La seule fois où je me suis rendu en Israël, j’ai failli écoper d’une peine de prison à perpétuité.
Motif : détention d’une arme en vue de commettre un possible attentat à bord d’un avion au départ de Tel Aviv.
C’était il y a cinq ans.
Je venais de passer deux mois en Terre promise afin de donner un cadre au roman qui sortirait deux ans plus tard sous le titre d’un Juif en cavale.
J’avais glandé un mois et demi à Tel Aviv à me demander ce que je foutais ici, j’avais loué une voiture pour voir le pays, j’étais allé à Tibériade, à Arad, j’avais vu la Mer Morte, la Mer Rouge ; le dernier jour j’avais effectué d’une traite Eilat-Tel Aviv où j’avais rendu dans la soirée la voiture à l’aéroport. Mon avion décollait à quatre heures du matin.
Vers minuit, l’enregistrement a commencé.
Un type a commencé à me bombarder de questions : j’habitais où ? Pourquoi j’étais venu en Israël ? J’avais de la famille en Israël ? J’appartenais à un syndicat ? A une congrégation religieuse ? A un mouvement politique ? J’étais marié, divorcé, veuf, eunuque ? J’habitais où ? Je me brossais les dents avant ou après la douche ? J’étais allé où en Israël ? J’avais des enfants, un chat, un léopard ? J’habitais où déjà ? J’avais de la famille en Israël ? Avant ou après la douche, la brosse à dents, etc, etc…
J’avais été très bon.
Je ne m’étais pas démonté – une heure avant j’avais fumé deux paquets de Valium – je maîtrisais, j’étais serein, détendu, je répondais au tac-au-tac, pas un accroc, pas une hésitation, pif paf, le type avait eu l’air impressionné, tout juste s’il ne m’a pas serré la main pour cette remarquable prestation pleine de sang-froid. Ou me supplier de rejoindre les rangs du Mossad, on devait avoir besoin de professionnels aguerris comme moi.
Fier comme pas un, j’avais enchaîné en déposant mes bagages devant une employée chargée de fouiller, slip par slip, l’intégralité du contenu de ma valise : malgré tous ses efforts, son application à débusquer une bombe dans ma réserve de cure-dents, elle n’avait rien trouvé et m’avait demandé d’aller voir ailleurs si j’y étais.
Je planais.
Encore un passage devant le détecteur de métaux, et le fils prodigue pouvait rentrer au pays. Pas si méchante que cela finalement la fameuse, la légendaire, la terrifiante sécurité israélienne. Des petits joueurs plutôt. Limite amateurs.
Sur le tapis roulant, j’ai déposé mon sac à dos, mes chaussures, mon chapeau, mes clés, ma monnaie, mes lunettes de soleil, ma boîte de Valium, mes osselets, mon bidule pour écouter de la musique et j’ai attendu le signal de l’officier pour me présenter au portique de sécurité.
Mon sac à dos a disparu dans le caisson à infra-rouge, l’officier m’a regardé, a regardé son écran de contrôle, m’a regardé encore, a crachoté quelques mots dans son talkie-walkie : une brute épaisse sortie de nulle part s’est plantée tout près de moi, je lui ai souri bêtement, lui pas.
Je n’étais pas le moins du monde inquiet.
L’officier d’une voix neutre m’a demandé ”vous ne transportez rien de défendu dans votre sac à dos ?” Tout juste si je n’ai pas éclaté de rire – A part un exemplaire de Moby Dick, non je ne crois pas – Vous en êtes bien sûr ? – Mais oui mon brave qu’est-ce que tu crois ? Que j’appartiens aux brigades d’Al-Aqsa ? Que tous les dimanches je joue au ping-pong avec le grand ayatollah du Hezbollah ? Détends-toi mon pote, on est comme frère toi et moi.
Il a ouvert en grand mon sac à dos, a plongé sa main dedans, et dans un geste théâtral, en a sorti un couteau pour le brandir devant mes yeux ahuris : et ça c’est quoi, monsieur, un presse-citron peut-être ?
J’ai blêmi.
C’est-à-dire, je n’ai pas blêmi, je me suis liquéfié sur place, j’ai fondu comme une glace au soleil de Jaffa, je me suis vu menotté, emprisonné, jugé pour haute trahison, condamné aux travaux forcés quelque part dans le désert du Néguev. Dépossédé de mon identité juive. Recirconcis. Baptisé. Envoyé en Pologne par le premier train.
Il est à vous ce couteau ?
Il était bien à moi.
Ce matin, je m’étais dit, ” tu dois rendre la voiture à dix heures du soir, ton avion décolle à l’aube, tu vas devoir poireauter à l’aéroport des heures durant, autant acheter un dernier morceau de salami pour patienter, ça t’évitera de bouffer de la pizza congelée, garde ton couteau dans ton sac, t’en auras besoin.”
Sauf qu’il y avait eu du trafic, j’avais rendu la voiture juste à temps, et le salami je l’avais acheté seulement en rêve. Par contre, le couteau, je l’avais complètement oublié.
J’ai bafouillé cette histoire au monsieur, il m’a regardé à nouveau… et il m’a cru ce schmock.
D’accord le couteau avait les dents émoussées d’un centenaire – même pas sûr que j’aurais pu découper une tranche de salami avec – d’accord j’avais un nom à déporter un Juif, d’accord j’avais un nez à figurer en une de Rivarol, d’accord je puais le Juif de service mais tout de même, j’aurais pu fort bien, avec mon couteau, dépecer le tissu de l’accoudoir de mon siège et m’en servir pour étrangler le chat de l’hôtesse.
Au lieu de me plaquer au sol et d’appeler le Premier Ministre pour l’avertir que le Hamas venait de rompre la trêve, il m’a simplement mis en garde, m’a conseillé de ne pas recommencer et m’a souhaité un bon vol.
Des petits joueurs je vous dis.
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Laurent, tu es le terroriste du rire; même si tu ne nous aimes pas, nous on t’aime parce que tu nous fais rire d’un rire suave;