En France, tout le monde a été résistant même le chat de ma voisine

                                                                                                                                                                                                                                                 J’avoue, jusqu’à hier, le grand nigaud que je suis ignorait tout de Zaz.

Sa vie, son œuvre et même la taille de ses souliers.

Il a fallu qu’elle se risque à déclarer dans des propos quelques peu tarabiscotés qu”’à Paris sous l’occupation, il y avait une forme de légèreté. On chantait la liberté alors qu’on ne l’était pas totalement” pour qu’elle entre de plain-pied dans le grand livre de l’Histoire de France.

En moins de temps qu’il en a fallu à l’armée allemande pour atteindre le cœur de la capitale lors de la bataille de mai et juin 40, son sort était scellé.

Zaz était une suppôt du zemourisme, la papesse du renouveau national, la porte-parole des Gringoires des temps modernes, la suffragette des marinettes en culotte courte, la dépositaire attitrée de la pensée du Maréchal.

Encore un peu et on la tondait en direct sur le plateau de Vivement Dimanche avec Michel Drucker dans le rôle du barbier de Belleville.

C’est qu’on ne plaisante pas sur un tel sujet en France.

La France a tellement eu à souffrir de l’occupation, elle a été si éprouvée dans son cœur et dans son âme que de prétendre qu’elle eût pu durant quelques temps s’accommoder d’une manière ou d’une autre de la présence allemande en son sol relève désormais du crime de haute trahison.

C’est entendu, la France, toute la France, de Dunkerque à Marseille, de Brest à Strasbourg, de Bordeaux à Nancy, a souffert, la France a combattu, la France a résisté et la France a triomphé.

La collaboration n’a été l’affaire que d’une poignée de crapules attendries par la figure toute paternelle du Maréchal, la milice un rassemblement de quelques écervelés rincés à l’eau de Vichy, les rafles un simple accident de parcours, les dénonciations une fantasmagorie victimaire et la prétendue soumission volontaire à l’Allemagne Nazie un affreux contre-sens historique.

D’ailleurs tout le monde autour de vous jurera sur la tête du Général que ses grands-parents ont caché des Juifs pendant la guerre, que dès le 18 juin ils se sont empressés de rejoindre les rangs de la résistance, que grand-papa pissait à la raie d’Adolf tandis que grand-maman transportait dans son cabas des munitions pour aider à faire sauter les trains.

Personne ou presque ne se reconnaîtra dans ces mots écrits pourtant par un vrai résistant de la première heure, l’un des esprits les plus fins du siècle dernier, un philosophe aussi modeste que savant, Vladimir Jankélévitch, dont je me permets de reproduire ici un extrait publié en 1948 dans La Revue Les Temps Modernes, sous le titre “Dans l’honneur et la dignité” :

 ”Pendant quatre honteuses années, la croix gammée a flotté sur la Tour Eiffel, insultant un paysage aussi vénérable à sa manière que l’Acropole d’Athènes. Et c’est pourtant un fait que le cataclysme n’a atteint dans leur destinée et leur vie privée que les masses patriotes et résistantes de la population. Qui de nous ne se rappelle les après-midi de dimanche de la zone dite libre entre 1941 et 1943 avec leurs jardins publics plein de promeneurs paisibles et de rires d’enfants. La France croupionne du Maréchal était viable, les trains circulaient, les bourgeois allaient en vacances et aux sports d’hiver, les conférenciers faisaient leurs conférences, nos célèbres chefs d’orchestre dirigeaient avec entrain, pour maintenir le prestige de la musique française, des cycles Wagner à rendre jalouses les plus fameuses baguettes Wurtembergoises.

Ah les beaux dimanches franco-aryens du Palais de Chaillot ! Car c’était le bon temps. Le bon temps vous dis-je. La France de Pétain se mettait en gants blancs, baudrier et socquettes blanches. Quand à l’occupation étrangère, c’est là un détail qui n’a d’importance que pour les Juifs et les rouges espagnols. Il faut le dire : le régime de l’État français correspondait aux vœux d’une partie de la France qui se reconnaissait en lui.”

D’évidence il y eut aussi durant ces heures sombres des comportements sidérants de bravoure et de courage.

Nombreux furent ceux qui risquèrent leur peau et celle de leur famille pour sauver la vie de malheureux dont ils ignoraient encore l’existence quelques heures avant de les cacher chez eux.

Et puis, il y eut les autres, tous les autres, cette masse grise d’hommes et de femmes emportés dans le ravin de l’Histoire qui firent ce qu’ils purent.

Avec leurs moyens.

Qui ne furent ni obstinément valeureux ni honteusement lâches.

Ne se situant ni dans le camp des vaincus, ni du côté des vainqueurs.

Pas plus résistants que collaborateurs.

Juste résignés et passifs.

Attendant que la guerre se termine pour pouvoir respirer un peu mieux et reprendre leurs occupations d’avant-guerre.

Il ne nous appartient pas de les juger.

Juste de rappeler que oui, il y eut une certaine frange de la population française qui s’accommoda fort bien de la présence allemande dans nos villes et nos campagnes.

Qui, oui, aimait à frayer dans des cabarets parisiens, célébrer la légèreté de l’époque et fraterniser avec des officiers allemands.

Et qui furent bien heureux d’habiter dans des appartements occupés jusqu’alors par des Juifs dont parfois ils avaient signalé la présence aux autorités compétentes.

Ne pas le reconnaître serait une faute.

                                                                                                                                                                                                                                                 Et atténuer la véracité de ces faits comme certains se complaisent à le faire dans des ouvrages paraît-il à succès, un authentique crime.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

17 commentaires pour “En France, tout le monde a été résistant même le chat de ma voisine”

  1. Très bon et fort juste ! On en a beaucoup voulu à ceux qui avaient maintenu la “gaité” dont parle Zaz après les bombardements de la Libération et l’ouverture des camps : le temps était à la gravité. L’article de Libé est dans cette veine, mais soixante-dix ans trop tard. Je me demande si son auteur fait partie de ceux qui ont été choqué qu’on montre des photos en couleurs de Paris occupé : des gens au soleil et en couleur, alors que les événements étaient si graves, impensable ! Pourtant, nier la résignation, l’aveuglement, les petits arrangements, les grosses compromissions ou la simple envie de vivre malgré tout, est une posture vertueuse, binaire et hypocrite.

  2. Vous êtes bien soft. Ça change. Vous avez toujours citez Jankelevitch sans jamais le remettre dans le contexte à savoir qu’ “Il fallait le dire haut et fort, en ces termes polémiques, au sortir de la guerre et encore au tout début des années 70, quand une lâcheté complaisante plus ou moins délibérée entendait tourner la page d’un coeur juridiquement léger”. http://www.detambel.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=743 C’est ce qui a motivé Sartre à dire que “l’homme est esclave de sa liberté”, responsable de sa barbarie. Il faudra citer Derrida à l’occasion, vous saviez que c’était l’anniversaire de sa mort? Reste un point à élucider, comment pouvez vous citer un jour Faulkner et le lendemain Jankélévitch?

  3. Je me fous autant de l’avis de ZAZ sur la période de l’Occupation que de celui de Marion Cotillard sur les attentats du 11/09 ou de celui de Sophie Marceau sur la façon dont notre Président s’est comporté avec sa compagne.

    En d’autres temps, ou d’autres posts, celà aurait été votre réaction aussi.

    Là vous avez votre os favori à ronger, alors vous vous laissez aller à commenter des bavardages sans intérêt, en assenant des vérités maintes fois rabachées. Dommage.

  4. Oui, il nous appartient d’autant moins de juger que la barbarie n’a pas faibli depuis la défaite de l’Allemagne nazie, et que toutes ces grandes manifestations de contrition par procuration ont pour seul but le blanchiment des injustices commises à présent. Des dizaines de milliers d’immigrés crèvent tous les ans sur la route de l’Eldorado.
    – L’usage des victimes juives est le même qu’il fut fait par le passé de Jésus-Christ et des martyrs chrétiens. Les Français ne sont pas assez idiots pour ne pas se rendre compte qui ce genre de discours moral est destiné à servir.

  5. @achtungbaby
    Je pense que notre ami Saga réagit plutôt à ce genre d’imbécilité http://next.liberation.fr/musique/2014/11/14/zaz-et-la-legerete-du-paris-occupe_1143254

  6. Achtungbaby, ce n’est pas l’avis de ZAZ que Sagalovitch commente, c’est la bronca qu’il a généré, et ce qu’elle révèle.

  7. ” Le silence de ces espaces infinis m’effraie…… “a dit l’autre

  8. « Il ne nous appartient pas de les juger [ceux qui “s’accommodèrent fort bien de la présence allemande”] » (sic). Certes. Dans notre for intérieur, ne les jugeons-nous cependant pas ? L’on se retient, simplement, de le dire. À moins que le refoulement tourne à la forclusion, empêchant le salutaire retour du refoulé à partir de l’inconscient.

    Dommage que vous ne vous interrogiez pas ouvertement sur ce qu’il adviendrait AUJOURD’HUI, si la France devait de nouveau subir d’un pays quelconque une occupation presque quinquennale. Qui ne pense, en effet, qu’à entendre (lire, pis : acheter, vrai cas de conscience !) quels livres parfois sont écrits, qu’à commencer de lire (et vite arrêter) tels propos répandus sur « le Net », la France actuelle battrait, en allégeance à l’occupant, celle des années 1940 ? Que donc, les « Plus jamais ça ! » sont devenus des trompe-oreilles ?

    Qui n’observe qu’une régression idéologique générale n’est même plus occultée par le flot des commémorations ? Si continuaient ces avancées de crabes, seuls les livres d’histoire nous éclaireraient sur la nature et la couleur à l’arrivée de pareille course à reculons.

  9. @puycasquier : si vous me permettez et en résumé, si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle.

  10. @Coline et Lecapitaine : je ne savais pas que “l’affaire” avait déjà pris de telles proportions…

    Merci pour cette mise en perspective.

  11. “Il ne nous appartient pas de les juger.” ceux “Qui ne furent ni obstinément valeureux ni honteusement lâches.” Quant à ceux qui s’accommodèrent “fort bien de la présence allemande dans nos villes et nos campagnes.” en “atténuer la véracité” est “un authentique crime.” Je ne vois pas où est le problème. Saga nous dit que Libè la fait passer pour une “une suppôt du zemourisme”. http://next.liberation.fr/musique/2014/11/14/zaz-et-la-legerete-du-paris-occupe_1143254 La conclusion ne dit pas ça. Saga commence par des généralités puis au fur et à mesure il affine. Au final ce papier ne vaut pas grand chose si ce n’est faire parler les bavards. lol

  12. elle est sympa Zaz, elle fait un peu “vagabonde”…..
    un humoriste, ayant remarqué qu’elle pouvait parfois avoir le cheveux “gras”, a formulé ce “bon” mot;
    “quand tu évoques le “Tahiti-douche” devant Zaz, ses yeux brillent de curiosité, son intérêt s’éveille, son cœur palpite, et ben oui, ça fait quand même deux endroits sur terre qu’elle ne connaît absolument pas….

    (désolé)

  13. Je ne pense pas effectivement qu’il faille se réjouir de l’accablement de zaz, non parce que ce qu’elle dit serait juste, mais parce qu’en creux, à force de tout mélanger, personne n’est choqué par un Deutsch et tout le monde tombe sur Zaz, or, l’une est un symptôme, l’autre fait partie du problème…

    Il se trouve que depuis plusieurs années, la vie du Paris sous l’Occupation a principalement été décrite, avec force d’expositions et de beaux livres, par des photographies de la propagande nazie, dont l’objectif était justement de souligner la légèreté de la vie parisienne sous la gentille occupation allemande…

    Ce type de manipulations se retrouve aussi dans le cinéma grand public. Le film a succès, qui a beaucoup d’autres qualités, La rafle, s’ouvre sur une scène de boulangerie festoyante de bon pain façon baguette tradition et viennoiseries à foison, comme si, à la veille de la rafle du vel d’hiv, la vie dans Paris était belle et insouciante, même pour les Juifs, pourtant persécutés depuis l’installation du régime.

    Pardon de faire l’historien de service, d’autant que j’arrive ici par hasard, mais il se trouve que la réalité c’est que pour la majeure partie de la population parisienne, non, la vie n’était pas légère.

    Et la belle citation de Vladimir Jankélévitch n’y change rien, parce que vous oubliez un tout petit détail : il parle de la zone dite libre, et donc absolument pas de Paris, alors occupé et non sous gouvernement de Vichy mais sous commandement militaire allemand…

    Pas de quoi accabler Zaz qui ne pensait certainement pas à mal, tout comme votre billet. Tous ceux qui se sont jetés sur elles sont souvent moins courageux lorsqu’il s’agit de parler des âneries et manipulations de personnages médiatiques plus établis.
    Reste que les multiples “maladresses” (disons cela comme ça) de ces dernières années ont entretenu une certaine confusion, qui a conduit à ce qu’aujourd’hui on dise n’importe quoi sur la vie parisienne sous l’occupation. Que la vie ait continué pour certains, sans aucun doute, que des centaines voire des milliers de personnes aient vécu dans la peur, sans légèreté aucune, n’espérant qu’une chose, passer en “zone libre” ou à l’etranger pour tenter de sauver leur vie, on ne saurait l’oublier…

  14. @achtungbaby

    Nul doute que vous ayez une grande affection pour votre tante et votre oncle, mais enfin, les traiter de la sorte est un manque ostentatoire de respect, qui les peinerait certainement s’ils en prenaient connaissance.

    Ce que j’en dis… Surtout, ce sibyllin commentaire est difficile à décrypter.

  15. Bon bas qu’en je pense à Paris sous l’occupation je revois plutôt La traversée de Paris ou Le docteur Petiot lol

  16. Papy fait de la résistance? Ou M. Klein? Quelqu’un a vu Le dernier Metro?

  17. Bonjour Saga, Je decouvre votre blog aujourd’hui et ce billet avec la citation de Jankelevitch est un pur bonheur. Contre les gribouillages d’ Eric Z., il faudrait réediter ces articles de Jankelevitch.

Laissez un commentaire

« »