Koh Lanta ou la mort aux frousses

Je sais bien, il ne faut jamais se moquer des morts. Nous nous devons de respecter leurs mémoires. Et de nous incliner devant la douleur de la famille et des proches. Et leur souhaiter qu’ils reposent en paix. Bien au chaud dans leurs cercueils. A l’aise dans le néant de leurs vies terminées.

Reste que quand la mort vous surprend alors que vous faites le mariole dans une émission de téléréalité, il devrait être tout de même possible voire recommandé d’en rire, de partir d’un vrai rire sardonique et bien épais, un rire moqueur et sidérant qui sonnerait comme un avertissement cinglant à tous les damnés de la terre désireux d’apparaître sur un écran de télévision pour se donner l’illusion d’exister.

Franchement si l’enfer existe, on aimerait qu’il soit peuplé à l’avenir de tous ceux qui un jour ou l’autre se sont inscrits à ce genre de programme en se rêvant un destin de roi d’Espagne.

Mourir à 25 ans en tentant d’affoler l’audimètre de sa propre popularité donne comme une envie furieuse de se pencher sur la dépouille du défunt et de lui infliger une bonne paire de baffes post mortem. Et encore une autre.

Tu n’avais donc rien d’autre à faire de ta vie que de t’embarquer dans une noce funèbre avec Denis Brongniard comme compagnon d’infortune ?

Tu n’avais donc pas d’autres rêves dans l’existence que celui de te prostituer dans la lucarne désolée d’un poste de télévision pour tenter de distraire un demeuré de téléspectateur qui engoncé dans les profondeurs traîtres de son canapé s’efforce par tous les moyens d’oublier la médiocrité d’une vie s’effilochant jour après jour, semaine après semaine, année après année, jusqu’au terminus final ?

A quoi pense-t-on quand on se décide à se lancer dans une pareille aventure ?

A l’argent facile, à la gloire soudaine, à la reconnaissance éternelle ? A la jouissance inouïe d’être reconnu par son coiffeur et son boucher ? A la possibilité de profiter du carré V.I.P d’une quelconque boîte de nuit provinciale et de boire à l’œil un magnum de champagne offert par le patron de l’établissement ?

A l’espoir insensé de pouvoir côtoyer lors d’une fête de charité organisée par la paroisse des célébrités bien pensantes quelques autres couillons de ton espèce qui te diront comment rentrer en contact avec un imprésario désireux de t’organiser une tournée mondiale dans toutes les farfouilles de France ?

A la perspective de baisouiller avec une nymphette de passage qui pour la simple jouissance d’être prise en photo à tes côtés t’ouvrira grandes ses cuisses pour t’offrir quelques secondes d’éternité.

Et maintenant une dépêche estampillée urgente m’apprend que le docteur qui a tenté de te ranimer a choisi de se suicider plutôt que d’apparaître comme le fossoyeur de ta destinée brisée.

On touche là le fond même de la misère humaine. De l’inconsolable bêtise. La vraie. De celle qui n’en finit pas de nous désespérer et nous rend de plus en plus perplexe quant à la nature profonde de l’être humain.

 

Et où l’on se dit que décidément ce monde ne tourne vraiment plus rond.

Et qu’il faudrait peut-être qu’il se remette en question une bonne fois pour toutes avant qu’il ne soit définitivement trop tard.

 

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