La dernière marotte de nos grands intellectuels qui se cachent derrière les mastodontes des géants de la communication serait donc de nous offrir à nous autres ploucs du quotidien la possibilité de conduire notre voiture à notre place.
Formidable invention.
On en salive d’avance.
Avoir la possibilité de grimper dans sa totomobile sans toucher à son volant, sans ferrailler avec sa boîte de vitesse, sans jouer des pédales, sans régler ses rétroviseurs, sans permuter ses phares, sans écrabouiller son klaxon, sans régler son chauffage, constituera à coup sur une étape cruciale dans l’achèvement de l’homme moderne.
Une véritable révolution.
On imagine déjà les possibilités infinies qu’une telle invention ne manquera pas d’engendrer : lire un poème de Baudelaire en allant acheter sa baguette, revisionner l’intégrale des films de Bergman dans leur version originale en descendant dans le sud de la France rendre visite à belle-maman, mater un bon petit porno avant d’entamer sa journée de travail, soulever des haltères en conduisant son chat chez le vétérinaire, se récurer simultanément les deux narines de notre fosse nasale en allant récupérer nos moutards à la sortie de l’école.
A nous la liberté.
La fin de notre asservissement à nos putains de berlines qui nous emprisonnent dans leurs carlingues castratrices et nous empêchent de vivre nos vies au maximum.
L’époque est au progrès tout azimuts.
Bientôt ce texte s’écrira sous ma dictée alors que je serai entrain de dévaler des kilomètres sur mon vélo d’appartement qui d’ailleurs lui aussi roulera tout seul et pédalera dans le vide me laissant tout le loisir de demander à mon four de réchauffer le bœuf bourguignon que ma grand-mère viendra de me livrer par l’intermédiaire d’un drone.
Ma femme n’aura même plus à chercher d’amant pour tromper son ennui : on gardera au frais un bellâtre électronique qui revisitera le kamasutra pendant que ma tendre épouse s’entretiendra avec le garagiste pour savoir s’il a bien remplacé les circuits électriques du landau de la fille de notre voisine.
Je sens que je vais adorer le futur.
Je ne m’ennuierai plus jamais puisque je serai vingt quatre heures sur vingt quatre, sept jours sur sept, 365 jours sur 365 jours, connecté à la terre entière pour dire aux neuf ou dix milliards de couillons d’habitants qui la peuplent que je suis le plus heureux des hommes, que je m’éclate, que là, tel que tu me vois cher ami, je suis en train de regarder Avengers 145-Le Retour du Dragon pendant que ma voiture gravit comme une grande l’Alpe d’Huez et que je m’apprête à commander le dernier modèle de chien intelligent sur Amazon, celui qui recycle lui-même ses crottes.
On ne s’imagine pas le temps qu’on perd en voiture alors que nos vies sont si courtes, que tout ce temps gaspillé à contempler la nature alentour, à penser dans la solitude de son esprit à nos vies qui se délitent, on pourrait le rentabiliser au maximum, être constamment sur la brèche, ne plus être coupé du monde mais en résonance perpétuelle avec lui, être tenu au courant minute par minute du déroulé de la prise d’otage venant de survenir dans la banlieue nord de Shanghai, savoir tout sur tout, tout le temps, à la seconde près.
Pouvoir continuer à consommer, à consommer encore et toujours, alors qu’on se retrouve bloqué dans un embouteillage, au ralenti sur le périphérique, à l’arrêt au péage de Fleury-Mérogis.
Ne plus jamais être seul avec soi-même.
Ne plus jamais goûter au plaisir de conduire, de ne plus sentir nos pensées palpiter, dériver au fil des kilomètres et nous permettre de réfléchir à ce que nos vies sont devenues : des simulacres d’existence où sur l’autel de l’hyper-connectivité nous aurons fini par sacrifier tout contact avec nous-mêmes, ce sentiment si précieux de l’effrayante beauté du monde alentour, l’angoisse à être dans un univers qui nous demeure et nous demeurera à jamais étranger.
Cette sensation d’être vivant malgré tout.
Vivant bon sang.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true
… sauf que vous confondez “Conduire” et “Piloter” !
Nous la joueriez-vous La Boétie ? Un Étienne moderne, s’entend. Vieilli d’un peu plus de quatre siècles, un auteur du « Discours de la servitude volontaire » (ou « Contr’un ») qui aurait conservé l’oxymore du titre, et substitué aux tyrans en chair et en os la tyrannie du progrès flanqué de ses tyranneaux. Bien sûr, il fréquenterait toujours son grand ami Montaigne, lui-même nullement vieilli car il est autrement éternel que maints Immortels de l’Académie française. La Boétie moderne, donc, vous auriez écrit, vous aussi à l’âge de 18 ans, un traité intitulé – modernisme oblige – « Discours sur la servitude volontaire au temps du coche sans cocher », ou précédé d’un titre approchant.
Feu Jean Yanne, dans un scénario feuilletonesque et radiophonique dont le titre m’échappe, avait imaginé que les embouteillages finiraient par atrophier les jambes des humains passant vingt-quatre heures sur vingt-quatre « bagnole », comme on disait vers 1960. Les hommes-troncs, nos successeurs, prévoiraient tout, installant au ras des routes et rues des bornes auxquelles les futurs forçats du cockpit se ravitailleraient. M. Yanne prévoyait même que le Saint-Père, rendu lui aussi difforme, dispenserait ses bulles, via une borne à bulles, à quoi s’adapterait un tuyau tenu à portée des papales menottes dans l’auto geôle du pontife…
On en passe. Notons que vous avez d’illustres prédécesseurs. Ils pensèrent aussi que le progrès sans mesure ni limite devient une prison, à quoi la folie des hommes les asservit. Parfois béats et inconscients, parfois grognons, parfois furieux, ne consentons-nous pas à de multiples fers – dont nous ne nous libérons que par intermittence, à coups d’humour ? Noir.
Vous n’êtes pas toujours bien inspiré. La condamnation de la voiture individuelle peut (largement) se justifier ; la condamnation, à priori, de ce qui peut faire qu’il y ait moins de morts et d’estropiés sur les routes, est stupide.
Ouais, c’etait tellement mieux avant…
Vous savez, avant le progres, quand on bossait 12 heures par jour a la mine ou a l’usine sans conges payes. Avant, quand on avait 8 huit enfants mais que seulement 4 atteignaient l’age adulte (si on avait de la chance).
Avant, quand on etait un vieillard a 50 (si on les atteignait).
Avant, quand on etait tellement peu eduque et informes que les medias et les politiques arrivaient a nous convaincre qu’aller faire la guerre aux Allemands, ce serai juste, facile et tellement amusant…
Enfin, avant le progres quoi !!
Si vous n’aimez pas votre vie, changez la !!! Si vous n’aimez pas les embouteillages, partez-vivre a la campagne. Sur vous n’aimez pas la surinformation, eteignez votre smart phone. C’est pas si complique !! Mais c’est vrai que ca demande plus d’effort que de cracher sur tout ce qui nous entoure en maudissant tous ces moutons qui se font manipuler. Vraiment tous des cons !
Sauf vous bien sur…
Je viens d’imaginer un monde sans Dominique Chapatte, ça fait peur !
Juste pour infos,
voitures autonomes ne veut pas forcement dire voitures connectés. Cela dépend de la techno employés (une bardé de capteur, un ordinateur de bord avec une bonne puissance de calcul peut utiliser divers algorithmes pour calculer espace/courbe de ligne blanche par exemple). Bien au contraire le choix de la technologie employés est bien plus politique qu’on ne le croit. Nous devrions être maitre de l’évolution que nous souhaitons prendre (tout comme le choix d’un ado sur son futur parcours scolaire).
puycasquier > Quand au commentaire précédent, je ne suis pas du tout en accord avec ce dernier LaBoetie, à beaucoup de choses à nous apprendre.
Bref ça ressemble d’abord à un mini-pamphlet mal conduit. Il y a des critiques a faire, c’est certain, sur ce monde hyper-connecté, cyber-espacé, ce monde capitalistes, ce monde voiturier (dont l’industrie à bloquer de nombreuses inventions depuis 50ans pensant rattraper son retard en 10 ans) et ce monde où le temps disponible devient une denrée rare (l’appropriation de la plus-value étant plus vraie que jamais).
D’une manière générale, j’ai peur de lire ici beaucoup de médiocrité et de méconnaissance, à bon entendeur.
Avec le nombre d’accidents de la route qu’on a, les conneries de ce genre ne feront pas grand bruit, on s’en fout que tu veuilles pas être “hyper-connecté” parce-que la question n’est pas là, tu dors ou tu fais ce que tu veux dans ton coin mon gros, mais on va simplement pas se voiler la face et faire comme si tu étais aussi efficace qu’une machine.
On aura le choix de conduire ou non pendant longtemps avant d’être obligé de laisser la main, donc pas d’inquiétude sur ce point, les vieux cons bornés seront libres d’écraser des enfants, la génération qui sera née avec par contre trouvera ça complètement con. Comme toujours.
“Vivant enfin”. Ou mort, ça fonctionne aussi. On a encore quelques milliers de morts dans des accidents de la route (et des dizaines de milliers de blessés grave). C’est vrai que ça serait bien dommage de profiter de la technologie pour mettre un terme à ça.
C’est vrai aussi que pour vraiment profiter de la solitude et du plaisir d’avaler des kilomètres seul avec soi-même, on a absolument besoin de toucher un volant. Sinon, ça ne compte pas.
Ce n’est pas une seconde contradictoire de demander des moments d’inactivité et de déconnexion, puis d’expliquer qu’on a besoin d’être actif et de conduire pour bien les ressentir.
C’est vrai encore que le fait que votre voiture se conduise toute seule vous OBLIGE à être sur facebook et à acheter des trucs sur amazon pendant le trajet. Ça sera même carrément dans les conditions d’utilisation !
C’est vrai surtout qu’à votre âge, la question de l’autonomie d’ici quelques années ne va pas du tout se poser. Que jamais vous ne serez plus en état de conduire ; et que jamais une voiture qui se conduit toute seule ne vous permettra d’aller faire vos courses, au cinéma, visiter vos amis ou que sais-je encore sans le besoin d’un auxiliaire de vie. Avec tout ce que ça a d’infantilisant.
C’est vrai enfin que vous n’avez pas du tout envie de voir vos petits enfants dans la sécurité d’un transport en commun individuel en retour de soirée un vendredi soir et que vous préférez les savoir sous la responsabilité du moins bourré d’entre eux.
Ou pas.
On croirait un article écrit dans les années 1970…
Ça vous fait quoi de penser que j’ai découvert votre article grâce à quelqu’un qui l’a posté sur un réseau social ? J’aurais en effet dû me déconnecter.
Ah oui c’est sûr que cela va changer ma vie. J’en suis tout retourné
Je viens de lire quelques articles de votre blog en ce jour de grève violente des taxis. J’ai bien accroché à celui là. J’ose faire une analogie entre le taxi qu’on hèle dans la rue et le uber qu’on siffle digitalement à partir d’une appli… Et puis je lis des commentaires un peu violents à votre égard, comme ces gens qui voient dans uber une révolution qui nous élève. Je pense qu’il est bon de garder un pied dans l’ancien monde, plutôt que de sauter à pied joint dans l’inconnu. J’aime bien ma bagnole, j’aime bien la conduire, je veux bien en changer pour qu’elle soit plus écolo et plus sécurisante, mais je veux garder la liberté de conduire, et de pas forcément être traqué comme une potentielle bête sauvage…! Bientôt ces cons là nous obligeront à arrêter de fumer…