Et voilà c’est reparti pour un jour.
Le nouveau Kippour est arrivé.
Chaque année on pense pouvoir l’éviter, passer à travers les mailles du talith, feinter avec les hasards du calendrier mais non, septembre survient et nous voilà convoqués à nouveau devant le tribunal du Grand Pardon afin d’expier nos prétendues fautes et demander à l’Autre Empoté de nous amender de nos innombrables péchés commis durant l’année.
Putain de Kippour.
Le jour où le goy de service appelant son dentiste attitré, son banquier favori, son médecin chéri, tombe invariablement sur leur répondeur où Dieu en personne se charge de l’avertir qu’au vu de la liste de leurs impairs perpétrés durant l’année écoulée, Messieurs Samama, Goldstein, Abecassis ont été condamnés à ne point travailler pendant vingt-quatre heures, à jeûner jusqu’à ce que rédemption s’ensuive et à prier pour le salut de leur âme.
Le fait est que presque tous les Juifs, qu’ils fussent croyants fervents, athées enragés, agnostiques perplexes, qu’ils résident en Terre Sainte ou glandouillent en diaspora, obéissent à ce commandement divin et passent leur journée de Kippour à se morfondre au fond de leur lit à regarder la dernière saison de Mad Men en attendant l’heure de la délivrance.
Moi le premier.
Même si j’ai toujours pensé qu’entre Dieu et moi, si quelqu’un devait jamais demander pardon, ce serait plutôt à Lui de le faire tant depuis le jour où Il s’est mis en tête de s’occuper de nos affaires, Il s’est montré d’une parfaite incompétence et nous a conduits à éprouver un nombre si grand de malheurs et de tragédies que c’est à se demander dans quelle divine faculté il a obtenu son diplôme de Grand Maître de l’Univers.
Kippour c’est aussi, c’est surtout une affaire de famille.
Si on consent à ne rien bouffer ni boire pendant une journée, c’est parce que nos parents faisaient de même, imitant en cela leurs propres parents qui eux-mêmes s’inspiraient de leurs propres parents qui à leur tour copiaient l’attitude de leurs propres parents qui eux-mêmes…et c’est par ce mimétisme institutionnel et séculier que nous nous revendiquons tous comme étant les fils de Moïse and Co, établis en Galilée depuis la nuit des temps, spécialistes en ouverture de mer Rouge et organisateurs de raids à pied dans le désert du Sinaï qui peuvent durer jusqu’à quarante années.
Donc comme n’importe quel autre couillon de Juif, en ce jour de Kippour je ne travaille pas, ce qui à dire vrai, pour un écrivaillon au rabais comme moi, ne constitue pas un changement fondamental dans mes activités quotidiennes : je ne compte plus les journées, les semaines, les années même où Kippour ou pas, fort de mon libre-arbitre, je ne travaille point du tout.
Et je ne mange ni ne bois.
Je passe la journée dans un état comateux, je me traîne du canapé du salon à mon lit, je ne pense à rien, j’attends, je somnole, je compte les secondes, je regarde ahuri le cheminement des aiguilles de l’horloge de la cuisine, je souffre, je maudis ma race, je suis tellement hagard que j’en oublie de demander pardon ; quand sonne l’heure de la reprise des activités, j’avale un jus d’orange, un vague bout de gâteau, un ersatz de blanc de poulet et je me recouche aussitôt.
Et non, à la différence de tous ces fayots de Juifs, de Rabbi Jacob d’opérette qui se précipitent au temple entendre le son du chophar, je ne me rends pas à la synagogue du quartier.
D’abord j’ignore où elle se trouve exactement, deuxièmement je suis pauvre comme Job et n’entends pas dépenser des fortunes pour avoir le droit de m’assoir à côté de Monsieur Boutboul qui, entre deux prières, va encore essayer de me vendre ses assurances-vies et troisièmement, si je veux parler à Dieu, je l’appelle directement sur son portable, je n’ai pas besoin d’intermédiaires, ni de culs-terreux de rabbins, ni d’arbitres des élégances religieuses, pour entretenir un dialogue avec Lui.
Je prèfere L’apostropher de mon lit.
De toutes les façons, comme Il est sourd de naissance, Il ne prend jamais la peine de répondre.
Je suis mon propre rabbin.
C’est bien mieux ainsi.
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Simplement magnifique une nouvelle fois j ai envie de dire .
Je ne suis pas juif mais ma femme et donc mes enfants oui
Et je reconnais des ras de personne la dedans et je rigole comme un con pendant ma pause au travail
Merci
J’adore 🙂
Pour la ligne, Kippour ne saurait nuire, à condition qu’on se sustente ensuite avec modération. Vos réserves sur la foi en Dieu sont compréhensibles ; goy, (pas « de service » néanmoins), l’on pourrait partager vos récriminations : le Dieu de l’historiquement deuxième « religion du Livre » partage avec le Vôtre les mêmes problèmes auditifs et, par voie de conséquence, d’élocution. Là où « le goy [pas] de service » devrait s’insurger – mais son goût pour l’insurrection est râpé comme un tapis trop piétiné –, c’est devant votre profération : « je maudis ma race ».
D’abord les races, selon les plus grands biologistes, n’existent que dans le cerveau pervers des autocrates, tyrans, dictateurs, sans oublier les indécrottables beaufs. Ensuite, à l’affirmer à cor et à cri, vous calomnieriez un peuple (dont vous êtes) pourvu, entre autres merveilles, de « spécialistes en ouverture de mer Morte » – ce qui, l’on en conviendra, est une habileté infiniment plus digne que celle d’ouvrir des de coffres-forts. Enfin, quoique les Juifs ne puissent s’enorgueillir d’un prophète marchant sur les eaux, ils jugeront certainement, forts d’un humour par tous célébré, qu’il est tout de même plus utile qu’une foule immense traverse à sec une mer les séparant de la terre à elle promise que d’acrobatiquement marcher sur l’eau, exercice servant surtout à ébahir les spectateurs et qui présente une évidente proximité avec le tour de cirque ou la lévitation en mouvement.
Pour finir, l’on se contentera d’observer que les rituels partagés par une famille (au sens propre comme au figuré) sont primo, plus chaleureux sinon forcément agréables et secundo, se trouvent le plus généralement prémunis contre les inévitables (les gens sont si tordus et envieux !) soupçons de pathologie mentale qui désacralisent les rituels solitaires – l’on pense aux rites anorexiques qui, quelles qu’en soient les interprétations psychiatriques, évoquent les antiques jeûnes d’anachorètes et beaucoup d’autres refus plus récents de nourriture, sporadiques ou chroniques, assez connus pour que l’on ne s’appesantisse pas davantage sur ces ventres concaves, ces tristement osseuses chairs et ces jambes pouvant à peine porter, lors des défilés de mode, des corps pourtant si affreusement allégés.
Rouge la mer,rouge !
ma dentiste, ma banquier et ma médecin ne sont pas juives,enfin je n’en suis pas sûre, sauf pour ma banquière qui est aussi ma cousine. j’avoue ne pas les choisir en fonction de leur patronyme et/ou de leur religion, en revanche mon premier stomato en était ainsi que mon premier dentiste (maintenant que vous m’y faites penser) mais il avait plus vocation à être boucher que dentiste et me suis empressée d’en changer. bonne fête!
Le juif en cavalle est sympa! Mais il n’a rien invente Le jour de Kippour on lit l’histoire de Yona – pas tres recente je crois- Lui aussi a voulu fuir et n’en faire qu’a sa tete… Bof ! Peut-etre que ca aurait pu marcher? De tout facon dans ce domaine chacun a ses raisons et toutes sont bonnes a mon avis…Lui Il fera ce qu’Il voudra.