Sitôt la nouvelle du prix Nobel de littérature couronnant Alice Munro connue que l’expression a fleuri un peu partout.
L’académie suédoise venait de récompenser un écrivain pour écrivain.
Car oui apprends donc, cher trouffion bouffi d’inculture, que tout comme il existe des cinéastes pour cinéastes, des pâtissiers pour pâtissiers, des maîtres-chiens pour maîtres-chiens, il existe tout aussi bien des écrivains pour écrivains.
Inutile de te dire que ce sont là des auteurs que tu n’as guère l’habitude de fréquenter, habitué que tu es à lire d’aimables romanciers tout juste bons à séduire la plèbe de lecteurs ahuris de bêtise brute.
D’ailleurs, quand bien même dans un somptueux élan masochiste, tu t’essayerais à te frotter à leurs œuvres que tu n’y comprendrais pas grand-chose.
Que tu resterais là, les yeux ballants, la bouche ahurie, le cerveau en rade, à te demander comment se fait-il que tu n’entraves rien à ces soliloques romanesques qui, impitoyables de cruauté, te renvoient à la figure le spectre de ta somptueuse insignifiance et de ta crasseuse crétinerie.
Apprends donc que l’écrivain pour écrivain ne s’adresse pas au commun des mortels.
Il ne parle qu’à ceux qui sont capables de déchiffrer la savante intertextualité mise à l’œuvre dans ces exercices littéraires, de saisir leur sens caché, d’appréhender leurs déclinaisons romanesques où se jouent en coulisse de telluriques combats d’avant-garde dont tu ne soupçonnes même pas l’existence.
Il faut le savoir : les écrivains s’adressent à travers les siècles, par-delà les générations, des clins d’œil complices que seul un esprit averti et exercé parvient à déceler aux prix d’efforts incommensurables.
L’exemple le plus frappant demeurant l’Ulysse de James Joyce, Le Livre pour Ecrivain que tu as déjà essayé maintes fois de lire sans en saisir l’auguste essence, sans même comprendre de quoi il retournait, perdu que tu étais devant la retorse magnificence de cette œuvre protéiforme, à nulle autre pareille, dont tu as dû abandonner au bout de deux pages la laborieuse lecture.
C’est que tu n’es pas écrivain.
Et donc tout à fait inapte à saisir le génie joycien consistant à inventer une nouvelle langue tout en s’inspirant de modèles anciens et ce grâce à une virtuosité linguistique si ébouriffante qu’elle reste la plupart du temps inaccessible à ton entendement.
Là où toi tu n’auras vu qu’un vague exercice de branlette intellectuelle, des esprits beaucoup plus raffinés que le tien, des écrivains s’entend, loueront la géniale entreprise visant à déconstruire le roman tout en proposant de le ressusciter à travers une forme qui, épousant l’appendice de formes plus anciennes, clôt en même temps qu’il ouvre de nouvelles perspectives littéraires.
On pourrait dire la même chose d’A la recherche du temps perdu, d’Au-dessous du volcan, d’Absalon ! Absalon! ou de Mrs Dalloway , autant de romans monstres restés imperméables à ton intelligence qui conviens-en reste des plus étriquées.
Pour un écrivain bien né, ils représentent par contre des phares qui, éclairant la nuit romanesque de leurs halos hallucinés, réaffirment l’idée centrale que tout roman doit avoir comme principal but, non pas de raconter une simple histoire, mais de réinventer la façon même de raconter cette histoire.
Dans un futur beaucoup plus proche, tu peux être certain que le nom qui reviendra le plus souvent, si tu interroges les écrivains contemporains sur leurs nouveaux maîtres à écrire, sera celui de Roberto Bolaño qui non, triple buse, n’est en rien le nom de l’avant-centre de l’équipe de Curling du Chili.
Roberto Bolaño incarne l’archétype type du type d’écrivain pour écrivain.
Parce qu’il se retrouve aux confluents de courants divers qui sont autant de mains tendues vers d’autres écrivains.
Parce que lui aussi s’est essayé à déconstruire la chose romanesque pour tenter de la ressusciter sous une forme nouvelle qui, si elle te désarçonne, misérable lecteur, redonnera le sourire à l’écrivain affairé peinant sur son manuscrit.
Ces écrivains pour écrivains s’apparentent à des grands frères qu’il est toujours bon d’avoir près de soi.
Qui réconfortent et montrent le chemin à suivre.
Pour toi, lecteur moyen et médiocre s’il en est, ce ne sont évidemment que des oncles bavards et pédants qui te gâchent l’existence et t’amènent à comprendre combien longue sera la route avant que tu puisses accéder à cette confrérie secrète où seuls sont admis des esprits supérieurs enclins à bavarder avec les muses invisibles de la création.
D’ailleurs, l’écrivain pour écrivain n’écrit pas pour toi, sombre abruti.
Il écrit pour se hisser au niveau de Dieu, son seul et unique rival.
Et si à lecture de ce billet, tu n’as pas compris grand chose, c’est normal : c’était un billet pour billetistes.
Il a pas joué au Milan, Roberto Bolano ?
Il devait signer, mais il a pas passer la visite médicale, à cause de ses problèmes au foi …
Faut croire…
🙂 Existe-t-il des écrivains pour écrivains pour écrivains, au fait ?
Merci pour le lien payant ça m’évite de perdre mon temps sur Libé, quoique depuis la réorganisation j’ai cru entrevoir du mieux, il faut que je m’en achète un exemplaire. Fort heureusement Slate est gratuit, on ne les en remerciera jamais assez. Le papier de Charlotte Pudlowski est globalement divertissant, jouissif, elle est d’une acuité déchirante. Au début elle écrivait avec une douceur insoutenable puis elle l’a enchâssé dans le fracas pour qu’il ne reste plus que lui, comme si elle avait changé sa plume en masse. Désormais ses papiers tendus raisonnent des coups qu’elle porte aux maux. Demain j’achète Munro. Si vous le permettez je vais me faire un petit plaisir http://www.ina.fr/video/I10105498 voila c’est fait.
Merci pour ce lien que j’avais déjà mis en lien !
Oui bah vous n’avez pas le monopole des liens. Non mais!
J’aime l’idée de “mériter un livre”…
@Sophie K
J’aime l’idée de “mériter un livre”…
pareil
Je vois que mesdemoiselles de ce blog n’estiment pas leur vertu à la légère…
@ Vince : Gné ? Pk la vertu ?
Non, c’est la conclusion de la vidéo “Au dessus du volcan” mise en lien. Ça nous change du tsunami de facilité produit par la médiocrité du monde marchand. Le monde marchand n’aime pas l’effort, l’amélioration des connaissances, le désir de raffinement de la pensée. Le monde marchand veut que tout le monde dise “oui” à la merdasse sans sourciller.
Je vous taquinais, chère Sophie, rien de plus…
A propos du monde marchand, que dire ? Je lis sur votre blog que vous faites profiter votre talent créatif à cette honorable maison marchande qu’est Hermès. Ah, nous y voilà donc ! Mademoiselle K. regarde avec mépris les petits plaisirs des petites gens… Mais sachez, mademoiselle K., que jamais vous ne pourrez me faire regretter les lectures sanitaires de tous mes SAS !
c’est comme le prince, il ne te parle pas à toi.
Sinon, si j’ai tout compris, on peu écrire un livre qui ne veut rien dire et préciser qu’il s’adresse aux ecrivains, c’est ça?
et vous Mr Laurent vous écrivez pour qui ???? :))))
Ecrivain pour écrivain (notez la majuscule) concept intéressant : cherche bosseur(se) pour aller bosser à ma place, gracieusement payé de ma reconnaissance éternelle ! Bon je sors….
Je crois pas ce que vais dire mais je suis d’accord avec Vince. Je pensais que Sophie K faisait de l’ironie. Qu’y a t’il à mériter? Ce que raconte Lowry est d’une banalite telle que n’importe qui peut s’y retrouver. Le prestige des écrivains c’est de savoir mettre en mot ce que tout le monde ressent. A mon humble avis Sophie K vous mélangez tout parce que vous pensez de travers, le fameux “miroir déformant”.
C’est comme avec ce papier de Pudlowski http://www.slate.fr/story/78560/expositions-monographiques-vallotton-braque suite à l’expo Hooper au Grand Palais j’ai un “journaliste”, “critique rock” merdique mais ça c’est un pléonasme “poète” à ses heures perdues qui écrit sur mon fil Facebook « A tous ceux qui ne seraient pas allés à l’expo Hopper au Grand Palais alors qu’ils le voulaient, je dirais ceci : foule monstre, scénographie inexistante (ambiance Simply Market), toiles au style inégal et parfois bas de gamme (pour certaines des aplats cheap dignes de carte postales). Bref, à mon humble avis, vous n’avez pas loupé grand chose…. tout le temps qu’a duré ce slalom visuel, je n’ai pas arrêté de me dire qu’il n’y avait personne pour peindre l’absurde contemporanéité de ce moment de vie, tous ces gens se pressant devant ces toiles passables, qu’elle était là L’oeuvre, et qu’elle nous filai entre les doigts. » L’un des aspects comiques c’est que comme tout bon journaliste il crève la dalle, du coup je me demande oú est ce qu’il fait ses courses? Et il se plaint de ne pas pouvoir habiter Paris, trop chers, et d’être gentrifié vers Montreuil. Que Hooper ne soit pas le plus grand des peintres qu’il doit certes mais faut pas exagérer non plus et comme il est dit dans le Monde il s’agissait de “rendre à Hopper son ampleur et sa variété, de donner à voir des parties entières de son travail méconnues et de le situer dans une histoire de la peinture à moitié américaine, évidemment, mais aussi à moitié française en raison des séjours de l’artiste à Paris. Ces trois buts sont atteints…” j’ai trouvé cet expo plutôt pédagogique et mes parents ont apprécié, ils ont été touchés et c’est clair qu’ils ne vont pas vous faire de grands discours mais n’est ce pas le principale? Le reste n’est que mesquinerie et branlette. Le ” moi je sais bande de naze” de l’égo surdimensionné de pseudos intellos qui au final n’ont rien compris.
D’autre part je suis sous traitant technique pour les défiles de mode (Chanel au Grand Palais, Vuitton a la cour carrée du Louvre pour les plus prestigieux) et ça ne me pose aucun problème, ce sont des clients exigeants qui vous obligent à vous surpasser et qui ne connaissent pas la crise. Et j’habite a Pantin la ou viennent de s’installer les ateliers Hermes, ou il y’a Bougeois, Chanel etc Dans la rue Hoche (ou s’est installé Hermes) il y avait un vieux pavtar pour clodo, l’association le refuge https://db.tt/8b9XGoNy et sui a du suite à ce nouvel arrivant et a l’immeuble d’habitation super design déménager un peu plus loin https://db.tt/Hg00F6eU on allait pas laisser les clodos dans le centre ville flambant neuf non plus non mais allo quoi! Cacher cette misère que je ne saurais voir. D’un autre côté une galerie d’art s’est implantée http://ropac.net/exhibition/disaster-the-end-of-days gratuite et qui organise des visites pour les enfants des écoles de la commune. Conclusion?
Putain de Pantin !
@ Nico Pedia ; Quand vous aurez fini avec Alice Munro ( commencez par Fugitives. Et franchement, elle est un auteur abordable. Simenon et Balzac le sont aussi.), lisez Sandor Marai.
Dans Mémoires de Hongrie, il raconte comment dans la Budapest livrée aux combats et aux Russes, un jeune, très jeune, effroyablement jeune, soldat, l’arrête, manque de le tuer, et lui demande quel est son métier: Ecrivain ? Alors, si tu es écrivain, tu peux exprimer ce que nous pensons, parce que nous, nous ne le pouvons pas.”
Voilà, j’avais envie de vous dire cela. A cause de Hopper peut-être.
Sinon, je suis un auteur. Ecrivain, c’est un titre que l’on se donne pas.
Balzac est devenu illisible je trouve ! Que de lourdeurs !
…titre que l’on ne se donne pas à soi-même…
Désolé…ça file comme une anguille , ce truc!
Nicopedia c’est quoi déjà le “miroir déformant” ?
@ Vince : Mehéu, moi aussi je lis des BD et des polars, enfin quoi. Mais bon, je suis aussi contente, parfois, de décoller ailleurs avec des fous furieux de l’écriture, l’un n’empêche pas l’autre, si ?
@ Nico : C’est vrai que je pense de traviole (ça fait un bien fou). 😀 Et j’adore Hopper, en plus. Allez comprendre…
(PS Vince : et sinon, je suis juste dessinatrice, hein. Pas multimilliardaire, donc, loin de là. Faut pas confondre les laborieux avec les clients des maisons ousq’uon travaille.)
@Vince faut suivre…
@Sophie K loin de moi l’idée de vous comparer au “journaliste”
@Sirandane “L’observation ne s’endort jamais, tandis que la prudence a ses moments d’oubli.” mais merci quand même pour le conseil
Quel gros mytho ce nicopedia ! C’était bien la peine d’installer le wifi sur mon yacht…
http://www.wunderground.com/blog/JeffMasters/comment.html?entrynum=2555
Belle bête !
“Reading is a majority skill but a minority art. When you read a great book, you don’t escape from life, you plunge deeper into it. There may be a superficial escape – into different countries, mores, speech patterns – but what you are essentially doing is furthering your understanding of life’s subtleties, paradoxes, joys, pains and truths.”
Julian Barnes