Que périssent les narcisses, ces branleurs du Moi en émoi


Les gens qui s’aiment sont détestables.

Ils ne doutent jamais, s’adressent à tout bout de champ des satisfécits, prennent pour acquis leurs principes de vie, demeurent inflexibles quant à leurs jugements, ne souffrent d’aucune remise en question, vont sur le chemin de leur vie, déterminés, ombrageux, pleins de cette arrogance fielleuse qui les rend bien souvent insensibles à la souffrance d’autrui.

Ils sont assommants.

Ils pensent tout savoir sur tout quand bien même sont-ils crasseux d’ignorance.

Ils avancent, ils vont, ils triomphent : rien ne saurait leur résister, ils ne tolèrent aucune critique, s’offusquent de recevoir des conseils, ne reconnaissent jamais leurs torts puisqu’ils ont toujours raison.

Ils sont chefs ou sous-chefs, petits potentats à l’insignifiance avérée qui règnent en maîtres sur un univers dont ils se flattent de connaître les moindres petits secrets : rien ne leur échappe, ils savent au gramme près le poids d’insignifiance de chacun de leurs employés, de leurs collègues, de leurs subordonnés ; ils ont l’injure facile, la remontrance aisée, pratiquent avec une constance rare l’art de rabaisser son voisin, son chien, son coiffeur – au moindre écart repéré.

Ils s’aiment.

Entièrement, totalement, irréductiblement.

Ils sont leurs propres modèles, leurs propres références, leurs propres mythes.

La métaphysique ne les intéresse pas, la mélancolie non plus, l’ennui encore moins.

D’ailleurs ils ne s’ennuient jamais puisque ils sont toujours en bonne compagnie : la leur, dont ils ne cessent de chanter les louanges et les vertus, s’émerveillant de la richesse inégalée de leurs multiples talents, de la finesse de leur intelligence, de la drôlerie de leurs réflexions, s’étonnant parfois de ne pas être plus reconnus pour leurs mérites qui sont pourtant infinis.

Chez eux, ils ne restent plus aucune trace de leur enfance, seul moment de leur vie où ils ont pu nourrir quelque doute sur leur glorieuse destinée.

Et encore.

Quand vous examinez de près leur visage, vous êtes incapable de deviner quel genre d’enfant ils ont bien pu être, à quoi ils pouvaient bien ressembler dans le giron de leur existence commençante : à force de ténacité, ils ont gommé en eux toute cette fragilité et cette tendresse du premier âge de la vie.

Ils sont adultes.

Ils rient peu ou alors seulement quand ils jappent des sarcasmes et autres ricanements imbéciles qu’ils partagent seulement avec eux-mêmes, allant jusqu’à se féliciter d’être incompris, signe de la radicalité de leur caractère insaisissable pour le commun des mortels.  

Ils se méfient de l’amour, ils prennent une femme ou un homme comme d’autres s’entichent d’une voiture, ils procréent en espérant que leur génie se transmette à leur progéniture : ils sont souvent déçus et redoublent d’autorité afin de corriger les erreurs commises par la nature.

Et comme ils se pensent les rois de l’univers, les seuls à comprendre et à appréhender le monde alentour, ils ne se lient d’amitié avec quiconque ; même leur propre ombre les déçoit, elle ne parvient pas à restituer l’étendue de leurs capacités, l’immensité de leur savoir, l’infini de leur génie.

Quand ils meurent, personne ne les pleure.

Eux s’en moquent, il leur reste l’éternité pour s’ébaubir d’avoir été ce qu’ils ont été : des dignes représentants d’eux-mêmes dont le monde mesurera un jour la grandeur de leur auguste génie.


Quand je rencontre un de ces troubadours, je ne prends même pas la peine de le saluer.

Je m’enfuis au quart de tour.


Déjà que j’ai du mal à me supporter…

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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