Faut voir comme on nous tweete


En temps normal j’ai déjà du mal avec Twitter mais lorsque ce sont les politiques qui en usent en abusent je deviens comme une mère juive à l’heure où son fils aîné vient lui annoncer son intention de se marier avec une Goy : je pique un fard à rendre jaloux une pointe de harissa.

Autrement dit, je veux bien vivre avec mon temps, épouser les nouvelles merveilles de la modernité, vendre mon chat aux enchères pour financer l’achat d’un Aphone 18, me laisser géolocaliser par des trous du culs californiens, mais arrive un moment où je dis stop, je ne joue plus.

Et là, Alain, en l’occurrence, je dis stop.

Alain Juppé hein pas Alain Delon.

Donc lundi soir, à l’heure du digestif, au beau milieu de l’aéroport d’Istanbul, des terroristes désœuvrés pratiquent le ball-trap avec des voyageurs égarés avant d’embarquer pour le Paradis rejoindre les soixante-dix vierges dûment promises.

Carnage effroyable : des morts par dizaines, des blessés partout, l’horreur, l’horreur, l’horreur.

Capture jupppppéééé

A la même heure, dans sa bonne ville de Bordeaux, Alain entouré de quelques notables, s’attaque à sa crème brûlée, apothéose d’un dîner absolument parfait.

On cause football, loi du travail, Brexit et compagnie, référendum ou pas, projet, propositions, passe-moi le Perrier tu veux bien, programme des déplacements à venir, c’est bon de se trouver ainsi loin de la furie médiatique, quand soudain le portable d’Alain posé à même la table part dans un double salto arrière carpé, victime d’une soudaine alerte Figaro.

Alain ouvre son bidule, lit la dépêche : attentat à l’aéroport d’Istanbul…des morts…un bilan encore partiel…des bombes…des fusillades…probablement une attaque de l’État Islamique.

Alain a cessé de rire.

Il sait l’heure grave, il a conscience que des millions de Français attendent inquiets sa réaction, pas question de se dérober, c’est cela aussi un homme d’État, savoir garder son sang-froid à l’heure où vacille le monde tout en rassurant la population, cette population qui depuis l’annonce de l’attentat rafraîchit toutes les deux secondes son fil Twitter afin de connaître la position de celui destiné à être leur futur président, va-t-il condamner avec assez de fermeté cet acte des plus lâches, saura-t-il trouver les mots pour dire l’effroi, peut-on seulement compter sur lui en ces instants dramatiques ?

Alain, grave, sans un mot, sort de table, se dirige vers son bureau, s’enferme dans son cabinet de travail, s’empare d’une feuille de brouillon, compose quelques phrases, rature, recommence, s’énerve, s’applique, compte avec ses doigts le nombre de caractères, quatre-vingt-sept, nickel, il se relit à haute voix, parfait, tout juste parfait Alain, du beau boulot, avant de se connecter sur son compte Twitter retranscrire ces mots qui feront date dans l’histoire de l’humanité :

Capture juppé

Istanbul. Rien à redire. Alain a évité le piège, il sait pertinemment que la capitale de la Turquie, c’est Ankara et non Istanbul – c’était au programme de la première année de l’ENA – piège classique quand on évoque la Turquie, il aurait pu se tromper, il aurait dû se tromper, mais non, il a bien écrit Istanbul, il n’est pas maire de Bordeaux pour rien, il est sûr que Nicolas, cet ignare avec sa culture générale de troufion, lui, s’est planté à coup sûr.

Berceau de civilisations. Alors là Alain a fait très fort, il le sait, c’est un coup de maître, il a longtemps hésité entre carrefour et berceau, s’est finalement laissé séduire par berceau, carrefour eût été trop sonore, trop percutant, trop grandiloquent, il faut faire montre de tact, berceau c’est juste parfait, l’image de la naissance, du commencement, de la vie même qui renaît à la vie et vient terrasser l’odieuse mort mise à l’œuvre dans cet aéroport. Et civilisation au pluriel. Alors là, chapeau bas.  Le petit détail qui fait toute la différence. La marque des grands. Ah Istanbul, Byzance, Constantinople, qui dira la richesse de tes merveilles successives ?

Shakespearien, Racinien, Juppéien.

Une nouvelle fois victime du terrorisme. Les faits, rien que les faits. Pas d’hyperbole. Mal nommer les choses c’est rajouter du malheur au malheur écrivait Camus. Terrorisme. L’accablement mais pas la résignation. Mémoire et Devoir. Désolation et compassion. Délicat. Puissant. Volontaire. Mâchoire carrée. Ne rien lâcher. Pas un pouce. Moi aussi j’ai des couilles, mon petit Nicolas.

Camusien, Mitterandien, Juppéien.

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Enfin Solidarité. Pan. Le couronnement suprême. L’apothéose. Le mot qui claque comme un coup de trique et se répand dans le cyberespace. La petite touche personelle histoire de moucher Nicolas et ses racines chrétiennes à deux balles. L’universalité. Nous sommes tous égaux devant le terrorisme aveugle. Musulmans, Catholiques, Francs-maçons, Énarques. Appel aux hommes de bonne volonté peu importe leur couleur, leur race, leur croyance.

Gaullien. Obamien. Juppéien.


Un tweet pour rentrer dans l’Histoire. Une Histoire pour raconter le monde. Le Monde du meilleur d’entre nous.

Le comble de la vanité, la vanité des mots, des mots pour ne rien dire.


Parfaite métaphore de notre monde…

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3 commentaires pour “Faut voir comme on nous tweete”

  1. Juppé arrive meme à geler les trolls.

  2. Joli papier, parce que je vous préfère moins outrancier, question de goût et parce que Juppé m’inspire comme un parpaing dans un cimetière. C’est une belle ville Istanbul, dommage que les français n’apprécient pas plus que ca la Turquie, Erdogan n’aide pas, il y a le parc de Gülhane et la douceur de vivre, les parterres de fleurs où les yeux se reposent https://www.dropbox.com/s/1mt2do3trhepm73/2014-07-03%2017.24.25.jpg?dl=0 et les amants et les mains qui glissent sous les jupes longues 😉 et tout au bout un peu en haut sur la droite on peu déguster du thé en contemplant l’immensité du Bosphore https://www.dropbox.com/s/ct0b1e3gvt43jmb/2014-07-03%2017.46.42.jpg?dl=0 Ça vaut le coup d’œil. #RIP

  3. J’espère que tu rigoles là!
    Juppé, aurait-il pu penser à tous ça, en même temps?
    Simplifier et raccourcir tellement de chose. Un concentré si sucré de sagesse.
    Précis et net comme le couperet d’une guillotine.
    La classe de l’ énarque dans le tragique.
    Mais la fin me rassure.
    Ouf!

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