Génocide générationnel

C’est désormais acquis, officiel, confirmé, certain, assuré, inévitable : la jeunesse de notre beau pays vivra moins bien que les sexagénaires qui sont en train de radoter leurs derniers beaux quartiers d’été avant de baisser pavillon et de s’encrasser dans les cimetières municipaux. Nos aînés en partance pour un monde meilleur ont beau jeu de se morfondre en excuses plus ou moins sincères, de raser les murs, de prier leurs cadets de les pardonner de leur laisser une pareille chienlit, cela ne change rien au fait indubitable qu’ils ont sur leurs consciences ensanglantées, l’assassinat de masse, perpétué de leur vivant, de leurs propres descendances.

Les politiques, coupables d’avoir fermé les yeux sur ces agissements délétères, pire même, de les avoir sciemment encouragés, leur emboîtent le pas, et la voix grave, la mine défaite et compatissante, admettent à reculons cette atroce et insoutenable réalité : le monde qu’ils laisseront sera un monde cruel, cupide, sans morale, livré à lui-même, rempli de chausse-trappes, où la jeunesse n’aura de cesse de culbuter et d’être précipitée la tête la première dans un ravin sans fin.

Des criminels donc. Accusés d’avoir commis de sang-froid et en toute connaissance de cause un génocide générationnel. Des sales vieux cons  d’égoïstes, perclus d’indifférence, abjects de veulerie, bouffis de suffisance, qui se sont empiffrés, en toute conscience, sur le dos de leurs enfants, sans que cela ne les amène à changer d’un iota leur comportement. Après moi le déluge aura été leur devise.

Nos aînés auront donc commis le plus infâme des impairs en n’assurant pas à leurs descendants une vie meilleure. Une faute métaphysique qui leur vaudra à tout le moins des remontrances divines et un passage obligé et prolongé dans les abymes. Parce que – c’est écrit dans le marbre biblique qui jamais ne ment – depuis que l’homme est l’homme, le créateur a passé un acte intangible avec sa créature. A tes descendants, une vie plus florissante tu leur donneras. De quoi mener une vie plus douce que la tienne, tu leur offriras. Une existence plus joyeuse et plus mieux, tu leur apporteras. Si jamais tu ne respectes pas cette règle d’or que je te donne comme preuve de ma confiance envers toi, tu seras déshonoré et tu connaîtras alors les feux de l’enfer. (Kevin, Livre IV, Épître XVIII).

Un peu partout, aux abords de nos grands centres commerciaux, les loups aiguisent déjà leurs canines et s’apprêtent à entrer dans la bergerie. Le chômage, la faim, la dette, le froid, le réchauffement climatique, la perte du triple B, l’arrivée du Qatar au PSG, la fonte de la banquise, les fonds de pensions déficitaires, la chute de l’euro, l’augmentation du prix de la baguette, les suicides à répétition de Loana, obligeront la nouvelle génération à vivre dans des conditions épouvantables jamais rencontrées par l’homme dans sa longue quête du bonheur pour tous sur terre. Désargentés, ruinés avant même d’avoir commencé à jouer, nos jeunes erreront de villes en villes à la recherche d’un peu de chaleur et d’un morceau de pain que personne ne leur donnera. Anéantis par la crise immobilière, ils vivront dans la rue, clochards amers mâchonnant leur amertume en crachant sur la tombe de leurs géniteurs.

Le pire est certain. Les écrans plats ne seront plus jamais aussi plats, il sera difficile voire impossible d’offrir à son chat un téléphone portable avec un forfait illimité, les enfants devront se résoudre à se passer de téléviseur dans les toilettes, Madame devra renoncer à la lipposuccion de son disgracieux orteil gauche, Monsieur ne pourra plus entretenir ses maîtresses et sera contraint de muscler son poignet pour entretenir les turgescences récurrentes de son membre mis au chômage technique. Bien vite, il faudra opérer des coupes sombres dans le budget des produits de première nécessité : fini les vacances à Bali, désormais ce sera Hammamet et encore. Impossible de mater les exploits magnifiques de l’Olympique Lyonnais en ligue des champions, il faudra se contenter d’écouter le récit de leur défaite triomphante à la radio. Le Tour de France deviendra payant. On sera obligé de relire les vieux classiques poussiéreux laissés en héritage par nos salauds de parents au lieu de se précipiter sur les derniers romans des romanciers à la mode. On n’allumera plus le chauffage qu’une nuitée sur deux. Les consoles vidéos seront remisées au grenier avec pour leur tenir compagnie des grilles-pains, désormais bien inutiles puisque du pain il n’en y aura plus.

Ce sera la fin d’un monde. Dans trois générations, on sera revenu à l’âge de pierre. Dans dix, on recommencera à papoter avec les singes. Et c’est ainsi que dans trois siècles, au plus tard, nous retournerons au jardin d’Eden. Et cette fois-ci, promis, on laissera Eve poireauter à la porte.

 

10 commentaires pour “Génocide générationnel”

  1. … Amen

  2. Que pensez-vous du passage de Johnny Marr, après Morissey, chez Matt Johnson ?

    Mind Bomb… quel album !

  3. Votez Cantona!

  4. A mon sens, ca serait plutôt Adam qu’il faudra laisser à la porte.
    Donnez vous la peine d’y réfléchir, sincèrement.
    Le ton ironique du troisième paragraphe m’irrite, j’ai dix-neuf ans & je pourrais vous parler des animaux disparus, de ce miois de janvier ou je me ballade en t shirt et de mes profs à l’université qui m’éclatent de rire à la gueule quand j’annonce que j’aimerais être professeur de secondaire.
    Je vous parlerez juste des enfants que je n’aurais pas.
    Parce que je refuse de leur faire ce qu’on m’a fait : me nourrir de rêves pour m’annoncer, une fois atteint l’âge de les réaliser, que c’était aussi faux que les lèvres de Lana Del Rey.

  5. Faut pas exagérer tout de même. On dirait qu’on vous annonce l’Apocalypse!

  6. évidemment je partage l’avis de Johnny, pour un nouveau monde je verrais plus une variante Amazonienne, chacun son tour…

  7. C’est Adam ET Eve qu’il faut laisser à la porte, y en n’a pas un pour en racheter l’autre.

  8. Je suis tombé sur une superbe citation ce matin.
    Mickaël Vendetta a dit qu’à l’Assemblée Nationale “il n’y a que des vieux et on les voit dormir.”

  9. Alors où vas-tu ? En guerre ?

    Virtuelle ou non, est-ce bien raisonable ?

  10. Il existe à ce sujet un film assez croustillant qui s’appelle “the age of stupid” et qui décrit ce que pourrait être notre monde dans quelques siècles s’il était laissé entre les mains des pires crétins qui nous entourent.

Laissez un commentaire

« »