Une chambre pour l’éternité

 

Ils étaient arrivés à cet âge de la vie où chaque jour ressemble à une veillée mortuaire, où l’existence revêt ce costume blafard des matinées grises, des après-midis chagrins, des nuits sans rêves.

Ils avaient vécu, ils avaient aimé, ils avaient donné la vie, ils connaissaient leurs échecs, ils savaient leurs réussites, ils avaient essayé de donner le meilleur d’eux-mêmes, avaient parfois eu l’impression que leur vie avait un sens mais maintenant ils n’aspiraient plus qu’à une chose : s’en aller doucement, sur la pointe des pieds, sans déranger personne, sans être obligés de continuer à vivre une existence qui ne les intéressait plus.

Ils se sentaient si fatigués, si épuisés, si inutiles, si vides que même respirer leur coûtait.

Ils n’avaient plus la force nécessaire pour se lever, se laver, s’habiller, se nourrir, cette écœurante comédie de l’habitude qui les contraignait à accomplir des gestes dont ils connaissaient pourtant la totale et irrémédiable futilité.

Ils ne redoutaient pas la mort car quelque part ils étaient déjà morts depuis bien longtemps.

Ils avaient simplement vécu trop longtemps.

Et parce que durant tout le long chemin qu’avait été leur vie, ils s’étaient toujours soutenus l’un l’autre, sans jamais décevoir leur promesse de rester soudés dans l’adversité comme dans l’allégresse, ils voulaient que ce dernier pas qu’il leur restait à accomplir, ce basculement vers l’éternité, ils l’accomplissent ensemble, jumelés dans ce désir de s’éteindre sans que l’un d’eux ne reste à pleurer la disparition de l’autre.

Surtout, ils désiraient rester dignes jusqu’au bout.

Ne pas connaître l’infamie de ces maisons de fin de vie où à coups de téléviseurs branchés en continu, de médicaments abrutissants, de chambres aseptisées, on attend la délivrance d’une mort qui se fait attendre, condamnés à subir l’humiliation de devoir toujours compter sur une infirmière de passage afin d’accomplir ce que la nature exige encore d’accomplir.

Ils refusaient cette déchéance aussi morale que physique qui abîme les âmes et fatigue plus que nécessaire des corps qui n’en peuvent simplement plus.

Et comme la société leur refusait ce droit de s’en aller avec toute la dignité dont ils avaient su faire montre tout au long de leur existence, ils avaient, comme une ultime parade, décidé de devenir leurs propres bourreaux afin d’être assurés de pouvoir quitter cette terre côte à côte, et de garder comme dernière image le regard de l’autre le regardant à son tour, dans l’infinie tendresse de cet amour qui avait lié leurs âmes.

Alors ils étaient retournés dans cet hôtel qu’ils aimaient fréquenter dans leurs jours les plus fastes, ils avaient réservé une chambre en demandant qu’on leur serve le petit déjeuner au lit, puis ils avaient refermé leur porte.

Refermé leurs vies aussi.

Peut-être ne se sont-ils même pas parlé.

Ce n’était plus nécessaire.

Ils se connaissaient tellement bien qu’ils savaient précisément ce que pensait l’autre en ce moment qui étrangement n’avait rien de tragique.

Tout juste avaient-ils ri en songeant que jamais ils ne s’étaient sentis aussi libres que dans le décor de cette chambre d’hôtel qui bientôt deviendrait l’endroit où ils s’endormiraient à jamais.

Ils s’étaient embrassés sur le front, avaient réuni leurs mains, s’étaient regardés une dernière fois, dans un long regard qui voulait dire merci, merci d’avoir existé, merci de m’avoir aimé, merci de m’avoir supporté, merci et peut-être à bientôt mon amour, mon tendre mon doux mon merveilleux amour.

Ils avaient fini par éteindre la lumière comme on ferme les volets d’une maison à louer où l’on vient de passer un inoubliable été.

Et ils avaient attendu que l’aube les surprenne dans cette félicité de la mort qu’ils avaient dû convoquer à leur chevet, sous la forme de sacs en plastique où ils s’étaient emmitouflés puis étouffés afin d’exiger de leur cœur qu’il cesse enfin de battre.

 

Cela s’est passé à Paris.

Dans la nuit du 21 au 22 novembre 2013.

A l’hôtel Lutetia.

 

(Ce texte est une simple fiction et ne prétend pas à la vérité concernant la disparition de ce couple et des circonstances qui l’ont entourée)

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

 

36 commentaires pour “Une chambre pour l’éternité”

  1. Monsieur Sagalovich, autant vos articles paranoiaques ont trop souvent le don de m’exaspérer, autant celui-ci est une bien jolie pièce d’écriture. Bel hommage à ces deux personnes courageuses. Merci.

  2. Ben j’ai peut etre une sensibilité de midinette, mais moi ca m’a touché ton petit texte, merci vieille branche!

  3. c’est bô

  4. peut etre qu’ils venaient de voir Nabila à la télévision aussi…

  5. sinon il existe exit ou dignitas en suisse, faire ca dans les règles de l art si il n y plus de moyens thérapeutiques.

  6. ou alors ils ont lu Vince…

  7. Ca me fait penser à Dexter cette histoire de sacs plastiques.

  8. qu’est ce que je disais…

  9. c’est quoi les regles de l’art?
    saut a l’élastique sans élastique?
    ski de l’exreme sans skis?

  10. Je crois qu’on est en train de perdre Rakam.

  11. j’avoue….

  12. Non mais ça y est, j’ai compris.

  13. j’ai peur….

  14. Je ne sais pas trop quoi penser de la titraille “une chambre pour l’éternité”, heureusement qu’ils ne se sont pas ouvert les veines dans une baignoire “une salle de bain pour 1h” aurait titré le Parisien. Et puis je ne suis pas certains qu’ils avaient l’impression d’avoir vécu “trop longtemps”, c’est peut être aussi ce qu’ils fuyaient? Dans tous les cas avec une histoire aussi merveilleuse le risque de faire un film sacrément chiant est incommensurable.

  15. Joli texte…

  16. Ouais, peut être qu’ils fuyaient l’inutilité, cette mise en scène au Lutetia serait un moyen d’être utile même après leur mort. Ils nous aurons fait chier jusqu’au bout. http://www.ina.fr/video/I00016636/georges-moustaki-ma-solitude-video.html

  17. Un deuxième vieux couple vient de se suicider de la la même façon…
    ” le suicide est éminemment contagieux.(..) Tout le monde connaît l’histoire de ces quinze invalides qui en 1772 se pendirent successivement et en peu de temps à un même crochet (..) de leur hospice. Le crochet enlevé, l’épidémie prit fin.” ‘ Durkeim, le Suicide.

  18. ouais.

    et à quoi ça sert un sac à main ?

  19. C’est vrai ça, au prix auquel le lobby ayatollah-bio-vas-y-crois-que-je-te-fais-du-bien-et-je-te-l’enfonce-encore-plus-profond a fixé la cote des sacs en plastique, ce geste marque surtout un véritable manque de respect aux règles en usage dans la belle société moderne au sein de laquelle nous nous épanouissons tous ! Un acte incivique fou !!!

  20. Tout va bien se passer, Ollllive.

  21. Comme je m’aperçois d’une certaine confusion dans l’analyse de la crise du côté de la droite et de l’extrême droite, je me permets de proposer l’emploi du temps hebdomadaire suivant afin de remédier au problème :

    – le lundi, ça sera désormais la faute aux arabes
    – le mardi, ça sera la faute aux noirs
    – le mercredi, ça sera les juifs
    – le jeudi, la faute aux roms
    – le vendredi, la faute aux immigrés (travail de synthèse)
    – le samedi, la faute aux fonctionnaires (changement de paradigme)
    – le dimanche, la faute aux immigrés fonctionnaires (nouvelle synthèse)

  22. bien..j’ai pleuré connard

  23. “-le mercredi ” pas besoin de “faute” pour les juifs… ?!

    hum.

  24. Bon, alors le mercredi ça sera la faute aux juifs. Il est content le jourdan ?

  25. Ma femme étant Aide-Soignante et travaillant en Maison de Retraite, j’ai trouvé votre article particulièrement touchant. Quand je vois ces personnes agées dépérir dans leurs chambres, j’espère vraiment autre chose pour moi et ma femme…

  26. jourdan ça ne vous dérange pas si on dit plutôt “la faute aux personnes de confession juive” ?

  27. Julien, ça ne vous dérange pas si on dit plutôt “ma femme et moi” ?

  28. peut on être de confession juive sans être juif ?

    ou

    être juif et sans confession ? (athée quoi !)

    aparssa, on s’en branle.

    mais qd meme : “de confession juive”…

    jme disais aussi, ca manquait de judéité et d’antisémitisme ce post, c’était pas normal.

  29. maitre capelo est fan de U2.

  30. Bon pronostic du président Hollande à propos du chômage malgré une première hésitation déjà oubliée (et pardonnée !).

  31. Vous avez oublié la faute aux homosexuels, z’êtes homophobes Vince ou quoi ?

  32. @ jourdan : it’s alright, it’s alright, it’s alright…

  33. @ Ollllive : pas la place pour les gays, ça sera donc tous les jours leur faute.

  34. bon c’est pas tout ça mais on s’endort un peu sur ce blog.

  35. et les femmes de confession homosexuelle, elles sont dans la case gays ? Vraiment Vince vous manquez de rigueur !

  36. Votre vie privée ne regarde que vous, Ollllive.

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