Les plus grandes comédies sont celles qui parviennent à s’inscrire dans la temporalité de leur époque tout en demeurant drôle sous toutes les latitudes et à toutes les époques.
Et parce qu’elles provoquent le rire, cette denrée qui ne court pas les rues et rend la vie supportable, elles nous sont essentielles pour nous maintenir à flots et enjoliver notre quotidien.
Il existe deux comédies qui ne manquent jamais de me plonger dans un état de ravissement proche de l’extase, Oscar d’Edouard Molinaro et Les Apprentis de Pierre Salvadori.
Oscar, c’est de Funès au sommet de son art, comique funambule pétaradant de folie qui, avec une virtuosité inouïe, dans un mélange fracassant de burlesque et de comédie de boulevard, emporte tout sur son passage.
Les Apprentis, c’est le tandem François Cluzet/Guillaume Depardieu qui détricote avec une jubilation de tous les instants le malaise d’une génération refusant les codes du travail organisé pour tenter malgré tout de survivre.
Une ode aux paumés du quotidien qui vont de galères en galères, de petits boulots en boulots de fortune, de débrouillardises précaires en escroqueries minables afin de rester en dehors de la rumeur du monde qui menace de tout emporter sur son passage : nos amours, nos idéaux, nos rêves.
C’est un couple merveilleux de pieds-nickelés à la petite semaine qui ne savent pas comment vivre, ne l’ont jamais su, ne veulent même pas le savoir.
Ils vont à cloche-pieds dans la vie.
Ils piquent dans des supermarchés de la bouffe carrée, ils carburent à la vodka de supérette, ils squattent l’appartement d’un ami qui lui a réussi, ils s’enfoncent dans les méandres d’une existence impossible, ils cherchent l’amour mais l’amour se refuse à eux, ils s’agrippent l’un à l’autre pour ne pas tomber dans le ravin.
Ils vacillent, ils flirtent avec les abîmes, ils se compromettent, ils baisouillent comme ils travaillent – à l’occasion – ils angoissent, ils dépriment, ils galèrent, ils avancent en reculant, ils essayent de rester dignes, ils échouent, ils se soutiennent parce que ce qui reste quand tout a fichu le camp, les femmes, le fric, la respectabilité, c’est encore et toujours l’amitié.
Cluzet n’a jamais été aussi vrai, aussi authentique dans son rôle de naufragé professionnel, d’amoureux déchu, d’écrivaillon à la dérive assez lucide pour se voir tomber mais incapable de reprendre la barre d’une existence qui part en lambeaux et s’enfonce dans les ténèbres.
Guilllaume Depardieu demeure tout au long du film merveilleux de spontanéité, de fraîcheur, de naïveté.
C’est Candide parachuté dans un monde sans pitié.
Branleur au grand cœur, pur parmi les purs, copain prêt à tout pour sauver ce qu’il reste à sauver, il illumine de sa grâce toute adolescente la descente aux enfers de ces deux handicapés de l’existence.
Mais le film tient aussi, tient surtout par sa parfaite écriture.
C’est un modèle de scénario, un festival de dialogues épiques, une succession de réparties savoureuses, un empilement de bon mots jubilatoires dont la seule évocation peut provoquer le rire longtemps après avoir vu le film.
De ”On n’a pas une vie saine, Fred, on mange n’importe comment, on ne vit pas normalement, on boit trop, faut qu’on se reprenne ” à ”Maths Sup, Maths Spé… j’hésite encore… ” en passant par ” Pourquoi six cylindres c’est mieux que quatre ? “.
Comme une bouffée d’enfance.
C’est un film à voir ou à revoir qui mieux que n’importe quel ouvrage sociologique a su saisir l’humeur et l’envers d’une époque qui depuis la sortie du film en 1995 n’a cessé de se dégrader : une époque où trouver un simple toit se transforme en une quête existentielle, où ne pas vivre dans les clous signifie signer sa mort sociale, où l’amitié, malgré tout, résiste à tout et finit par triompher.
Les temps modernes, en somme.
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« Pourquoi six cylindres c’est mieux que quatre ? » éclaire un choix difficile : « Maths Sup, Maths Spé… j’hésite encore… ». Avoir trouvé, vers l’âge de vingt-huit ans, dans « Les Apprentis » (1995) de Pierre Salvadori « une bouffée d’enfance », pourquoi pas ? En faire un film « culte », c’est un jugement – comme de juste, en matière de culture – subjectif. Y voir une œuvre supérieure, non à « n’importe quel ouvrage sociologique », mais à une solide enquête et étude de sociologue(s), pourrait se discuter.
Abstenons-nous de le faire : « Des goûts et des couleurs…. ». Il est un point (relevant aussi de la subjectivité) sur lequel un désaccord est néanmoins possible : l’affirmation selon laquelle « l’amitié, malgré tout, résiste à tout et finit par triompher ». Vœu, souhait : soit. Que ce fût ainsi dans les années quatre-vingt-dix du dernier siècle, sinon majoritairement, du moins beaucoup plus qu’aujourd’hui, est très probable. On comprendrait d’ailleurs là votre choix de l’épithète « culte » qui qualifie pour vous le film : une œuvre, une réplique, etc. ainsi distinguée honore ce dont le présent où on l’évoque est privé et que le futur ne verra sans doute plus se reproduire. Mais ces âges d’or existèrent-ils, ou servent-ils avant tout à maintenir l’espérance de leur retour ?
Cet hommage, vingt ans après la sortie du film « Les Apprentis », a en tout cas le mérite d’honorer la mémoire du très attachant et très talentueux comédien que fut, trop brièvement, Guillaume Depardieu, décédé à l’âge de 37 ans. Cela fera sept ans le 13 octobre prochain.
Je m”en vais mater cette merveille alors ! La critique est très joliment écrite
Dément : Christine & the Queens est le clone de Guillaume Depardieu !