Dans les jours prochains, mon chat va avoir seize ans.
Si j’en crois son vétérinaire attitré, rapporté à échelle humaine, il s’apprêterait à fêter ses quatre-vingts balais.
Le petit con est dans une forme insolente, il trimballe sa vieillesse avec une effrontée verdeur, il ne manifeste aucun signe de déclin, il ruisselle de santé : parfois, en le regardant détaler comme un dératé dans les couloirs de l’appartement, grimper au lustre du salon, rebondir de fauteuil en fauteuil, je me demande s’il ne souffre pas d’une maladie neurologique régénérative.
Ou s’il n’a pas avalé un élixir de jeunesse lors d’une de ses escapades nocturnes.
A moins que sans que je m’en aperçoive, depuis des années, il sirote en cachette mon porto préféré et n’ait jamais vraiment eu le temps de dessaouler, promenant son ivresse de chambre en chambre avec l’aplomb d’un consul anglais sous le soleil du Mexique.
Il me fait peur, quelque fois je me dis qu’il est peut-être éternel, qu’il va finir par m’enterrer, qu’il viendra pisser sur ma tombe et survivra à toutes les catastrophes, cataclysmes, dérèglements climatiques, guerres thermonucléaires, restant le dernier témoin de la vie terrestre sur cette fichue planète.
Ou alors, le Messie, c’est lui et personne d’autre. Dieu dans sa grande sagesse l’a choisi pour nous guider. Un de ces quatre matins, au lieu de chasser les souris, il ira grimper sur le Mont Sinaï et annoncera à l’humanité la venue de l’espérance pour tous, la fin des conflits, l’avènement d’une période de paix longue d’un milliard d’années, l’éradication de toute maladie, l’entrée dans une ère nouvelle placée sous le signe de la débauche sexuelle et du dérèglement des sens.
Je ne dénote chez lui aucun signe de vieillissement ou de ralentissement cérébral : il me réveille toujours à quatre heures du matin pétantes, il mange avec la même égale gloutonnerie depuis le premier jour où j’ai lié ma vie à la sienne, il n’a aucun mais alors aucun problème de sommeil : il peut très bien s’endormir dans la baignoire sans en ressentir une quelconque gêne, il a conservé la simplicité de sa prime jeunesse et s’enthousiasme encore à l’idée de se brosser les moustaches dans le confort d’une anonyme boîte à chaussures.
Quand je l’ai connu, j’avais encore des cheveux, des dents, des désirs ; je me couchais à pas d’heure, j’étais insouciant, léger, gai comme un pinson, il m’arrivait même de sourire à des inconnues dans la rue. Tandis que maintenant, c’est tout juste si je me supporte, je ressemble à un abat-jour, je suis devenu un sans-dents, un sans-cheveux, un sans-rien.
Sous l’auguste règne de Sa Majesté le Chat, j’ai composé quatre misérables romans, rédigé des centaines de billets aussi abscons les uns que les autres, je me suis marié six fois, divorcé sept, j’ai épuisé une douzaine de psychanalystes, j’ai changé trois fois de rabbin et tous les deux, sans jamais être séparés plus d’une semaine, nous avons vécu dans une trentaine d’endroits différents.
Il est moi.
Je suis lui.
A deux, nous formons un couple invincible.
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Mina a 17ans et je me suis déjà surprise à penser, comme vous refaites, qu’elle est éternelle! J’ai fini par oublier qu’elle était mortelle à force de me préparer pendant des années à sa disparition.
Je ne me prépare plus à rien, magnifique philosophie féline!!!
Erratum : “comme vous le faites”
A trop croire en l’éternité, on ne relit plus ses textes
Le chat ne declanche pas le chat .
Déclenche
Je est un chat. Bon! On ne sait pas comment qu’il s’appelle. On l’appellera François, comme le Pape. Longue vie à Francois. À part ca vous avez écris plus que quatre romans et en attendant le prochain je vais lire Vargas (la meuf), c’est bien?
Votre chat “viendra pisser sur ma(votre) tombe”. Il faut qu’il ait bu un coup à votre santé. Auparavant.
On sent le ” vécu “