Je ne suis pas un homme à principes. Sauf pour une chose : je ne vais jamais voir les adaptions littéraires des romans qui ont eu une influence marquante sur ma pauvre vie de juif en cavale. Jamais. Par souci d’hygiène mentale. Par respect pour l’auteur de ces œuvres qui m’ont rendu l’existence supportable. Par peur d’être dépossédé.
Je sais trop que si d’aventure je me rendais dans une salle obscure assister à la représentation cinématographique d’un de mes romans de prédilection, ce dernier perdrait son charme à tout jamais. Non pas parce que le film serait ” supérieur ” au roman.
Cela ne se peut.
A de très très rares exceptions, une poignée tout au plus et encore, aucun film n’a eu ce pouvoir que certains romans possèdent de me transformer si radicalement que celui que j’étais avant d’entamer sa lecture ne ressemblait plus en rien à celui que j’étais devenu une fois le livre refermé.
Cette métamorphose radicale, cette séduction sidérante, cette ivresse totale, ce sentiment de révélation, ce bouleversement du moi le plus intime, ce basculement de l’âme dans une toute nouvelle dimension, je ne l’ai pour ainsi dire jamais rencontré au cinéma.
Non ce que je refuse par-dessus tout c’est que le personnage d’un roman que j’ai mentalement conçu, dessiné, esquissé, lui donnant une destinée quasi physique, ce personnage qui m’accompagne tout au long de mes relectures et que je retrouve toujours comme un vieux confident prêt à attendrir mes peines, ce personnage, je ne veux pas le voir être revêtu des traits que lui prête l’acteur interprétant son rôle.
Je rechigne à ce que Madame Bovary se mette à ressembler à Isabelle Huppert, que Gatsby soit le clone de Robert Redford ou de Leonardo di Caprio, que le Consul d’Au-dessous du volcan m’apparaisse comme le fantôme d’Albert Finney, que Catherine, l’héroïne des Hauts de hurlevents, sur nos écrans ces jours-ci, choisisse de ressembler à je ne sais quelle Kaya Scoledario ou pis qu’Anna Karenine se confonde avec Sophie Marceau.
Ce serait comme trahir le romancier.
Tous ces efforts auxquels il se serait prêté pour donner vie à un personnage, personnage qui selon le lecteur n’est jamais le même, d’une complexité infinie, d’une profondeur vertigineuse, serait réduit à néant par l’apparition sur un écran de son incarnation cinématographique.
Et ceci n’a rien à voir avec le talent déployé par l’acteur.
Mais il suffirait de ce moment d’inattention où je succomberais au plaisir légitime de voir comment tel réalisateur s’est démené afin de récréer l’univers romanesque d’une œuvre qui m’est chère, pour que le personnage de ce roman meure et disparaisse, personnage crée de toutes pièces par mon imaginaire, écrasé par la seule force de l’image toute puissante.
Le contraire serait tout aussi vrai.
A supposer qu’une telle entreprise soit possible, a-t-elle déjà eu lieu d’ailleurs ? il me serait impossible de lire un roman qui serait inspiré par une œuvre cinématographique de tout premier plan. Le boxeur syndicaliste de Sur les quais ne peut exister que sous les traits de Marlon Brandon. Et César et Rosalie ne peuvent prétendre à être personne d’autre qu’Yves Montand et Romy Schneider.
Les livres, ceux qui cheminent avec vous durant toute votre vie, sont trop précieux pour se risquer à de tels jeux dangereux. Quelle que soit la qualité de l’adaptation, fuyez-la. Elle risquerait de gâcher votre vie de lecteur à tout jamais.
Ce serait dommage.
Que dire de plus ? vous avez tout dit et bien dit, mais j’attends les comments de vos habitués qui vont faire digression sur les terrains de foot, ou les routes tortueuses appréciées des motards, voire sur d’autres chemins plus philosophiques, c’est du bonheur votre blog….
Je suis on ne peut plus d’accord avec vous, il ne me serait pas possible de voir Claude, le personnage de Corps et Âme incarné au cinéma, les personnages sont une part de nous et doivent le rester, d’autant que la plupart du temps le choix des acteurs se fait plus sur des considérations financières (bankable ou non) que sur une capacité à “être”. De plus, ce que je lis ou crois lire entre les lignes ne peut et ne pourra jamais être transposé, tout est trop différent au cinéma, trop simplifié pour retranscrire l’essence d’une œuvre que j’ai aimé, de même que le festin de Babette restera toujours pour moi lié au regard lumineux de Stéphane Audran.
oui, mais.
Madame Bovary de Minelli
ou
Les Freres Karamazov de Brooks
Lord Jim, du même.
faut sortir le dimanche.
remarque subsidiaire : faut il etre (un rustre) américain pour adapter sans (trop) trahir?
Petite remarque : vous parlez d’adaptations cinématographiques d’oeuvres littéraires… (et non pas d’adaptations littéraires)
Cela étant dit, il est vrai que Mme Bovary n’a jamais été Flaubert mais chaque lecteur qui, en lisant les épisodes de sa malheureuse histoire les a vécus de la façon la plus intime.
En dernier ressort l’auteur c’est le lecteur, pour le meilleur et pour le pire car les lecteurs peuvent être exécrables.
Ah Laurent, en fait je suis assez d’acc’ pour les adaptations récentes, mais pas d’acc’ du tout pour les anciennes. D’autant plus qu’une grande majorité de films est issue d’oeuvres littéraires, car le cinoche l’existerait pas sans la littérature… Je citerai aussi le “Madame Bovary” de Minnelli, le “Anna Karénine” avec Garbo, ou “Le rebelle” de King Vidor, adapté du “Foutainhead” d’Ayn Rand, ou “La nuit du Chasseur” de Laughton, adapté du livre de Grubb, ou le “Jane Eyre” de Stevenson en 1944. Même “Autant en emporte le vent” (Fleming) reste une superbe adaptation (même si elle a un côté “gros gâteau crémeux”).
Du coup, je penserais plutôt qu’il y a un problème de “badaboumerie” bien lourdasse dans les adaptations plus récentes : soit les scénaristes sont moins bons, soit ce sont les cinéastes, soit le public qui ne veut plus de nuances et de suggestions fines. Soit c’est les trois.
Les dernières adaptations que j’ai aimées étaient celles des livres de Jane Austen (genre “Raison et sentiments”, avec Emma Thompson) ou de Forster (“Retour à Howards end).
…
Bon bref.
Si on vous adapte un jour au ciné, j’espère qu’on vous laissera le choix des acteurs ! 😀
Mouais, il y a souvent une forme de condescendance dans ce type d’analyse, « Cela ne se peut » à laquelle vous n’échappez pas ici malgré quelque entrechat des plus agiles « le contraire serait tout aussi vrai ». Bien ouèje. Le problème n’est pas de savoir si la littérature possède une puissance d’évocation supérieure au cinéma mais dans quelle mesure elle diffère, si l’on peut être autant ému par un film que par un livre et si l’un peut « polluer » l’autre. Un film peut me chambouler tout autant qu’un livre parce qu’on y exprime la même chose de façon différente. Si vous n’êtes pas sensible à l’art cinématographique ce n’est pas une raison pour en tirer des grandes théories universelles, vous vous prenez pour un grec ou quoi? Et puis l’image que je me fais d’un personnage est personnel, vous pourriez me blablater toute une journée sur votre perception des choses si cela ne ma parle pas ce serait comme pisser dans un violon, par contre confronter les points de vu est une passion, rien n’est figé, l’appréhension d’un personnage est le résultat d’une réflexion qui évolue tout au long de la vie. Je n’aime pas trop les dogmes gravés dans le marbre, mais tout est une question de point de vu.
«Gatsby believed in the green light, the orgastic future that year by year recedes before us. It eluded us then, but that’s no matter – tomorrow we will run faster, stretch out our arms further… And one fine morning – So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.» Sortie du film en mai.
@ Nico : je suis d’accord avec vous mais je ne peux pas mettre toutes les trois phrases, à mes yeux, selon moi, ceci n’engage que moi ! Aprés tout c’est mon blog bordel!
@ sophie: Je ne parle pas de la qualité des films! Et je ne parle pas non plus des films qui transcendent un roman. Comme Psychose.
Je suis d’accord avec Sophie K. : il n’y a, au fond, que les pornos qui puissent être considérés comme de véritables oeuvres cinématographiques.
@ VInce et Sophie : Je suis assez d’accord avec vous, j’ajouterais le Bordeaux – MIlan AC en coupe d’Europe comme chef d’oeuvre cinématographique.
@ Laurent : Bon, si demain on adapte un de vos bouquins au cinéma, on ne verra pas le père Sagalo à la première ??? Je vous vois même monter les marches du festival de Cannes en smok’ de satin blanc, deux Sandtrine Kimberlain sous chaque bras, moi !
Je sais Saga c’était juste pour être désagréable. Je ne comprends pas cette obstination qu’on les journalistes littéraires à nous expliquer encore et encore l’instransposabilité entre la littérature et le cinéma. J’ai parlé de condescendance parce que je suis un petit insolent mais si ce n’est pas ça alors c’est quoi? Du regret?
Bon, c’ est un vieux débat, mais qui n’ a pas vraiment raison d’ être: Suffit simplement de ne rien comparer. Il n’ y a pas de bouquins “adaptables” par définition même. A partir du moment ou l’ interet principal d’ un bouquin c’ est quand même l’ écriture, sa simple disparition le transforme en quelque chose d’ autre. Qui peut être plus ou moins réussi, certes, mais qui n’ a par définition rien à voir. Et les romans les plus “écrits” qui existent, ne seront jamais adaptés car à partir du moment ou l’ histoire, le récit n’ est qu’ au service du style, le Cinéma renonce: Voyage au bout de la nuit, ou Ulysse ne seront jamais des films.
Cela dit, dans une période ou plus grand monde ne lit plus rien, on assiste à un retour en force des adptations (Jane Eyre, Karenine, Hurlevent, Therese Desqueyroux) ce qui n’ a rien d’ étonnant en fait : Il y a la volonté de donner à des gens qui ne les liront jamais la possibilité de connaitre en partie ces livres, d’ y accéder sous une forme plus moderne et moins contraignante. Pourquoi pas ? Si on a jamais lu Gatsby et qu’on ne le lira jamais, autant voir le film avec Redford, c’ est toujours mieux que de lire un bouquin de Paolo Cohelo ou de Katerine Pancol.
Sérieusement, j’ai l’impression que ce “débat” révèle un gros problème du ciné français, à savoir l’idée stupide qu’un bon film est avant tout un bon scénario, alors que le ciné est avant tout l’art de l’image en mouvement. Du coup le ciné français manque cruellement de véritables formalistes. Par exemple Kubrick avait certes l’intelligence de récupérer beaucoup de romans pour ses scénarios, mais il était incontestablement un formaliste hors pair et savait se réapproprier l’oeuvre originale (c’est à dire “remplacer” le style littéraire original par son propre style visuel).
Et que penser des films qui deviennent ensuite des livres ? Ca existe aussi, comme 2001 L’Odysée de l’Espace. Sinon, oui, il suffit de ne pas comparer, tout simplement. Il me semble qu’il est bcp plus facile à un cinéaste de faire par exemple sentir l’atmosphère d’un lieu avec des images que cela ne l’est pour un auteur avec des mots. En outre, vous oubliez une chose, c’est que le cinéaste a à sa disposition des images mais aussi des sons pour l’aider à les mettre en valeur (Ah, la musique de “Psychose”…) En revanche, l’auteur se débrouille tout seul avec son crayon et son papier, fait ce qu’il veut de ses personages, alors que le cinéaste doit se gérer concrètement l’équivalent du personnnel d’une PME, entre ses techniciens, ses adjoints, et bien sûr, ces égocentriques d’acteurs. Il est tout de même délicat pour un metteur en scène d’être totalement associal. Un auteur peut faire son taf au fond d’une grotte, aucontraire, il n’y travaillera que mieux. Bon, Saga, alors vous avouez que la Warner vient de racheter les droits de “Loin de Quoi” pour 1 million de $ ? (Plus “Incentives” si vous rajoutez en outre une horde de motards ivres de bière et de fureur dans le script)..
@ Bernard : 2001 était d’abord un roman de Arthur C. Clark ! Ah la la, tout le monde s’en fout, de la SF, même les écrivains !
Pris d’un doute soudain, je suis quand même allé vérifier… bon, il semblerait que 2001 soit d’abord né d’une nouvelle de Clarke, pas d’un roman, et écrit par Kubrick et Clarke. Bon, allez, ça va.
@ Bernard : Finalement c’est moi qui vais le réaliser. C’est plus sur. Pas compliqué le cinéma ! Moteur
Les images mentales générées par la lecture m’empêchent également d’apprécier les adaptations au cinéma des livres que j’ai préférés. Cependant, je ne rejette pas ces passerelles, non pour moi, mais pour les autres, ayant observé souvent que les films, s’ils sont appréciés, peuvent donner envie de lire les livres à des personnes qui ne l’auraient pas fait autrement.
Ce qui me chagrine plus, ce sont les comédies musicales de tout et n’importe quoi.
J’ai déjà fait perchman, si ça vous intéresse je travail pour vous gratis mais seulement s’il y a des scènes érotiques. En attendant j’ai acheté votre chef d’œuvre, une histoire d’estropiée je crois, peut être dû à un accident de moto, on verra.
J’ai trouvé Lolita bien meilleur en film qu’en livre… mais c’est peut-être un peu parce que les deux oeuvres réussissent à traiter de thèmes complètement différents tout en racontant la même histoire.
@ Bernard : sandrine kiberlain ? et pourquoi pas une bonne actrice… :p
Quid de “Jules et Jim”, film de François Truffaut tiré d’un roman d’Henri-Pierre Roché?
@ Hannah : Scusi pour Sandrine Kimberlain, où avais je la tête, effectivement, elle est d’abord chanteuse…
Avez-vous déjà comparé La Mort de Venise de Thomas Mann à son adaptation par Visconti ? Et pourquoi ne pas parler de tous ceux qui ont été amenés à lire une oeuvre littéraire après avoir vu son adaptation au cinéma ?
Chacun sa relation aux arts.
A titre personnel, je peux me défaire des images d’une adaptation cinématographique et apprécier la lecture des Liaisons dangereuses et de Madame Bovary, bien que je connaisse sur le bout des doigts leur adaptation cinématographique (Frears et Chabrol). Pourquoi garder en tête l’interprétation de Malkovich ou de Huppert, alors que mon imaginaire me donnera bien plus de plaisir à la lecture ?
Je vous invite à lire la philosophie de Cavell en commençant par “The world viewed” (“La projection du monde”) Non que cela vous fera changer d’avis – ce n’est pas mon but, et encore moins celui de Cavell – mais, à titre instructif.