Une autre histoire du développement durable

 

Si l’écologie s’impose dans les préoccupations politiques depuis les années 70, on aura tendance à croire qu’avant cela elle n’est que l’apanage de scientifiques illuminés ou de théologiens amoureux de la nature. Mais quand on se penche sur l’histoire, il existe déjà avant l’ère du pétrole, une pensée intimement liée au développement durable : la pensée du long terme.

Vers 1700, le royaume de France est un géant démographique à tel point qu’un Européen sur quatre est un Français. La puissance française consomme de plus en plus de ressources. Après les guerres de religions et la fronde, les préoccupations du gouvernement depuis près d’un siècle sont au centralisme et à la préservation de l’unité du pays. Les « réformations », mots équivalents aux réaménagements actuels se font rares. C’est dans ce contexte troublé que la demande de bois a insidieusement grimpé. Principale matière première et principale source d’énergie, le bois est un peu l’équivalent du pétrole à notre époque avec l’essence et le plastique. Avec le défrichage, la surexploitation, la contrebande et le relâchement de l’administration des forêts, celles-ci sont décimées quantitativement et qualitativement. Les grands chaines propices à la fabrication des navires se font tellement rare que l’on doit en importer d’Europe du nord et de l’est. Les dirigeants français font face à une situation qui ne nous est pas inconnue à notre époque: faire rebondir la croissance après la fin d’une période de prédation des ressources naturelles.

Mais comment un gouvernement qu’on aurait tendance à imaginer comme archaïque a-t-il pu rebondir?

Dans cette situation de crise politique, où le déficit commercial voire même la dépendance énergétique approchaient lentement, la réponse est trouvée par un ministre ingénieux. En 1661, c’est Colbert, ministre de Louis XIV qui, réalisant les dangers pour la France entreprit « la grande réformation ». Il redressa la gestion administrative des forêts et lança des opérations massives de replantage d’arbres. La gestion administrative renforcée permis de redresser le pays à moyen terme et le replantage d’arbre permettait de prévenir plus de 200 années de besoins en bois. Louis XIV,  qui avait tout intérêt à transmettre « l’entreprise familiale » à son descendant lui apporta son soutien.  La longévité ministérielle et l’appui royal dont il bénéficia lui permit de mener sa politique jusqu’au bout. Ces réformes furent un franc succès : par-delà la Révolution elles inspirèrent le code forestier moderne de 1827 et la marine royale fut ressuscitée dès 1670 en n’utilisant plus guère que des bois français.

L’ancêtre du grenelle de l’environnement ?

La définition Wikipédia du Grenelle de l’environnement explique qu’il s’agit d’ « un ensemble de rencontres politiques organisées en France, visant à prendre des décisions à long terme en matière d’environnement et de développement durable, en particulier pour restaurer la biodiversité et de schémas régionaux de cohérence écologique, tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre et en améliorant l’efficience énergétique. » Si les décisions de Colbert n’ont pas cet apanage démocratique de « rencontre politique » on voit que les préoccupations environnementales de l’époque sont englobées de la même façon dans une volonté de réforme.

En ce qui concerne les résultats, si on en croit le « bilan du grenelle » publié par une dizaine d’associations impliquées dans le processus (dont les incontournables Greenpeace, WWF et la LPO) il y aurait une absence d’application concrète des mesures et l’abandon des « mesures efficaces ». Le volontarisme et la continuité gouvernementale qui ont fait le succès des reformes environnementales du XVII eme siècle semblent avoir fait cruellement défaut en 2007.

L’homme qui a planté des arbres  en prévoyant leur consommation trois siècles à l’avance s’étonnerait surement de voir les bénéficiaires de ses politiques dans une telle impasse. Et ironie du sort, les seuls mouvements politiques adoptant un semblant de réflexion long-termiste pensent arborer un concept révolutionnaire.

Source: La grande reformation des forêts royales sous Colbert (1661-1680) par M.Deveze

documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/33607/AEF_1962_19_2_169.pdf?sequence=1

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L’ AMAP : un modèle agricole alternatif?

Le circuit court a abaissé la clôture sociale entre producteurs et consommateurs. © Olivier Desvaux, Géo.fr

Apres la démocratisation du covoiturage, du peer to peer, du Crowdfunding, du vélo-partage, du couchsurfing et de la colocation, avez-vous déjà entendu parler d’un modèle collaboratif d’agriculture ?  Oui les modèles collaboratifs dans le secteur productif sont possibles. Ils précédaient même les modèles numériques. L’un d’entre eux existe depuis 2001 en France mais émerge lentement : avez-vous déjà entendu parler des AMAP ?

Qu’est-ce que sont les AMAP ?

Les AMAP sont des associations d’achat direct de fruits et légumes auprès d’un agriculteur. D’abord conçu  pour soutenir l’agriculture paysanne et biologique face à l’agro-industrie, le principe de l’AMAP est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs. Ces derniers s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant à l’avance. Sur le terrain, le consommateur paye au début de la saison ou du mois ses légumes auprès de l’association. Puis il vient chercher un panier chaque semaine sur le lieu convenu. Le panier est une division de la production de l’agriculteur entre tous les membres de l’association. Il est, à la base, prévu pour deux personnes mais fluctue en fonction de la nature des récoltes. Ayant le monopole, les consommateurs peuvent ensuite s’accorder pour que l’agriculteur s’adapte à leur consommation.

En réalité, ce système bien pensé est une sorte de transposition du commerce équitable mais dans les pays du Nord. Mais devant le prix de la main d’œuvre française, comment un tel système peut-il être rentable ? Le raccourcissement du circuit de vente et l’absence de transport permettent de diminuer considérablement les coûts.  La confiance instituée dans l’association délivre également l’agriculteur des couteux labels d’agriculture biologique et des négociations de vente chronophages. Si on ajoute à cela l’absence de gâchis et  d’emballages, on obtient un prix très raisonnable pour des produits d’excellente qualité.

Ce modèle d’organisation tend  à s’émanciper des  courants écologistes militants. Il est aujourd’hui adopté par des « consomm’acteurs », néologisme qui désigne les consommateurs éclairés mettant en pratique l’idée de  « voter avec son caddie » et consommant de façon citoyenne et non plus seulement de manière consumériste.

Un modèle aux enjeux sociétaux de taille :

La santé publique : chaque semaine un scandale éclabousse l’industrie agro-alimentaire. Le dernier en date étant la réelle nature des poissons dans les plats cuisinés. Les consommateurs sont déboussolés et oscillent entre révolte et cynisme. Les campagnes sont tellement polluées par les intrants que les associations environnementales doivent installer des ruches dans les villes pour protéger les abeilles. La sacrosainte espérance de vie commence même à redescendre dans certains pays occidentaux. Les AMAP s’inscrivent dans une tendance de déconsommation, qui consiste à passer de la surabondance à la sélection des produits.

La relocalisation de l’emploi : on a tous été victimes du chantage au « consommez français » qui sous-entend que s’il n’y a plus d’emploi en France c’est de la faute du consommateur. Dans la pratique, le patriotisme économique est une lutte de tous les jours. En plus du prix excessif, cela demande un investissement personnel considérable qui déroute même les plus idéalistes. Si l’on sait qui on fait travailler, tout devient plus simple.

La reconquête de la souveraineté alimentaire des territoires : dans une situation où seules les subventions séparent la plupart des agriculteurs de la faillite, un regain d’autonomie de nos paysan devant les grandes entreprises mondialisées relèverait presque du droit des peuples à l’autodétermination. Avec des structures telles que celles des AMAP il devient possible d’avoir le choix de la sécurité alimentaire.

Mais quel avenir pour les AMAP?

On a vu que le modèle de circuit court présentait des solutions concrètes et réalistes aux problèmes que traversent l’agriculture et la société française. Mais sans volonté politique, comment rivaliser avec les subventions ?

A moyen terme, si les aides de la PAC continuaient à diminuer en 2020 comme cela a déjà été le cas en 2013, on peut imaginer un rapide déclin de l’agriculture industrielle française. Au sein de l’union européenne, des pays comme la Pologne et la Roumanie négocient déjà sévèrement pour « nos » aides.

A long terme, l’avenir de l’agriculture française est incertain. Mais si un réseau solide fait d’initiatives citoyennes maille le territoire, il pourra prendre le relais en cas de changements.

L’AMAP pourrait se révéler comme modèle agricole alternatif … ou juste comme le meilleur moyen de satisfaire vos papilles.

Pour trouver une AMAP :

http://www.reseau-amap.org/

Pour plus d’informations en vidéo sur le système de l’AMAP:

https://www.youtube.com/watch?v=wGv39RMrskw&noredirect=1

 

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