraces et sans âmes, la tournée dans des stades surdimensionnés, la facilité, le succès, la célébrité, la gloire, les plateaux de télé, le passage au Grand Journal, l’interview avec Claire Chazal, le petit déjeuner à l’Elysée, la poignée de main sur le perron avec les puissants de ce monde, le renoncement, la fin, la chute.
Moi je suis intact et ça m’est égal prétendait Rimbaud dans une Saison en enfer.
Intact.
Intact, le génie de ces Mancuniens sortis de nulle part, capables, à coups de chansons claquant comme des slogans d’une génération s’apprêtant à épouser un monde en crise, chômage, sida, récession, d’attendrir nos âmes meurtries, de consoler nos chagrins sans fin, de nous épauler dans notre lutte au quotidien pour ne pas s’abandonner complètement à l’air putassier du temps, pour s’essayer à garder, envers et contre tout, la sublime naïveté de nos adolescences à jamais perturbées.
Intact.
Intact le charme ensorcelé de ces chansons que le temps n’a pas affecté et qui nous prenaient par la main et nous disaient, n’aie pas peur, je suis là, je serai toujours là, ici et maintenant, aujourd’hui et demain et même après-demain, tout à tes côtés je me tiens, tu n’es pas seul, regarde, moi aussi je ne vais pas bien, moi aussi je ne me comprends pas bien, moi aussi j’ai mal à moi et j’ai mal aux autres, moi aussi je suis perdu, moi aussi je souffre, mais si on souffre ensemble, alors on ne souffre plus vraiment, pas vrai ? Si on désespère ensemble, alors on ne désespère plus vraiment. Si on pleure ensemble, on ne pleure pas vraiment. On peut s’en sortir. On peut s’aider. On peut s’épauler. Tu n’es plus seul au monde puisque je suis là. Et puisque tu existes alors moi aussi je ne suis plus seul.
Intact.
Intact. Morrissey. Le porte-parole de nos pensées qu’on n’osait édicter et que jusqu’alors on ne rencontrait qu’à l’ombre de recueils de poésie abimés, le soir venu, dans la solitude recluse de nos chambres obtuses, quand le silence du monde nous étreignait et que l’on se demandait comment s’y prendre pour ne pas sombrer. Ces paroles disséquées, chantonnées, murmurées qu’on apposait en tête de nos journaux intimes où l’on se demandait, entre deux pages mouillées, si l’amour existait vraiment, et si oui, où se cachait-il, comment fallait-il procéder, quels chemins à emprunter pour le dénicher ?
Intact. La rage. L’envie de combattre. La nécessité d’en découdre. La lutte. Le monde t’appartient. Lève-toi et chante. Rebelle-toi. Va contre l’ordre établi. N’écoute pas les discours mensongers des politiciens amputés du cœur et de l’esprit qui s’essayeront à te courtiser. Ne te retourne pas. Sois ferme dans tes convictions. Ne cède pas. Va. Va t’en conquérir le monde. Il t’attend. Il suffit de le vouloir. N’aie pas peur d’avoir peur. Ta peur est ton moteur.
Les Smiths.
On ne se remet pas de l’écoute des Smiths. Nés au monde avec eux, engendrés par eux, on poursuit sa route, avec leur musique toujours en arrière-fond, comme la bande sonore de nos existences, qu’elles fussent accomplies ou inachevées, difficiles à appréhender ou limpides de simplicité. On n’a pas trop le choix. C’est l’inconvénient d’avoir grandi aux côtés du plus grand groupe de rock que le monde ait jamais connu et ne connaîtra jamais plus. Tout ce qui vient par la suite semble fade. Convenu. Etriqué. Mensonger. Sans intéret. Ou pour le dire en des termes plus concis, c’est de la merde.
Ou bien, pour le dire autrement, en des mots plus policés : “de toutes les facons depuis la séparation des Smiths, la musique, elle est morte. S’il y avait un groupe qui arrivait à leurs chevilles, ça se saurait. Et viens pas m’emmerder avec tes crétins d’Oasis, tes branleurs d’Artic Monkeys, tes tapettes d’Arcade Fire, tes zboubs de Kooks, tes demeurés de White Stripe. Que des branleurs de copieurs de pisseurs de crachoteurs je te dis. Ne discute pas, et monte dans ta chambre, crétin d’idiot de fils que j’ai engendré par erreur.”
Et le premier qui prétend le contraire je te l’expulse manu militari de ce blog, je relève son numéro IP et je l’envoie à monsieur Hadopi.
Farpaitement.