Le scandale de vivre à deux dans un trente mètres carrés


Longtemps, j’ai vécu à Paris.

Trop longtemps assurément.

Et si j’ai fini par quitter cette ville qu’avec le temps j’ai appris à haïr, c’est que tout simplement elle condamne par la folie de son marché locatif ses habitants les moins fortunés à vivre dans des habitations aux dimensions si mesquines qu’il leur arrive parfois de jalouser le sort d’un détenu confiné dans sa cellule individuelle.

Ce n’est pas tant une question de prix, même si ceux-ci sont de toute évidence scandaleusement élevés, qu’un problème d’espace.

Après diverses expériences plus ou moins heureuses, en des beaux quartiers tout aussi bien que dans des arrondissements plus populaires, j’en suis arrivé à la conclusion que de vivre à deux, avec ou sans chat, dans un appartement ne dépassant point les quarante/cinquante mètres carrés, s’apparente ni plus ni moins à une atteinte à la dignité humaine.

On ne peut concevoir de mener une vie de couple avec tous ses aléas dans un réduit qui, outre une cuisine qui rendrait claustrophobe un hamster, une salle de bain où vivote une misérable douche en grande conversation avec un lavabo écaillé, un cabinet d’aisance si étroit qu’il vous faut un trampoline pour attraper le papier-toilette gravitant au-dessus de votre tête, ne propose qu’une seule vraie pièce servant tout à la fois de salle à manger, de salon, de bureau, de chambre à coucher, de salle de relaxation, de cabinet de lecture, de refuge à des plantes vertes, d’accueil à des vêtements en déshérence, d’abribus et de chenil pour le chat.

Ce n’est tout simplement pas vivable.

Cette promiscuité forcée, cette cohabitation au forceps avec sa compagne ou compagnon, cette impossibilité d’avoir un espace à soi, cette obligation d’être à tout instant sous le regard parfois énamouré le plus souvent agacé de l’autre, exige des deux partenaires des sommets de patience, des trésors de diplomatie, des facultés à canaliser ses inévitables ressentiments qui dépassent de beaucoup les simples capacités humaines.

L’amour à ses raisons qu’une cage à lapin a tôt fait de rendre déraisonnable.

Comment voulez-vous évoluer dans un pareil décor quand, pour couronner une dispute, il n’existe même pas une misérable porte à même d’être claquée, hormis celle des toilettes, ce qui nécessite donc que pour marquer votre légitime exaspération, il vous faille quitter le lieu de l’altercation, s’enfermer dans votre urinoir, en ressortir, et alors et seulement alors, avoir ce rare privilège de régler son compte à l’unique porte de l’appartement (hormis bien évidemment celle de l’entrée) ?

Comment parvenir à vivre lorsque l’un veut se branloter le cerveau devant un match de foot tandis que l’autre s’essaye à lire Virginia Woolf, que votre chat joue à saute-moutons avec la table basse, que personne n’a eu le courage de débarrasser la table où agonisent désormais des assiettes repues de sauce tomate, que montent au plafond des miradors de livres menaçant à tout instant de s’affaisser, que glissent sur le parquet des fantômes de chaussures n’ayant point trouvé armoire à leur pointure, et que, où que se porte votre regard, il ne rencontre que la manifestation éclatante de la déconfiture existentielle qu’est devenue votre vie ?

Comment ne pas comprendre dès lors que les Parisiens soient les gens les plus affables, les plus avenants, les plus aimables, les moins irritables jamais recensés sur cette terre ?

Pour vivre à Paris il faut soit être immensément riche, soit sympathiser avec le caniche de la secrétaire de l’office HLM afin que votre dossier connaisse une soudaine crise de croissance, soit se résoudre à devenir alcoolique ou toxicomane ou les deux, afin que votre sens de la perspective devienne légèrement altéré et transforme votre vingt-deux mètres carrés en un vaste palais où flotte le souvenir de vos meubles IKEA.


Autrement c’est la garantie de finir en une du Parisien sous la mention “drame de la vie quotidienne” : un chat s’est immolé au 154 de la rue de Providence ; depuis deux jours il cherchait en vain la trace de sa litière.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

10 commentaires pour “Le scandale de vivre à deux dans un trente mètres carrés”

  1. J’ai vécu presque 6 ans dans un mini 2 pièces de 19m2 avec ma compagne… On ne c’est jamais étripé ni engueuler à devoir sortir de l’appart. Ca ne fait pas de nous des humains ? Ni des parisiens ?

    Maintenant que nous sommes dans un 30m2 c’est largement suffisant pour vivre, il suffit de savoir un minimum aménager les choses et que les pièces soient bien réparties.

  2. Sauf, qu’en fait, vous racontez n’importe quoi. J’ai vécu avec mon copain dans un 18m2, dans un quartier mi-populaire mi-raisin. Le seul truc qui me gavait et nous a poussé à déménager, c’est la connasse du dessous qui gueulait tout le temps et le manque de place (au bout de 5 ans de vie commune, on amasse pas mal de trucs, forcément). Ok là on peut dire que c’est chiant.
    Aujourd’hui on vit dans un 28m2 et c’est GENIAL. 2 pièces, chiottes séparées de la salle de bain, j’ai l’impression de rêver, c’est silencieux, c’est spacieux, c’est l’idéal pour Paris. J’ai grandi dans des apparts et des maisons de 100m2, voire plus, loin de Paris alors merci mais non merci, j’en veux pas des grands apparts! Il y a des gens qui vivent dans des chambres de bonne, franchement je sais pas comment ils font, mais vous êtes grave insultant pour tous ceux qui vivent à 5 dans 20m2 à cause des marchands de sommeil sans parler des détenus qui sont loin de vivre tranquillou dans des 30m2. C’est bien un article de parisien qui a juste pas assez de thunes pour rester sur paname et a une vie de couple un peu à chier. ET MIOSSEC C EST DE LA MEEEEERDE.

  3. j’ai vécu à 2 dans un 30 m² studio…on a tenu 1 ans et demi. en changeant les meubles de places tout les 6 mois, comme pour chercher un espace en plus qui n’existe pas lol.
    on s’embrouillait pas mais c’est relou. si vous avez des vies un peu en decallé, vous réveillez la personne alors qu’elle dort car on mange, fait la cuisine ,se change dans la meme pièce que le lit

    maitenant j’ai 56 m² et c’est tellleeeeemmmmeeeeennnnt mmieuxxxx

  4. Sinon il y a des architectes d’intérieur accessibles qui font du bon boulot. J’ai fait appel à mon intérieur sur mesure pour mon studio et c’est devenu un plaisir d’y habiter !

  5. Je m’étais dis tiens pour une fois un sujet assez léger qui devrait laisser assez indifférent. C’était sous estimé la capacité de réaction de l’être humain. Vraiment fascinante cette faculté à débattre de tout avec autant de sérieux.

  6. N’est-ce pas ? Je partage votre fascination

  7. Mais que raconte ce type

    Je vis dans un 25m2 avec mon copain et c’est de loin ma plus belle relation amoureuse. Pas besoin de plus d’espace pour être heureux! Et le plus beau c’est qu’on a eu le même petit job à temps partiel pendant 9 mois! Deux amoureux ça aime être collés, pas chacun dans son coin, non ? Et si on a envie de sortir on sort séparément pas de souci. On vit dans l’harmonie et on est très heureux ! On va déménager pour des raisons professionnelles dans un 27m2 avec une petite terrasse, on ne veut pas plus grand pour l’instant mais juste un petit bout d’extérieur pour apprécier le soleil.
    Auparavant j’ai vécu dans un 60m2 avec mon ex et j’avais l’impression que l’appartement était trop petit et qu’on étouffait. En fait ça ne dépend pas de la surface de l’appartement mais de la santé de la relation affective elle-même…

  8. Non seulement à Paris mais aussi dans d’autres villes. J’ai fait l’expérience douloureuse dans une ville qui m’inspire le dégoût. La ville d’Aix-en-Provence. Je vivais pendant plusieurs années dans un petit sudio de 30 m2 situé au centre ville, exposé directement à une rue étroite, animée par des délinquants et des bruits jour et nuits. Je vivais en couple dans une relation solidaire mais elle n’a pas duré comme je la souhaitais. Tous les deux, nous étions tombés gravement malades à cause des accumulations de toutes les formes de pression et externes : nuisance sonore, bruit et incivilités extrêmes devant la fenêtre de cette cave (studio) situé au RDC. En plus, ma compagne était souffrante, le traitement qu’elle prenait avait des effets secondaires dévastateurs sur son état de santé. J’ai fini par attraper de l’asthme. Notre relation a été détruite à cause du manque d’un espace pour respirer. Notre amour est anéantie pour aboutir à un drame édifiant : Ma compagne est morte dans des conditions cruelles. J’ai fait de la manche pour l’enterrer dans la dignité. J’ai tout perdu dans cette ville des horreurs.

  9. fasciné et abattu

  10. Aujourd’hui, il faudrait demander à nombre de jeunes couples sans enfant(s) travaillant à Paris intra-muros si le prix ne compte pas plus que la promiscuité. Car le châtiment des « migrations pendulaires » quotidiennes – loyers moins élevés en lointaine banlieue, mais deux à trois heures aller-retour de transports en commun – font supporter un temps l’entassement dans un deux-pièces exigu.

    Cela dit, comment ne pas partager votre courroux, noirci d’humour ? Il paraît qu’en la matière, Tokyo et Londres auraient peu à envier à notre petite capitale… Piètre consolation. La très modeste superficie de Paris (rapportée à la vastitude de Marseille : 128,3 % de plus, par exemple) peut expliquer ces appartements aux pièces riquiqui, même si les bourgeois du Second Empire, à en juger par les immeubles haussmanniens, furent friands de pièces où ils pouvaient avoir les coudées franches. Glissons sur l’absence de salles de bains ou simplement d’eau : les Français (et pas seulement les Parisiens) n’en ont prévu que fort tard si l’on regarde chez nos voisins européens. Il demeure que, si les prix (loyers comme achats) immobiliers se sont offert, à Paris et ailleurs, des ascensions himalayennes dans les deux dernières décennies du siècle passé, cela coïncida (et continue de coïncider) avec les très importants écarts de revenus que l’on doit aux splendides envolées du néo-capitalisme. Cependant, à la moindre évocation d’une timide volonté étatique de réguler le marché de l’immobilier, n’entendait-on pas, du moins en France, maints propriétaires loueurs et vendeurs d’appartements geindre, ou même se lamenter tels des miséreux en passe d’être égorgés ? Et de dénoncer les risques d’une « économie administrée », quand ce n’était pas « soviétique » !

    Aux aventuriers courageux, dotés de quelque(s) savoir-faire attendu(s), l’immense Australie (douze fois la France, tous territoires compris) ne fermerait probablement pas ses frontières. Maisons et appartements paraissent n’y pas contraindre à l’entassement. Et, à l’inverse, la promiscuité désirée n’y est pas interdite.

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