C’est terrible d’assister à un concert de rock quand vous avez déjà passé depuis belle lurette l’âge béni de votre jeunesse et que vous n’êtes plus qu’un vieux croulant aigri, chauve, édenté et mal rasé.
Et quand le chanteur est encore plus âgé que vous, qu’il a vieilli à vos côtés tout au long d’une carrière dont vous n’avez manqué aucun épisode, c’est encore pire : il est l’exact reflet du temps passé qui jamais ne reviendra.
Ce soir-là, dans une salle saturée de vieux de votre espèce, des vieux au balcon, des vieux au bar, des vieux assis à côté de vous, vous comprenez que votre jeunesse n’est plus qu’un lointain souvenir, que vous êtes bon pour la retraite ou le cimetière, qu’il est temps de déposer les armes et d’attendre l’heure de votre chute finale.
Donc samedi soir dernier, tout guilleret je m’en vais écouter Lloyd Cole, une légende, un monument, un géant, le genre de chanteur qui ne vous a jamais trahi, jamais déçu, s’est toujours montré intransigeant avec lui-même afin d’atteindre l’excellence à chaque disque enregistré.
Il passe en ville, je ne peux pas le manquer, Lloyd est moi c’est une histoire d’amour qui dure depuis bientôt un quart de siècle, impossible de lui poser un lapin, il risquerait de mal le prendre.
Le concert commence à huit heures, je me pointe une demi-heure à l’avance, je pénètre à l’intérieur de la salle, un cinéma reconverti en scène de spectacle pour l’occasion, je ressors illico, j’ai dû me tromper, c’est la soirée bingo de l’amicale des vétérans de la guerre de Corée, je demande c’est pas ce soir Lloyd Cole ? si, si me répond une vielle rombière à la chevelure grisonnante, prenez place, le concert ne va plus tarder.
Je retourne dans la salle, c’est atroce, je suis entouré de vénérables quinquagénaires habillés tous comme moi, sages comme la mort, assis comme des ronds de cuir, occupés qui à nettoyer leurs lunettes, qui à siffler une dernière menthe à l’eau, qui à papoter avec madame au sujet de leur assurance-vie, qui à lire le dernier numéro du Monde Diplomatique.
Je finis par trouver une place, je regarde à nouveau l’assistance, je ne vois que des crânes d’œufs, des crânes gris, des crânes blancs, la lumière s’éteint, le silence se fait, Lloyd Cole débarque, il est seul, c’est un concert acoustique : maintenant c’est sûr, je suis en enfer.
Au bout de deux chansons, je songe très sérieusement au suicide, je ferme les yeux, je me revois en 1985, mon premier concert de Lloyd Cole, l’Olympia, Del Amitri en première partie, j’ai dix-huit ans, je suis avec des amis, dans deux jours je vais voir Simple Minds à Bercy, j’ai des cheveux en pagaille, des rêves plein la tête, peut-être même des projets voire de l’espoir en des lendemains qui chantent.
Je rouvre les yeux : j’ai très exactement l’âge de mon père quand j’avais vu Lloyd Cole pour la première fois, mon père qui ne va pas très fort, qui vit seul maintenant que ma mère n’est plus, qui n’arrive plus à se concentrer pour lire, qui souffre d’une vilaine sciatique, que je vois quand je reviens à Paris.
Je dois rêver.
Ce n’est pas un concert, c’est A la recherche du temps perdu, avec à la place de la Sonate de Vinteuil si chère à Marcel, les standards qu’égrène un par un un Lloyd Cole éblouissant de maîtrise.
Où sont donc passées toutes ces années ? Dans un an, j’aurai cinquante ans. Cinquante ans bordel de dieu. Ce n’est simplement pas possible. Il doit y avoir une erreur. J’ai mal calculé. Je me suis trompé de deux décennies. Dans un an j’aurai trente ans. J’ai encore vingt ans devant moi avant d’atteindre la cinquantaine. Vingt ans. Une éternité.
Le concert s’achève, c’était bien, je rentre à la maison, le chat miaule, il est minuit passé, je suis fatigué : je me couche sans prendre de douche.
On devrait tous mourir à vingt-sept ans.
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Brillant, drôle, mais trop triste. Surtout quand on lit ça en ayant largement dépasé la cinquantaine. Un jour viendra où vous rendrez compte qu’à 50 ans on était encore jeune !
J’ écoutais Bill Haley moa monsieur .
. . . et moi Edith Piaf !
Drôle et bien vu
La nostalgie c’est bon chez soi en vinyle ou en CD mais en live ça ne passe pas.
Pour rester jeune, partir à la découverte de nouveaux artistes.
Thierry, 56 ans, fan de Lloyd Cole (à l’époque)