J’ai parfois des élans suicidaires.
Des envies de me confronter à l’impossible.
De me surpasser, de m’affranchir du principe de réalité, de repousser les limites du genre humain et d’accéder ainsi au rang de demi-dieu.
C’est ainsi qu’hier, glandouillant mon ennui comme seul un prétendu écrivain sait le faire, après avoir joué à la marelle avec mon chat (j’ai gagné haut-la-main), je me suis décidé à regarder Roland-Garros. En streaming.
Roland et moi, c’est une vieille histoire.
Adolescent, quand je n’affolais pas les défenses adverses de mes dribbles envoûtants sur les terrains de foot où j’évoluais avec une grâce toute platinicienne, j’entretenais des affinités électives avec les petites balles jaunes dont je réquisitionnais l’attention pour dessiner de chatoyantes arabesques capables de désarçonner n’importe quel adversaire.
Étant haut comme trois abricots rassis, j’ai très vite compris que mon physique de nabot m’empêcherait de remporter quelques coupes autres que celle du tournoi annuel réservé à la catégorie des demi-portions de Juifs ashkénazes ne dépassant pas la hauteur du filet.
Ce qui ne m’a pas empêché de participer une année au championnat des Hauts-de-Seine qui se tenait à Roland-Garros.
J’ai dû y passer deux, trois tours, j’ai foulé la terre battue du court numéro 2 où selon toute logique mon glorieux souvenir doit encore planer, j’ai émerveillé de mon talent ineffable le cœur des spectateurs se résumant à mes parents et à ceux de ma malheureuse victime, je me suis hissé sur les mêmes chaises (sans aide d’escabot) où des générations de grands champions se sont assis en personne pour récupérer de leurs herculéens efforts.
Bref Roland et moi c’est du sérieux.
Étant un intellectuel de haut-rang, il se trouve que de téléviseur, je n’en ai évidemment pas, et résidant dans un pays qui ne possède avec la France que la langue comme unique point commun (et encore), ne pouvant donc accéder aux merveilles de France Télévisions, j’ai dû me résoudre à farfouiller dans les entrailles du net pour visionner la rencontre Nadal/Djokovic.
J’ai dégusté comme jamais.
Autant, avec le temps et l’habitude, je suis devenu expert dans l’art de mater du foot sur le net – j’anticipe les trajectoires du ballon, je devine les courses des joueurs, je flaire le but à venir avec la même opiniâtreté qu’un porcelet avisé débusquant une truffe dans un buisson de champignons – autant en tennis, j’ai de vraies lacunes.
Jusqu’ici, je n’avais jamais remarqué que la plupart du temps, les joueurs de tennis professionnels disputent ou plutôt miment des échanges où la présence de la petite balle jaune n’est pas requise ou alors sous la forme d’un vague cochonnet ayant la fâcheuse tendance à s’éclipser toutes les deux secondes.
C’est ainsi que j’ai assisté à des échanges de fond du court où Nadal et Djokovic ressemblaient à deux pantomimes débiles se renvoyant une ba-balle imaginaire dans une fiction de tennis à même de figurer dans une séquence des Temps Modernes de Chaplin.
J’ai vu de mes yeux vu Nadal commencer à réajuster son string et la seconde suivante, dans un fondu enchaîné tout godardien, martyriser une balle d’une torgnole de revers rebondissant dans les travées du court central, avant d’être récupérée par un fantôme de ramasseur de balle qui passait par-là.
J’ai vu des services gagnants atterrir dans le couloir. Des balles de break restées lettres mortes. Des slices rebondir à hauteur d’épaule.
J’ai vu Djokovic amorcer une tentative d’amortie qui au final, grâce à un fondu enchaîné des plus osés, s’est soldée par un lob magistral.
J’ai vu Nadal serrer le poing alors que le point n’avait point encore commencé.
J’ai même cru voir Nadal s’essayer à un service volée mais non, en fait, c’était juste Murray qui avait déboulé du court voisin sans crier gare.
A un moment j’ai même vu la Tour Eiffel effectuer un smash du fond de court renvoyé par l’Arc de Triomphe.
En fait je n’ai rien vu.
Rien vu du tout.
Juste deux branquignols de tennisman d’opérette qui ont passé le plus clair de la partie le cul vissé sur leurs chaises à attendre que la rencontre se termine. Et moi avec.
Dimanche, la finale ce sera sans moi.
Je verrai plutôt le Grand Prix de Formule 1 du Canada.
En streaming.
Je sens que je vais me régaler.
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Vous êtes fatigués ? A court d’inspiration ?
Ahanaient-ils, au moins ? Ouïtes-vous leurs ahans ? Antan, le Majorquin Nadal en général, suait et soufflait d’ahan. Servirait-il désormais avec un silencieux ? Le Belgradois Djokovic s’épanchait moins, sauf erreur. Et les journaux ! Ah, les journaux, toujours outranciers : « Djokovic terrasse Nadal ». Un séisme serbe ? Dix-neuf jeux à l’homme des Balkans, neuf pour l’Espagnol, en trois sets : 7-5, 6-3, 6-1. Différence d’âge ? La trentaine est pour les deux aux approches : Novak, trois cent cinquante-trois jours de moins que Raphaël. Une paille.
Interviewée, la sagesse des peuples dit : « On ne peut pas toujours gagner ». Et le journaliste (sceptique) ajoute : « Au prochain siècle, s’en souviendra-t-on ? »
Le plus grave est, bien sûr, que vous ayez trimé (chat présent ? Chat dormant ?) devant votre écran d’ordinateur. Les yeux rivés sur du flou, à tenter de suivre la trajectoire des petites balles jaunes. Ah, les cochonnettes ! À cause du « streaming », tout ça, tout ça à cause de ce flux continu d’images, animé certes, mais pas toujours de bonnes intentions. La preuve ? Vous parlez de ces échanges de simple comme si Naphaël et Radak ne furent que pantins – mimant on ne sait trop quoi, ni pour qui, et n’ahanant même pas ! –, qu’on n’eût pas mieux aperçus sur un court de Wimbledon, un jour d’épais fog londonien.
Vous imaginez combien l’on vous comprend, et approuve, de savourer par avance les flux bariolés des formules 1. Au moins glandouillerez-vous plus brièvement devant la lucarne, et permettrez à votre chat de prendre sur vous, à la marelle, sa revanche. Vous lui devez bien ça. Un maître à chat(s), sous peine de se livrer à quelque abus de faiblesse, doit avec élégance se montrer moins fort que son chat. De temps à autre.
Et puis, sans être vraiment un camélidé, je vous blatérerai que, le plus souvent possible, prendre l’air vaut mieux que faire ventouse sur les cochonnettes à raquette, ou qu’entendre déblatérer sur cet (encore mais bientôt ex-) pauvre président de la Fifa par ci, Fifa par là. Je sais : pauvre, ça se discute. Mais ne chipotons pas.