The National, à front renversé

 

Les gens joyeux écrivent rarement de bonnes chansons.

D’évidence, Matt Berninger, le chanteur-auteur de The National n’appartient pas à la confrérie des hommes qui envisagent l’existence comme une perpétuelle fête foraine.

Ce serait plutôt une traversée tourmentée, effectuée en haute-mer, parmi le fracas des vagues s’abattant sur la coque d’un bateau en perdition.

Il pleut toujours dans les disques du groupe originaire de Cincinnati.

Il pleuvait dans leurs cinq précédents albums et il continue de pleuvoir dans leur dernier, Trouble will find me.

 

Une de ces pluies fine et chagrine qui vous cueille au point du jour et ne vous quitte plus de la journée, vous enveloppant d’une ambiance cotonneuse qui grignote peu à peu votre âme d’une de ces humeurs languides où les ombres des batailles perdues dansent devant vos yeux ensommeillés.

Et qui vous donne envie de passer la journée entière, calfeutré chez soi, sans voir personne, le visage collé à la vitre, triste mais heureux de l’être, regardant la pluie ruisseler d’un ciel déchiqueté de gris aussi apaisant à contempler qu’une pierre tombale où valsent lentement, au gré de la palpitation humide de l’air, des robes de feuilles tournoyantes et tombantes.

Les chansons de The National ne sont pas lugubres, elles sont simplement merveilleusement mélancoliques hantées par la voix abrasive et languide de Matt Berninger.

Cette façon unique qu’il possède d’articuler des complaintes murmurantes, des élégies intemporelles, des incantations désespérées qui à chaque morceau semblent réclamer à son chanteur des efforts inouïs.

 

Comme s’il chantait à regret ou plutôt qu’il chantait pour ne pas s’effondrer dans un désespoir qui l’engloutirait.

La voix est toujours calme, ample, détachée, s’imposant au milieu d’un maelström de mélodies suaves et compliquées, rageuses mais apaisées, énergiques mais résignées où guitares et batterie se livrent une bataille confuse.

La batterie court à perdre haleine comme pour rattraper un train qui depuis longtemps déjà a quitté le quai et disparaît au loin, dans les brumes emberlificotées d’un paysage désolé, dessinant à travers la brume, des collines battues par le vent.

Tandis que les guitares tissent une toile de sons diffus qui semblent se perdre dans une nuit éternelle où mugissent encore et toujours, mais comme étouffés, les sanglots d’un homme qui aurait tout perdu mais continue vaille que vaille à se tenir debout dans la tempête, tentant d’accomplir le dur métier de vivre.

C’est tout cela The National.

 

Cette désespérance glacée et énervée venue tout droit des disques de Joy Division, combinée avec les élégies mystiques et romantiques que savait si bien décliner Echo And The Bunnymen, le tout revisité par l’élégance feutrée des Tindersticks.

Ces chansons perdues dans le brouillard de sentiments incandescents qui se consument dans une mer de regrets, au milieu d’un océan d’angoisse où quoi qu’on fasse, on demeure toujours son propre ennemi et son meilleur allié.

Les paroles sont inquiètes, l’angoisse sourd de partout, la chute n’est jamais très loin.

Les regards demeurent pâles, les cœurs trébuchent, les âmes sanglotent. Les amours nécessaires mais impossibles.

 

I do not know what’s wrong with me, gémit Marc Berninger dans Demons, une des chansons du dernier album, implorant une réponse qui l’on espère ne viendra jamais…

 

16 commentaires pour “The National, à front renversé”

  1. Mouais. Mais ce que ce post ne dit pas, c’est que The National ont tout pompé sur The Regional, un groupe indie-post-prog-rock de Mulhouse, qui eux-mêmes se sont pas mal inspirés de The Departemental, un groupe folk-pop javanais (de la région de Mulhouse).

  2. Pas mal, faut que je me penche sur la question. J’aime bien le temps de Démons en 3/4 je crois, mesure à 3 temps et demi, ça me fait penser à Battery de Metallica, un des premiers morceaux que j’ai appris à jouer. Ça envoi du p´tit bois http://youtu.be/gryBgJpjtuM

  3. en tout cas ici au pays du fromage levant on a le temps idéal pour écouter cet album…

  4. C’est un peu ça, le rock d’aujourd’hui : la folie subversive d’un Bayrou associée à la rage révolutionnaire d’un Cohn Bendit.

  5. “Triste mais heureux de l’être”… Merci d’avoir capturé aussi bien tout ce qu’on pense de ce groupe spécial.

  6. Pas mal, oui (et bien chroniqué, merci)… Ça manque un peu de tripes et de feu pour moi – mais comme tu le dis, c’est cérébral et glacé, donc c’est normal.

  7. @ Laurent le taulier : Vous ne dites pas dans votre profession de foi que vous vous ferez un devoir de répondre à tous les commentaires ? Des promesses, toujours des promesses, tiens (C’est comme ce mythique article sur les Motards, tiens).

  8. Ah ben moi je me suis fait une raison, le taulier répond jamais à mes commentaires… autant pisser dans un violon ! L’important c’est de participer.

  9. @ Oliiiiive : En fait, il aurait du faire de la politique, le taulier.

  10. Quelle bande de râleurs je vous jure !

  11. en parlant de musique, j’ai écouté le dernier Daft Punk, sympa mais un peu mou pour moi.Mais il y a un morceau hommage à Giovanni Giorgio plus connu sous le nom de Giorgio Moroder.ce grand monsieur ne s’est pas contenté de rentrer dans l’univers musicale il en a tout simplement créé un.suffit de réécouter un mythique “i feel love” pour s’en convaincre.au début du morceau il raconte brièvement comment il a débuté.respect.
    (non Vince, Moroder n’est pas l’endroit ou vit Sauron)

  12. Rakam, vous voulez bien me passer le fusil qui est à côté de vous ?

  13. “Moroder n’est pas l’endroit ou vit Sauron”

    J’en ris encore

  14. Et pendant ce temps-là en France, ceux dont le plus haut fait de gloire militante est d’être descendu dans la rue pour dire que NON pas le borgne qui ressemble à un porc NON (et ainsi la collaboration de grand-papa est absoute en un week-end) ont les yeux rivés sur Arab Idol, la Star Ac libanaise dont le simple nom suffit à évoquer la teneur intellectuelle mêlée de bon goût qu’elle diffuse, pour encenser Mohammad Assaf et son Raise your keffiyeh, raise it, fleuron de la poésie arabe. On pense à Jean Moulin, ou à Nolwenn Leroy, qui en gagnant la Star Ac a prouvé au monde entier que les Bretons ont des chapeaux ronds. Rien de tel que des émissions de qualité pour remettre les pendules à l’heure.
    Cela dit, The National, bof.

  15. très en forme, aren’t you (triste et fier de l’être, should it read).
    it’s all about that voice.
    been working all the time. sad songs for dirty lovers tient la barre mais celui-ci a l’air pas mal non plus. faudra l’avoir écouté en boucle pendant des jours pour en parler, et comme tu sais, j’ai un métier. mais bon. keep it up.

  16. @ Laurent : PS : Echo and the Bunnymen… Mais c’était d’un chiant… Devriez vous réchauffer un peu parfois avec des bluesmen qui envoient, genre Luther Allison, moi je pense.

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