Vivre.
Ne rien changer à ses habitudes, continuer à aller sur le chemin de l’existence sans montrer aucun signe d’affolement, tenir en respect sa propre peur et marcher la tête haute à la poursuite de ses rêves, ne rien céder à cette douleur qui vrille le cœur et assombrit l’âme, sortir, rire, fumer, boire, danser, aimer, fraterniser – obstinément.
Se souvenir.
Tout le temps, penser à ceux qui ne sont plus là, tombés au champ d’horreur de leur jeunesse triomphante, dans le midi flamboyant de leurs vies, au beau milieu d’une nuit pleine de fracas, fauchés par des jeunes gens à la cervelle retournée, au cœur froid, à l’âme figée, amoureux d’une mort qu’ils pensent être comme le commencement de leurs vraies vies, dans l’éther d’un paradis qui ne peut être pourtant que cet enfer réservé à ceux coupables d’avoir enténébré l’espérance humaine en répandant le sang d’innocents aux sourires d’anges.
Penser.
A tous ceux morts de l’autre côté de la Méditerranée la veille même des tragédies parisiennes, en plein cœur de Beyrouth, victimes des mêmes charognards, déchiquetés par une bombe puis par une deuxième, des hommes, des femmes, des enfants, en rien différents de nos victimes à nous tout comme ces malheureux et si nombreux passagers d’un avion russe parti de Charm el-Cheik et anéanti au-dessus du Sinaï, autant de disparus dont on s’honorerait à célébrer avec une égale ardeur la mémoire tant la mort terroriste ne connaît de nationalité et ne peut souffrir d’être accueillie différemment selon l’endroit où elle s’abat.
Accepter.
L’idée que cela puisse recommencer, en être tout le temps conscient, conceptualiser les douleurs à venir, se préparer à toutes les éventualités, ne s’étonner de rien, ouvrir grand le spectre des possibilités, réaliser sa parfaite impuissance devant un inexorable inscrit déjà dans le livre de l’avenir, le savoir, l’appréhender, l’intégrer dans son propre cheminement intérieur, l’accepter sans s’y résigner, l’admettre sans le redouter de trop, se tenir prêt pour les tempêtes futures afin de ne pas être balayé le jour où les vagues de la terreur frapperont à nouveau à nos portes.
Se méfier.
Des solutions toutes faites, des délires sécuritaires, des promesses impossibles à tenir, des grands discours, des stigmatisations, des raccourcis faciles, des accusations à l’emporte-pièce, des dérapages verbaux, du flot de pensées incontinentes, de la croyance en des mesures frappées d’arbitraire qui une fois appliquées plongeraient le pays dans la grande nuit noire de ses illusions perdues où s’affronteraient au grand jour communautés contre communautés, peur contre peur, Dieu contre Dieu, dans une nuit recommencée mais différente de la Saint-Barthélemy qui ne provoquerait que chaos et désolation et sonnerait comme l’ultime victoire des salopards de vendredi soir, ces assassins de la liberté.
Ne pas leur faire ce cadeau.
Rester intransigeant quant à nos principes.
Ne jamais renier nos idéaux.
Garder toute notre lucidité.
Malgré la mort, les pleurs, les chagrins.
Ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain.
Demeurer solidaires dans l’adversité, se tenir les coudes face à l’effroi, afficher notre farouche obstination à ne rien changer à nos modes de vie et de pensée, c’est la seule façon d’honorer la mémoire de nos disparus et leur dire, par-delà la mort, quelles que puissent être notre couleur de peau, nos origines, nos différences, notre volonté acharnée de perpétuer leur souvenir dans la concorde de nos vies entremêlées.
C’est là la seule manière d’être à la hauteur de ce deuil qui nous frappe tous.
La seule.
Il n’en existe pas d’autre.
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Mode d’emploi détaillé. Va pour la sagesse qui s’écrit. On observera cependant la difficulté de mettre en œuvre certaines préconisations, surtout celles concernant la maîtrise de la peur car elle n’est parfois pas aisée ; l’attesta hier, place de la République, la brève panique due aux rumeurs de mitraillages, qui fit s’écrier et courir.
« Vivre » en temps de terrorisme, se dit : ne pas se faire tuer. La maladie, elle, n’empêche généralement pas de « tenir en respect sa propre peur », la kalachnikov, c’est moins sûr.
ça ,au nom d’une inexistance .
Avoir peur de quoi ?
Il est déplaisant d’entendre et de lire que « nous n’aurons pas peur »… parce qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur des terroristes.
En effet, il ne me semble pas que des bombes tombent sur Paris comme jadis elles pleuvaient sur Londres.
Je ne crois pas que nous soyons, comme les Yézidis et les chrétiens d’Orient, en cours d’extermination.
Je n’ai pas le sentiment que les musulmans fanatiques sont sur le point d’organiser, pour les parisiens, des convois de wagons plombés à destination de camps d’extermination.
Si l’atroce massacre à la mitrailleuse de plus d’une centaine d’innocents évoque rigoureusement une petite Shoah par balles, cependant ces terroristes sont très loin de pouvoir déployer très amplement leur oeuvre de mort et de haine.
Il reste à observer si les Etats démocratiques, qui pourraient sans grandes difficultés écraser militairement le Groupe Etat Islamique, seront politiquement capables de le faire ; ou bien s’ils se perdront en atermoiements, tergiversations, hésitations et dérobades, d’une part par crainte de déplaire à des Etats complaisants (sinon même complices) avec les fanatiques tels que l’Arabie saoudite et la Turquie, et d’autre part pour ne pas « provoquer » des organisations elles-même terroristes telles que le Hezbollah, le Hamas, et autre Front al-Nosra qui risqueraient de glapir contre une agression de « croisées » en cas d’action résolue…
Ce dont il y a lieu d’avoir peur n’est pas l’action des terroristes, mais la faiblesse de nos Etats.
Là tout de suite je ne vois pas comment on va pouvoir faire ça vu comme les médias sont saturés. Si il ne faut pas laisser les solutions simplistes s’installer un peu d’air nous ferait le plus grand bien. Ne rien changer, d’une certaine façon, c’est ne pas mettre de coté Volkswagen.
Hug, Laurent.
Rien à redire sur l’ensemble de l’édito. Une fois encore je me sens très sagalovitschien.
Merci à vous !
Alors donc Riss de Charlie Hebdo nous explique que “les Parisiens de 2015 sont un peu devenu les Londoniens de 1940”, bof, ou alors pas beaucoup. Citons Sagalovitsch dans La canne de Virginia, “…je retourne à la cuisine. Dans mon abri. Là où les bombes ne peuvent pas m’atteindre. Menteuse.”
Et à part ça ce roman sur les motards ça avance?