A quoi sert un prix littéraire pour un écrivain?

Les prix littéraires sont nécessaires voire indispensables à l’économie du livre. Ne serait-ce que pour aider le lecteur ahuri et occasionnel à choisir le cadeau de fin d’année qu’il offrira en grandes pompes à sa concierge tout aussi ahurie.

Et à la maison d’édition de l’heureux lauréat d’engranger quelques notables subsides afin de les reverser à sa tripotée d’auteurs qui croupissent dans l’anonymat le plus absolu, ou aider à publier à la pelle des écrivains qui à leur tour viendront gonfler l’armée des auteurs condamnés à macérer leur amertume de n’être point reconnus à leur juste valeur, à savoir des romanciers d’exception convaincus de leur génie absolu.

Un prix littéraire de tout premier plan va permettre à l’écrivain couronné de déserter les allées du Leader Price local pour tenter l’aventure dans un lieu de consommation où les caissières ne se tiennent pas debout, emmitouflées à triple tour dans un anorak, leurs mains gantées de disgracieuses mitaines achetées en pack de douze chez Tati.

En des termes plus prosaïques, l’attribution de sa médaille d’émérite travailleur des lettres va  lui permettre de troquer sa bouteille de Gros Plan du Pays Nantais achetée à un euro vingt le litron contre une belle bouteille de Chablis. Et d’augmenter ainsi de quelques semaines son espérance de vie.

Mais un prix littéraire sert aussi à restaurer le statut social de l’écrivain.

Jusqu’alors, sa famille, ses amis, sa femme même le considéraient comme un être tout à fait inutile, presque nuisible à la société, un odieux parasite gribouillant des romans vaseux que personne ne prenait la peine de lire.

Un bon à rien viscéralement paresseux, un brin condescendant qui, sous prétexte d’avoir besoin de solitude et de calme pour créer, restait enfermé chez lui à glandouiller sur son canapé, à jouer avec son benêt de chat, à s’offrir des siestes luxuriantes et pourtant demeurant assez culotté pour déclamer à la fin de sa journée, au moment de renouer avec le monde extérieur, qu’il était crevé, vidé, lessivé mais qu’il avait bien avancé dans son dur labeur.

Affirmation que son entourage, accablé de fatigue après une vraie journée de travail, recevait dans un silence circonspect voire désapprobateur, se demandant si par hasard ce trouffion d’écrivain, avec sa mine reposée et son teint rosé, n’était pas en train de se foutre de sa gueule.

Avant de se mettre à hurler en s’apercevant que non seulement il ne contribuait en rien à l’économie du foyer mais qu’il avait encore une fois oublié de ravitailler le frigo en yaourts bio, de descendre la poubelle, et d’appeler la Sécu pour connaître le taux de remboursement de ses psychotropes de quatrième génération.

A partir du moment où le monde des lettres reconnaît la portée inestimable et universelle de son œuvre, l’écrivain bascule dans une nouvelle dimension.

Du statut de paria, il passe d’un coup d’un seul à celui d’être tout à fait estimable, délicieux, spirituel qu’il est bon de fréquenter.

On admet désormais ses excentricités. Mieux on les encourage.

On comprend tout à fait qu’il n’a pas eu le temps de descendre les poubelles, ce n’est pas là son rôle, d’ailleurs désormais il n’a plus à s’en préoccuper, on s’en chargera pour lui. Le plus important c’est qu’il soit débarrassé de toutes contingences domestiques afin de mieux se concentrer sur son travail.

C’est peut-être ce simple de mot de travail qui va rendre l’écrivain radieux comme une majorette promue au rang de chef d’escouade pour la prochaine année universitaire.

Puisque maintenant il gagne de l’argent, que son compte en banque se ragaillardit à vue d’œil, qu’il va même payer des impôts, c’est donc qu’il travaille pour de vrai, qu’il participe au redressement des finances du pays, qu’il devient lui aussi un fervent supporter du choc de compétitivité. D’ailleurs il se demande si finalement c’est bien raisonnable de laisser, par ces temps difficiles, la gauche gouverner.

 

Et c’est ainsi qu’un soir sa compagne lui déclare, entre une dégustation de Châblis et d’œufs d’esturgeons, au fait, tu sais, j’ai bien réfléchi mon amour, mais ton idée d’avoir un compte commun…

 

22 commentaires pour “A quoi sert un prix littéraire pour un écrivain?”

  1. Ma

  2. ..mma mia ! (J’ai appuyé sur la mauvaise touche !)
    Je voulais juste dire qu’en général, l’ancienne compagne est vidée avec les nouvelles poubelles. Ah là là.
    😀

  3. Bravo (on se demande ou vous allez chercher tout ça des fois) 😉

  4. …ou quand l’homme est vein-art, la femme…vénale.

  5. Excellent !

  6. oui excellent surtout si ce n’est pas romancé:)

  7. @ Sophie : Comment faites vous pour être si drôle ? Vous êtes sûr que vous êtes une femme ? Vous mériteriez d’être un homme, sans blague.

    @ Laurent. Merci pour ce billet. Vraiment. L’étonnement dubitatif des gens lorsque vous écrivez des bouquins mais que personne ne vous connaît. On sent qu’on passe pour un type pas sérieux, un dilettante suspect. Vos bouquins ne doivent pas valoir grand chose. Refusez timidement une sortie au motif que vous devez avancer dans votre texte, et le motif paraît futile.
    Le prix, c’est la légitimité de votre talent 🙂 Votre bâton de maréchal, votre diplôme de l’ENA…

  8. @ Bernard : Merci, mais j’ai rien dit de drôle, là… 😀
    Je me suis juste emmêlé les pinceaux sur mon clavier (qui a des touches idiotes qui vous coupent la chique au moment où vous oeuvrez en vous concentrant pour ne pas dire de c… et ne pas faire de fautes.) Ceci dit, c’est aussi assez masculin de se prendre les pieds dans le tapis. Ou les doigts sur les claviers.

    (Ça doit être très difficile d’être un homme dans ce monde de brutes et de foot et de bières et de motards tatoués, quand même. J’ai pas tellement envie d’essayer. Je suis super lâche, pardon.)

  9. le plus surprenant serait de voir l’élève Sagalovitsch , cet émérite flutiste, décrocher le prix François Villon… cette année ou les suivantes…

  10. @ Gubisch : Arrêtez de remuer les mauvais souvenirs!
    @ bernard : Sophie n’est jamais drôle voyons!

  11. Voilà.
    (En même temps, vous me verriez rigoler devant mon écran comme je le fais à présent en vous lisant, Laurent, que ça vous ferait rire.) 🙂

  12. N’oublions pas le proverbe qui dit : “Les prix littéraires sont comme les hémorroïdes, n’importe quel trou du c** finit par en avoir”.

  13. Quelqu’un ici bas (no offense) a t-il vu Salo ou les 120 jours de Sodome ? C’est parce que je viens de le voir et au dela du soutien psychologique, je souhaiterais savoir entre autre : pourquoi ce film ? Dans quel but ? pour offrir sa vision du fascisme ? Pasolini at-il juste voulu montrer sa vision de la vie ? ou je ne sais pas moi, dire qu’on peut voir les pires horreurs et simplement décider d’apprendre à danser avec son collègue tortionnaire ?

  14. Pas vu ce film, cher Burt. Je n’en ai jamais eu envie. (Mais j’ai vu Ben Hur, si ça peut aider.)

  15. Merci Sophie, Ben Hur je m’en suis sorti tout seul, là c’est un peu plus compliqué !

  16. Non mais je plaisantais, évidemment, hahaha ! Je sais bien que c’est un film perturbant, “Salo…” y tutti quanti.

  17. @ Burt : Et Spartacus ? Quelqu’un aime les combats de gladiateurs, ici ? Laurent, vous pourriez faire un billet sur les gladiateurs, ou vous troublent ils autant aque les motards ? 🙂

    j’ai pensé à vous ce WE : Au parc de la Vilette, j’ai croisé une bande de gars qui joggaient avec la Kippa sur la tête ! Je sais qu’il faisait froid, mais quand même…

  18. Pour courir vite et longtemps, il faut toujours porter un truc en ‘kip’, Bernard. Conseil de Kipketer, Kipchoge, Kiprop, Kipyego, Kipsang, Kip… enfin bref, du marathon kényan en général.

  19. @Sophie Mais je sais bien voyons, moi aussi et pour tout vous dire ca m’arrive souvent.
    @Bernard Spartacus ? Une parabole crypto communiste de la lutte des classes qui à au moins le mérite de se finir de façon réaliste.

  20. non en ce qui me concerne Bernard, on les voit dans les péplums un genre auquel je n’ai jamais accroché. j’attends les motards.

  21. @ Burt : mais oui pardon, j’ai eu une absence. 😉 Je suis un peu parano ces jours-ci (j’ai passé mon temps à dire que je plaisantais à des gens qui eux, ne plaisantaient pas. Affreux).

  22. @ Hannah : Moi aussi j’attends les motards..Mais je crois que la fin du monde le mois prochain est plus probable. Un sujet sans doute difficile pour notre ami Laurent.

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