L’horreur de vieillir

 

La semaine dernière j’ai eu 47 ans.

Rien que de réunir ces deux chiffres côte à côte pour désigner mon âge me semble relever d’une sinistre plaisanterie.

Ce ne peut être moi.

Comment, sans même m’en rendre compte, avec une facilité déconcertante, sans produire le moindre effort, ai-je pu déjà atteindre cet âge-là qui résonne à mes oreilles suppliciées comme une entrée fracassante dans l’hiver de ma vie ?

Je sais, j’entends monter les récriminations mi-amusées mi-dépitées proclamant le ridicule d’une telle prophétie, l’assertion que considérant les progrès de la médecine,  je ne serais encore qu’un benjamin au printemps de sa vie, la proclamation indignée de me voir ainsi m’apitoyer alors que mes plus belles années sont encore à venir.

Foutaises, je m’exclame !

Peu me chaut de savoir que la durée de vie moyenne d’un homme atteint désormais les quatre-vingts saisons.

Elle pourrait être de cent-cinquante ans que je n’en ressentirais pas moins ce poids du temps qui a passé et ne reviendra plus, cette impression d’avoir déjà un pied dans la tombe, cette angoisse profonde et sincère que désormais chaque jour passé me rapprochera un peu plus du moment où ma vie ne sera plus qu’un lointain souvenir, une parenthèse à jamais refermée, un simple nom sur une stèle funéraire.

Et tandis que j’écris ces lignes, dehors il pleut, novembre, le plus affreux des mois, frappe à la fenêtre, encore une heure et la nuit sera déjà là, la nuit de toutes les nuits, la nuit triomphante, la nuit glaciale, la nuit humide où les cœurs se mettent à chavirer d’une tristesse poisseuse que rien ne parvient à égayer tandis que les âmes sanglotent de solitude dans la désolation d’un lit transformé en linceul.

Et comme nous sommes dimanche, que ce jour-là, j’ai obtenu, de haute lutte, d’être exempté de cuisine, je sais déjà que je n’aurai ce soir comme repas qu’une assiette de pâtes à peine chaude accompagnées d’une sauce pesto livide servie de mauvaise grâce par la ménagère en chef fâchée de toute éternité avec les arts culinaires.

A un moment j’ai espéré que François Hollande venait au Canada tout exprès pour moi, que mis au courant de mes humeurs mélancoliques, il avait décidé toutes affaires cessantes de me rendre visite afin de me distiller quelques paroles de réconfort, me confier l’inquiétude de ma mère patrie à me voir affligé de la sorte et m’implorer, au nom de la nation toute entière, de me ressaisir, de rassembler mes forces et d’aller de l’avant.

Je me suis laissé abuser.

Le faraud a peine eu le temps de se poser quelques heures à un millier de kilomètres d’ici avant de repartir vers l’est.

Même mon chat a filé je ne sais où, se doutant bien au vu de mon humeur chagrine, qu’il allait encore servir de victime expiatoire à  mes accès de bile et être obligé de subir sans broncher les mille et une perversions de son maître.

Depuis ce matin, j’écoute en boucle le dernier Léonard Cohen que ma compagne, toujours bien inspirée, m’a offert, la semaine dernière, pour me féliciter d’être encore en vie.

Le message était des plus clairs : ne commence pas à pleurnicher avec ton âge, regarde L.Cohen, il vient de fêter ses quatre-vingts-ans et il se porte comme un charme.

Ce qui est vrai.

Sauf que Léonard Cohen n’a jamais été jeune.

Il est né avec des rides au cœur.

Et depuis il ne cesse de rajeunir.

                                                                                                                                                                                                                                             Tout le contraire de moi.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

8 commentaires pour “L’horreur de vieillir”

  1. J’aime pas trop le dernier Cohen, préférais celui d’avant même (surtout?) s’il est moins gai. Des morceaux fait indépendamment les uns des autres, manque de cohérence et d’un fil conducteur musical. Aucune batterie pareil, l’orgue est niait (jamais entendu un orgue aussi niait) et donc une dérive variétoch qui ne m’inspire pas trop. Je pourrais continuer longtemps. Il aurait voulu massacrer le blues qu’il n’aurait pas fait mieux.

  2. 47 ans ? ah la vache, ça esquinte !

  3. « L’horreur de vieillir », vieux thème, éculé même, tels ces souliers dont les talons agonisent d’avoir trop foulé le sol. Novembre, la solitude, le chat parti on ne sait où, et jusqu’au vert octogénaire chantant qui vous fait honte !

    Vos trente-sept ans de moins que lui vous permettent, avril venu, l’espoir de vous refaire un semblant de jeunesse, ou de moral. Chat sera revenu et compagne « toujours bien inspirée » aura d’ici là trouvé de quoi vous requinquer. Peut-être n’aurez-vous pas jeté le spleen aux orties ; mais vos rides de cœur vous paraîtront sûrement moins profondes qu’en novembre, voire que celles s’affirmant sur votre visage. Si décidément celles-ci ne se tiraient pas d’elles-mêmes, vous pourriez – simple suggestion (que personnellement je repousserais) – si cela vous chante, envisager au printemps prochain, de vous faire tirer la peau du visage.

    « Ou alors », pour reprendre les deux mots d’une récente anaphore (« Dans le café de la politique perdue »), un pacte avec quelque sous-fifre de Méphistophélès – il négocierait une contrepartie plus acceptable que celle à quoi son maître contraignit Faust – vous permettrait d’effacer ces ridules de futur quinquagénaire. [Non ! Je n’enfonce nul clou ; Dame Nature, oui.] Et ce, pour plusieurs décennies !

    D’ailleurs, pour quelle raison un diable, un dieu, ou les deux se liguant feraient-ils trembler l’eau où vous vous mirez ? En tout cas, pas une raison de plus que celles en usage pour tout mortel.

    « Ou alors », vous auriez la solution de viser l’immortalité de l’Académie française. Ça aurait de la gueule, non ? Le discours de réception de Laurent Sagalovitsch rendant hommage à François Weyergans, par exemple, dont le fauteuil serait vacant depuis quelques mois. Disons dans vingt-cinq ans d’ici : cela vous laisse du temps pour votre grand œuvre. Vous n’auriez que l’âge d’Alain Juppé en 2017 – et François Weyergans aurait siégé Quai Conti trente-quatre ans, un beau bail.

  4. Maintenant que tu t’approches de la 50 aine , t’es comme moi tu as intérêt de bien vieillir si tu ne veux pas passer irrémédiablement pour un vieux con! Attention l’exercice est subtil et périlleux…

  5. Ecoute , tu as besoin de quitter Paris un week end , c est une ville sinistre et froide ….pas étonnant que les français soient parmi les plus grands consommateurs d’anti dépresseurs ……..Viens passer un week end à Lisonne , entre le fado et Pessoa tu trouveras de vraies raisons pour te pendre …..mais non je déconne …..viens à Lisbonne , nous boirons du vinho verde , en contemplant le Tage , c est si beau , nous referons le monde ,nous parlerons des femmes , de l’art et Roland Topor et de …….çà te fera du bien ……..je t’invite quand tu veux …….

  6. les personnes de mon âge me semblent toujours beaucoup plus âgées que moi…..((sans doute parce que depuis des années, j’évite les miroirs, les photos, …les reflets …et les anniversaires))

  7. “Et Bergson de souligner que notre vie intérieure toute entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée de point”

  8. bon anniversaire!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Laissez un commentaire

« »