La visite de la Warner ou le crépuscule des crétins

Vous ne vouliez pas mais c’est obligatoire. Si vous passez par L.A, vous devez visiter un studio de cinéma. C’est inscrit dans la charte du touriste de base. Marqué en gros sur tous les guides de voyage. Incontournable. Immanquable. Une occasion unique de découvrir l’envers du décor. Une plongée fascinante dans le monde merveilleux du septième art.

Alors, un bon matin, après s’être tapé une heure d’autoroute, une autre pour trouver la bonne sortie, une troisième pour parvenir à l’endroit où se planque l’usine à rêve, vous vous retrouvez, sans trop savoir comment, embarqué dans une sorte de mini bus électrique qui s’en va de son allure triomphale sillonner les allées de la Warner.

Le guide est super sympa. Il a une pêche d’enfer, il sourit tout le temps, il répète tout le temps great, great, great, et il a des supers vannes à dégainer sur les canadiens, les français, les chinois, les afghans.

Il fait une chaleur à crever, le soleil se prend pour Napoléon dans un ciel bleu comme l’enfer, mais on s’en fout.

On est en route pour le royaume des rêves.

Et on va être servi.

Le guide a des fourmis dans la langue et vous invite à vous dégourdir les jambes. On s’enfonce dans une forêt aussi impressionnante qu’un bosquet perdu dans une aire d’autoroute. Avant de s’arrêter pile face à la carcasse d’un bateau qui a jeté l’ancre dans une mini-mare du plus bel effet.

Le guide jubile, vous le reconnaissez ? Non. Pourtant c’est le bateau où trucmuche dans la série bidule prend son café en lisant son journal.

Personne dans la foule des touristes ne sait de quoi il parle mais qu’importe c’est trop great : on le mitraille quand même avec son appareil photo, on prend la pose devant, on est aux anges.

Et quand on rentre dans l’intérieur d’une maison vide comme un cercueil au chômage c’est l’extase absolue. En fait, c’est fou mais la maison n’est qu’une façade. Derrière les murs, il n’y a rien. Mais absolument rien. C’est donc ça l’envers du décor. On y est enfin. On pleure. On reste ébaubi de stupéfaction ahurie. On est presque gêné d’être là. On n’en revient toujours pas. On touche du bout des doigts la magie d’Hollywood.

Le temps de prendre une dernière photo et le guide, toujours aussi content de lui, siffle la fin de la récréation.

Il est temps de passer aux choses sérieuses.

Le tortillard passe sans s’arrêter devant d’imposants entrepôts cadenassés à triple tour. Tiens c’est là où on a tourné Casablanca hulule le guide en trépignant sur son strapontin. On est sur le cul. Transi d’émotion. Et pour être bien sûr de pouvoir revivre à l’infini ce moment unique on prend en photo ce lugubre bâtiment qui ressemble à un hangar pour aéroplanes sur le déclin.

Soudain, le guide devient grave. On ne plaisante plus. Il nous oblige à descendre de voiture et se plante devant une porte comme un chef indien devant son tipi. Il a des trémolos dans la voix. Il nous prévient que l’on s’apprête à rentrer dans le saint des saints. Que surtout il ne faut toucher à rien. Que normalement ce n’est pas autorisé mais que vu qu’il nous a à la bonne, il prend sur lui.

On pense qu’on va voir l’escalier où Brando hurle Stella.

Où Brando marche sur les quais.

Où Brando se prend pour le parrain.

La porte finit par s’ouvrir et là c’est l’extase. Les yeux sortent de leurs orbites, les bouches s’ouvrent grandes, les oreilles frétillent d’émotion : devant nous se tient le décor de Friends. Le vrai. L’unique. Enfin juste le café où les six couillons de service ont réinventé à coup de répliques tonitruantes le théâtre moderne.

C’est tout bonnement prodigieux.

D’une main tremblante, on tend son appareil photo au guide afin qu’il nous prenne en photo assis sur le canapé même où Chandler papotait avec Ross au sujet de la poitrine de Rachel.

C’est inouï ce qu’il nous arrive.

Le reste de la visite passe comme dans un rêve. On lévite. On a encore du mal à réaliser qu’on vient de s’assoir sur le canapé le plus célébre de l’histoire de l’humanité.

Et tout ça pour à peine soixante misérables dollars.

Le guide nous ramène au point de départ, on se congratule, on se tape dans le dos, on n’en revient toujours pas.

Et le lendemain on s’inscrit pour la visite de la Paramount.

Paraît qu’il y a moyen de mirer l’imperméable de Colombo.

11 commentaires pour “La visite de la Warner ou le crépuscule des crétins”

  1. vivement que vous alliez a Bollywood!

  2. Chouettes vacances !
    Ce qui est bien quand on est écrivain et qu’on a un peu honte d’un truc qu’on fait, c’est qu’on peut toujours dire qu’on se renseigne pour un futur bouquin.

  3. Vous avez pas croisé Bernard Arnault, en vacances ?

  4. il est en belgique Laurent?

  5. @ Vinnie: Mais dites moi j’y pense Bernard Arnault, ca ne serait pas Bernard, le vrai, l’autre ?
    @ Job : mais cӎtait le cas! Je bossais monsieur

  6. La finance n’ a pas de frontières…
    Pour ceux qui ont raté la une de Libé :
    http://journal.liberation.fr/publication/liberation/1029/#!/0_0

  7. si il n’y avait que la finance….

  8. 60 dollars pour trois petits tours et le canapé miteux des idiots de Friends… La Warner n’est plus ce qu’elle était, bon sang de bonsoir.

    (Je me demande ce qu’il traficote, Arnault, entre nous. Changer de nationalité tout en voulant continuer à payer ses impôts en France, c’est assez curieux. Doit y avoir un truc.)

  9. Un analyste interrogé par Europe1.fr, tout en réfutant l’intérêt fiscal de la démarche de Bernard Arnault, suppute que cette dernière n’est qu’une première étape avant un pas plus important. “Ce qu’on peut supposer, c’est que, dans une seconde étape, il chercherait à obtenir la nationalité monégasque”, suggère Franck Gozlan. “N’étant plus de nationalité française, il pourrait en effet se voir octroyer la résidence fiscale monégasque de manière assez facile”, confie encore l’avocat fiscaliste.

  10. moi qui pensait que tout le monde le jalousait alors qu’il était juste attiré par le plat pays…

  11. @ Pierre : Ah pas mal. Ou alors il prépare sa succession… (En tout cas, ce type est un maître des coups fourrés, cf. sa prise de possession retorse – et bizarre – de 22% des actions Hermès.)

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