” Comment faire tenir cinq millions de juifs dans une Fiat 600 ? Dans le cendrier. ”
Pour ce tweet, posté en 2011, Guillermo Zappata, fraîchement promu conseiller à la culture et aux sports par la nouvelle maire de Madrid, a été congédié suite à une intense campagne menée sur les réseaux sociaux l’accusant d’antisémitisme aggravé.
J’ignore tout de ce Zappata.
Pour sa défense, il a tenu à préciser : ”J’ai toujours aimé l’humour noir et cruel car je considère comme une expression saine de se moquer des horreurs commises par nous autres êtres humains ”
J’insiste : je ne sais rien de ce monsieur, de son parcours, de ses prises de position, de son engagement idéologique si ce n’est qu’il se trouve appartenir au mouvement des Indignés espagnols, j’ignore s’il était coutumier de ce genre de réparties ou pas, s’il s’était déjà illustré dans le passé par des propos similaires.
La seule chose que je puisse affirmer est que cette ” blague ” connue et archi-connue, ne me paraît relever en aucun cas d’un antisémitisme plus ou moins latent.
Je ne vois là aucune expression visant à stigmatiser la communauté juive, à la dénoncer en tant que telle, à la pourfendre ou à porter atteinte à son honneur.
En tant que Juif, je ne me sens ni sali, ni attaqué par une pareille répartie.
Je suis à peu près certain de l’avoir déjà entendue un millier de fois et il se peut fort bien que moi-même je l’ai ressortie lors d’une conversation.
Le fait qu’elle émane d’une personne nullement de confession juive ne me semble pas constituer un facteur aggravant qui tendrait à prouver que cette dernière fut animée d’intentions malfaisantes visant à se moquer expressément des Juifs.
Si je la prends dans le strict cadre de son intitulé, je la trouve non pas drôle dans la mesure où elle ne déclenche en moi nul rire tonitruant, mais plutôt teintée d’une féroce dose d’humour noir permettant précisément de résumer en une formule lapidaire et cinglante ce que fut l’innommable horreur de l’Holocauste.
Oui, si l’on y réfléchit bien, c’est très exactement ce en quoi consistait la barbarie nazie : vouloir réduire le peuple juif à un tas de cendres en l’exterminant dans des chambres à gaz et autres fours crématoires.
Plus qu’une blague, cette formulation m’apparaît dès lors comme une métaphore certes cruelle, certes carnassière, certes dévastatrice, mais néanmoins pertinente de l’immonde réalité de l’Holocauste.
C’est la mission même de l’humour et de l’humour noir en particulier d’être capable de traduire par un trait d’esprit l’indicible horreur d’un fait qui par sa monstruosité nous dépasse.
De dire et dénoncer l’insoutenable en confiant aux mots la lourde change de transcrire l’épouvante qui peut nous saisir quand nous nous retrouvons confrontés à un événement dont nous ne pouvons ni comprendre ni accepter la teneur et la portée.
C’est par le rire que nous accédons à la vérité de la condition humaine.Â
Pour mieux dire, ce n’est en rien minimiser l’Holocauste que de tenir de tels propos dans l’exacte mesure où la personne qui les énonce ne se réjouit pas du sort réservé au peuple juif durant la seconde guerre mondiale. Â
Pourtant la vox populi a en a décidé autrement.
Sans savoir le pourquoi du comment, elle a tranché.
Unanime dans sa répréhension, elle a hurlé à antisémitisme.
Elle a demandé, réclamé, exigé la démission de l’auteur de ce tweet.
Et évidement elle l’a obtenue.
Tout comme elle a obtenu la démission du Prix Nobel de médecine Tim Hunt pour ses propos sexistes où le brave homme conseillait d’éviter d’intégrer une femme dans un laboratoire de recherche sous prétexte que ”vous risquiez soit de tomber amoureux d’elle, soit qu’elle tombe amoureuse de vous, soit qu’elle se mette à  pleurer si vous la critiquez ”.
En quelques heures là aussi son compte était bon.
Parce que là aussi, la vox populi, la sacro-sainte populace, réincarnation de l’antique sagesse populaire, via les réseaux sociaux, ces nouveaux démiurges de l’époque moderne qui font et défont les réputations à la vitesse de la lumière, sans aucune autre forme de discernement, l’avait dûment exigé.
Dans le dernier cas, il est à noter toutefois que la phrase était d’une stupidité particulièrement crasse.
Pour autant, on peut tout de même s’interroger sur la proportionnalité de la sanction, sans être à son tour battu à mort.
Un simple blâme, une mise à l’écart temporaire, la lecture obligatoire du “Deuxième sexe” de Simone de Beauvoir, eût largement suffi pour faire entendre raison au chercheur ou lui signifier qu’on ne saurait tolérer à l’avenir la tenue de tels propos.
Sauf que l’époque n’est pas à la nuance.
Il faut frapper fort, là , maintenant, de suite, sans plus attendre.
Amener l’accusé sur le bûcher de l’opinion publique, lui réciter le procès verbal des faits qui sont reprochés et actionner au plus vite la guillotine.
Le peuple veut du sang, le peuple aura du sang.
Certains trouveront un tel empressement salutaire.
Un refus désormais bien établi de ne plus laisser passer la moindre entorse à la morale publique, d’extirper du champ de la société civile toute personne tenant ou ayant tenu des propos jugés offensants ou blasphématoires, et d’actionner le glas de la justice pour cesser de tolérer tout manquement à la dignité humaine.
Il reste qu’en agissant de la sorte, dans cette frénésie d’un nouvel ordre moral, tôt ou tard, l’accusateur deviendra accusé.
Que la terreur régnera un peu partout, que la bienséance remplacera l’impertinence, que tout usage d’une métaphore sera désormais interdite.
Ce sera la mort du langage, le triomphe de la médiocrité ambiante, l’uniformité de toutes les opinions.
Le règne du politiquement correct, ce poison qui s’instille dans les consciences, atrophie les imaginaires, aseptise les appétits de provocation.
Chacun possédant son particularisme bien à soi trouvera bien matière un jour ou l’autre à se plaindre du sort qui lui sera réservé.
Avec la formidable caisse de résonnances constituée par les réseaux sociaux, le monde ressemblera à  une collection d’individus terrorisés qui s’appliqueront un sparadrap sur la bouche avant d’énoncer la moindre parole.
Effrayant,  non ?
                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true
“Le règne du politiquement correct, ce poison qui s’instille dans les consciences, atrophie les imaginaires, aseptise les appétits de provocation. ”
J’adore, 100% d’accord avec vous et votre analyse de ce que sont devenus les réseaux sociaux.
On peut également citer les tentatives de blagues des commentateurs de Roland Garros pour le match Tsonga-Nishikori : “il est aux japonais absents, Jo n’a pas eu de sushis … ” Ils se sont faits insulter et traiter de racistes sur Twitter alors que pour moi c’est juste de l’humour pas drole, mais certainement pas du racisme.
Sur le même sujet lire aussi l’article de Slate: http://www.slate.fr/story/102719/humoristes-stand-up-politiquement-correct-facs-americaines
Comme ça, en passant, puisque je découvre votre blog :
Votre profession de foi, à droite, n’est pas mal, mais serait mieux si vous corrigiez le ” n’auraiT” de ” je n’éprouve envers lui aucune tendresse particulière et n’aurait cesse de démonter et démontrer à longueurs d’articles ses travers et ses absurdités. “
oui on sait. La raison est expliquée dans l’un des 456 papiers. Bonne chance.
Non rien Laurent, juste un lecteur comblé.
Oh merci !
Entre autres moyens, le rire permet en effet d’accéder « à la vérité de la condition humaine » (sic) – et, ajoutons-le, à celle de l’espèce humaine, ce qui – ce dont les camps d’extermination ont… stimulé la prise de conscience – est différent.
À ceci près, cependant, qu’ « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde », comme le disait Pierre Desproges, dont certains sketches ne « passeraient » absolument plus aujourd’hui, car beaucoup d’esprits, mal dégrossis, se sont manifestement épaissis. Vous l’observez d’ailleurs à juste titre. Quant aux idéologies, non point défuntes ainsi qu’on feignit de le croire naguère, mais à fleur de peau ou, à l’inverse, refoulées, elles rendent d’autres esprits, qui en manquent, prompts à condamner (et/ou à tenter de faire condamner) la moindre saillie.
Sans doute est-ce pourquoi les plaisanteries dites « juives » ne sont jamais si bien acceptées (sauf peut-être par les antisémites, ainsi désarmés) que racontées par les Juifs eux-mêmes. Pour l’internationalisation de l’humour, on peut le regretter, mais noter qu’à juste titre, ils préfèrent se les servir eux-mêmes, à l’instar du Cyrano de Rostand.
Ce n’est pas nouveau, et ca ne va pas changer de direction dans les annees a venir.
Excellent article!
C’est bien écrit et plein de bon sens, je ne peux être plus d’accord
Bonne continuation!
Pour une fois, cher Laurent, je ne suis pas d’acccord avec vous. Une blague de ce genre entre amis ou tout au moins entre personnes qui se connaissent pourquoi pas ? Mais sur twitter, ça a a une autre dimension. Comment ne peut-on comprendre ça avant d’envoyer un tell tweet ?
Balançons une bonne grosse vanne sur les indignés et attendons de voir les réactions…
Sinon, je continue toujours à vous lire avec plaisir.
@puycasquier : s’il vous plaît, regardez à nouveau cet épisode du tribunal des flagrants délires, et arrêtez de déformer ce qu’à dit Desproges. À chaque fois que quelqu’un écrit ce que vous écrivez, c’est une famille entière de bébé phoques qui meurt.