L’Europe a été fondée sur l’idée d’une politique énergétique commune. Pour rappel, la première pierre de l’Union telle que tous la connaissent a été posée le 23 juillet 1951 avec la signature du Traité de Paris qui formait la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Pourtant, aujourd’hui, elle est en panne. Pour André Merlin, Président de MEDGRID[1], et Président sortant du Conseil de Surveillance du Réseau de Transport de l’Electricité (RTE) « il y a urgence à redéfinir une politique énergétique européenne ». Lors d’un entretien, il nous livre ses explications.
Au niveau de l’Union européenne, un premier effort de définition de cette politique a été lancé il y a quelques années et concernait principalement trois secteurs : « la création d’un marché de l’électricité et du gaz à l’échelle européenne », « le développement des énergies renouvelables et la lutte contre le réchauffement climatique » avec l’objectif d’accroître fortement « l’efficacité énergétique ». Le chantier d’un marché intérieur de l’énergie a débuté en 1996 à force de « directives successives qui ont permis d’étendre ce marché, marché « pas achevé mais qui existe et qui fonctionne ». Pour ce qui est de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, l’Europe s’est fixée des objectifs en 2008 avec ce qu’on appelle le « 3×20 en 2020 » : « 20% de réduction d’émission de CO2 par rapport à ce qu’elles étaient en 1990, 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen en 2020 et 20% d’amélioration de l’efficacité énergétique. »
Toutefois depuis 2008, « trois facteurs principaux ont pesé » sur la politique européenne de l’énergie : « la crise économique et financière » qui a « fait que l’énergie devient un élément déterminant de la compétitivité d’un pays », la « révolution » du gaz de schiste aux États-Unis qui a conduit à des prix du gaz 3 fois moins élevés outre-Atlantique qu’en Europe, attirant les industries énergivores, et « l’accident de Fukushima », qui a conduit à l’arrêt du nucléaire en Allemagne et à terme dans quelques autres pays d’Europe et également au renforcement des normes de sûreté des réacteurs nucléaires ».
Pendant ce temps, en Europe, des centrales à cycles combinés gaz, moins polluantes que les centrales à charbon, ferment car les prix du gaz sont trop élevés. « Et par ailleurs, comme on développe fortement les énergies renouvelables, la durée d’utilisation des centrales au gaz, qui sont le complément naturel par rapport au développement des énergies renouvelables du fait de leur intermittence, se réduit ». Du coup, les pouvoirs publics dans certains États membres tentent de développer un « marché de capacité » qui permettra de valoriser ces moyens de production (les centrales à gaz qui permettent de passer la pointe de consommation pour les rendre en quelque sorte rentables). Pour André Merlin, « il ne faut pas un marché de capacité par État membre mais un marché de capacité à l’échelle européenne ».
Le champs d’éoliennes offshore de Middelgrunden, dans l’Øresund, au large du Danemark
« Quant aux énergies renouvelables, l’Europe est en pointe sur leur développement par rapport aux autres régions du monde, d’où l’objectif de 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen en 2020. Aujourd’hui on est à 13%, atteindre 20% en 2020 reste un objectif ambitieux. Ce développement se fait à « prix très élevé » dans certains cas. Par exemple, « on produit de l’électricité solaire en Grèce, à partir de panneaux photovoltaïques installés sur les toits des maisons, au prix d’achat de 540€/MWh, soit 10 fois le prix du marché ». Les surcouts qui en résultent sont ensuite répercutés sur la facture d’électricité des consommateurs et tout particulièrement des consommateurs domestiques. Etant donné la crise que traverse l’Europe, ce mode de développement des énergies renouvelables « ne semble pas soutenable ». Comment donc, dans ce contexte continuer à développer ces énergies renouvelables en Europe ?
D’après André Merlin, « il faut le faire à moindres coûts » en prenant pour modèle les États-Unis où « chaque fournisseur d’électricité fait en sorte que dans son offre d’électricité il y ait une part obligatoire d’énergies renouvelables qui peut d’ailleurs augmenter progressivement dans le temps». Adopter ce modèle, c’est rendre « durable » la politique de développement des énergies vertes, car il évite des bulles spéculatives comme on l’a connu dans le photovoltaïque. Parallèlement, « les énergies renouvelables qui ont un caractère intermittent nécessitent un fort développement des réseaux électriques ; non seulement des réseaux de distribution mais également des réseaux de transport ». Or, en Europe, ces chantiers sont freinés par « la longueur des procédures d’instruction » et le réseau d’interconnexion européen est « extrêmement en retard ». Rattraper ce retard, est la condition sine qua non de l’achèvement du marché intérieur à l’échelle européenne. Cette démarche « s’inscrit tout à fait dans le cadre du traité de Lisbonne qui prévoit une solidarité énergétique entre les États ».
« Il y a donc urgence à développer les réseaux électriques et tout particulièrement les réseaux d’interconnexion » comme l’indiquait André Merlin dans le journal La Montagne dans son édition du 30 mai 2013. Sinon, « le marché sera fragmenté avec d’importantes différences de prix et des risques de blackout. L’électricité ne se stocke que difficilement, ou bien indirectement au travers de stations de pompage hydraulique, les batteries électrochimiques ayant encore des coûts trop élevés pour l’équilibrage d’un système électrique de grande taille. « Le réseau électrique, tel qu’il est actuellement, c’est le talon d’Achille de la politique énergétique européenne » résume André Merlin. Le marché du gaz souffre à un degré moindre des mêmes maux.
L’ambition européenne de poursuivre la lutte contre le réchauffement climatique s’est traduite par la publication récente d’un ” Livre vert” par la Commission européenne » qui propose « d’aller vers une réduction encore plus forte des émissions de CO2, passer de 20% en 2020 à 40% en 2030 par rapport à 1990, mais aussi d’envisager d’atteindre 30 % d’énergie renouvelable en 2030 dans le mix énergétique européen. » Dans le contexte économique qui est celui de l’Union européenne aujourd’hui la question est par contre d’évaluer l’impact de ces objectifs sur la compétitivité de l’industrie européenne.
Sur le sujet très sensible politiquement des gaz et pétrole de schistes « l’attitude de l’Union européenne telle qu’elle a été adoptée au sommet des chefs d’État qui s’est tenu le 22 mai, qui est de dire que les pays qui veulent s’engager dans l’exploitation de ces ressources indigènes peuvent le faire, parait très réaliste. » La Pologne et le Royaume-Uni se sont donc lancés dans cette voie, ce qui n’empêche pas par ailleurs d’engager à l’échelle européenne des actions de recherche et de développement et réaliser quelques démonstrateurs pour mettre au point des technologies qui préservent encore davantage l’environnement».Il est sans doute possible d’« envisager technologies qui utilisent des produits biodégradables plutôt que des produits chimiques » ou des alternatives à la fracturation hydraulique. La deuxième chose à faire, c’est d’ « évaluer de manière plus précise les réserves, un rapport de parlementaires français sur ce sujet vient de sortir», signé par Christian Bataille et Jean Claude Lenoir. Il le préconise. Personnellement, André Merlin « pense qu’il faut y aller prudemment mais qu’il faut y venir parce que la France est dans une situation économique telle qu’elle ne peut pas se passer à minima de connaitre l’état de ses réserves » ; elles sont aujourd’hui évaluées à environ 80 ans de consommation de gaz en France au niveau actuel. Mais bien évidemment cette évaluation doit être confortée par des forages conventionnels in situ.
Quid de l’efficacité énergétique ? Elle doit être un axe majeur de la politique énergétique européenne » et doit rester un objectif contraignant au sein de l’Union. La directive de 2012 va dans le bon sens, mais « l’efficacité énergétique est une œuvre de longue haleine ». Transports et isolation des bâtiments doivent concentrer les principaux efforts et « l’idée, par exemple, de faire, comme l’avait dit le Premier ministre [ndlr. Jean-Marc Ayrault] lorsqu’il avait pris ses fonctions, des moteurs qui consomment moins de 2l aux 100km, est une excellente idée parce que l’industrie automobile européenne en a la capacité technologique ». Néanmoins, l’efficacité énergétique ne doit se faire « à n’importe quel prix parce qu’il y a certaines mesures qui sont effectivement rentables et d’autres qui le sont beaucoup moins». Ainsi, l’isolation de certains bâtiments anciens peut être coûteuse. « Dans les années d’après-guerre, on a construit de véritables passoires thermiques » or le parc immobilier se renouvèle très lentement. La question se pose donc pour ces logements : faut-il les isoler thermiquement et jusqu’où ? Faut-il au contraire accélérer leur renouvellement ?
Propos recueillis par Jean Brousse et Aleksandra Fulmanski
[1] Consortium créé pour favoriser le développement des interconnexions électriques entre le Nord, le Sud et l’Est de la Méditerranée.
La “politique européenne de l’énergie” a été taillée sur mesure pour permettre à de petits malins de se goinfrer de subventions ( à hauteur de mille milliards d’euros selon M. Altmeier ) L’urgence serait d’en finir avec le mythe des énergies renouvelables et de revenir à la réalité.