Kippour, saison 5775

 

C’est triste à dire mais arrivé à mon grand âge je ne sais toujours pas si je crois en Dieu ou pas.

A dire vrai la question ne me passionne guère.

Etant dans l’impossibilité, faute de preuve tangible, de trancher entre ces deux redoutables hypothèses, je préfère exercer mon droit de réserve et remettre à plus tard aux autorités concernées le délibéré de mon verdict.

Pour autant, chaque année, quand le jour tant redouté de Kippour survient, voilà que je me surprends à respecter les commandements édictés par l’autre empoté supposé veiller sur le salut de nos âmes.

N’étant pas non plus complètement gâteux, possédant encore deux sous de raison, je me contente de suivre, en toute hypocrisie, ses deux principales recommandations, toi pas manger, toi pas boire, laissant aux autres juifs plus méritants que moi d’appliquer à la lettre la longue liste des réjouissances prévues en ce jour sacré.

Ce qui concrètement signifie passer sa journée à traîner sa migraine du lit au canapé, du canapé au lit, priver son chat de croquettes, supplier sa pendule de se dépêcher, soudoyer les aiguilles de se mouvoir un peu plus vite, somnoler la plupart du temps dans un état semi-comateux, la gorge sèche, le palais en berne, les yeux affamés.

Contempler les heures se traîner, lentes, molles, interminables.

Assister à l’agonie de minutes qui radotent des litanies de secondes figées dans l’éternité du temps qui ne passe pas.

Surtout ne pas aller à la synagogue afin d’éviter les remontrances prévisibles et méritées du rabbin qui, du haut de son autel, vous foudroie du regard parce que votre kippa, après avoir hiberné toute une année dans votre coffre à jouet, est toute froissée.

Et que vous tenez votre livre de prières à l’envers en dodelinant la tête de gauche à droite tout en murmurant un dialecte connu de vous seul à la grande honte de vos voisins de prières qui s’en vont se plaindre au service de sécurité.

Ce qui n’empêche nullement de se livrer à domicile à un exercice d’introspection d’une férocité extrême en traquant les innombrables et innommables fautes commises pendant l’année écoulée : le jour où on a jeté un regard concupiscent sur la caissière du supermarché, le jour où on s’est garé sur une place réservée aux handicapés, le jour où par inadvertance on a réglé son compte à un saucisson, le jour où on a oublié de prendre des nouvelles de sa mère.

Sans oublier les autres impairs d’une gravité bien plus extrême qui relèvent tous du tribunal de grande instance : cette vie pécheresse à laquelle on s’est adonné jour après jour avec la plus grande des voluptés, notre culte de l’oisiveté et de la paresse, notre appétence à lire des œuvres impies, notre application à marcher en dehors des clous, notre obstination à remettre en doute l’existence même de celui qui nous a créé, nos mille et une entorses à son code de la route.

Kippour.

Le jour où se demande comment on peut continuer à être juif tout en restant d’une méfiance extrême vis-à-vis de son Excellence, fidèle malgré tout à ce judaïsme chancelant qui nous définit et nous nourrit, à cette mémoire que nous continuons à honorer envers et contre tout, à ce respect des traditions que nous transmettons à notre tour à nos enfants afin que perdure, à travers la nuit des temps, cette étincelle de notre précieuse singularité.

Kippour.

Le jour le plus long de l’année.

Où l’on songe à une impossible conversion.

Où des dix heures du matin, on pense déjà au sanglier qui nous servira d’amuse-gueule au repas du soir.

Où on se morfond d’ennui à regarder l’intégralité d’une série télévisée à laquelle, au bout de deux épisodes, on ne comprend plus rien.

 

Et où, une fois l’épreuve passée, on continue à douter de tout, même de la nature de notre doute.

 

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7 commentaires pour “Kippour, saison 5775”

  1. tout d’abord j’ai adoré vos élucubrations.Se poser la question de l’existence de dieu est oiseux puisque croire ou non en son existence relève de la croyence qui par définition il est impossible de prouver la vérité de celle-ci.
    Personnellement je crois que dieu n’existe pas. Cependant il est d’une importance capitale pour tout Juif libre penseur qui veut conserver une identité juive sur le plan personnel et collectif de s’approprier cette colossale entreprise intellectuelle, littéraire, poétique ,mythique qui a traversé les siècles qui est tout à nous et qui accompagné par notre histoire semblable à aucune autre est la base de notre identité .En aucun cas ne laisser le monopole de ce trésor aux religieux.
    Tokayer Meir – Israel

  2. quoi! personne n’a encore posé ses petits doigt
    sur le clavier .

  3. doigts

  4. l’année prochaine ça recommence…:)
    alors pendant quelques années j’ai fait comme vous, kippour les yeux rivés sur les aiguilles, doute et doute du doute, série tv.
    puis j’ai finalement décidé de retourner à la shul, syna. j’y ai trouvé des coreligionnaire du doute….de tradition ashkénaze et israélienne, mais dans une communauté française séfarade, fatiguée parfois de ne pouvoir suivre et même comprendre ce que l’officiant de tradition marocaine récite, il m’arrive de lire en français! quelle découverte….bref les heures semblent s’écouler plus vite depuis que je ne reste plus chez moi, depuis que j’ai recommencé à lire, que je tire la gueule en public parce que la tête tourne, que je dis bonjour aux autres en regardant par terre tellement j’e crains que mon haleine tue mon interlocuteur :-D..quant au doute kippour ou pas, il est là,
    c’est chouette de vous lire, (c’est la première fois que je laisse un commentaire)
    ++
    sarah

  5. Merci, faudra revenir!

  6. le type de la photo du haut, il fait un turlute à son serpent ? Mais c’est dégoutant !

  7. Bonjour,

    Avant d’être une religion, on est un peuple. Je crois bien que se retrouver à la Synagogue le jour de Kippour, est encore plus important que de jeuner!
    Entre gens qui doutent, sans aucun doute, vous vous sentirez mieux, croyant ou pas en Dieu.

    You might not expiate alone!

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