Le dernier rapport du Giec publié en novembre dernier est sans équivoque : le changement climatique est désormais une réalité aux conséquences observables. Alors que la question du financement des mesures d’adaptation et de l’indemnisation en cas de catastrophe naturelle est au cœur des débats internationaux, un acteur pourrait jouer un rôle majeur : les compagnies d’assurance. Le changement climatique peut sembler, à première vue, être une opportunité pour le secteur, mais la récurrence et la fréquence des risques extrêmes contribuent à rendre l’assurance du risque climatique elle-même plus aléatoire. Une question se pose alors : les compagnies d’assurance seront-elles capables de nous assurer ?
Assurer le changement climatique dans les pays en développement
Le changement climatique se manifesterait – en matière de catastrophes naturelles – par une modification de la récurrence et de l’intensité des extrêmes chauds plus significatives que celles des extrêmes froids à court terme et serait plus manifeste dans les pays du Sud que dans les pays du Nord.
À ce constat scientifique s’en ajoute un autre : la demande mondiale d’assurance croît désormais proportionnellement au développement des pays du Sud et aux changements des conditions météorologiques. Bien que souvent considérée comme un bien de luxe dans les pays où les populations ont un revenu fluctuant et où une large part du salaire est dédiée à la satisfaction de besoins primaires, l’assurance est pourtant un moyen efficace de s’adapter à de nouvelles conditions climatiques et météorologiques et peut, dans certains cas, réduire la variabilité des revenus d’une catégorie de la population : les agriculteurs.
Aujourd’hui, l’un des principaux enjeux du secteur est ainsi la recherche de nouveaux types de couverture, notamment pour les pays d’Afrique subsaharienne contraints de se développer en faisant face à des « anomalies climatiques » toujours plus fréquentes. Un nouveau moyen consiste en la mise en place d’ « assurances paramétriques ». Le système est simple : le contrat est établi sur la base d’un seuil de déclenchement « paramétrique » qui donne lieu à une indemnisation quasi automatique dès lors que, par exemple, la température ou les précipitations dépassent ce seuil, sans qu’il soit nécessaire d’évaluer les pertes. Cela permet en théorie une accélération des démarches mais le système doit encore faire ses preuves en termes de viabilité pour les assureurs.
Le marché financier, assurance ultime pour les risques extrêmes ?
Le changement climatique vient également mettre en exergue une spécificité des risques climatiques : ils sont en théorie inassurables, car difficilement modélisables.
En cas de risque climatique extrême dans une zone où le taux de pénétration de l’assurance est élevé, les compagnies d’assurance doivent avoir les liquidités suffisantes pour indemniser les assurés. Elles s’assurent ainsi également au travers de compagnies de réassurance ou via des partenariats avec les États. L’ouragan Andrew (1992) avait cependant témoigné de la difficulté d’anticiper les coûts d’un phénomène extrême et du risque de faillite encouru.
Compagnies d’assurance et de réassurance se sont donc tournées vers le marché financier qui répondait remarquablement bien aux exigences de l’assurance des risques aléatoires et extrêmes car plus flexible que la réassurance classique qui induisait des risques de crédit. C’est ainsi que, dans les années 90, s’est développé un marché alors balbutiant : le marché des « cat bonds » ou obligations catastrophes.
De manière générale, l’obligation « catastrophe » fonctionne comme toute obligation financière dans le sens où les investisseurs achètent l’obligation en fonction de sa valeur nominale et la compagnie d’assurance les rembourse de façon régulière via des coupons. Si l’aléa pour lequel l’obligation a été souscrite ne se produit pas dans le délai prévu (5 ans maximum), l’investisseur voit son investissement fructifier ; en revanche, si la catastrophe a lieu, le versement des coupons s’interrompt et l’investisseur peut même, dans certains cas, perdre tout ou partie de la valeur nominale de son investissement. Ce système permet donc aux assureurs et réassureurs d’avoir accès à des actifs très liquides de façon quasi automatique.
Pour reprendre les propos de Christophe Fritsch, responsable de la gestion des instruments adossés à des contrats d’assurance chez Axa Investment Managers, l’obligation « catastrophe » est « un instrument qui transfère le risque de catastrophe des assureurs, réassureurs et corporates vers les marchés de capitaux. C’est de la désintermédiation du risque d’assurance. » Cette protection des marchés financiers reste cependant encore récente et exposée à des risques mal connus.
Alice Pauthier
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Pour une analyse exhaustive de la vocation du projet South Stream il faut revenir 10 ans plus tôt presque jour pour jour avant l’annonce de la fin du projet par Vladimir Poutine, le 1er décembre dernier. La morale, s’il y en a une, est que l’Histoire se répète inéluctablement.
En effet, en novembre 2004 à Kiev, le peuple se soulève contre ce qui apparaît comme étant un trucage un mois durant suite à l’annonce de la victoire de Viktor Ianoukovitch, résolument pro-russe, au second tour des présidentielles. Les protestations prennent une telle ampleur que la Cour Suprême ukrainienne et les partis en présence conviennent d’un « troisième tour » et décident d’un nouveau vote portant au pouvoir la coalition de Viktor Iouchtchenko et de Ioulia Timochenko, marquant la victoire des idéaux pro-occidentaux dans un pays partagé entre Ouest et Est. Les troubles demeurent dans la vie politique du pays et le président en place n’a de cesse de dénoncer les manœuvres de Moscou pour le déstabiliser. En septembre 2005, Ioulia Timochenko est limogée de son poste de premier ministre, le président Iouchtchenko met ainsi fin à la coalition au pouvoir. Quelques temps plus tard, au 1er de l’an 2006, Gazprom coupe le gaz en direction de l’Ukraine en raison de leur conflit sur le prix du gaz, l’entreprise semi-publique voulant multiplier les tarifs par 4 et se rapprocher ainsi du prix du marché. L’approvisionnement de pays européens est compromis alors que l’hiver 2005-2006 est l’un des plus froids jamais enregistré. Un accord est finalement trouvé 3 jours plus tard entre Kiev et Moscou mais le mal est fait et l’idée d’un autre tracé d’approvisionnement émerge en Europe… L’Union européenne ne veut plus souffrir à l’avenir des troubles entre la Russie et son ancienne République Soviétique.
C’est ainsi que les travaux du pipeline, qui doit faire 2380 km à terme, commencent en décembre 2012 et continuent doucement mais surement pour être en service en 2015. Au début de l’année 2014, l’optimisme reste de mise quant au projet et ce malgré une hausse de 45% du prix du projet porté à 46 milliards d’euros. Une somme que Gazprom consent à débourser pour la poursuite des travaux et la rénovation du réseau gazier existant.
Entre temps, la situation politique toujours explosive conduit à un jeu de chaises musicales spectaculaire : en août 2006 Victor Iouchtchenko devient le Premier ministre de son ancien rival, avantage pro-russe. Cette coopération ne dure pas non plus et en septembre 2007 lors de législatives anticipées, l’égérie de la révolution Orange est de nouveau nommée Premier ministre, retour à l’Ouest. Le prochain scrutin, les présidentielles de 2010, consacre le retour au sommet de l’Etat de Iouchtchenko qui place peu de temps après l’un de ses proches à la Primature à la place de Timochenko, qui sera emprisonnée en octobre 2011 pour corruption. Une éviction de son opposante dénoncée par la communauté internationale et surtout l’Union européenne.
Le nouveau président qui a les faveurs de son grand voisin obtient une réduction de près de 30% du prix du gaz. Pendant ce temps la poursuite du gazoduc va bon train, la Bulgarie et la Serbie ayant déjà achevé la réalisation du raccordement au pipeline en 2013. Toutefois, un retournement subvient : la Commission européenne statue en décembre de la même année que les accords conclus entre les 6 pays membres de l’U.E. et la Russie seraient contraires au droit européen.
En décembre 2013, peu de temps après que l’ex-président Ianoukovitch ait refusé de signer un accord d’association avec l’UE, la Commission européenne indique que les accords passés entre 6 pays européens et la Russie étaient contraire au droit européen. Günther Oettinger, le commissaire européen en charge de l’énergie de l’époque, affirmait que Gazprom ne pouvait à la fois posséder ses propres ressources et son réseau de transmission. Moscou refuse de renégocier ces accords et le projet est gelé malgré les protestations des gouvernements italien, hongrois, serbe, croate et bulgare qui se résignent petit à petit face aux pressions de l’exécutif européen. Les autorités russes font également un recours auprès de l’OMC pour attaquer la législation européenne sur l’énergie – notamment le troisième paquet énergétique-.
La confrontation devient de plus en plus marquée à mesure que le conflit en Ukraine se propage. A partir de juin 2014 on révèle que le blocage est désormais politique dans la mesure où les entreprises russes sont sous le coup de sanctions financières de la part des Etats-Unis et de l’Union européenne. D’autre part, les européens ne veulent pas marginaliser l’Ukraine qui pourrait se retrouver totalement privée de gaz si South Stream venait à être achevé, or les Vingt-Huit ne veulent pas abandonner l’europhile Petro Porochenko nouvellement élu pour ne pas compromettre leur crédibilité diplomatique.
En réalité, l’opposition de l’U.E au projet qui était censé lui servir est indéniablement liée aux évènements en Ukraine. Tout bon observateur pourrait remarquer que la question du monopole de Gazprom sur l’oléoduc n’avait pas été évoquée auparavant. Le géant énergétique russe qui finance la majorité du projet ne veut pas se soumettre à la législation européenne et « quémander » une exception, l’heure étant aux rapports de force et à l’affirmation de la « Nouvelle Russie ».
D’autres facteurs sont également en travers de l’achèvement de South Stream : parallèlement à ce gazoduc, le projet de Corridor Sud dénommant deux tracés éventuels, gazoducs Nabucco, passant par la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche, et Trans-Adriatic Pipeline, passant par la Turquie, la Grèce, l’Albanie et l’Italie, qui achemine une moindre quantité de gaz d’Azerbaïdjan. Le dernier tracé, validé en juillet 2013, au détriment de Nabucco et la Commission européenne se félicite de l’accord du consortium pour assurer son approvisionnement énergétique.
Le 1er décembre 2014, Vladimir Poutine en visite officielle en Turquie annonce qu’il met fin au projet South Stream en raison des blocages de la Commission européenne qui « trainait les pieds ». Il annonce ainsi vouloir diversifier les débouchés du gaz russe vers la Turquie, avec laquelle il signe un nouvel accord de livraison moyennant une ristourne de 6%, et l’Asie dont la consommation est exponentielle. Le projet de South Stream qui est née d’intentions politiques, en rendant souhaitable de construire un gazoduc sous-marin au lieu de passer par l’Ukraine, s’est achevé de la même manière. Gazprom arrête les frais à 5 milliards d’euros d’investissement. Point final le 30 décembre 2014 lorsque Gazprom rachète les parts de ses anciens partenaires : EDF (15%), Eni (20%) et Wintershall (15%) pour clore le sujet. South Stream aura incarné les soubresauts politiques de la révolution orange en 2004 à la révolution d’EuroMaïdan en 2014 à travers le prisme d’une Europe en recomposition énergétique qui diversifie ses sources énergétique et consomme ainsi moins de gaz.
Moussa Koné / Crédits photo : Marc Lagneau
sources :
http://www.dw.de/south-stream-pipeline-quarrels/a-17302072
http://www.naturalgaseurope.com/gazprom-raises-full-cost-south-stream-over-56-billion
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