Temesta mon amour

 

Les grands pontes de la médecine, entre deux parties de golfs et trois verres de Perrier, ont donc tranché dans le vif : si toi, petit homme, tu te gaves trop d’anxiolytiques, ta vieillesse tu la passeras à te demander à qui appartient donc ce visage que je contemple dans ce miroir, si ce n’est celui de l’ombre d’un fantôme que le temps a finir par écraser ? Tu pourras aller aux chiottes et oublier de tirer la chasse sans te faire enguirlander par l’infirmière vagabonde que tes enfants, débonnaires, auront engagée pour te remercier de les laisser en paix. Tu pourras te repasser en boucle la finale de la Coupe d’Europe entre Saint-Etienne et le Bayern, en espérant à chaque fois que tes protégés finissent par remporter la mise.

Tu pourras jacasser avec ta voisine de palier, dans le même état de délabrement que le tien, du temps où Barak Obama jouait de l’accordéon dans Vivement Dimanche avec Lionel Jospin comme maître de cérémonie. Tu pourras t’entretenir avec ton petit-fils en lui racontant le jour où tes parents t’ont acheté un train électrique qui pouvait s’envoler dans les airs quand tu te mettais à chanter Ne me quitte pas en espéranto.

Tu pourras emmerder ton chat en lui contant comment, un soir d’automne, tu t’es retrouvé coincé dans un ascenseur avec Ingrid Bergman et Martine Aubry, et comment ce soir là, vous vous êtes retrouvés à forniquer sur le toît de l’Opéra de Sydney.

Bref, tu seras un légume.

Et ce sera de ta faute.

Personne ne viendra te plaindre.

Parce qu’on t’aura mis en garde.

L’abus de tranquillisants favorise l’apparition d’une dégénérescence mentale.

T’entends ?

L’abus d’anxiolytiques favorise la dégradation de tes capacités intellectuelles (si jamais tu en as eu)

Tu piges?

L’abus de Benzodiazépines contribue à favoriser la dégénérescence de tes cellules et de tes neurones qui commandent tes émotions.

Tu as compris ?

Oui mais je m’en fous.

Mon Temesta, je l’aime.

Mon Valium, je l’idôlatre

Mon Lexomil, je le vénère.

Mon Xanax, je l’admire.

Et, du haut de mon ignorance crasse, j’emmerde avec superbe le corps médical qui vient me dire, à coups de communiqués savants, comment il faut s’y prendre pour ne jamais mourir. Surtout, j’abhorre au plus haut point cette nouvelle génération de bataillons de médecins de pacotille qui ne savent même plus parler à l’âme de leur patient, ignorants qu’ils sont de la bataille que mène chacun d’entre nous, jour après jour, pour essayer de continuer à vivre debout malgré le poids de nos angoisses et de nos craintes toujours plus lourdes à supporter, malgré les amis qui s’en vont et les femmes qui nous délaissent ; de ces techniciens de la santé, froids et glaciaux comme des procureurs brejnéviens, arrogants et perclus de certitudes, qui quand ils te demandent vous faites quoi dans la vie, et que tu réponds j’écris, t’adressent un gentil sourire comme pour te dire, désolé, je ne savais pas que c’était si grave.

De ces médecins qui n’ayant jamais, jamais, jamais ouvert un livre de toute leur vie sclérosée, passée à potasser des revues absconses comme des notices d’utilisation de déboucheurs de WC, ne savent rien de l’homme, de sa petitesse, de sa mesquinerie, de sa bonté, de sa douleur, de sa solitude.

Et qui t’expliquent, du haut de leur savoir, appris à l’ombre d’universités douillettes, à toi, petit homme, que les tranquillisants, vois-tu, sont comme des béquilles. Des béquilles qui te donnent l’impression qu’ils t’aident à vivre mais qui ne te guérissent pas. Tu as compris, petit homme?

On ne guérit pas.

Vivre est une maladie mortelle.

Ce n’est pas une partie de tennis, disputée sous les tilleuls, à l’heure où le soleil tire sa révérence et que les arbres commencent à s’endormir dans la tiédeur vespérale d’une tendre soirée d’été.

Vivre c’est échouer.

Vivre c’est forcément se rater.

Vivre c’est s’efforcer, pour emprunter les mots de Scott Fitzgerald, de “comprendre que les choses sont sans espoir et pourtant être fermement décidés à les changer”.

Voilà.

Oui, les anxiolytiques m’aident à vivre. Je n’ai pas honte à le confesser. Je n’en suis pas particulièrement fier. Je ne m’en vante pas. Je ne m’en désole pas non plus. A chacun sa came : l’alcool, les femmes, les cartes, les petits chevaux, les culottes de Madonna, les strings de Francois Bayrou.

Mais je suis sourd à jamais aux discours des petits caporaux de la pensée contemporaine, obsédés par leur trouille de passer leur vieillesse à vadrouiller dans les méandres de leurs pensées désordonnées, et qui s’essayent à me culpabiliser, qui m’assènent que je n’ai pas de volonté, que je suis sous perfusion, que je me mens, que je m’inflige des blessures qui les affligent.

Sans mes amours de tranquillisants, sans mes chéris d’attendrisseurs de mon âme malade et désolée, sans mes amants de mes nuits sans sommeil, peut-être, aurais-je déjà fini comme Gérard de Nerval ou Virginia Woolf ou Ian Curtis. Pendu. Noyé. Défenestré. Gazé. Brûlé. Mort au champ d’horreur. Terrassé par le dégoût de vivre.

Suicidé certes mais sans béquilles. Mais suicidé tout de même.

Ici git Topalovitsch qui a eu le courage de vivre sans béquille.

“N’empêche que ce sont des béquilles” continuent à bégayer les diafoirus des temps modernes, entre deux lampées de cognac avalées au coin du feu de leur cheminée de leur bourgeoise retraite.

Et alors ?

Et passer des journées entières devant un poste de télévision à regarder des émissions qui te polluent l’esprit et te souillent l’âme, ca s’appelle comment ? Vivre peut-être ?

Et voir sa vie se déliter et refuser de vieillir, en entretenant son corps à coups de jogging et de séances de musculation, ca s’appelle vivre aussi ?

Et de s’abîmer dans la contemplation sotte de réseaux sociaux, parce qu’on crève de solitude, parce qu’on n’arrive pas à s’avouer, tout au fond de soi, qu’on a peur, peur d’exister, peur d’être, peur de la peur, peur de vivre, c’est peut-être, c’est sûrement une vie sans béquilles mais, voyez-vous, messieurs les savants illettrés et incultes de l’académie de médecine, de cette vie de faussaire, je n’en veux point.

Je vous la laisse.

Je préfère avancer avec des béquilles que de m’auto-fossoyer pour m’enterrer de mon vivant dans le confort tranquille d’une existence vouée à ne pas mourir.

Alors voilà, moi j’avale des anxiolytiques.

Et ca m’aide à me supporter.

Ce qui n’est déjà pas si mal.

Non ?  

P.S: En cherchant des photos pour illustrer ce post, j’ai tapé temesta sur google et à la page 16 je suis tombé sur ma bobine !!!! (bon il y avait celle de Domenech aussi, ça aide à relativiser mais tout de même)

C’est grave docteur ???

 

 

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J.O Calling

Joe Strummer l’a cauchemardé, Sébastien Coe l’a fait. C’est officiel, la chanson emblématique des prochains Jeux Olympiques de Londres sera London Calling des Clash. Paroles: Joe Strummer. Musique: Mike Jones. Producteur: Guy Stevens. Année d’enregistrement: 1979. Lieu: Londres, Royaume Uni. Pochette de l’album éponyme: Paul Simonom fracassant sa basse lors d’un concert au Palladium à New York City shootée par Pennie Smith: Refrain: The Ice age is coming, the sun is zooming in/ Meltdown expected the wheat is growing thin/ Engines stop running but i have no fear/ Cause London is drowning, and I live by the river. ( L’âge de glace s’approche, le soleil s’affaise/ Fusion en vue, les récoltes sont au plus bas/ Machines à l’arrêt mais aucune peur/ Londres se noie et je vis tout prés du fleuve) ( traduction toute personnelle et donc sujette à interprétation)
L’angliciste de service qui a étudié l’intersexualité de la poésie de T.S Eliot à travers l’influence post moderniste de J.K Huysmans et d’Isodore Ducasse, pas besoin de la ramener.

Bien, bien. Donc, l’année prochaine, au beau milieu du mois d’aout, London Calling radotera en boucle sur toutes les radios de la planète, servira de bande son à la con pour des myriades de show télévisés en direct de Buckingham Palace, sera entonnée par des milliards de terriens désœuvrés, suspendus comme des morpions de lampions à leurs écrans ultra-plats achetés la veille à crédit au Carrefour de Gif sur Yvette, et pendant ces deux semaines où le monde se tiendra par la main et se dira nous sommes tous frères, le squelette de Joe Strummer continuera sa longue et inexorable décrépitude dans son cercueil enfoui six pieds sous terre.

Pas vraiment du schmock puisque John Graham Mellor alias Joe Strummer a été incinéré et ses cendres rendues à sa famille. Mais quelle idée! Moi qui était parti pour un paragraphe élégiaque de toute beauté sur la solitude du chanteur ex punk, ex rebelle, ex gaucho, ex toxico, ex alcoolo, ex prolo, ex anar, ex mescaleros, ex acteur chez Jarmusch et Kaurismäki, ex chanteur de substitution des Pogues, condamné à perpétuité à cracher son venin, cette fois bien mortel, dans son cercueil capitonné, croupissant quelque part dans un coin reculé de la campagne anglaise, papotant sous un crachin chagrin avec les fantômes de Ian Curtis et de Sid Vicious. Dommage

London Calling donc. Putain de chanson. La chanson. Une envolée rageuse crachotée au visage de Thatcher, la salope dans toute sa splendeur vénéneuse et desséchée, une chanson qui pue la fin du monde, suinte l’extinction et l’éradication de nos rêves d’enfants, empeste la chute radicale et finale dans le ravin, le basculement dans le fossé de nos espoirs défunts et résignés. Now that War is declared and battle come down/ London Calling to the Underworld. Des paroles ivres de colère désenchantée face à un monde qui fout le camp, appel désespéré à une jeunesse moribonde de se bouger le cul avant qu’il ne soit trop tard, avant l’engloutissement dans le confort d’une bourgeoisie étouffante, synonyme d’égoïsme terminal et de repli radical sur soi. Come out of the CupBoard, all you boys and girls.

Coup de pied dans la fourmilière. Hymne à la révolte, à la prise de conscience, à l’action. Il est peut-être trop tard mais il n’est pas encore trop tard. Aux funérailles des bons sentiments mièvres et niais des sixties, faites l’amour pas la guerre, paix sur la terre, respect pour la mère nature, mais non, les temps n’ont pas changé, All that phony Beatlemania has bitten the dust. London Calling. Appel de Londres. Seconde guerre mondiale. Camp de concentration. Four crématoire. Bombes, bombes, bombes. Villes rasées. Campagnes humiliées. Humanité déporté, jetée par dessus bord. Bon débarras. Mort. No future.

Rapport avec les Jeux Olympiques? Aucun. Zéro. Néant. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Chantez jeunesse du monde entier. Chantez la fin du monde en vous roulant des pelles, le visage bariolé du drapeau de sa gracieuse majesté. Célébrez la fraternité retrouvée des peuples de la terre en vous branlant avec vos Iphone aux claviers martyrisés. Enrichissez la gondole des multinationales en achetant les branloques de produits dérivés pour vos cheminées glacées. Le Clash final.

A vrai dire c’est un peu comme si pour la Coupe du Monde au Qatar, on choisissait Hava Naguilahava comme hymne officiel. Que pour les journées d’été du Medef, Laurent Parisot entonne, du haut de sa tribune, Antisocial de Trust. Ou que pour les jeux olympiques de Paris en 2128, on adoptait le Paris de Taxi Girls comme ritournelle obligée. Pas chiche, Bertrand.

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