Une tablette améliore-t-elle la lutte pour la sauvegarde de l’environnement ?

 

Les NTIC  peuvent-elles incarner l’écologie du XXIe siècle ?

Le débat s’ouvre progressivement, parallèlement à l’émergence à grande échelle des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) depuis les années 1980. La tablette, nouvel outil au service du grand public, permet une inter connectivité de la majorité de la planète ainsi qu’un rapprochement des mondes.
Désormais, l’autre, le barbare de la Grèce antique, est devenu un semblable, certes éloigné géographiquement mais proche, à nos côtés, par la technologie. Il y a donc une proximité certaine. Cette technologie a participé à l’apparition du monde que nous connaissons : la mondialisation.
Par ailleurs, cette mondialisation débouchant sur une concurrence effrénée, a admis par l’innovation (moteur de l’avantage stratégique) l’instauration de nouvelles technologies informatiques à la disposition du grand public, comme l’ordinateur, les smartphones ou les tablettes. La mondialisation n’est pas exclusivement née des NTIC, mais celles-ci en constitue sans aucun doute le symbole le plus puissant.
La tablette, dernière arrivée sur le marché il y a quelques années, est-elle bénéfique pour l’environnement ?

Il apparaît certain que la tablette offre de nombreux avantages.
En effet, le support numérique permet sans aucun doute d’économiser pour le grand public bon nombre de papier. Plus besoin d’imprimer un livre, ou d’acheter un cahier pour écrire. La tablette fait donc l’économie de beaucoup d’arbres, d’espaces verts ou de zones protégées. A l’échelle de la France, cela représente quatre millions de tablettes vendues en 2012 ; autant d’arbres en moins à couper. L’avantage est donc certain.

Néanmoins, ces nouvelles technologies numériques n’empêchent pas pour autant de détériorer l’environnement. L’ensemble de ces outils numériques fonctionnent avec de l’étain, de l’aluminium ou du lithium. Or l’extraction de ces terres rares coûte très cher à l’environnement, avec un fort prix à payer en termes de pollution. L’exemple de l’île de Bangka, en Indonésie, est révélateur. Cette immense mine d’étain fonctionne à plein régime, lié à la forte demande mondiale (plus particulièrement des pays émergents), générant des dégâts sans précédent pour les populations locales. Selon Pie Ginting, directeur de l’ONG les Amis de la Terre en Indonésie, « 65% des forêts et plus de 70 % des récifs coralliens auraient été contaminés […] l’accès à l’eau potable est devenu problématique sur l’île, à cause de la contamination des rivières par les déchets miniers ». Les vertus de la tablette sur l’écosystème doit donc être relativisé, car ces outils miniaturisés exigent l’utilisation de nouveaux matériaux (coltan, étain, lithium) dont l’extraction est particulièrement nocive pour la planète.
De plus, il faut agréger le fait que ces tablettes ont une durée de vie très courte (inférieure à trois ans) et ne sont généralement pas réparés, car les matériaux utilisés pour leur fabrication sont d’une part très coûteux, et d’autre part les réparations sont jugées trop complexes et non rentables.

L’ajustement réside donc à l’échelle de l’entreprise. En 2012, 93% des tablettes produites sont destinées au grand public. Or, l’impact écologique le plus néfaste reste l’activité des entreprises. En ce sens, la numérisation de l’entreprise pourrait générer à grande échelle d’importantes économies. L’autre variable d’ajustement de cette équation réside dans le recyclage de ces appareils.
Le défi est immense, sachant que le marché des tablettes s’est fortement rapproché de celui du PC portable. Il s’est vendu 5,5 tablettes par seconde en 2013.

L’enjeu revient donc à déplacer le problème. Certes, on limite certains impacts liés par exemple à la déforestation, mais on intensifie l’extraction de terres et métaux rares. Autrement dit, on limite l’impact sur le bois pour détériorer le sol.
Les gains, si on peut les nommer comme cela, sont bel et bien minimes.

Une variable pourrait donc aider à solutionner ce problème. La mécanique théorique de l’économie circulaire résous un certain nombre de problèmes liés dans ce cas de figure au recyclage. En effet, le principe d’une économie circulaire est un mécanisme économique s’inscrivant dans le cadre d’une économie durable. On est donc dans un cycle quasi fermé où tout ce qui est utilisé pour la production est conservé afin de ne pas être perdu. Autrement dit, on cherche à optimiser les capacités de productions en annihilant ou pour le moins en limitant les émissions toxiques pour l’environnement.
Citons par exemple en Europe le cas de papetiers comme Arjo Wiggins pour le papier recyclé, ou les fabricants de moquette comme Interface et Desso. Par ailleurs, Israël a développé un système de production agricole qui consomme très peu d’eau, ou le Danemark qui à légiféré pour une politique de développement « zéro déchets ».
Rapporté aux enjeux liés aux nouvelles technologies, il est tout à fait concevable de mettre en place une politique très ambitieuse de limitation des déchets.
Cependant, la concurrence économique actuelle et les sommes en jeu n’incitent pas à voir émerger ce phénomène dans un futur proche ; l’action serait efficace à condition que la politique sur le sujet soit globale.

Le défi écologique sur les tablettes à court et moyen terme est donc immense et les solutions  respectueuses de l’environnement très limitées. Elles ont au moins le mérite d’exister.

Hugo Dubert

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Gastronomie : des crevettes aux criquets !

Durant les fêtes, certains d’entre nous ont mangé des crustacés, des escargots ou des cuisses de grenouilles. La gastronomie européenne s’adonne à de nouvelles aventures depuis quelques années. Maintenant passons à quelque chose de plus croustillant comme des criquets ou de plus moelleux comme des larves. Après tout, les crevettes dont nous raffolons ne sont-elles pas des « insectes » d’eau salée ? 

Qu’est-ce- que l’entomophagie?

L’entomophagie est la consommation d’insectes par les hommes. Cette pratique est courante dans divers pays du monde dans les régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine principalement. 2 milliards de personnes complètent leurs régimes alimentaires en mangeant des insectes sur terre et l’entomophagie fait partie de l’alimentation humaine depuis des milliers d’années. Cependant, cette tendance a reçu l’attention des médias que très récemment.

La sécurité alimentaire

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en prévoyance d’une crise majeure qui toucherait le marché des produits alimentaires de base et qui pourrait durer pendant des décennies, conseille à la population mondiale de diversifier ses habitudes alimentaires pour adopter des produits différents tels que les insectes et des produits laitiers issus d’autres animaux que la vache.

repartition etres vivants

http://entomophagietpe.blogspot.fr/

Ils existent plus de 1500 espèces d’insectes comestibles sur Terre et ils sont très riches en protéines. Un tiers de la population mondiale consomme déjà des insectes. La population d’insectes sur Terre est actuellement suffisante pour pouvoir nourrir toute l’espèce humaine et sauver ainsi plusieurs pays de la famine. La barrière psychologique reste néanmoins dure à surmonter, surtout dans les pays occidentaux. L’Ined estime que nous serons entre 10 et 11 milliards d’êtres humains d’ici la fin du siècle. 11 milliards de personnes sur Terre, c’est plus de bouches à nourrir.

Les insectes et l’environnement

Avec le réchauffement climatique, les élevages d’animaux pour leur viande principalement sources de protéine, émettent de larges proportions de gaz à effet de serre. Les insectes paraissent donc une meilleure alternative car ils émettent moins de gaz à effet de serre et de déchets. Ils demandent aussi moins d’espace et une alimentation très basique composée de déchets organiques réduisant ainsi la demande en termes de culture agro-alimentaire pour les nourrir (Maïs, céréales etc.). L’entomoculture peut également être une solution pour nourrir d’autres animaux. Autant de raisons qui sont pour l’intégration des insectes dans nos assiettes.

Boom de l’entomoculture 

La Belgique a autorisé en décembre la consommation de dix insectes dont le Grillon domestique, le criquet migrateur africain, le ver de farine géant, le grillon à ailes courtes ou encore la chenille de la fausse teigne. Les insectes se fraient un chemin dans les assiettes des Européens et même si de plus en plus de pays les accueillent dans leurs gastronomies, le sujet provoque des débats sur les bienfaits des insectes sur le corps humain sur le long terme. Nous ne détenons à ce jour aucune étude mettant hors de cause l’entomophagie.

Le règlement européen Novel food, qui s’applique à l’alimentation humaine, prévoit que les nouveaux aliments doivent faire l’objet d’une évaluation par les Etats membres et l’Autorité européenne de sécurité des aliments, avant qu’une autorisation de mise sur le marché (AMM) soit délivrée par la Commission européenne. Sauf à pouvoir justifier d’une consommation significative avant 1997 en Europe, ce qui leur permettrait d’être directement introduits sur le marché. Or, à ce jour, aucune consommation significative d’un insecte en particulier n’a pu être formellement prouvée et aucune demande d’AMM n’a été reçue ni accordée. Aucune espèce n’est donc, logiquement, autorisée.

L’intérêt grandissant des entrepreneurs français pour cette filière est un catalyseur pour l’évolution des législations françaises. Les législateurs doivent donc trancher sur les questions afin que les entrepreneurs et industriels s’étant déjà lancés dans l’industrie des insectes sachent où aller et que le potentiel de cette filière soit exploité efficacement.

« L’insectivorisme » : nouvelle tendance gastronomique

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Certains frétilleront de plaisir face à cette nouvelle aventure gustative. En termes de valeur nutritionnelle, les termites sont riches en fer, les vers de farine remplis d’acides gras insaturés (Oméga 3 et Oméga 6), et la chitine, qui compose les carapaces des insectes ont d’excellentes propriétés antimicrobiennes. Côté papilles, le chef Danois René Redzepi, qui dirige les cuisines du restaurant Noma à Copenhague, primé meilleur restaurant du monde par la revue britannique Restaurant en 2012, n’hésite pas à glisser quelques fourmis dans ses plats pour les assaisonner (un petit goût de citronnelle), le phénomène fait mouche. En France, vu chez quelques grands noms de la gastronomie et de la pâtisserie : grillons sur un chocolat aux éclats d’amandes et de noisettes chez Sylvain Musquar, chocolatier à Nancy, criquet farci à la truffe pour David Faure, chef étoilé de Nice qui propose dans son restaurant Aphrodite un menu “Alternative Food” à 59 euros. Les insectes servis dans les restaurants agréés sont issus d’une culture saine et respectueuse des normes d’hygiène nécessaires pour produire des insectes propres à la consommation. Attention, certains restaurateurs ont des dérogations, d’autres non, soyez donc prudents.

Pour vous convaincre que ce n’est pas qu’un effet de mode, cliquez ici

Grillons sautés, Criquets à la sauce piquante, Toast de larves d’abeille, Tacos de ténébrions, Cricket Pad Thai, Beignets de criquets, Cookies de grillons aux canneberges, Grillons au gingembre confit et chocolat. Vous pouvez commander vos sachets de gourmandises pour vos apéros et retrouvez des recettes ici et ici

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Géo-ingénierie : du mythe au Parlement

maniamedia.centerblog.net/

maniamedia.centerblog.net

Un simple mot, publié en septembre dans le « résumé à l’intention des décideurs » du Giec, a suffi pour déclencher une avalanche de réactions dans les sphères d’information écologistes : la géo-ingénierie.

Bien que le rapport ne fasse que constater le manque de connaissances actuelles sur le sujet et la possibilité d’effets secondaires sur le climat, cette mention a suscité de grandes inquiétudes et bon nombre d’articles, notamment sur le site écologiste Basta !, les blogs de Mediapart et Attac France.

Dans les années 2000, la géo-ingénierie était un sujet d’article cher aux complotistes et autres Alex Jones francophones : on y dénonçait les « chemtrails », c’est à dire l’ajout de particules soufrées dans le kérosène des avions de ligne et militaires, dans le but de les pulvériser dans l’atmosphère, arrosant au passage les populations. Loin de considérations passionnées, jetons un œil sur cette nouvelle technique qui, sortant des cercles troubles, s’avance peu à peu sur le terrain politique.

La géo-ingénierie est, selon le Giec, « l’ensemble des techniques visant à stabiliser le système climatique par une gestion directe de l’équilibre énergétique de la Terre, de façon à remédier à l’effet de serre renforcé. » De nombreuses techniques de géo-ingénierie sont à l’étude mais deux techniques attirent particulièrement l’attention des politiciens, des scientifiques… et des militaires.

Des expériences à grande échelle

La première d’entre elles est le déversement de particules de fer dans les océans : le fer ainsi répandu favorise la prolifération du phytoplancton. Or, ces algues consomment du Co2 lors de la photosynthèse et l’emprisonnent au fond des océans lorsqu’elles meurent, transformant ainsi les océans en gigantesques puits de carbone. Le but de cette technique est donc de doper artificiellement ce phénomène naturel de photosynthèse en augmentant la masse de phytoplancton. Plusieurs expérimentations ont eu lieu hors laboratoire depuis 1993 ; la dernière, illégale, a eu lieu dans le Pacifique en octobre 2012. Or, ces expérimentations se sont révélées peu concluantes. Après le déversement de centaines de tonnes de sulfate de fer dans les océans, le phytoplancton s’est effectivement développé durant plusieurs semaines, mais la quantité de Co2 absorbée apparait extrêmement faible du fait de l’artificialité du fer déversé.

La deuxième technique, imaginée en 1991 par le prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen, consiste à pulvériser du soufre dans la stratosphère de manière à renvoyer une partie de la lumière solaire. Une méthode similaire, basée sur la dispersion d’aluminium, permet également de provoquer des précipitations sur un territoire atteint de sécheresse ; méthode efficace utilisée par les Américains durant la guerre du Vietnam pour transformer en bourbier les lignes ennemies.

L'homme d'affaire californier Russ George est le dernier à avoir mené une opération de géo-ingénierie à grande échelle en 2012. http://commonsensecanadian.ca

L’homme d’affaire californier Russ George est le dernier à avoir mené une opération de géo-ingénierie à grande échelle en 2012.
http://commonsensecanadian.ca

 

Un long chemin dans la sphère politique

Aux Etats-Unis, la géo-ingénierie est considérée comme une option depuis plusieurs décennies déjà mais sent le soufre du fait de l’intérêt que lui porte l’armée américaine. En 1996, un rapport détaillé de l’US Air Force intitulé « Weather as a Force Multiplier: Owning the Weather in 2025 » préconise de se doter d’une capacité de géo-ingénierie militaire dès 2025.

En 1997, Edward Teller, père de la bombe H, soutient ouvertement « la mise en place d’un bouclier pour renvoyer les rayons solaires». C’est à cette époque-là que l’Union européenne s’inquiète pour la première fois des effets néfastes de la géo-ingénierie. En 2002, Colin Powell déclare aux Nations-unies : « nous sommes engagés dans un programme de plusieurs milliards de dollars pour développer et déployer des technologies de pointe afin d’atténuer les conséquences des gaz à effet de serre ». En 2009, c’est au tour de John Holdren, nouveau conseiller environnemental d’Obama, de déclarer que l’administration américaine investit dans des recherches de géo-ingénierie, ajoutant : « Nous n’avons pas le luxe d’ignorer quelque approche que ce soit ». Avec le rapport du Giec et une réunion en avril 2013 au Parlement européen, la géo-ingénierie entre aujourd’hui de plain-pied dans la sphère publique.

Un pas vers l’incertain

Mais quid des effets collatéraux ? L’observation du volcan Pinatubo en 1991, celle-là même qui avait inspiré Paul Crutzen, a certes généré une baisse de la température, mais elle a également favorisé une dramatique sécheresse au Sahel. Ce simple exemple montre la méconnaissance des effets collatéraux que pourrait provoquer une utilisation massive de la géo-ingénierie. Des opérations de géo-ingénierie pour favoriser la mousson pourraient créer une sécheresse au Brésil. De même, on est dans l’inconnu quand il s’agit d’évaluer les conséquences des retombées d’aluminium ou de souffre sur la terre et les populations.

Alors ? Devant l’incertain, la tentation pour les gouvernements, appuyés par de nombreux scientifiques et investisseurs tels que David Keith, Bill Gates ou Murray Edwards, est d’expérimenter ces techniques qui sont aujourd’hui réalisables du point de vue technologique. Une juste utilisation du principe de précaution préconiserait néanmoins d’attendre des études d’impact sérieuses et indépendantes. En attendant, il y a urgence pour qu’une politique de transparence soit établie au niveau international concernant les expériences de géo-ingénierie actuellement en cours. L’histoire nous a appris que vouloir jouer les apprentis sorciers peut s’avérer dangereux.

Raphaël B.

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ONG environnementales : associations de malfaiteurs ?

http://www.seashipnews.com

Entreprises et organisations environnementales se retrouvent souvent dans une opposition manichéenne. Le bras armé du marché total contre le courage d’une société civile qui agit par le nombre est une de ces fables qui agitent l’imagination. Pourtant, tout n’est pas si rose dans le monde associatif, et notamment parmi les associations écologistes. La légitimité qu’elles tirent de leur combat désintéressé n’est pas nécessairement fondée.

Le 24 juin 2013, Canal+ diffusait un numéro de Special Investigation intitulé « Charity business : les dérives de l’humanitaire » dénonçant les dérives d’associations humanitaires ayant fait de la solidarité un véritable marché à conquérir, avec les arnaques que cela comporte. Parallèlement, le gouvernement, sur la question de la transition énergétique, est complètement inaudible. La lenteur du débat inquiète alors que, pour la première fois depuis au moins 40 ans, le temps énergétique s’est accéléré avec la révolution des gaz de schiste. Les ONG le savent pourtant, mais ne dénoncent pas l’inaction et ne communiquent que peu sur le sujet. Alors que les associations humanitaires se trouvent durement critiquées, les organisations environnementales, qui se montrent incapables de peser sur le débat politique de manière positive, sont épargnées. D’où la question : les organisations environnementales sont-elles réellement les insoupçonnables porte-paroles de l’écologie ?

Recherche fausse association pour lobby effectif, l’exemple des frères Koch

Il y a tout d’abord la longue histoire des intrusions du secteur privé dans un secteur associatif de façade. Les associations n’ont alors rien d’indépendant, rien de civil, rien d’écologiste (mais agissant dans le spectre de l’associatif environnemental, elles valent le coup d’être mentionnées) et rien de vraiment convaincant à proposer. L’exemple le plus symptomatique concerne les frères Koch, milliardaires souriants et texans qui, au beau milieu de leur ranch, possèdent les fonds de Greenwashing[1] les plus importants et les moins discrets du monde. Le New Yorker exposait il y a trois ans les tromperies et le lobbying, derrière une façade civile, auxquels s’adonne la fratrie. Ainsi, le groupe Americans for Prosperity, qui lance chaque année une « croisade » contre l’Agence de protection environnementale américaine (EPA), est présidé par David Koch, lui même régulièrement poursuivi par l’EPA pour les dégâts que son entreprise inflige à la nature. Il avait notamment écopé d’une amende de 35 millions de dollars pour des rejets illégaux de déchets toxiques directement dans des sources d’eau du Minnesota.

Mais Americans for Progress n’est qu’un amuse-bouche. Voilà plus de 35 ans que les frères Koch multiplient les initiatives du genre : création de l’influent think tank[2] libertaire Cato Institute, création de Citizens for a Sound Economy, association de « citoyens » militant contre la régulation étatique (qui ferait passer les enragés du Tea Party pour des communistes et qui a, à l’occasion, été littéralement loué à d’autres lobbies comme Philip Morris[3]), financement du Mercatus Center à l’université George Mason –qui dispense à plusieurs centaines d’élèves la sagesse économique dérégulatrice des frères Koch-, lancement de Concerned Citizens for the Environment –qui, ironiquement, ne comptait aucun citoyen adhérent dans ses rangs et produisait pourtant foule d’analyses contredisant la réalité des pluies acides[4]-, création de l’American Energy Alliance pour tuer dans l’œuf la taxe sur les énergies fossiles voulue par le Président Clinton, financement du parti républicain lors des élections de 1996, démantèlement médiatique du travail du GIEC par plusieurs instituts qu’ils financent dont le Competitive Entreprise Institute, incursion de spécialistes payés par la fratrie au sommet mondial de l’environnement de Copenhague… La liste est longue, le financement cumulé des frères Koch du lobbying anti-climatique étant supérieur à celui d’ExxonMobil. Peuvent être rajoutés, entre autres, la Heritage Foundation, le Manhattan Institute, la Foundation for Research on Economics and the Environment, le Pacific Research Institute et la Tax Foundation.[5]

Des personnalités extrêmement médiatisées et des sponsorings d’entreprise empêchent de penser qu’il s’agit d’un mal purement américain.

En France, cette dérive est la plus évidente et la moins efficace car trop visible et basée sur un courant libertaire qui y a encore relativement peu d’emprise. Mais ne croyez pas que l’Hexagone soit à l’abri du greenwashing. De nombreux soupçons pèsent sur les superstars franchouillardes de l’environnement que sont Yann Arthus-Bertrand (qui dirige la fondation Good Planet) et Nicolas Hulot (de l’association éponyme), par exemple.

La campagne 10 : 10 de Good Planet a par exemple été vivement critiquée. Il s’agissait d’inviter tous les acteurs du réchauffement climatique –du citoyen à la multinationale- à réduire leurs émissions de 10% durant l’année 2010. De nombreuses entreprises ont rejoint l’action et s’en sont publiquement félicitées, afin de se donner une image « verte ». Sauf que l’initiative n’était absolument pas contraignante, qu’elle ne comportait pas de système d’évaluation et que les mesures prises tournaient parfois au ridicule. L’essentiel était ailleurs : pour les entreprises, il fallait participer à cette « campagne de communication massive ».

Il en va de même pour Nicolas Hulot dont la fondation est financée par de grands groupes : EDF, Ibis hôtel, L’Oréal, TF1 pour ne citer qu’eux. Si certains ne sont pas choqués qu’une entreprise puisse financer une association environnementale à telle hauteur, d’autres feront les gros yeux pour au moins deux raisons. D’une part, il est difficile de concevoir que les associations environnementalistes puissent se permettre d’exercer leur rôle de façon impartiale et de fustiger l’action de leurs mécènes (c’est cracher dans la main qui vous nourrit). L’attitude de la Nature Conservancy, l’une des plus grandes associations écologistes au monde, lors de la fuite de pétrole géante dans le Golfe du Mexique causée par une plateforme BP avait notamment étonné plus d’un militant. Le silence de l’association s’expliquait alors par le fait qu’elle avait reçu plus de 10 millions USD de dons de la part de BP à travers les ans. En cherchant rapidement sur internet, on s’aperçoit d’ailleurs que les intérêts personnels pèsent clairement dans la balance : la rémunération moyenne à la fondation Goodplanet est de 4024€ par mois et celle de la Fondation Nicolas Hulot est à 3931€ par mois, bien au-delà des salaires moyens à Paris qui tournent autour de 2700€ mensuels.

http://images.ted.com - Notez la moustache, apanage de José Bové, servant de caution écologique

Le deuxième problème qui se pose est sans doute plus fondamental puisqu’il tient à la base idéologique même de l’environnementalisme. Cette dernière n’est pas construite autour du « consommer mieux » que représente l’économie verte, promue par bon nombre d’acteurs économiques et qui constitue toujours une croissance continue qui ruinerait la planète. La plupart des idéologies écologistes reposent sur un changement des paradigmes économiques, sociétaux et de consommation. Le monde ne peut alors s’imaginer sans un futur où l’homme a changé son rapport même avec la nature au lieu de la commercialiser. Là où le bas blesse, c’est que les entreprises qui financent les fondations environnementalistes sont les champions du capitalisme que combat l’écologie. Accepter les financements –qui relèvent de tout sauf de l’altruisme-, devient symbole d’acceptation voire de confluence avec un système qui n’est pourtant pas viable pour la planète.

Le mal venu de l’intérieur : Greenpeance ou l’ONG qui s’était auto-corrompue.

Il ne faut néanmoins pas voir la main du big business partout dans le monde associatif. Certaines ONG n’ont rien à se reprocher, d’autres n’ont pas besoin de cela pour basculer dans les dérives. Une étude réalisée par « un anarchiste du CRAN » intitulée « Greenpeace, ou la dépossession des luttes écologistes » jette une lumière intéressante sur l’évolution d’une initiative foncièrement sincère à la base en « appareil associatif » gérant ses intérêts comme le ferait une multinationale.

Greenpeace est née en 1971, imaginez la scène : une bande de hippies sur un Zodiac interviennent sur les côtés canadiennes pour empêcher la réalisation d’essais nucléaires américains. Si l’action échoue, le groupe n’en reste pas là et allie les coups d’éclats militants à des techniques journalistiques avancées qui les font connaître du grand public et font croître leur réputation. Seulement, les années passant, l’ONG s’éloigne du vrai mouvement militant pour rentrer dans une organisation digne d’une multinationale. Avec l’explosion du Rainbow Warrior par les services secrets français, les revenus des dons augmentent et Greenpeace se professionnalise. Quand Mac Taggart, ancien entrepreneur, arrive à la présidence de l’association en 1979, c’est le début de la dérive. Greenpeace adopte des techniques managériales de plus en plus poussées : on investit dans la communication, on embauche des responsables non-militants mais au CV fourni, on vend des produits « écolos » pour faire grimper les recettes… Là encore, certains n’y trouveront rien à redire. Mais les associations militantes s’appuient généralement sur une organisation horizontale tandis que Greenpeace a délaissé ses adhérents au profit d’une organisation en pyramide qui profite à un pouvoir centralisé autour du bureau de Greenpeace International d’Amsterdam, ce dernier brassant des centaines de millions d’euros. Cette organisation a pour effet de « déposséder » les militants des luttes écologistes. La direction de l’association met en avant les groupes locaux via sa communication dans un « rite de valorisation publique de l’engagement bénévole » servant à « maintenir l’image d’une association proche des gens, ancrée sur le territoire et imbriquée dans les luttes sociales »[6].

A propos de luttes sociales, on s’amusera également de l’enrôlement de travailleurs précaires pour la récolte de dons. A ceux qui croyaient naïvement que les gens en k-way colorés qui les agressaient dans la rue, armés d’un sourire bien trop gros pour être vrai et d’un « Bonjouuuuuuuuur, vous connaissez Greenpeace ? », étaient des militants écolos purs et durs, il est impossible de se tromper plus. Ce ne sont ni plus ni moins que des étudiants sans le sous, intérimaires ou débauchés par des cabinets spécialisés dans la récolte de dons (si si, ça existe. Greenpeace n’y a pas recours car elle a internalisé cette fonction, mais le WWF par exemple n’hésite pas), payés au lance-pierre, formés aux techniques commerciales et avec des objectifs de signatures bien établis par leur hiérarchie. Pour un groupe censé contribuer à la définition du développement durable, alliance de politiques sociales et environnementales, c’est un peu limite. Pascal Husting, directeur de l’association de 2005 à 2011, se félicitait même d’avoir licencié des militants qui ne s’étaient pas adaptés à la professionnalisation et que « aucun recours devant le conseil des prud’hommes n’a été gagné ».[7]

En grattant un peu plus le vernis, on s’aperçoit donc que tout n’est pas tout rose, même pour des écologistes qui ne tirent par leurs revenus des entreprises. Dans Qui a tué l’écologie, Fabrice Nicolino délivrait sans doute la charge la plus violente contre les associations environnementales, tirant à vue sur tout ce qui bougeait. Alors que tout le monde ne voyait chez WWF que le gentil petit panda (en réalité affreusement agressif), peu se sont efforcés de remonter aux origines de l’association créée en 1961 « par des nobles britanniques dont la motivation était de pouvoir continuer à chasser le grand gibier sauvage en Afrique ». Son système de financement a été monté par Anton Rupert, multimillionnaire sud-africain membre de la Broederbond, club d’hommes riches et influents qui ont tout tenté pour laisser l’Afrique du Sud dans les méandres de l’apartheid.

Le passé est derrière nous ? Peut-être, à ceci près que « le WWF est si proche des intérêts des transnationales qu’elle a accepté de siéger dans des tables rondes avec les industries les pires de la planète pour créer des labels industriels soutenables, sur le soja, les biocarburants ou encore l’huile de palme ».[8]

De la légitimation économique à la légitimation politique. Le pas, franchi, du grenelle de l’environnement.

Au vu de tout ça, on ne s’étonnera guère de l’instrumentalisation politique des associations écologistes. Il y a bien sûr le badaud Hulot, que les hommes politiques français aiment à trimballer de photographe en photographe ; à tel point que dans la cour de l’Elysée, les gardes républicains ne s’étonneraient guère de voir atterrir un ULM ou une montgolfière made in Ushaïa nature. Mais l’œil avisé ne s’y laisse pas prendre ; alors le gouvernement Sarkozy a réuni toutes les associations « vertes » dans ce grand coup médiatique que fut le grenelle de l’environnement pour achever de convaincre les sceptiques. Les associations devenaient alors un faire-valoir écologique à des mesures pro-business. Agnès Sinaï expliquait dans le Monde diplomatique de novembre 2008 que « entre les propositions initiales et le texte final de la « loi d’accélération de la mutation environnementale » (sic) débattue au parlement, les ONG se sont vu confisquer le processus. Instrumentalisées au service d’un système de décision dans lequel elles n’auront pas le dernier mot, elles sont devenues les témoins passifs d’arbitrages technocratiques pris en réunions interministérielles par des hauts fonctionnaires et des acteurs économiques, pollueurs et bétonneurs d’hier et d’aujourd’hui ». Sauf qu’il est un peu trop facile de désigner les associations comme des victimes et non pas comme des complices avisés.

http://www.econov.eu/

Depuis le Millemium Ecosystem Assesment lancé par le Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan en 2001, la sphère écologiste sait que les initiatives gouvernementales ne se structurent qu’autour du « business vert », considéré comme un moteur de croissance. Il est compréhensible que le grenelle de l’environnement aurait pu être, pour elles, un moyen de prêcher autre chose que cette fuite en avant; mais elles auraient dû voir que « ce montage ne sert en réalité qu’à accréditer et préparer des mesures de subventionnement du business ». Surtout que le gouvernement avait invité toutes les associations, sauf celles qui abordaient des thèmes polémiques (OGM, publicité, nucléaire, décroissance, nanotechnologies, toxicité chimique…) et étaient susceptibles de râler, aux côtés de syndicats ouvertement anti-écologie. Le débat était donc clos avant même d’avoir commencé et les marges de négociation des associations étaient nulles. Aucun intérêt de participer donc à une opération de communication délibérée et sans enjeux, si ce n’est gratter quelques subventions.

Comme le montrait le « Charity business : les dérives de l’humanitaire », les associations ne sont pas toutes les avocats altruistes d’une planète victime des déprédations du capitalisme qu’elles annoncent être et beaucoup, si ce n’est presque toutes, ont cédé aux sirènes du gain financier. L’associatif est devenu un business reposant sur les dons des particuliers mais également sur la vente d’une légitimité écologique perdue par les entreprises et les politiques : elles créent des labels verts pour la commercialisation de certains produits, affichent leurs sponsors contre des mécénats juteux, certifient des entreprises et participent à des actions gouvernementales pour décrocher des subventions. Ainsi, France nature environnement fonctionne à 65% sur des financements publics tandis que « Friends of the Earth est généreusement subventionnée par la Fondation Rockefeller (1.427.500 dollars de 1994 à 2001 et plus ensuite) et la Fondation Turner (425.000 dollars de 1996 à 2002) ».[9] Comment, dans ce cas, ne pas douter de l’indépendance et de la vocation purement écologiste de ces associations ?

 

Florian Tetu


[1] Le Greenwashing consiste à donner une image « verte » à quelque chose qui ne l’est pas ou, dans le cas des frères Koch, communiquer sur un déni de réalité écologique et climatique.

[2] Un temps appelés en France « laboratoires d’idées », les think tanks sont des instituts d’analyse qui ont pour but d’offrir des pistes de réflexion alternatives et d’influencer les gouvernants ainsi que les citoyens.

[7] Le Nouvel Economiste, 8 décembre 2010.

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Economie verte : tour d’horizon d’un attrape-nigauds

Leitmotiv du Ministère de l’Environnement, du développement durable et de l’énergie, levier de croissance, source de mécontentement des payeurs d’impôts… L’économie verte fait beaucoup parler mais elle ne semble pas faire l’objet de débat ni même de réflexion. Petit tour d’horizon d’un secteur pourtant polémique.

LIFE Magazine, 1962


Précédemment, nous avons comparé les politiques énergétiques américaine et européenne en penchant vers la politique qui a cours sur le Vieux continent, à savoir la transition écologique et l’économie verte. Or, force est de constater que l’économie verte est un concept extrêmement flou. Son sens a évolué à force d’appropriation par les différents acteurs du débat climatico-environnemental jusqu’à regrouper, aujourd’hui, tout et rien à la fois. Alors, l’économie verte, qu’est ce que c’est ? Et surtout, où cela nous mène ?

L’économie verte : un secteur vaste et très rémunérateur

On peut englober dans « l’économie verte » toutes les activités, industrielles (à but lucratif donc) ou publiques, ayant pour but la réduction de l’empreinte des activités humaines sur la planète ; c’est-à-dire impliquant la mise en place d’un régime moins carboné et plus respectueux de l’environnement. Delphine Batho, ministre de l’Environnement, du développement durable et de l’énergie, expliquait en début de mois qu’il s’agissait d’un marché de 550 Mds€. Ca a sans doute fait sourire bon nombre de badauds dans leur canapé devant BFMTV. Et pourtant, il suffit de comprendre l’étendue des domaines que recouvre ce secteur pour entrapercevoir les bénéfices liés. Voici une liste loin d’être exhaustive : le retraitement des déchets (de l’uranium usagé à vos épluchures de légumes), la pollution de l’air, la protection des paysages et de la biodiversité, la réduction du bruit, la gestion de la pollution lumineuse, la réhabilitation des sols et eaux, le traitement des eaux usées, le recyclage, la valorisation énergétique des déchets, la maîtrise de l’énergie, la construction de pistes cyclables, l’isolation des bâtiments, l’efficience des réseaux thermiques, la production et l’utilisation des énergies renouvelables … Une simple vue de cette liste et le scepticisme laisse place à l’envie de se lancer dans l’économie verte. D’ailleurs, selon l’INSEE, 450 000 emplois concernaient l’économie verte en France en 2010. L’économie verte, qui s’inscrit dans le cadre du développement durable, inclut donc un volet social fort. D’ailleurs, dans l’optique d’une sauvegarde de la planète, la croissance ne s’envisage pas à deux vitesses.

La fiscalité écologique a le vent en poupe

Et l’Etat dans tout ça ? Car oui, l’Etat est un acteur économique. La France a beau avoir privatisé EDF et consorts, elle influe sur son environnement économique par de nombreuses sanctions financières. La fiscalité écologique (c’est son nom) a déjà cours dans l’Hexagone même si elle mériterait d’être développée. Les ménages portent une partie du coût de l’impact écologique de ce qu’ils consomment avec une justification simple : les ressources n’étant pas infinies, nous payons pour dédommager les prochaines générations de la rareté future que créé notre consommation ainsi que pour les effets immédiats de notre consommation. La fiscalité devient non seulement un dédommagement mais également une incitation pour les ménages à moins consommer, ou à consommer de façon plus responsable. Dans les faits, la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui s’applique à l’usage d’énergies carbonées a rapporté 25,5 Mds€ à l’Etat en 2011. D’autres taxes comme la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et la redevance de prélèvement d’eau s’appliquent aux ménages et donnent un coût à l’empreinte environnementale de la consommation des ménages. Néanmoins, celles-ci ne couvrent qu’une partie des impacts et certaines pollutions, comme les rejets de nitrates dans l’eau, ne sont pas prises en compte. Les foyers français ne paient donc par exemple pas pour leur contribution à la formation des masses d’algues vertes qui couvrent les plages bretonnes. D’autres taxes existent, mais elles sont marginales en comparaison de la TICPE (vous pouvez voir une liste de l’ensemble des taxes environnementales et leurs revenus sur cette page).

Les entreprises ne sont pas en reste, et paient bien plus que les taxes des ménages. Elles sont par exemple intégrées dans le marché européen du carbone, qui n’est aujourd’hui pas encore fini. Ainsi, sont attribués à chaque Etat européen des crédits carbone qui sont ensuite distribués aux différentes entreprises. Libre à celles-ci ensuite de réduire leurs émissions pour rentrer dans leurs quotas carbone ou de continuer à polluer « comme si de rien n’était » en achetant des quotas sur le marché du carbone.

Bien sûr, ce n’est ici qu’un bref aperçu des principales mesures d’une fiscalité environnementale qui compte pas moins de 47 taxes qui ont rapporté l’année dernière 36 Mds€. Et ce chiffre devrait aller croissant car la France est en retard dans ce domaine par rapport à ses voisins européens. En effet, la fiscalité environnementale en France compte pour 4,7% des prélèvements obligatoires dans l’Hexagone alors que la moyenne européenne se situe à 6,19%. Un Comité pour la fiscalité écologique débat actuellement sur plusieurs mesures, dont la réintroduction de la taxe carbone qui s’était heurtée au Conseil constitutionnel lors de la première tentative d’introduction par le Président Sarkozy. Il est aussi question d’augmenter les taxes sur le diesel à hauteur de celles sur l’essence.

L’Europe malade, l’économie verte est-elle un remède miracle ?

Mais l’économie verte ne se limite bien sûr pas à la fiscalité verte, ce n’en est qu’une infime partie et ne représente même pas la totalité des actions de l’Etat dans l’économie verte. La grosse partie reste celle représentée par les entreprises des secteurs précédemment cités. L’économie verte est un levier de croissance assez fort, car il n’est pas saturé et se base sur des emplois qualifiés. Alors pourquoi s’y intéresse-t-on seulement maintenant ?

Tout simplement parce que l’économie verte serait, pour nombre de personnalités, un des remèdes anti-crise que le pays cherche désespérément depuis 2009. La dépendance énergétique de l’Europe aux productions étrangères atteignait les 54% en 2009 et plombait une compétitivité que l’on a dit mal en point, mettant l’Union dans une situation de « précarité énergétique ». La croissance verte fait office, elle, de voie vers l’indépendance énergétique, un moyen de sortir d’une situation de sous-emploi massif qui semble sans fin, la conquête de nouveaux marchés étrangers (notamment dans les pays du Sud qui débutent leur développement) et un régime moins carboné. Le paradoxe, c’est qu’en ces temps de crise économique, la préoccupation énergétique ne fait plus partie des priorités pour les populations et les pouvoirs publics, acteur essentiel de l’investissement dans le secteur, n’ont plus les moyens de leurs ambitions pour subventionner une transition qu’on nous annonce depuis trop longtemps.

 

« Même si les effets bénéfiques à court terme des plans de relance « verts » risquent d’être insuffisants pour compenser les pertes d’emplois et de revenus causées par la crise, les retombées positives peuvent se faire sentir assez rapidement. » L’Observateur OCDE

 

Tous les décideurs (sauf Laurence Parisot) sont d’accord pour dire que l’économie verte était une partie des solutions aux problèmes du Vieux Continent. D’une part, elle permet de moins subir les coûts et la volatilité des énergies fossiles, la crise russo-ukrainienne de 2009 qui avait privé les foyers européens de gaz pendant plusieurs semaines  ayant constitué un parfait exemple de ce qu’on faisait de pire en matière de dépendance énergétique. Marché vierge à conquérir, l’économie verte devient alors un Eldorado financier pour les investisseurs désireux de voir les fruits de leur argent mûrir très vite et LA solution à long terme.

Soutenue par les pouvoirs publics, secteur de choix pour les investissements à long terme, l’économie verte serait-elle plus largement la solution pour réconcilier l’homme et son environnement ?

De nombreux spécialistes et environnementalistes répondent par la négative. Pourquoi cela ? La réponse tient sur deux arguments : le réalisme écologique et la moralité du choix de la croissance verte. Car auréolée d’un prestige certain, décorée d’un vocabulaire flatteur (les mots « écologique », « vert » ou « croissance » aiguisent l’appétit), la croissance verte reste une idéologie capitaliste basée sur l’augmentation de nos besoins et de nos consommations. Or, verte ou non, la croissance entretient toujours une corrélation positive avec l’utilisation des ressources, même si celle-ci tend à diminuer. Nous serons bientôt 9 milliards d’humains sur la planète, et même avec des voitures électriques, l’avenir n’est pas très radieux. Certains spécialistes, comme le zégiste Paul Ariès (les zégistes sont les avocats de la décroissance, une idéologie économique qui avance que la croissance économique est incompatible avec un futur viable), ont préféré renommer la croissance verte « capitalisme vert » car il s’agit bien d’un nouveau marché qu’il faut conquérir.

Le capitalisme vert a d’ores et déjà dressé ses habits d’apparat lors de la bataille pour le gaz de schiste aux Etats-Unis : derrière les discours des industriels qui présentaient l’exploitation de la nouvelle ressource comme une avancée vers des émissions de carbone réduites (ceci sans compter les fuites de méthane ou les milliers de camions utilisés pour les forages), se cachaient des pratiques à l’aspect moral douteux : contrats abusifs, pollutions des sols, communication de guerre… Le secteur du gaz de schiste n’est qu’un exemple parmi tant d’autres activités que regroupe l’économie verte. On avait notamment vu Suez-Lyonnaise des eaux provoquer une révolte populaire en Bolivie en 2003. La gestion « propre » du réseau d’eau d’El Alto, en banlieue de La Paz, avait semblé être une justification suffisante pour augmenter le prix de l’eau potable par 6. Au final, l’économie verte représente une avancée technologique qui permet aux sociétés de continuer à produire et consommer. Consommer plus respectueusement mais consommer toujours plus.

Du côté de la morale, certaines associations comme Alternatives Eco, dénoncent une « marchandisation de la nature ». Et dans un sens, elles ont raison. Car dans les coulisses des grandes décisions économiques mondiales, plusieurs experts férus de maths s’acharnent à donner un prix à chaque chose, et notamment à la nature. C’est notamment le cas du rapport Sukhdev qui donne un prix à la biodiversité. La production environnementaliste la plus célèbre, le rapport Stern de 2006, donnait lui un coût au réchauffement climatique. Cela présuppose donc que, soit l’Homme possède l’ensemble de la planète, peut la vendre et investir dessus de façon illimitée, et que toutes les activités naturelles sont substituables par d’autres investissements (ex : je détruis une forêt, donc je rembourse la forêt à son coût environnemental, sans culpabilité ou dilemme moral), ou que l’économie (néolibérale) est une science, ce qu’elle n’est pas, qui englobe l’ensemble des activités possibles et dirigerait donc nos relations entre êtres humains mais également avec la nature. Pour exemple, le rapport Sukhdev a estimé le prix du récif corallien d’Hawaï à 360 millions USD tandis que celui de la pollinisation par les abeilles en Suisse a été estimé à 210 millions USD par an. Pour le journal Le Monde, « la recommandation du rapport Sukhdev apparaît dès lors évidente : avant de détruire la nature, réfléchissez à ce que vous allez perdre. » Mais le réel sens de cette démarche ne serait-il pas plutôt : « détruisez ce que vous voulez, l’argent est un substitut suffisant » ? Si ce n’est sans doute pas le but des deux rapports cités, qui voulaient créer une prise de conscience de la réalité écologique, c’est de cette façon que l’économie verte peut être comprise. On a renoncé à placer les logiques sociales et économiques, qui constituaient le cœur du concept de développement durable, au dessus du système et de la logique économique en donnant un prix à la nature et aux inégalités.

Ne vous en faites pas, on s’occupe de vous déculpabiliser.

On a donc inventé tout un arsenal d’outils pour « moraliser » les activités humaines très impactantes par la compensation financière : marché carbone, permis de polluer, les remplacements (ex : Vinci qui souhaite construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes remplacerait le bocage nantais détruit par un bocage artificiel reconstruit à quelques kilomètres)… Et en mettant l’accent sur les entreprises, on a retiré toute responsabilité au consommateur. Pourtant, sans demande, il n’y a pas d’offre. Plutôt que d’inciter à consommer de façon responsable pour générer la croissance d’une offre responsable, on créé une offre qui se conforme à une norme environnementale complètement erronée. C’est pratique : plus de culpabilité, c’est la faute des entreprises et pas la nôtre.

Et pour continuer à se faire de la bonne pub, les entreprises ne se sont pas seulement conformées aux standards gouvernementaux qui s’imposaient à elles, elles ont poussé le vice jusqu’à s’approprier le monopole du développement « propre ». Selon Basta !, l’agence de veille des luttes environnementales et sociales, « de nombreuses entreprises multinationales ont désormais des partenariats avec des agences onusiennes. C’est le cas par exemple de Shell et du Pnue sur la biodiversité, de Coca-Cola et du Pnud sur la protection des ressources en eau, de Nestlé et du Pnud sur l’autonomisation des communautés rurales, ou encore de BASF, Coca-Cola et ONU-Habitat sur l’urbanisation durable. » Grâce à ces partenariats, on fait croire qu’en plus de se ruiner la santé avec du coca-cola, les citoyens contribuent à la sauvegarde de l’or bleu.

 

Pas besoin donc de chercher le complot mondial, cette manœuvre se fait aux yeux de tous et sans aucune honte. Les multinationales assurent même leur publicité dessus. De la communication de génie à la marche vers un futur un peu sombre, il semble n’y avoir qu’un pas, que l’on a largement franchi. Or les citoyens n’en ont que faire ou se laissent prendre à un système de désinformation qui leur laisse croire que l’impact de leurs décisions est minimal. Cependant, chacun est responsable du paradigme de consommation dont il fait partie. La vraie alternative se situe dans un changement des systèmes de consommation, et cette modification, qui ne reçoit pas l’aval des pouvoirs publics, ne peut passer que par les populations ; c’est un mouvement qui s’organisera par le bas. L’économie verte n’est qu’un concept parmi d’autres servant à brider ces initiatives, à empêcher le mouvement de s’amorcer.

Florian Tetu

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Doit-on tirer des leçons du modèle énergétique américain ?

 

 

 

http://www.whitehouse.gov

La production mondiale d’hydrocarbures de plus en plus de mal à suivre la demande et les prix du baril atteignent des niveaux record avec en prime de graves problèmes en termes de politique énergétique qui se posent pour les Etats. La crise de 2009 entre la Russie et l’Ukraine, qui avait mené à une coupure des approvisionnements en gaz en Europe a été un retentissement mondial et un vrai traumatisme pour des Européens qui se sentaient jusque là hors d’atteinte. Ainsi, la sécurisation des approvisionnements en énergie est arrivée au cœur des débats.

A cette problématique, les Etats-Unis ont choisi une réponse claire qui s’organise sur plusieurs fronts. La mesure la plus visible ces derniers temps et la plus fondamentale est l’augmentation de la production nationale d’hydrocarbures. Au-delà des simples revenus tirés de l’exploitation de la ressource, l’enjeu est de réduire les importations et donc la dépendance aux marchés étrangers. En effet, les Etats-Unis ont augmenté leur production de pétrole jusqu’à atteindre le niveau le plus élevé depuis deux décennies à près de 7,5 millions de barils par jours[1]. Grace à cette augmentation, « pour la première fois depuis plus d’une décennie, le pétrole (que les Américains) ont importé représentait moins de la moitié du combustible qu’ils ont consommé. »[2] Si on parle énormément de cette politique, c’est aussi pour le boom gazier qu’elle a produit avec l’explosion de la production de gaz de schiste qui, aussi polémique soit elle, a permis aux Etats-Unis de devenir le premier producteur mondial de gaz naturel devant la Russie. L’augmentation de la production a atteint les 5 millions de m3 en 5 ans pour une extraction annuelle de 30 millions m3 aujourd’hui[3].

Cela dit, les Etats-Unis restent largement dépendants des productions étrangères. C’est pourquoi, pour se prévenir des fluctuations des cours dues à des environnements de production instables, le gouvernement américain a agi sur deux plans. Le premier et le plus impactant est le choix des pays importateurs : les Etats-Unis ont tendance à choisir des pays qui non seulement sont proches, mais qui en plus sont stables. Ainsi, les importations depuis le Venezuela ont chuté depuis l’année 2005[4] tandis que celles en provenance du Canada, politiquement solide, ont nettement augmenté[5]. Le président Obama, dans son discours du 30 mai 2011 à l’université de Georgetown à Washington D.C. a également évoqué le Mexique comme exportateur privilégié, même si cela ne se reflète pas dans les chiffres. Le Brésil est, lui, désigné comme un exportateur en devenir. Le gouvernement américain, au-delà de la réduction de la dépendance à l’étranger, essaie donc de sécuriser ses approvisionnements par la proximité géographique et politique.

La réduction des importations passe également par une augmentation des sources d’énergie alternatives (notamment le biocarburant sur lequel l’armée américaine mise de plus en plus) et un développement de l’efficience énergétique. Cela dit, le gouvernement américain se désengage progressivement de ce secteur et tend à prendre des mesures qui se limitent à l’adaptation des cadres légal et financier pour une meilleure intégration de l’économie verte à l’économie de marché et donc pour une compétitivité accrue comme le note Richard Kauffman, conseiller au Secrétaire de l’énergie. Les mesures d’aide financières, qui ont poussé la recherche et développement, arrivent en fin de vie et ne seront, en grande partie, pas renouvelées.

 

L’administration Obama a-t-elle les moyens de se battre sur tous les fronts ? Cela paraît difficile. Malgré les efforts de communication du Président, de grandes tendances et priorités apparaissent à travers le discours officiel. Et celles-ci ne correspondent qu’à des visions à court terme (qui correspond également au temps politique).

En effet, l’augmentation de la production nationale de pétrole et de gaz naturel apparaît aujourd’hui comme le point qui concentre tous les efforts via la recherche de nouvelles sources d’hydrocarbures (voir par exemple les sables bitumineux), la recherche de nouvelles techniques comme la fracturation hydraulique et la vente de concessions en grand nombre dont le Président Obama se vante très largement. Or, les importations ne diminuent pas proportionnellement. On a donc une augmentation de la consommation d’hydrocarbures aux Etats-Unis[6] après une baisse due à la crise économique, qui va à contre-courant du discours officiel qui veut que le pays se détache des énergies carbonées.

Considérant cela, la disparition des crédits et des aides au développement des sources d’énergie renouvelables – 75% des programmes de soutien fédéraux,  dont 1705 programmes de garanties de prêts et 1603 programmes de subventions, ont expiré ou vont expirer prochainement[7] – rentre dans un cadre plus vaste de dépendance accrue aux hydrocarbures. Loin de prévenir la fin de la ressource avec un peak oil qui approche à grands pas en modifiant le paradigme énergétique tout entier, les Etats-Unis s’enfoncent dans une impasse dont il sera de plus en plus difficile de sortir. Surtout, les investissements massifs qui sont faits dans l’extraction de gaz naturel sont des investissements à très court terme et les Etats-Unis ne pourront maintenir une production élevée sur une longue période. S’ils sont devenus le premier producteur de gaz naturel, ils ne possèdent pas les ressources les plus importantes et vont donc vers une exploitation débridée et irraisonnée de leur capital énergétique.

Cette politique a des retombées également très importantes en termes sociaux et environnementaux. S’enfoncer dans les hydrocarbures est également synonyme de pérennisation d’un régime d’émission de gaz à effet de serre (GES) scandaleux et de création d’un modèle économique qui produit une croissance économique très importante certes, mais virtuelle car basée sur le court terme.

 

En dépit de ce qui a été dit précédemment, certaines retombées positives de la politique énergétique américaine peuvent être isolées. Tout d’abord, dans un contexte économique maussade, le faible coût de l’énergie aux Etats-Unis dû à la diminution des importations d’hydrocarbures a donné un avantage compétitif à l’Amérique ce qui a aidé à faire repartir la croissance alors que l’Europe reste aux abois. Dans une économie globale s’internationalisant et s’uniformisant de plus en plus, cette singularité aide les Etats-Unis à maintenir sa domination autrement que par le développement des emplois cognitifs non-répétitifs pour lesquels la concurrence s’accentue.

Sur le plan de la politique étrangère, comme le souligne d’ailleurs le Président Obama lors de son discours de Georgetown, cette politique a également permis aux Etats-Unis de s’affranchir (relativement) du contexte international ; et cela est déterminant. Alors que Francis Fukuyama, célèbre chercheur en sciences politiques, annonçait la « fin de l’histoire » après la chute du mur Berlin[8], le climat international s’est tendu et les foyers d’instabilité se sont multipliés, touchant très fortement les principaux producteurs d’hydrocarbures. Le Moyen-Orient est plus agité que jamais depuis 2011 et les facteurs crisogènes demeurent. La Russie, qui abrite la première ressource en gaz naturel au monde, craint des déstabilisations sur son flan ouest mais également dans son cœur productif : le Tatarstan. Elle redoute d’ailleurs plus que tout la montée des intégrismes islamistes qui pourraient atteindre la région, qui représente un véritable hub en matière de production et de transport d’hydrocarbures. Le décès d’Hugo Chavez, qui portait à lui seul la sphère politique vénézuélienne, montre que la problématique de la volatilité des marchés due à l’instabilité politique peut se manifester sur le continent américain même. L’indépendance énergétique devient alors un facteur de stabilité politique et de croissance économique en plus d’une arme de plus pour la politique étrangère de Washington.

 

L’Union européenne est très critiquée pour sa politique énergétique, notamment par les syndicats patronaux. Allant de la dénonciation d’un manque d’ambition au constat d’un échec complet, les analyses pleuvent et élèvent en contre-exemple une politique américaine, symbole d’une réussite sur laquelle l’Union européenne semble incapable de prendre exemple.

Or, il semble difficile pour l’Union européenne de tirer des leçons de la politique énergétique américaine dans la mesure où les contextes et donc les possibilités sont différents. L’ère du charbon n’est plus et l’Union européenne est une zone pauvre en sources d’énergies fondamentales[9] : le pétrole et le gaz naturel.

A partir de ce constat, il est clair que l’argument principal de la politique énergétique américaine, à savoir l’indépendance énergétique pour les hydrocarbures, ne concerne pas l’Europe. Même Laurence Parisot reconnaissait lors d’un débat télévisé récent avec Mme. la ministre Delphine Batho sur BFMTV que les ressources en gaz de schiste en France ne pourraient, selon les estimations, que subvenir à 10% voire 20% des besoins nationaux en gaz naturel. Dés lors, ce n’est pas là-dessus que l’Europe peut agir ; d’autant plus que les extractions en mer du Nord diminuent faute de rentabilité.

C’est sur le choix des énergies renouvelables et de l’économie verte que s’est tournée le Vieux continent. L’Allemagne a d’ailleurs enregistré des premiers succès probants. Mais contrairement aux Etats-Unis, cette politique n’est pas sacrifiée au détriment d’une autre beaucoup plus profitable mais qui se limite au court terme[10]. Les coûts de sortie du gaz de schiste, dont les forages perdent très rapidement en rentabilité, est énorme et n’ont jamais été pris en compte. De plus, le marché des énergies vertes représente 550 milliards USD. L’Allemagne est pionnière dans le domaine et la France est 4è mondial du secteur.

Tandis que les Etats-Unis s’enfoncent dans un après-pétrole qui sera extrêmement difficile à gérer, une partie de l’Union européenne a fait le pari d’un changement complet de paradigme énergétique. Si ce pari paraît handicapant aujourd’hui, c’est parce qu’il vise le long terme. Les investissements en énergies vertes en Europe ne cessent de croître et ne subissent pas l’arrivée de sources émergentes comme le gaz de schiste[11] dont le boom a fait diminuer les investissements en énergies renouvelables et en efficience énergétique de 37% aux Etats-Unis selon Mme Batho, ministre de l’Economie, du développement durable et de l’énergie (11% au niveau mondial). Le pari n’est donc pas fait dans la demi-mesure et l’Europe ne se bat pas sur plusieurs fronts, ce qui pourrait lui procurer une énorme avance dans un secteur qui s’annonce très lucratif à l’avenir.

Quant à la question de la sécurisation des approvisionnements, là encore l’Europe est dépendante de sa condition géographique. Entourée de pays producteurs frappés d’instabilité politique, elle diversifie au maximum ses exportateurs dans le but de minimiser l’impact d’une éventuelle crise, mais elle ne peut recourir à des voisins stables comme le font les Etats-Unis. Et n’étant pas, ou très peu, productrice de pétrole, la création d’une réserve comparable au Strategic Petroleum Reserve est inenvisageable et trop coûteux.

Ainsi, l’Union européenne a fait le constat que, selon la norme énergétique mondiale actuelle, elle était en détresse. Alors, au lieu de renforcer sa position dans le système actuel en développant sa production d’hydrocarbures à outrance (ce qu’elle peut difficilement faire au vu de ses ressources), elle a préféré changer de système et se baser sur le long terme, tout en engrangeant les dividendes de la transition énergétique sous la forme d’un soft power énergétique toujours grandissant.

 

Florian Tetu


[6] Si la consommation de pétrole a faiblement diminué ces 5 dernières années, la consommation de gaz a nettement augmenté.

[8]Un des deux pôles de pouvoir dans le monde s’étant effondré, ne devait alors plus rester qu’un pôle américain hégémonique, ce qui préviendrait les conflits.

[9] Ces sources d’énergies, en particulier le pétrole, sont considérées comme fondamentales car elles nourrissent des secteurs dans  les sources alternatives n’interviennent pas, ou très marginalement. Il s’agit surtout du secteur du transport.

[10] Une récente étude estime que les ressources mondiales de gaz de schiste ne pourraient être exploitées que pour 10 ans. Voire http://www.ft.com/cms/s/0/4b831ffc-d1e1-11e2-9336-00144feab7de.html#axzz2VuEQvhY5 , consulté le 11 juin 2013.

[11] De nombreux pays européens ont autorisé le gaz de schiste mais aucun ne connait de ruée vers l’or comme c’est le cas aux Etats-Unis.

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Crise financière et crise écologique selon Michel Cicurel

Dans un entretien donné au Figaro le 11 août dernier, Michel Cicurel, Président du directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, livrait son analyse de la crise financière, particulièrement vive cet été, entre menace sur les dettes souveraines et faillite des banques (voir les rumeurs du 10 août concernant la Société Générale). Outre ses critiques des « spéculations absurdes » momentanées et fulgurantes, Michel Cicurel affirme que toutes ces turbulences boursières sont dues à une « triple métamorphose » des échanges internationaux : la poussée des économies émergentes, la crise des finances publiques et enfin, sujet qui nous intéresse ici, la crise écologique.

Poussée démographique des pays émergents

Pour Michel Cicurel, la « crise écologique » est liée à la rareté des ressources naturelles face à une augmentation très forte de la population mondiale et du niveau de vie des émergents.

Alors que la population mondiale est estimée entre 1,55 et 1,76 milliard en 1900, selon le Bureau de recensement des États-Unis, elle va bientôt atteindre 7 milliards dont plus de 60% habitent en Asie, continent qui abrite les deux pays émergents les plus peuplés : la Chine (1,3 milliard) et l’Inde (1,2 milliard). Selon les statistiques de la société indépendante de conseil et d’information dans le secteur de l’énergie Enerdata, en 2010, la consommation d’énergie mondiale a progressé de 5,5 %, après le déclin de 1 % observé en 2009. Les pays émergents ont contribué pour deux tiers à cette augmentation globale, la Chine représentant à elle seule un quart de la croissance de la consommation énergétique mondiale en 2010 ! La Chine, « l’atelier du monde », est à tout le moins le symptôme de l’équilibre fragile entre population mondiale, demande énergétique et matières premières disponibles.

Dans une tribune intitulée « Le sourire de la mondialisation » et publiée le 19 janvier 2011 dans Le Figaro, Michel Cicurel affirmait déjà : « le monde ne se rétablit pas. Il change. En un demi-siècle, la population mondiale progressera de 50 %, passant de 6 à 9 milliards. Brutalement, la finitude des ressources de la planète nous saute aux yeux. Tant le dérèglement climatique que les terres rares se rappellent à notre bon souvenir ». Il ajoute : « le temps du monde fini est commencé, et le souci de la durée s’installe ».

Pic pétrolier et ralentissement économique

Problème directement issu de cette poussée démographique : l’énergie. Comment soutenir l’activité humaine quand la population grandissante doit utiliser des matières premières en voie de disparition, comme le pétrole, l’argent, le zinc ou l’uranium ? Effectivement, « la finitude des ressources de la planète » nous saute maintenant aux yeux. Tant que les énergies propres comme le solaire, l’éolien, l’hydraulique, la biomasse et la méthanisation ne seront pas suffisamment développées et trop coûteuses, tous les pays souffriront de ce manque de matières premières : et les pays riches et les pays émergents.

Michel Cicurel explique ainsi que « les pays riches, insuffisamment sobres, souffrent de la flambée du prix des énergies fossiles et des produits de base, dès que la croissance mondiale est soutenue. Au-delà de 80 dollars le baril, la consommation américaine subit une ponction de pouvoir d’achat qui affecte la croissance. C’est la principale cause du ralentissement du printemps, et le contre-choc pétrolier en cours produira ses effets positifs à l’automne ».

Malgré les polémiques sur le pic pétrolier (est-il passé ? est-il à venir ?), le fait est que même l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) admet que le pic des extractions de pétrole conventionnel – le pétrole liquide classique, qui constitue les 4/5 de la production de carburants liquides – a été franchi en 2006. Il reste bien sûr du pétrole mais à quel prix ? Forer en haute mer est une pratique périlleuse, comme nous l’ont montré les marées noires de BP dans le golfe du Mexique ou, cet été, de Shell en mer du Nord.

Si de nombreux analystes s’accordent sur cette sortie obligatoire du pétrole, force est de constater que ni les industriels ni les gouvernements ne font le nécessaire. Il suffit pour cela de voir le tango du Grenelle de l’Environnement en France (une loi en avant, deux décrets en arrière) pour conclure à l’absence de volonté réelle de transition énergétique – et donc de paradigme économique.

Vers un inversement des valeurs actuelles

Nouveau paradigme économique ? Au vu du constat établi par Michel Cicurel, c’est le moins que l’on puisse demander. Dès 1968, le Club de Rome, qui réunissait des économistes, des fonctionnaires et des scientifiques clamant « Halte à la croissance », prônait un changement de mentalité. Une remise en question qui a peu à peu forcé les économistes, comme le néo-keynésien Joseph Stiglitz, à intégrer les problématiques environnementales et humaines aux équations économiques. L’intégration des problématiques sociales et environnementales s’est effectuée par la neutralisation de l’aspect contestataire initial (voir l’essor des mouvements écologistes dans les années 1970-1980) pour en faire un moyen de pérenniser le modèle économique en vigueur en corrigeant ses lacunes.

Nouveau paradigme économique qui prend en compte les changements climatiques, l’augmentation de la population et la fin des matières fossiles. Au niveau financier, cela se traduit par la création de « fonds éthiques » (ou investissements socialement responsables) dont le but est soutenir des projets qui limitent les impacts sociaux et environnementaux. D’après les chiffres de Novethic, « les encours ISR détenus par les clients français s’établissent à 68,3 milliards d’euros et ont donc augmenté de +35% entre fin 2009 et fin 2010 ». Pour étudier le marché européen de l’ISR, on peut se reporter au rapport « Green, social and ethical funds in Europe. 2010 review », publié par l’agence de notation d’ISR, Vigeo. L’Europe constitue en effet la région du monde la plus active et dynamique en matière d’innovation et de création de fonds ISR, ce qui est à prendre en compte pour sa mutation économique.

C’est aux banques et aux gouvernements de promouvoir une croissance à long-terme, notamment dans des infrastructures respectueuses de l’environnement et faiblement consommatrices d’énergie, qui correspondent aux Mécanismes de développement propre prévus par les accords de Kyoto. Cette nouvelle donne énergétique et environnementale ne pourra être réglée qu’à un niveau planétaire, avec des relations saines entre les États. Ce qui n’est pas vraiment rassurant non plus.

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Les politiques environnementales rendent-elles service à l’environnement ?

L’écologie n’est pas seulement une affaire d’environnement. L’environnement, au sens de la planète, souffre de quelques lacunes de la langue française, de la rhétorique politique. Aussi il est difficile de définir une telle notion. L’écologie peut être décrite comme la défense de la vie terrestre : minérale, végétale, animale et humaine. C’est cependant oublier le sens large de la notion, c’est-à-dire le domaine de réflexion qui prend pour objet « l’étude des interactions, et de leurs conséquences, entre les individus et les milieux qui les entourent et dont ils font eux-mêmes partie ».

La notion d’écosystème vient surplomber le tout car elle désigne l’ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement biologique, géologique, hydrologique, climatique, etc. Ainsi, lorsque l’on parle de déséquilibre des écosystèmes, on révèle  aussi un déséquilibre au sein de l’humanité et l’on ne peut corriger une partie de l’écosystème sans en régler une autre.

L’écologiste étudie les interactions entre individus et sur les différents écosystèmes. Seulement, le terme écologiste s’est vu attaché à des sens proprement politiques. Sens qu’un contributeur du Post.fr décrit ici avec cynisme :

« celle de militant – ou sympathisant – de parti politique utilisant des arguments environnementaux pour se faire élire, que celle d’adepte-pratiquant d’un mode de vie campagnard à tendance autarcique, que celle de zélateur purement verbal de ce même mode de vie roulant en SUV, que celle de bobo résolument urbain s’alimentant dans les magasins bio, que celle de nostalgique illuminé la civilisation préindustrielle, que celle d’amoureux transi des espaces verts, que celle de respectueux acharné du tri sélectif, et bien entendu que celle de spécialiste scientifique de l’écologie, sans qu’il soit objectivement établi que ces diverses catégories partagent la même vision fondamentale des rapports entre l’espèce humaine et sa mère nourricière. »

La préservation de l’environnement nécessite une connaissance des interactions et des impacts des activités humaines sur la planète. Le lancement du Grenelle de l’Environnement en France dès septembre 2007 a d’abord reçu toutes les approbations, avant de se voir critiqué pour son manque d’ambition concrète. Les politiques environnementales du Grenelle comme celles menées ailleurs qu’en France sont-elles une réponse à la protection de la nature ou ne sont-elles que séduction de l’électorat voire de solutions au renflouement de l’Etat ?

 

L’écologie politique : une réponse à la question de l’environnement ?

Le lien qui associe la politique à l’environnement est ténu. L’environnement nécessite pour sa protection d’obtenir une mise sur agenda politique afin d’obtenir acception populaire, financement, mise en œuvre et contrôle.

La mise sur l’agenda  est finalement un comble car elle lui nuit par la suite. On reproche souvent  aux politiques de l’environnement leur inadaptation à la situation, la prise de position au sein d’un conflit d’intérêt  sur l’exploitation d’une terre. L’Ouganda l’illustre. Son marais de Lutembe Bay est au cœur d’une confrontation entre écologistes d’une part, de promoteurs immobiliers et horticulteurs de l’autre. Les politiques de défense de cette zone humide perdent toute crédibilité en percevant les fonds de ceux qui agissent par ailleurs en détracteurs de la biodiversité. La Crane Bank finance les fermes horticoles qui assèchent le marais, mais elle est aussi un soutien du programme international Ramsar relatif aux zones humides. La politique de l’environnement induit des conflits éthiques.

A qui donner raison ? Répondre à cette question induit une notion de fond : la légitimité de défendre des intérêts. En matière d’environnement et de sa préservation, y a-t-il des acteurs plus légitimes que d’autres à la défense de l’environnement ?

L’intégration de l’écologiste François Tanguay au comité d’évaluation environnementale stratégique sur le gaz de schiste au Québec démontre que l’écologie nécessite sa part de représentativité dans les processus de réflexion. M. Tanguay justifie sa présence « pour une raison: il y a de l’ouvrage à faire, il y a un besoin d’information sur le gaz de schiste ». Les branches politiques de l’Ecologie gagnent leur légitimité par leur extrême spécialisation dans le domaine. Elles ont les informations et ont conscience des impacts. Seulement, toute politique, aussi sectorisée qu’elle puisse être, exige une vue transversale de tous les intérêts existants sur un milieu ou une activité. La polémique de la représentativité de tous les acteurs sur la question du gaz de schiste en est l’illustration. La politique nuit à la poursuite de la protection de l’environnement car elle impose des compromis, justifiés par les interactions entre acteurs.  Or, le débat se joue très souvent aux dépens de la planète qui n’a pas les moyens suffisants pour se défendre…

 

L’environnement : enjeux d’influence ou nouvelle voie politique ?

La scène démocratique permet la multiplicité des acteurs. Le parti en est un des plus présents, visibles, potentiellement le plus à même de placer l’environnement au centre des décisions politiques. Or, le parti s’appréhende difficilement, il apparait moins comme une médiation entre le peuple et l’exercice du gouvernement que la déperdition du lien entre le peuple et le pouvoir. La problématique du parti est la condensation de ses rênes dans les mains de quelques-uns. Le pouvoir s’échange et circule dans une sphère restreinte. L’environnement est-il alors prétexte ou objectif de la politique ?

Le paysage politique laisse entrevoir une nouvelle voie, entre la droite et la gauche, l’écologisme. Le parti écologiste gagne en légitimité en s’émancipant de ces pendants socialistes, en dressant un projet de société, un projet économique. Quelle différence alors avec les programmes de préservation de l’environnement proposés par les autres voies politiques ?

On estime que les premiers mouvements écolo sont les cercles informels hippies post soixanthuitards, qui se formaliseront à leur entrée dans l’arène politique en 1974 avec la candidature de René Dumont, agronome proche des trotskistes, aux élections présidentielles. C’est le début de l’écologie politique dont les fondements sont, dès lors, doctrinaires : pour une agriculture non productiviste, anti-nucléaire, anti-mondialisation, antimilitariste et, globalement, anticapitaliste.

L’intégration de l’écologie à la sphère politique ne s’est pas faite sans sacrifice : l’écologie politique a ainsi créé ses propres forces de division et d’incohérence internes. Le départ de Nicolas Hulot du parti Europe Ecologie-Les Verts interroge : l’écologie est-elle devenue un tremplin politique ? M. Hulot est-il militant pour l’environnement ou tacticien politique ?

Déjà en 1974, la candidature de René Dumont a jeté le trouble dans les esprits des écolos pratiquants : le passage d’une démarche individuelle, que l’on pourrait voir comme la poursuite d’éco-gestes, à une action collective impliquant des engagements formels ; une allégeance à un parti politique.

 

Politique de l’environnement : une solution pour la planète ou solution électorale ?

Les politiques de l’environnement revendiquent leurs effets bénéfiques sur l’environnement. Elles agissent pour le bien mais témoignent souvent que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Elles se voient souvent critiquées leurs inadaptations à la situation environnementale véritable. Par exemple, les mesures prises par le gouvernement afin de répondre à la crise des algues vertes reçoivent le mécontentement du Nouveau Parti Anticapitaliste des Côtes d’Armor, qui y voit une « politique hypocrite qui pille l’environnement, fait disparaître des emplois dans l’agriculture et tue des êtres vivants ! ». L’inadaptation va même jusqu’à nuire aux recherches en énergie verte, le cas de la Grande Bretagne avait illustré cette situation au début de juin dernier, où la taxe carbone qui ponctionnait la recherche environnementale avait mis en difficulté les instituts de recherche incapables de la payer, et ce, menaçant la recherche et les emplois.

Aucune ligne sur l’environnement n’était rédigée dans l’autobiographie de Nicolas Sarkozy publiée en 2001, «  Libre ». L’UMP ne prenait pas compte de l’environnement pour charmer les électeurs. Mais à la suite de la pression de Nicolas Hulot, tous les candidats à la présidentielle ont signé le Pacte écologique en 2007. La ratification révèle une prise de conscience des candidats que l’électorat est sensible aux questions environnementales. Amour naissant pour la planète, les partis politiques en font un nouveau levier de campagne. Dans les suffrages, l’écologie politique restait encore loin de la victoire. Le parti Les Verts ne remporte que 1,57% des suffrages lors des présidentielles 2007, tandis que les autres défenseurs de la planète s’étaient associés à d’autres couleurs politiques : ainsi Cap 21 et le Mouvement écologiste indépendant soutenaient l’Union pour la démocratie française, tandis que José Bové concourait sans étiquette…

L’une des mesures phares du pacte écologique ainsi signé était la taxe carbone comme réponse au changement climatique. L’échec de la taxe réside dans l’idée même du Premier ministre François Fillon de fixer le prix de cette taxe autour de 14 euros la tonne. Ce prix dérisoire n’aurait cependant incité en rien tous industriels rationnels à réduire leurs émissions de CO2 et permettrait même à certains pollueurs de gagner de l’argent – chose que l’on avait pu observer à l’échelle européenne avec le European Union Emissions Trading Scheme au début des années 2000. En France, la taxe carbone a finalement été balayée en 2010, devant les critiques qu’elle suscitait.

La séduction de l’électorat passe par la prise en compte de l’environnement dans les analyses politiques car il est au cœur des préoccupations collectives. Et ce, tout en ménageant les préférences individuelles. Or l’agence de conseil en communication et en développement durable Comonlight a récemment révélé les résultats d’une enquête menée en avril et mai 2011 sur l’évolution des rapports des Français au « développement  durable » et dévoilé qu’ils « ne sont, en majorité, pas prêts à adopter des gestes éco citoyens. » L’échec des stratégies anti-carbone pourrait alors s’expliquer par le fait que le carbone « ne se voit pas », que les discours qui entourent le sujet sont trop scientifiques. Par conséquent, les arguments de lutte contre l’insaisissable problème – qu’ils proviennent du gouvernement ou des militants anti-carbone – ont été perçus comme pur dogmatisme.

D’autre part, les taxes environnementales souffrent d’une vision court-termiste entretenue par les différentes échéances électorales. Ces dernières poussent les politiques à agir en début de mandat et à passer à l’immobilisme pendant les campagnes afin de ne pas irriter de potentiels électeurs ni de donner de points d’avance à un adversaire vainqueur.

L’interaction des acteurs économiques, écologistes et politiques mène souvent à des compromis qui nuisent à la qualité de la politique initiée et témoignent d’un certain manque de volonté politique en faveur de l’environnement. Il semble impossible de trancher si oui ou non, les politiques de l’environnement sont efficaces, car comme dans tout domaine politique, elles sont soumises aux difficultés de mise en œuvre, de financement, d’application, de contrôle… à la différence près qu’elles sont bien plus importantes…

Tous les candidats aux élections présidentielles de 2012 auront de fermes positions en matière d’énergie et environnement, nous ne manquerons pas de publier une analyse comparée de leurs programmes à ce sujet !

 

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La consommation verte dépasse-t-elle les discours ?

La majorité des Français est consciente de l’impact de la consommation sur l’environnement. C’est ce qu’a révélé le baromètre annuel d’Ethicity et de l’ADEME « Les Français et la consommation durable », présenté à l’occasion de la semaine du développement durable 2011. Sept Français sur dix jugent que la consommation de produits respectueux de l’environnement est devenue une « nécessité » (contre deux sur dix en 2009). 60% des personnes interrogées se disent mêmes prêtes à payer un peu plus cher pour des produits respectueux de l’environnement. Mais les comportements des Français reflètent-ils les discours ?

 

Un passage à l’acte encore limité

La préoccupation à l’égard de l’environnement est une sensibilité montante chez les citoyens, qui sont désormais conscients de leur responsabilité mais aussi de leur marge d’action. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des politiques et des grandes entreprises, l’individu s’en remet à lui-même pour agir concrètement en faveur de l’environnement. Selon l’édition 2011 de l’Observatoire Ifop du Développement Durable, 77% pensent que les actes individuels peuvent contribuer à protéger l’environnement. Une opinion mise en œuvre au quotidien à travers les éco-gestes – tels que trier ses déchets, ne pas laisser couler l’eau ou éteindre les appareils électriques au lieu de les laisser en veille -, répandus chez plus de ¾ des Français. En revanche, la consommation verte (aussi appelée consommation durable ou responsable) est loin d’être autant intégrée dans nos habitudes de consommation.

Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), la ‘consommation durable’ est “l’utilisation de biens et de services qui répondent aux besoins essentiels et améliorent la qualité de vie, tout en minimisant l’utilisation des ressources naturelles, les matières toxiques et les déchets et émissions de polluants, de manière à ne pas compromettre les besoins des générations futures”.

Le baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France de l’Agence Bio révèle qu’en 2010, seuls 43 % des Français ont consommé des produits biologiques au moins une fois par mois (contre 46 % en 2009). Selon Jean-Marie Boucher, fondateur du site ConsoGlobe (le premier portail Internet français dédié au développement durable et à la consommation responsable sous toutes ses formes), l’achat de ce type de produits ne pèse que 4% de la consommation de détail.

Si le marché du commerce équitable a progressé de 15% en 2009, il reste un marché de niche, avec un chiffre d’affaires environ dix fois inférieur à celui des produits «bio» (2,6 milliards d’euros en 2008) (source : étude «Marché du commerce équitable en France à l’horizon 2015», publiée en 2010 par le cabinet d’études sectorielles Xerfi). Une enquête réalisée par l’Observatoire Cetelem en décembre 2009 montre que seulement 10% des ménages français disent acheter «fréquemment» des produits équitables.

Malgré la forte médiatisation du succès des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), ce système ne représente 50 000 familles et près de 200 000 consommateurs (soit un chiffre d’affaire annuel estimé à 36 millions d’euros) (source : MIRAMAP, janvier 2011).

Ces quelques résultats d’études nuancent l’idée selon laquelle les consommateurs adopteraient des comportements d’achats de plus en plus responsables et que le nombre de ces consommateurs « verts » augmenteraient. Des affirmations qui ne se reflètent pas dans les achats au détail. Mais ces décalages entre les discours et la réalité mettent surtout en lumière les contradictions des consommateurs, pris entre leurs préoccupations individuelles et les considérations du collectif social et environnemental parfois difficilement conciliables.

 

Consommer mieux… avant tout pour soi

La protection de l’environnement n’est pas la seule motivation ni même la priorité du consommateur responsable. L’individu est préoccupé avant tout par sa santé et le bien-être de ses proches.

« Consommer mieux » signifie pour lui d’abord d’augmenter sa qualité de vie, notamment en s’orientant vers une consommation plus qualitative. Cela se traduit par l’achat de produits plus durables et plus bénéfiques pour la santé. La santé devient ainsi le principal levier d’achat de produits « verts » pour 36% des Français, avant même le critère de préservation de l’environnement (27%) (source : Baromètre Ethicity).

Ce résultat est encore plus élevé pour les produits biologiques, puisque les effets positifs sur la santé sont la principale raison d’acheter bio pour 91% des Français, suivis de la qualité et du goût des produits (source : baromètre de l’Agence Bio).

La pollution, qui impacte la santé, est d’ailleurs la première inquiétude des Français, devant la pénurie d’eau dans le monde ou le réchauffement climatique.

Le local et la proximité sont les autres motivations d’achat de produits respectueux de l’environnement. Pour 52% des Français, un produit permettant de consommer responsable doit être fabriqué localement, afin de favoriser l’emploi pour 55% d’entre eux. L’origine des matières premières est ainsi la première information attendue sur l’étiquette.

On peut donc dire que l’écologie qui concerne le plus le consommateur est celle dont les problématiques le touchent directement au quotidien, avant même les grands enjeux planétaires. Mais c’est aussi celle dont la mise en œuvre cohabite le mieux avec ses préoccupations quotidiennes, comme la santé, son bien-être mais aussi son pouvoir d’achat. Le consommateur n’a pas nécessairement la volonté d’en payer le prix au quotidien.

 

Le vert toujours trop cher

En effet, le prix jugé plus élevé de ces produits « verts » est considéré comme le principal frein à l’achat pour 78% des Français. Ils sont encore nombreux (36 %) à se raviser pour l’achat de certains produits responsables pour cause de prix excessif, selon l’édition 2011 de l’étude Image Power Global Green Brands réalisée par l’institut PSB pour Cohn & Wolfe et Landor associates.

Dans un contexte de crise (perçue ou réelle) du pouvoir d’achat, tous les Français ne sont pas prêts à mettre  30 990 euros pour une voiture électrique (Nissan Leaf), 3,17 euros pour un café issu de l’agriculture biologique et du commerce équitable (Alter Eco 250g) ou 2,99 euros pour 500g de tomates bio.

Les pratiques qui n’ont pas d’incidences financières et qui plus est, permettent de faire des économies trouvent au contraire l’adhésion des consommateurs. C’est le cas des éco-gestes pour faire des économies d’eau ou d’énergie qui sont de plus en plus ancrés dans les habitudes. Mais c’est ce qui explique aussi le succès de l’autopartage, de la vente ou de la location entre particuliers, mais nous y reviendrons plus tard. Ces activités à la fois rentables économiquement et soucieuses de l’environnement sont regroupées sous l’appellation d’ « éconologie » (économie écologique).

 

Une communication nuisible

Le prix n’est pas le seul frein à l’achat des produits « verts ». La communication verte est également préjudiciable à la promotion de ces modes de vie responsables.

Tout d’abord, la communication des marques sème le doute chez le consommateur. L’excès de communication verte génère une confusion dans l’esprit du consommateur, qui se retrouve noyé face à une multitude de « démarches engagées » (développement durable, agriculture bio, responsabilité sociale des marques, commerce éthique), une surenchère de labels entre ceux officiels et les propres programmes crées par les marques et grands distributeurs.

Une confusion renforcée par le manque de précision et de preuves souvent volontaires des marques, à travers des pratiques de greenwashing (utilisation abusive d’un argument écologique dans une publicité sans engagement derrière). Selon la 3ème édition du baromètre sur le Développement Durable réalisé par Mondadori Publicité, les français attendent plus de preuves dans la publicité car 47% d’entre eux estiment qu’il y a trop de slogans “verts” sans preuves ou informations précises. Toutefois si les consommateurs restent méfiants et exigeants, pour la première fois depuis 2004 leur vision de l’engagement DD des entreprises s’améliore (Observatoire Ifop 2011).

Mais plus généralement, c’est l’ensemble des discours émis sur le sujet du développement durable, par les grandes entreprises mais aussi par les politiques, les ONG, les écologistes ou les médias, qui en entrainant une certaine banalisation des messages et une saturation, a eu un effet de rejet.

Cela a été très visible en 2009, qui a été une année marquée par une sur-médiatisation du sujet avec la multiplication des alertes sur le préjudice écologique et le changement climatique (les films Home d’Arths Bertrand et Le syndrome du Titanic de Nicolas Hulot, le mouvement Tcktcktck pour le sommet de Copenhague, les élections européennes, le débat autour de la taxe carbone…), créant un sentiment de sur-information qui s’est traduit par une baisse significative de la crédibilité à l’égard des publicités vertes et de l’intérêt sur le développement durable.

 

La montée du scepticisme

Un certain scepticisme s’installe même. En réponse à des discours parfois culpabilisant sur la responsabilité humaine dans les préjudices environnementaux, des interrogations et contestations émergent. Certains scientifiques, appelés ‘climato-sceptiques’ contestent la thèse d’un réchauffement climatique dû à l’homme. Une thèse qui rencontre un écho grandissant. Ces mêmes experts mettent en gardent sur les solutions du  ‘Business Vert’ comme seule réponse pour remédier au réchauffement planétaire, qui serait une illusion et aurait même des effets pervers pour l’environnement. Parmi les fausses bonnes idées de croissance verte, sont pointés du doigt, entre autres : les agro-carburants qui s’avéraient plus néfastes pour l’environnement en se substituant aux cultures vivrières, la voiture électrique pas forcément écologique avec ses émissions de CO2 lors du chargement de la batterie, les lampes basse consommation qui seraient dangereuses pour la santé ou encore les importations de produits alimentaires bio qui détruiraient l’emploi dans les productions françaises et augmenteraient l’empreinte carbone.

 

Une consommation durable … mais avant tout économique

Pour autant, un mouvement durable et assez générale pour une nouvelle consommation  est en train de se mettre en œuvre. Un mouvement que la récente crise économique a révélé et amplifié et qui prend pour nom la consommation collaborative. Il s’agit également d’un mode de consommation alternatif à celui actuellement à l’œuvre dans nos sociétés (quête de possessions individuelles et matérielles, renouvellement rapide des biens), qui à la différence de la consommation verte, va vraiment se développer car non seulement il permet d’entrer dans un mode de consommation plus durable, grâce à l’optimisation des ressources, mais surtout il permet aussi de répondre à la recherche de prix bas, qui reste une des préoccupations principales des consommateurs.

La consommation collaborative fait prévaloir l’usage sur la propriété, en s’appuyant sur l’optimisation des ressources grâce au partage, à l’échange de biens et ressources entre particuliers. Elle s’étend à de nombreux biens : de la voiture (autopartage, covoiturage, location de voitures entre particuliers) à l’habitat (colocation, location de logement entre particulier, partage temporaire et gratuit de logement), en passant par l’espace de travail (coworking), les objets dont on se sert ponctuellement ou dont on ne se sert plus, les productions individuelles jusqu’aux compétences.

La crise économique, en entrainant une dégradation (réelle ou perçue) du pouvoir d’achat, suscite une recherche d’optimisation des budgets et une vigilance quant au prix. Cela favorise (et valorise) le développement d’une culture de l’achat malin et de la bonne affaire, ainsi que la mise en place de système d’entraide, de solidarité. Ces pratiques sont également l’occasion de générer un revenu supplémentaire, en transformant une possession ou une compétence en cash.

« Tout ce qui touche au troc, à l’échange, au don, à l’entraide, à l’occasion… connaît une croissance importante » explique Jean-Marie Boucher. Il s’agit « de solutions qui touchent à la proximité, au commerce alternatif, à une consommation douce non marchande, aux bonnes affaires… qui parlent très fortement aux individus à la recherche de sens plus que d’acte politique. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

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