Il y a quarante ans, soudain, le malheur frappa à ma porte


Il y a quarante ans, jour pour jour, ma vie a connu un drame dont je ne me suis toujours pas remis : à Glasgow, en finale de la Coupe d’Europe, l’Association Sportive de Saint-Étienne s’inclinait sur la plus petite marge face au Bayern de Munich.

J’avais neuf ans et je ne laisserai personne dire que ce fût le plus bel âge de ma vie.

A bien des égards, ce jour-là, ce funeste 12 mai 1976, je découvris le goût amer de l’injustice, l’implacable dureté du monde, la marche funèbre du destin, autant de sentiments qui depuis ne m’ont jamais vraiment quitté.

Je connus mon premier vrai malheur, mes premières vraies larmes, ma première vraie désillusion, mon premier vrai chagrin, ma première vraie déchirure, de celle qui vous accompagne toute la vie et vous abandonne seulement au moment de rejoindre votre tombe.

Oui, j’ose le dire, cette défaite des Verts porta sur ma vie un voile de tristesse dont je me suis jamais vraiment séparé.

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Le soir même, je restai de longues minutes dans mon lit à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter, ma mère essaya de me consoler en me promettant que l’année prochaine mes Verts triompheraient mais je ne voulus pas la croire, je secouai de dépit mon visage baigné de larmes comme si je pressentais que pareille opportunité ne se représenterait plus jamais.

Les chagrins d’enfance sont éternels, ils se logent au plus profond de vous, dans les replis de votre âme, en des endroits secrets d’où leur triste musique s’échappe comme des volutes de désespoir qui viennent colorer votre vie d’une teinte si blafarde que leur seul ressouvenir vous plonge dans des abîmes de mélancolie. (Putain, que c’est lourd !)

Ce fut aussi le début de ma profonde antipathie vis-à-vis tout ce qui toucherait de près ou de loin à l’Allemagne, les prémices d’une inimitié qui, plus tard, lorsque je découvrirais la nature de ses crimes commis lors des décennies précédentes, se muerait en une aversion si profonde, si sincère, qu’elle constituerait l’un des fondements de ma personnalité.

Auschwitz pour moi commença à Glasgow, se poursuivit à Séville, pour se se conclure à Auschwitz.

Par une étrange distorsion historique, Rocheteau annonçait Primo Levi, les poteaux carrés les wagons plombés, le coup-franc de Roth l’abandon de Dieu. (Parfois, je me demande vraiment ce que mettaient mes parents dans mes biberons ? De l’acide ? Du LSD ? Des antidépresseurs dernière génération ? Les trois à la fois ?)

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Si les Verts l’avaient remporté, je ne serais pas là aujourd’hui à vous raconter ma vie. J’aurais dévoré l’existence à pleines dents, je me serais rangé du côté des gagnants, j’aurais triomphé de tous les obstacles dressés devant moi.

A cette heure, je serais même heureux, oui heureux, j’aurais monté ma propre boîte, je serais roi parmi les rois, je fumerais le cigare, j’appartiendrais à tous les Rotary club de la terre, je serais devenu franc-maçon, j’aurais mes entrées au Parc des Princes, je frayerais avec la jet-set, j’entuberais le fisc, je passerais mes vacances en Bavière avec Olga, mon épouse adorée originaire de Karlsruhe, rencontrée au salon automobile de Genève, lors de l’achat de ma première Mercedes.

C’est tout juste si je saurais que je suis juif.

Maintenant, je suis maudit, je passe mon temps à pleurnicher, je suis perpétuellement insatisfait, je fais peur aux enfants, je traîne ma mélancolie jusqu’aux confins du Canada, je regarde les années passer en me demandant où elles sont passées, je ne possède rien, à peine un chat neurasthénique qui se comporte comme un pharaon.


A cause de poteaux carrées, ma vie tourne en rond.


Ce sera mon épitaphe.

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11 commentaires pour “Il y a quarante ans, soudain, le malheur frappa à ma porte”

  1. Je pense que nos chers trolls n ´ etaient pas nés .

  2. Même pas né!

  3. De l’excellent Saga ! Quasi génial.

  4. “YOU WILL NEVER HATE ALONE” … j’ai lu avec intérêt. Vous laissez peu (ou pas) de place à la critique. Vous le criez haut et fort ‘ j’aurai toujours raison ! ‘
    Mais pour qui sait lire entre les lignes (et je trouve la constatation triste) vous n’aimez personne … même pas vous … dommage !
    Vous êtes vous, vous assumez … dont acte.

  5. Bébert , mets ton béret et gare à tes boutons .

  6. Dans mes bras mon frère. Je vous ai connu par une critique du Monde qui spécifiait que vous auriez couru tous les kiosques de Tel-Aviv pour avoir le résultat de Sainté. Et voilà.

  7. Très proustien.

  8. Je ne me souviens pas avoir jamais lu un texte qui tresse avec autant de drôlerie l’absurde et le sens, le burlesque et le tragique, la frivolité et une certaine gravité qui ne consent à se révéler qu’à travers la dérision.
    Bel exercice.
    Saga, comment va l’enfant qui est resté en vous quand il suit le désespérant, et surtout détestable, feuilleton des turpitudes de la fifa ?

  9. Aïe,aïe, aïe ! Je vous envoie un stock de Kleenex. Encore un week-end de merde ! Vous avez une vie particulièrement dure … allez Lille !!!!!

  10. Envoyez-moi votre adresse parce que j’aimerais vous faire parvenir un stock de Kleenex … il me semble qu’il seront utiles

  11. Pure méchanceté bien entendu ! Mais c’est écrit avec compassion … restez tel que vous êtes vous semblez être un gars bien !

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