Les éco-quartiers : mode de vie ou idéologie ?

Le classement récent des villes les plus vertes de France publié par Zegreenweb a mis en valeur Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Grenoble …et Paris car ces métropoles françaises font de la préservation de l’environnement l’un de « leurs chevaux de bataille ». Les éco-quartiers fleurissent petit à petit dans tout l’hexagone mais aussi en Europe et dans le reste du monde.

Le terme « éco-quartier » est un néologisme associant le substantif « quartier » au préfixe « éco », en tant qu’abréviation de l’adjectif « écologique », décrit l’article toponyme de Wikipédia. Le ministère français de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer a promu ce néologisme pour désigner un projet d’aménagement urbain visant à intégrer des objectifs dits « de développement durable » et à réduire l’empreinte écologique du projet.

Ces projets sont essentiels dans un contexte où le logement est devenu une question sociétale clé. Dans son rapport, « L’accès au logement : une exigence citoyenne, un choix politique » du 6 juillet 2011, le club de réflexion Terra Nova dresse un portrait très négatif de l’accession au logement au début du XXIème siècle. A la fois, enjeux d’intégration, enjeux environnementaux et économiques, les autorités s’interrogent sur la possibilité d’obtenir un cadre d’urbanisme véritablement écologique. Si le Grenelle de l’environnement se contente d’intervenir sur la qualité thermique des logements, notamment des logements existants, il existe d’autres solutions plus complètes mêlant politiques d’aménagement territorial et planification urbaine, qui organisent la qualité urbaine et l’extension des villes sous forme d’« éco-quartiers » ou de « villes neuves ». De l’idéologie à l’idéolog-isme, peut-on vivre au vert en société ?

Eco-quartier : une réponse au développement durable

L’éco-quartier est une opération d’aménagement durable exemplaire. Il répond à la question du développement durable et aux problématiques sociales et économiques par la réduction maximale de l’impact sur l’environnement tout en favorisant le développement économique, la qualité de vie, la mixité et l’intégration sociale.

C’est de prime abord l’architecture qui manifeste le développement durable. Christian Plisson, président de la Maison européenne de l’architecture, explique que « le durable est maintenant une mode, cela n’empêche pas qu’il y ait des architectes vraiment engagés » en étant « plus vigilants dans le choix du matériel ». Le professionnel de l’habitat durable prend la ville de Strasbourg comme exemple modèle de l’architecture soucieuse de l’environnement. Afin de vérifier le principe d’efficacité énergétique, un éco-quartier se doit de proposer des solutions économes et une diversification des modes de production (bois, éolien, géothermie, solaire, biomasse…).

L’idéal pour l’éco-quartier est de produire une partie de ses besoins en énergie, notamment grâce à la construction des bâtiments à énergie positive, pour atteindre un bilan énergétique nul. La tour Elithis, à Dijon, qui présente un bilan énergétique « exceptionnellement neutre » en témoigne.  L’immeuble de 5 000m2 fêtait ses deux ans en juin dernier. La tour est un centre d’expérimentation renouvelable qui invite savants, étudiants et financeurs à initier de nouveaux projets. Dans le cadre d’une recherche sur les éco-comportements proposés au sein du bâtiment, le groupe Elithis constate que l’efficacité énergétique et environnementale d’un bâtiment ne dépend pas uniquement de solutions technologiques mais pour beaucoup du comportement des usagers.

Les éco-quartiers ne sont pas seulement une réponse architecturale. C’est un mode de vie. Le poète et philosophe des sciences et de la technique, Gaston Bachelard conceptualise dans ses derniers écrits, en 1958, « la poétique de l’espace » : il ne regarde pas l’architecture en tant que telle mais comme la manifestation humaine qui affecte et façonne les espaces.

Ecologie ou écologisme ?

Les éco-quartiers sont souvent des prolongations à la ville et à son architecture existante car les équipements publics et infrastructures des transports s’y étendent. Ils sont souvent considérés comme des « villages dans la ville » car leur fonctionnement y est identique mais à échelle réduite, à l’image de l’éco-quartier Vauban de Frisbourg-en-Brisgau, en Allemagne.

Le qualificatif écologique peut s’appliquer à l’écologie – une science – ou  à l’écologisme qui est une idéologie. Pour autant, les gadgets verts – gazon sur le toit, convoyeurs souterrains à déchets, supports à vélo – ne donnent pas sens à l’éco-quartier en tant que tel et témoignent plutôt d’une façade verte pour les maisons de « bobo ».

Aussi le récent épinglage de Volkswagen par Greenpeace témoigne de l’usage excessif par les constructeurs – ici automobile – de l’image verte pour obtenir le financement et l’acceptation des consommateurs. De même, le « greenwashing » qui prévaut à la construction de certains quartiers ne doit omettre que l’écologisme suppose qu’il y ait un ensemble complexe de relations – économiques, sociales, culturelles, physiques, etc entre un quartier et le milieu urbain dans lequel il est plongé.

L’éco-quartier facilite le geste vert. Tout y est fait pour inciter, si l’usager ne pratique pas le vivre-ensemble, l’usage modéré de l’eau, le tri des déchets … L’esprit de l’éco-quartier réside chez ceux qui habitent.

Quand l’idéologie pousse au ghetto

L’éco-quartier est une variante à l’éco-village qui se définit comme une « agglomération (rurale ou urbaine) ayant une perspective d’autosuffisance variable d’un projet à l’autre et où la priorité est de redonner une place plus équilibrée à l’Homme en harmonie avec son environnement dans le respect des écosystèmes présents. » Ceux sont des alternatives au chemin tracé par les urbanistes classiques. Une possibilité pour certains hommes de refuser la disposition des trottoirs et du bitume sur lesquels on veut les faire marcher, et d’adapter leur chemin ainsi à leur propre mode de vie. Le mouvement « desire paths » symbolise ce désir en photographiant les chemins verts qui rompent avec les routes bétonnées.

L’éco-quartier développe les mêmes idées tout en respectant les idéologies et l’intimité de chacun. La bonne gouvernance et le bon pilotage du projet sont primordiaux pour réussir la mise en œuvre des principes du développement durable. L’idéologie passe par la démarche participative impliquant l’ensemble des acteurs concernés – services municipaux, habitants, promoteurs, maîtres d’œuvre – et la mise en place au travers d’ateliers d’urbanisme, de réunions publiques ou de conférences citoyennes. La pratique d’échange des compétences y est courante.

Nombre de structures se ferment cependant sur elles-mêmes. Le vivre-ensemble exige aussi une adéquation des modes vie, peut-on tous être « green » ?

Avons-nous pour autant affaire à un renouveau des communautés hippies ?

La construction d’un éco-quartier implique de revoir l’organisation traditionnelle de la construction des bâtiments en amont, afin de développer des partenariats financiers et de pouvoir proposer des prix de vente des logements accessibles à tous. Les politiques d’aménagement du territoire proposées par le Grenelle tendent à diffuser ce mode de logements verts dans toutes les classes sociales. Les « bobo » n’ont pas le monopole du « green » et toute personne est poussée à adapter son mode de vie à la gestion responsable de son environnement.

A long terme, il est envisageable de poursuivre le projet vers « la ville durable ». Le terme est difficile à définir car c’est davantage un projet qu’une théorie. Cyria Emelianoff, maître de conférences en géographie, aménagement et urbanisme à l’Université du Maine, en définissait les principes dès 2005 : une « ville capable de se maintenir dans le temps », une ville qui offre une qualité de vie en tous lieux, une ville qui se réapproprie un projet politique collectif…

Utopie ou réalité, il faut souligner l’existence du mouvement des « villes en transition », issu de l’enseignement de Rob Hopkins, en Irlande. La Transition en question est le passage « de la dépendance au pétrole à la résilience locale ». L’action est locale afin de s’adapter aux ressources et aux enjeux de la ville. Cette optique s’appuie sur le présupposé qu’un objectif est atteignable seulement s’il est visible ; elle défend donc une vision positive. Peu de critiques sont parvenues à se lever face aux idées d’Hopkins, mais les villes en transition restent difficilement à concrétiser.

L’important réside peut-être dans la prise de conscience du geste. L’urbanisation devrait ainsi minimiser son impact sur l’environnement tout en offrant la possibilité au plus grand nombre d’accéder à un logement. Garder les projets visibles et adaptables aux logements déjà existants permet de sensibiliser une population toujours plus importante. Modèle de vie ou bulle d’expérimentation, la multiplication des éco-quartiers illustre les possibles d’une vie urbaine éco-responsable.

 

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