Derrick, un allemand très ordinaire

Il existe toujours quelque chose de vaguement incongru à voir l’Allemagne découvrir stupéfaite que l’une de ses personnalités les plus populaires fut dans sa prime jeunesse un membre de l’armée allemande, Wermarcht ou Waffen-SS.

C’est plutôt le contraire qui serait étonnant.

On ne voit pas très bien à quoi d’autre ce cher Kommissar Derrick eut pu être occupé lors de ses années de jeunesse sinon à œuvrer à la grandeur millénaire du Troisième Reich.

Ils croyaient quoi nos cousins germains ?

Que pendant que ses camarades de promotion bataillaient dans les Ardennes, le futur inspecteur au regard de basset dépressif jouait à la marelle avec l’amicale de la chorale de Berlin Ouest ?

Qu’il vasouillait sur les ramparts de Varsovie à la recherche de son passé disparu ?

Qu’il relisait les œuvres complètes de Goethe en attendant la venue du Messie ?

Je ne prétends pas pour autant que le Colombo version teutonne fut un gestapiste de la première heure.

Ni qu’il collectionnait les figures paninis des youpins à qui il avait offert un voyage sans retour pour visiter la Silésie Orientale.

Qu’il s’essayait devant son miroir à peaufiner sans relâche sa technique du salut hitlérien tout en jouant aux osselets avec des kyrielles d’étoiles jaunes.

Que Mein Kampf était son bréviaire de chevet, les discours de Goebbels sa berceuse favorite et les poèmes posthumes de Goering son aphrodisiaque mental.

Je n’en sais rien.

Evidemment, il n’est jamais facile et agréable de regarder dans le rétroviseur son histoire nationale et d’apercevoir un horizon à jamais obscurci par les volutes s’échappant de fours à crématoire.

Il n’est jamais aisé de songer que ses parents ou ses grands-parents aient pu d’une quelconque manière appartenir à ce peuple qui sombra dans la folie la plus échevelée que l’humanité eut jamais connue, succomba à ses instincts les plus vils au point de tomber dans les catacombes putrides de l’histoire, de ce peuple qui quoiqu’on en dise se grisa aussi pendant quelques années à l’idée de dominer le monde.

Bien sûr me dira-t-on à raison l’ensemble des allemands ne furent pas tous des nazis acharnés.

 

Il y eut aussi des résistants, des bonnes âmes charitables et des êtres qui refusèrent de se plier aux injonctions abjectes d’un pouvoir ravagé par une folie destructrice.

Et il est bien entendu que si le peuple allemand avait su ce qui se fomentait très exactement à Auschwitz il n’aurait pas pu l’accepter.

Il n’en reste pas moins vrai que la majorité des allemands, par peur de représailles ou par approbation silencieuse des mesures adoptées, ne trouvèrent rien à redire quand les boutiques appartenant à des membres de la communauté juive furent enguirlandées d’infamantes étoiles juives.

Que personne ne s’offusqua de trop quand fut décidé arbitrairement que les juifs ne devaient plus exercer telles professions.

Que tout le monde accepta sans broncher l’idée que les juifs n’étaient plus autorisés à s’asseoir dans les trams.

Que la réquisition forcée de leurs immeubles et leurs biens ne provoqua pas que l’on sache de troubles répétés à l’ordre public.

Et que bien vite, on ne soucia plus de savoir ce qu’avait bien pu advenir des Kauffmann, des Rosenstein, des Steiner, avec qui hier encore on entretenait des relations plus ou moins cordiales.

L’Allemagne a plus que toute autre nation à rougir de son passé.

De jouer à la pucelle effarouchée lorsque se dévoile le passé douteux d’une de ses idoles aussi poussiéreuses soit-elle n’est qu’une facon quelque peu éhontée de s’acheter une morale à posteriori.

Il n’y pas d’amnistie possible pour les peuples qui ont commis l’innommable.

 

Juste des piqûres de rappel servant de repoussoir à toute envie de décliner le futur de son destin national au passé recomposé.

 

 

27 commentaires pour “Derrick, un allemand très ordinaire”

  1. Jamais deux sans trois. Vous devriez remercier les allemands qui semblent être pour vous une source intarissable d’inspiration, un peu comme les sont les francs maçons pour l’Express.

  2. @ Nicopedia : Bien vu !
    @ Acthungbaby : Ou est la mauvaise foi ?

  3. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi les nazis détestaient les juifs. Alors que très clairement, c’est aux roux qu’il fallait s’en prendre. J’en ai d’ailleurs vu un dans le métro ce matin, tranquillement assis parmi nous, peinard, l’air de rien. Putain…

  4. Qui demande l’amnistie ?
    Qui parle de pucelle effarouchée ?

    Vous avez des aigreurs, et vous voyez ce qui touche à l’Allemagne au travers de ces aigreurs.

    Et une fois encore ça donne un article laissant ce sentiment que vous réglez des comptes, de façon assez gratuite et avec une certaine mauvaise foi.

  5. “je suis sourd à jamais à tous ces raisonnements frappés du bon sens”

    CQFD…

  6. Mais la je te rejoins complètement. En plus d’être très désagréables à la vue, ils sentent mauvais! Et puis les rousses c’est pareil! pas de discrimination.

    Doit on blâmer tous jeunes catholiques en devenir parce que sa religion a tué plus de monde que les 3 guerres mondiales réunies? Doit on montrer du doigt tous les israéliens parce que Sabra et Shatila, les américains parce que My Lai, etc… C’est pas parce que ton père était le roi des cons que tu dois suivre la voie inexorablement non ? … enfin j’espère!

  7. Sabra et Chatila c’est les chrétiens libanais. Pas Israël.

  8. C’est pour cela que tout l’art et la littérature allemande depuis la seconde guerre mondiale porte ce fardaud et la faute de ses ainés… l horreur est encore trop présente et trop à vif…n oublions pas que ce n’est pas dans les gènes que le teuton a commis ses atrocités mais dans un contexte et que cet homme (et sans pour autant justifier l’injustifiable) aurait pu être vous comme moi…
    le monstre est en nous et non juste en l’autre, reste à faire attention à cette épée de Damoclès si propre à l’espèce humaine

  9. Rappelons-nous du poème de Martin Niemöller :
    Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas communiste.
    Lorsqu’ils ont emprisonné les socialistes,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas socialiste.
    Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas syndicaliste.
    Lorsqu’ils sont venus me chercher
    il ne restait plus personne
    pour protester.

  10. Cher auteur, je vous renvoies à une page Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sistance_allemande_au_nazisme

    Rappelons nous qu’en France on chantait aussi Maréchal,nous voilà!

  11. “Qui n’a jamais pêché me jette la première pierre.” (Joseph Goebbels)

  12. Et puis si ca se trouve ce Derrick, il a violé mémé, lui ou un de ces cousins d’ailleurs!
    T’as raison laurent, les boches faut tous les évicerer.
    Par contre permets moi de douter de la “deutsche quality”, car s’ils avaient bien fait le boulot, tu ne serais malheureusement pas là à raconter des conneries.

  13. Que faites vous debout à cette heure là? Insomnie Derrickiene?

  14. La mauvaise foi est de considérer que les allemands jouent à la pucelle effarouchée. Ne croyez vous pas qu’ils ont pu être sincèrement choqués d’apprendre cette info ?

    Et même s’ils la jouent, d’imaginer que le peuple allemand cherche par là à s’acheter une bonne conduite.

    Et pour finir, à force de raccourcis, d’arriver là où on sent que vous souhaitez arriver depuis le début :
    “Il n’y a pas d’amnistie possible…”

    Essayez la mie de pain !

  15. Les pauvres petits

  16. mr et mme Enquarantecetaitsuper (vieux couple allemand)
    ont deux fils:

    comment s’appellent ils ?

    gédéon, franz.

  17. Pas mal votre papier, je préfère les nains de jardins nazis à Follamour. Jolie conclusion sauf que faire un procès en nazisme sans preuve à un Derrick mort c’est à mon avis une forme de recomposition. Le devoir de mémoire ne saurait souffrir de quelque approximation au risque d’être fragilisé, à mon avis c’est contre productif car malgré tout la vie continue. Entre l’hystérie et l’oubli il doit bien y avoir un juste milieu. Une petite citation de Paul Valéry “Le rôle de l’oubli dans l’histoire. L’Histoire comme oubli des événements, ou leur souvenir variant. Les sursauts. Les prises de conscience.” À part ça j’aime bien les rousses.

  18. Je comprends pas bien ce ressentiment aussi violent envers les allemands Laurent.
    (j’accepte bien sur qu’il existe, moi-même d’ailleurs, si je me retenais pas)
    Du coup, j’aimerais comprendre pourquoi tu reste aussi virulent.
    Tu peux m’expliquer ?

    Cette population à ce moment là devait être sacrément inconsciente, mal, et désaxée de soi-même pour faire ou regarder faire ce genre de choses.

    Mais :
    1 : pourquoi garde-tu cette “haine” pour les générations suivantes et ou s’arrête-t-elle ?
    Crois tu que ce peuple soit un peuple damné à jamais ?

    2 : comment ne pas considérer que absolument tout les êtres humains sont capable d’être désaxés au point de réaliser ce genre d’horreur ?
    Moi, j’en suis persuadé.
    Alors du coup, ça me semble curieux de se focaliser à un peuple. On est as tous un peu responsable ?

    3: le sentiment que tu peux entretenir par rapport aux allemands n’est-il pas lui aussi négatif ? être dans la rancœur et la souffrance par rapport à cette histoire (et je comprends complètement que tu puisse y être) n’est-il pas un sentiment destructeur pour toi même et pour l’humanité en général (si par exemple une société entière était dans ce ressentiment là)

    Questions peut être un peu naïves mais ton avis sur le sujet m’intéresse bien.

    Antonin Zylberman.

  19. D’autres en ont mieux parlé que moi. Lisez cela : http://www.jankelevitch.fr/my_pictures2/jankelevitch_2d_l27imprescriptible.pdf

  20. Pour être juste,il ne faut pas oublier que les Russes et les Français(et pas que les Vichystes d’ailleurs)n’étaient pas les derniers question antisémitisme
    Jacques Martin,Victor Lanoux,tous ces bons gros beaufs télévisuels,je les vois bien téléphoner en douce au Gaulleiter du coin pour régler leurs problèmes personnels,c’est vrai qu’ils sont nés”trop tard”mais n’empêche que…

  21. Je me posais les mêmes questions qu’Antonin (merci de les avoir posé) j’ai donc lu… je comprends la notion d’imprescribilité mais celà n’explique pas la rancune envers le peuple actuel qui affleure dans vos textes. Je suis par ailleurs sûre que si un fou du même style qu’hitler venait à diriger la France actuellement, il convaincrait facilement que la misère c’est la faute : des roms, des étrangers, des homosexuels, des chômeurs, des handycapés, des assistés, on pourrait assister au même laisser faire car la haine de l’autre ces dernières années se manifeste bien souvent dans beaucoup de commentaires et sur beaucoup de sujets de société. Alors se souvenir oui, mais celà n’empêchera jamais d’autres à recommencer et ça fait des siècles que cela dure…

  22. Mais j’ai quand même le droit d’avoir du ressentissement envers l’Allemagne ! Je ne cherche à convertir personne. C’est mon point de vue et je le partage, point à la ligne.
    @ Sophie : ca c’est bien vrai!!!!

  23. Quand je pense que personne ne dit que “Derrick” est la plus grosse daube télévisuelle jamais inventée pour précipiter dans le coma les vieux après le déjeuner…
    Tsss.

  24. Ah mais moi je ne remets pas du tout en cause ton droit d’avoir du ressentiment envers l’Allemagne !

    Juste je m’interroge sincèrement sur ce ressentiment persistant et qui semble vraiment ancré.

    Et je me demande aussi quel bénéfice on tire de ce ressentiment, quel bien être naît d’une rancune persistante.
    Peut être que tu ne te pose pas la question dans ce sens là.

    Mais si ça te gonfle, on clôt le chapitre, je tiens pas spécialement à avoir raison.

    (d’ailleurs j’ai pas vraiment émis d’opinion au final)

  25. Mais aucun bien être. C’est comme ca. Je n’ai aucune tendresse pour l’allemagne. On peut trés bien vivre avec.

  26. @belle Sophie, c’était moins cher qu’un somnifère.
    ça me rappelle une scene mytique (pour moi j’entends) des “visiteurs” ou jean reno, qui passe dans une maison de repos, jette une télé, devant laquelle sont assoupis quelques personnes agées, par la fenetre et qu’une de ces personnes se leve et dit d’un air indigné: “mais il a défenestré derick!!
    j’adore 🙂

  27. @ closde : oui, comme vous je comprends et je partage la notion d’imprescriptibilité et comme vous je crois que M.Sagalovitsch fait un amalgame avec la rancoeurs éternelle envers les allemands.

    Je ne vois rien dans le lien renvoyant à Jankelevitch qui prône le ressentiment perpétuel envers les descendants de ce peuple.

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