Je n’aime pas les gens.
Ils me fatiguent. Ils m’exaspèrent. Ils me déçoivent.
D’ailleurs j’évite de les fréquenter.
Je peux passer des journées entières sans me frotter à l’un d’entre eux hormis la caissière du supermarché avec qui j’échange un vague signe de tête.
Quand je me rends à une soirée, ma seule obsession est de les éviter et si j’en vois un arriver bille en tête vers moi, je me précipite aux toilettes, je me cache sous la table, je me dissimule derrière les rideaux, je cherche protection dans les jambes de ma moitié.
Je suis toujours effaré de constater que les gens qui, il y a encore cinq minutes ne se connaissaient pas, parviennent à entretenir des conversations enjouées autour de sujets parfaitement futiles avant de se séparer et de s’en aller participer à un autre groupe de discussions.
Je dois être asocial.
J’ai des amis pourtant mais hors d’eux point de salut, point de compromis, point de relations tièdes dont je sais d’avance qu’elles seront décevantes et sans lendemain.
Je vomis toutes ces fastidieuses conventions sociales qui nous obligent à nous intéresser à des individus dont on se fiche éperdument, qui nous sont même intuitivement antipathiques mais avec qui il faut malgré tout pactiser afin de ne point paraître comme hautain ou snob.
Au fond de moi, je suis à peu près persuadé que 99% des gens qui peuplent cette planète sont, lorsqu’ils sont pris dans leur radicale individualité, des couillons avérés, des êtres d’une parfaite insignifiance, des personnes odieusement bêtes, méchantes, prêtes à vous poignarder dans le dos si la nécessité se faisait sentir.
Et pourtant ces mêmes gens pris dans leur globalité, représentant un groupe bien distinct d’individus réunis dans un cercle commun d’intérêts partagés, souvent je les aime, parfois même je les admire, j’ai envers eux des élans spontanés teintés d’infinie tendresse et de compassion éternelle.
Je les comprends.
Je sais leurs souffrances, le poids de leurs déceptions, leurs difficultés à exister, leurs impossibilités à concilier leurs rêves avec une réalité qui les submerge et les écrase : ils sont comme des rats de laboratoire tournant à l’infini dans leurs cages et appelant une aide qui jamais ne viendra.
Ils sont irrémédiablement seuls, perdus dans un monde bien trop grand pour eux, sans outils pour l’affronter, obligés à se soumettre à des lois iniques, allant effarés et égarés sur le chemin de leur existence dont ils peinent à comprendre le sens.
Ils boivent de trop, fument, se droguent, s’oublient devant leur télévision, tentent par tous les moyens d’échapper à leur atroce solitude, fondent des familles, contractent des emprunts, investissent dans des assurances-vie, cherchent à se protéger des vicissitudes d’un destin qui pourtant finira toujours par les broyer et les briser.
Je les regarde, je souffre pour eux, je ressens au plus profond de moi une infinie tristesse pour ce qu’ils endurent ; ce sont des frères, ils m’attendrissent, j’aimerais leur venir en aide, leur dire qu’ils ne sont pas tout seuls, que je suis là, à leurs côtés, que je le serais toujours, en toutes circonstances.
J’ai le culte de la compassion.
Je ne l’affiche pas mais elle est là, en moi, tout le temps, à chaque seconde de mon existence.
Cette compassion que je ressens vis-à-vis de l’humanité dans son ensemble, je la dois aux livres.
Qu’est-ce qu’un roman si ce n’est un cri, un appel au secours, un vagissement qui se répercutant à l’infini entre en résonance avec vous.
L’apprentissage de la douleur d’être dans un monde perdu dans les ténèbres où tous nous allons, incertains, hagards, terrassés d’angoisse et de peur, et auquel, magnifiques de désespoir et de courage, nous tentons de résister, de demeurer inflexibles dans nos convictions et nos espoirs, déterminés à ne laisser personne crever sur le bas de la route.
Ainsi va ma vie.
Entre certitude que mon voisin de palier vit par procuration et préoccupation que malgré tout, dans cet immeuble fouetté par les vents mauvais, il puisse demeurer debout et vivre sa vie sans s’abîmer de trop.
Je suis un misanthrope humaniste.
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Vous venez de faire mon portrait!
” L’homme est un animal inconsolable et gai. ”
Jean Anhouil ( pas sûre d’avoir mis le h où il faut, qu’il me pardonne. )
Un misanthrope est forcement humaniste !
Tâchez de devenir un misanthrope humoriste plutôt qu’humaniste : l’absurdité de cette mascarade qu’est la vie est souvent à pisser de rire ; et surtout ne vous emmerdez pas avec la métaphysique.
Résumons. Les gens sont des « couillons avérés » – et méchants ! – , esseulés mais qui s’agglomèrent et groupent pour « tenter […] d’échapper à leur atroce solitude ». Vous les détestez (et craignez ?) idiots dans la déréliction, et les aimez comme des frères (ne le sont-ils pas ?) en humanité exposés à la souffrance dans leur vie privée de sens et assujettie à un peu reluisant face à face avec eux-mêmes. Aussi éprouvez-vous, rachetant votre timorée détestation de ces faibles coreligionnaires d’espèce humaine, « le culte de la compassion ». Intéressant culte qui vous vint de la fréquentation des romans. Chez vous, littérature et culte (et/ou culture ?) de la compassion, d’être ainsi appariés, se confondraient-ils, seraient-ils une même source de solidarité ?
Culte, cultuel, et culture, culturel, cela ne sonnerait-il pas bizarrement pour les cerveaux nichés dans l’unique pour-cent de pas « cons avérés » ? Car le roman n’est jamais qu’une construction intellectuelle. Certes, souvent il jaillit de vies et passions vécues, et alors il éveille en nous de puissants échos causés, selon Franz Kafka, par « la hache qui brise la mer gelée en nous », donc la compassion. Mais la compassion, souffrance altruiste qui est vrai partage, devrait peu à peu rendre moins déséquilibrée la très inégale répartition de l’humanité en imbéciles et ceux qui ne le seraient pas.
Donc, littérature mais aussi action aidant, faire glisser le maximum des êtres sans nul bâton, sans nul soutien [sens latin de l’adjectif « imbecillus », extensivement : faible d’esprit] dans le minuscule second groupe. L’anémie, jamais n’augura rien de bien fameux.