L’autre soir, je regardais pour la énième fois ce chef-d’œuvre absolu que constitue César et Rosalie de Claude Sautet.
J’avoue c’est l’un de mes films fétiches tant le trio formé par Yves Montand, Romy Schneider et Sami Frey ressemble à un rêve de cinéma : tout est parfait dans ce long-métrage, l’histoire, les dialogues, les décors, la pluie, les routes départementales, les maisons au bord de la mer, la mise en scène, les comédiens, les voitures, la bande-son…
Toutefois, d’entre toutes, il existe deux scènes, deux scènes absolument fascinantes, où le temps suspend son vol, où à chaque fois je suis obligé d’appuyer sur pause, de rembobiner, de monter le son à son maximum, de relancer la lecture, de fixer l’écran d’un air ahuri avant de m’exclamer d’une voix effarée ”alors ça c’est extraordinaire, tout bonnement extraordinaire ”.
La première c’est lorsque César dispute une partie de poker avec ses amis. Ils sont dans le salon, ils fument cigarette sur cigarette, ils sont concentrés sur leurs cartes, c’est la nuit, il doit être tard, une heure, deux heures du matin peut-être, les cendriers débordent de mégots, des verres vides traînent sur la table, et comme la partie n’est pas prête de s’achever, César, d’une voix mi-lasse mi-ferme demande à Rosalie d’aller à la cuisine lui chercher des bières, de la vodka et des glaçons.
Rosalie, à ce moment, se trouve à moitié allongée sur un fauteuil, elle a l’air désœuvrée ; en même temps, on devine que la partie la fascine autant qu’elle l’ennuie, elle doit être là depuis le début, elle a peut-être sommeil mais elle tient à rester là à les regarder jouer, sans dire un mot.
Et quand elle entend César lui réclamer ses boissons, elle se lève, oui elle se lève tout Romy Schneider qu’elle est, elle ne pipe pas le moindre mot, elle file tout doux à la cuisine, elle s’en va chercher ce que réclame César, elle ne maugrée pas, elle ne sourcille pas, elle ne manifeste pas le moindre signe de désaprobation, non, de bonne grâce, elle obéit à César.
Moi quand je demande à ma moitié de s’en aller me chercher ne serait-ce qu’un verre d’eau alors que je suis occupé à lire ou à penser ou à regarder du foot, elle me contemple de l’autre côté du salon comme si je venais de lui demander de m’apporter de la vaseline pour sodomiser le chat.
Elle ne bouge pas d’un millimètre, elle me balance un regard noir qui veut dire tout à la fois ” Tu te fous de ma gueule ? Tu m’as bien calculé là ? Tu m’as confondu avec ta mère ? Tu veux quoi, j’ai pas bien entendu ? Tu ne veux pas une paille aussi ? Tu es sérieux là ? ”
Inutile de dire que le verre d’eau, je l’attends toujours.
Dans la deuxième scène, on retrouve encore César et Rosalie. César est crevé, il a roulé toute la nuit, il n’est pas rasé, il a vaguement faim, il a des cernes pas possibles, Rosalie se blottit tout contre lui, et en le regardant par en-dessous, elle prononce cette phrase invraisemblable : ” Tu as l’air fatigué, est-ce que tu veux que je te fasse couler un bain ? ”
Je répète, elle lui demande texto ”est-ce que tu veux que je te fasse couler un bain ?” Que je te fasse couler un bain. Un bain. Tu veux que je te fasse couler un bain. Est-ce que tu veux que je te fasse couler un bain.
Cette phrase, je prétends, j’affirme, je proclame que jamais je ne l’ai entendue de toute ma vie et ce quelle que fût la demoiselle qui partageait ma vie. Jamais. Et pourtant – j’ai vérifié – nous possédons bien une baignoire. A la rigueur, dans les mêmes circonstances, si je suis vraiment exténué, au bord du coma, j’aurais le droit à un simple ” tu devrais prendre un bain, ça te détendra ” ou encore ” fais-toi donc couler un bain, tu l’as bien mérité ”.
C’est tout, fermez les bans.
Reste à savoir, si moi aussi, confronté à une pareille situation, si d’aventure ma douce me quémandait un verre d’eau, j’agirais avec la même circonspection.
La réponse est évidemment non.
Je ne suis pas fou. Ni suicidaire.
Vivant au vingt-et-unième siècle, ce siècle où les femmes se sont enfin décidées à remettre les hommes à leur place, je n’aurai d’autre choix que de me précipiter toutes affaires cessantes à la cuisine, de sortir un verre du placard, de verser de l’eau bien fraîche dedans, de courir à la salle de bains, d’ouvrir les robinets de la baignoire et de piquer un sprint dans le couloir avant de déposer devant ma Rosalie adorée le verre demandé.
En 2016, Claude Sautet aurait appelé son film Rosalie et César.
Tirez-en les conclusions qui vous plaisent.
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Chez nous en Afrique, le temps s’est arrêté depuis belle lurette. Ma mère, jusqu’à l’écriture de ce blog coule le vain pour mon père. Tous les soirs à la même heure.
Chez nous en Afrique, le temps s’est arrêté depuis belle lurette. Ma mère, jusqu’à l’écriture de ce blog coule le bain pour mon père. Tous les soirs à la même heure.
Elle m’a fait le coup du “les hommes servent le vin à table”, je lui ai répondu “oui oui et les femmes font la vaisselle”. Problème réglé, au suivant !
J’ai eu la même réaction que vous. Mais bon, c’est du cinéma.
Personnellement, je suis plus choquée par le fait que quasiment impunément César frappe Rosalie.
Oui c’est vrai, cette scène est assez terrifiante.
Vous me décevez Sagalovitch..
votre idée serait convaincante si vous citiez un film où l’inverse est vrai : un monsieur qui apporte à boire à sa femme et qui lui fait couler un bain. La gentillesse (car les deux scènes citées mettent seulement en scène la gentillesse d’une femme et sa tendresse pour son conjoint) c’est dans les deux sens.
Sagalo, essayez de porter à boire à votre femme, peut-être qu’elle vous rendra la pareille, non?
On a rarement vu un groupe humain regretter l’accession à l’égalité de droits d’un autre groupe humain. Les quelques exemples qu’on peut citer sont :
– les antisémites regrettant l’émancipation des Juifs,
– le Ku Klux regrettant l’émancipation des Noirs
– et quelques types un peu surannés, regrettant l’émancipation des femmes (et l’époque “bénie” où des César pouvaient gifler des Rosalie…)…
Une féministe (qui apporte à boire à son compagnon et inversement).
Moi je fais couler des bains et j’apporte des verres d’eau , il faut dire que mon adoré me fait couler des bains et m’apporte des verres d’eaux , des bières , des massages … y a aussi le fait que quand y a poker je suis invitée à la table . vous avez surement compris le fond du problème de votre couple
j’ai eu un ex à qui j’apportais pas de verre d’eau , mais lui a refusé de porter mon sac un jour où j’avais mal au dos parce-que “vous avez voulu l’égalité donc je vois pas pourquoi je porterai ton sacccc’ ” . Aujourd’hui les seules raisons de ne pas s’apporter de verres d’eau ou de porter des sacs pour autrui , c’est peut être la radinerie de générosité . elle a bon dos l’égalité 
mais enfin les filles ça ne sait pas jouer au poker voyons !
Aaaah! Décidément je vous adore! J’adore le film aussi d’ailleurs, même si la scène du poker (et donc le coup des bières) m’agace un chouïa… Mais n’auriez-vous pas oublié que quand Rosalie en a marre des cartes et des bières, elle file chez David?
Comment ça, pour lui servir le café??