La consommation verte dépasse-t-elle les discours ?

La majorité des Français est consciente de l’impact de la consommation sur l’environnement. C’est ce qu’a révélé le baromètre annuel d’Ethicity et de l’ADEME « Les Français et la consommation durable », présenté à l’occasion de la semaine du développement durable 2011. Sept Français sur dix jugent que la consommation de produits respectueux de l’environnement est devenue une « nécessité » (contre deux sur dix en 2009). 60% des personnes interrogées se disent mêmes prêtes à payer un peu plus cher pour des produits respectueux de l’environnement. Mais les comportements des Français reflètent-ils les discours ?

 

Un passage à l’acte encore limité

La préoccupation à l’égard de l’environnement est une sensibilité montante chez les citoyens, qui sont désormais conscients de leur responsabilité mais aussi de leur marge d’action. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des politiques et des grandes entreprises, l’individu s’en remet à lui-même pour agir concrètement en faveur de l’environnement. Selon l’édition 2011 de l’Observatoire Ifop du Développement Durable, 77% pensent que les actes individuels peuvent contribuer à protéger l’environnement. Une opinion mise en œuvre au quotidien à travers les éco-gestes – tels que trier ses déchets, ne pas laisser couler l’eau ou éteindre les appareils électriques au lieu de les laisser en veille -, répandus chez plus de ¾ des Français. En revanche, la consommation verte (aussi appelée consommation durable ou responsable) est loin d’être autant intégrée dans nos habitudes de consommation.

Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), la ‘consommation durable’ est “l’utilisation de biens et de services qui répondent aux besoins essentiels et améliorent la qualité de vie, tout en minimisant l’utilisation des ressources naturelles, les matières toxiques et les déchets et émissions de polluants, de manière à ne pas compromettre les besoins des générations futures”.

Le baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France de l’Agence Bio révèle qu’en 2010, seuls 43 % des Français ont consommé des produits biologiques au moins une fois par mois (contre 46 % en 2009). Selon Jean-Marie Boucher, fondateur du site ConsoGlobe (le premier portail Internet français dédié au développement durable et à la consommation responsable sous toutes ses formes), l’achat de ce type de produits ne pèse que 4% de la consommation de détail.

Si le marché du commerce équitable a progressé de 15% en 2009, il reste un marché de niche, avec un chiffre d’affaires environ dix fois inférieur à celui des produits «bio» (2,6 milliards d’euros en 2008) (source : étude «Marché du commerce équitable en France à l’horizon 2015», publiée en 2010 par le cabinet d’études sectorielles Xerfi). Une enquête réalisée par l’Observatoire Cetelem en décembre 2009 montre que seulement 10% des ménages français disent acheter «fréquemment» des produits équitables.

Malgré la forte médiatisation du succès des AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), ce système ne représente 50 000 familles et près de 200 000 consommateurs (soit un chiffre d’affaire annuel estimé à 36 millions d’euros) (source : MIRAMAP, janvier 2011).

Ces quelques résultats d’études nuancent l’idée selon laquelle les consommateurs adopteraient des comportements d’achats de plus en plus responsables et que le nombre de ces consommateurs « verts » augmenteraient. Des affirmations qui ne se reflètent pas dans les achats au détail. Mais ces décalages entre les discours et la réalité mettent surtout en lumière les contradictions des consommateurs, pris entre leurs préoccupations individuelles et les considérations du collectif social et environnemental parfois difficilement conciliables.

 

Consommer mieux… avant tout pour soi

La protection de l’environnement n’est pas la seule motivation ni même la priorité du consommateur responsable. L’individu est préoccupé avant tout par sa santé et le bien-être de ses proches.

« Consommer mieux » signifie pour lui d’abord d’augmenter sa qualité de vie, notamment en s’orientant vers une consommation plus qualitative. Cela se traduit par l’achat de produits plus durables et plus bénéfiques pour la santé. La santé devient ainsi le principal levier d’achat de produits « verts » pour 36% des Français, avant même le critère de préservation de l’environnement (27%) (source : Baromètre Ethicity).

Ce résultat est encore plus élevé pour les produits biologiques, puisque les effets positifs sur la santé sont la principale raison d’acheter bio pour 91% des Français, suivis de la qualité et du goût des produits (source : baromètre de l’Agence Bio).

La pollution, qui impacte la santé, est d’ailleurs la première inquiétude des Français, devant la pénurie d’eau dans le monde ou le réchauffement climatique.

Le local et la proximité sont les autres motivations d’achat de produits respectueux de l’environnement. Pour 52% des Français, un produit permettant de consommer responsable doit être fabriqué localement, afin de favoriser l’emploi pour 55% d’entre eux. L’origine des matières premières est ainsi la première information attendue sur l’étiquette.

On peut donc dire que l’écologie qui concerne le plus le consommateur est celle dont les problématiques le touchent directement au quotidien, avant même les grands enjeux planétaires. Mais c’est aussi celle dont la mise en œuvre cohabite le mieux avec ses préoccupations quotidiennes, comme la santé, son bien-être mais aussi son pouvoir d’achat. Le consommateur n’a pas nécessairement la volonté d’en payer le prix au quotidien.

 

Le vert toujours trop cher

En effet, le prix jugé plus élevé de ces produits « verts » est considéré comme le principal frein à l’achat pour 78% des Français. Ils sont encore nombreux (36 %) à se raviser pour l’achat de certains produits responsables pour cause de prix excessif, selon l’édition 2011 de l’étude Image Power Global Green Brands réalisée par l’institut PSB pour Cohn & Wolfe et Landor associates.

Dans un contexte de crise (perçue ou réelle) du pouvoir d’achat, tous les Français ne sont pas prêts à mettre  30 990 euros pour une voiture électrique (Nissan Leaf), 3,17 euros pour un café issu de l’agriculture biologique et du commerce équitable (Alter Eco 250g) ou 2,99 euros pour 500g de tomates bio.

Les pratiques qui n’ont pas d’incidences financières et qui plus est, permettent de faire des économies trouvent au contraire l’adhésion des consommateurs. C’est le cas des éco-gestes pour faire des économies d’eau ou d’énergie qui sont de plus en plus ancrés dans les habitudes. Mais c’est ce qui explique aussi le succès de l’autopartage, de la vente ou de la location entre particuliers, mais nous y reviendrons plus tard. Ces activités à la fois rentables économiquement et soucieuses de l’environnement sont regroupées sous l’appellation d’ « éconologie » (économie écologique).

 

Une communication nuisible

Le prix n’est pas le seul frein à l’achat des produits « verts ». La communication verte est également préjudiciable à la promotion de ces modes de vie responsables.

Tout d’abord, la communication des marques sème le doute chez le consommateur. L’excès de communication verte génère une confusion dans l’esprit du consommateur, qui se retrouve noyé face à une multitude de « démarches engagées » (développement durable, agriculture bio, responsabilité sociale des marques, commerce éthique), une surenchère de labels entre ceux officiels et les propres programmes crées par les marques et grands distributeurs.

Une confusion renforcée par le manque de précision et de preuves souvent volontaires des marques, à travers des pratiques de greenwashing (utilisation abusive d’un argument écologique dans une publicité sans engagement derrière). Selon la 3ème édition du baromètre sur le Développement Durable réalisé par Mondadori Publicité, les français attendent plus de preuves dans la publicité car 47% d’entre eux estiment qu’il y a trop de slogans “verts” sans preuves ou informations précises. Toutefois si les consommateurs restent méfiants et exigeants, pour la première fois depuis 2004 leur vision de l’engagement DD des entreprises s’améliore (Observatoire Ifop 2011).

Mais plus généralement, c’est l’ensemble des discours émis sur le sujet du développement durable, par les grandes entreprises mais aussi par les politiques, les ONG, les écologistes ou les médias, qui en entrainant une certaine banalisation des messages et une saturation, a eu un effet de rejet.

Cela a été très visible en 2009, qui a été une année marquée par une sur-médiatisation du sujet avec la multiplication des alertes sur le préjudice écologique et le changement climatique (les films Home d’Arths Bertrand et Le syndrome du Titanic de Nicolas Hulot, le mouvement Tcktcktck pour le sommet de Copenhague, les élections européennes, le débat autour de la taxe carbone…), créant un sentiment de sur-information qui s’est traduit par une baisse significative de la crédibilité à l’égard des publicités vertes et de l’intérêt sur le développement durable.

 

La montée du scepticisme

Un certain scepticisme s’installe même. En réponse à des discours parfois culpabilisant sur la responsabilité humaine dans les préjudices environnementaux, des interrogations et contestations émergent. Certains scientifiques, appelés ‘climato-sceptiques’ contestent la thèse d’un réchauffement climatique dû à l’homme. Une thèse qui rencontre un écho grandissant. Ces mêmes experts mettent en gardent sur les solutions du  ‘Business Vert’ comme seule réponse pour remédier au réchauffement planétaire, qui serait une illusion et aurait même des effets pervers pour l’environnement. Parmi les fausses bonnes idées de croissance verte, sont pointés du doigt, entre autres : les agro-carburants qui s’avéraient plus néfastes pour l’environnement en se substituant aux cultures vivrières, la voiture électrique pas forcément écologique avec ses émissions de CO2 lors du chargement de la batterie, les lampes basse consommation qui seraient dangereuses pour la santé ou encore les importations de produits alimentaires bio qui détruiraient l’emploi dans les productions françaises et augmenteraient l’empreinte carbone.

 

Une consommation durable … mais avant tout économique

Pour autant, un mouvement durable et assez générale pour une nouvelle consommation  est en train de se mettre en œuvre. Un mouvement que la récente crise économique a révélé et amplifié et qui prend pour nom la consommation collaborative. Il s’agit également d’un mode de consommation alternatif à celui actuellement à l’œuvre dans nos sociétés (quête de possessions individuelles et matérielles, renouvellement rapide des biens), qui à la différence de la consommation verte, va vraiment se développer car non seulement il permet d’entrer dans un mode de consommation plus durable, grâce à l’optimisation des ressources, mais surtout il permet aussi de répondre à la recherche de prix bas, qui reste une des préoccupations principales des consommateurs.

La consommation collaborative fait prévaloir l’usage sur la propriété, en s’appuyant sur l’optimisation des ressources grâce au partage, à l’échange de biens et ressources entre particuliers. Elle s’étend à de nombreux biens : de la voiture (autopartage, covoiturage, location de voitures entre particuliers) à l’habitat (colocation, location de logement entre particulier, partage temporaire et gratuit de logement), en passant par l’espace de travail (coworking), les objets dont on se sert ponctuellement ou dont on ne se sert plus, les productions individuelles jusqu’aux compétences.

La crise économique, en entrainant une dégradation (réelle ou perçue) du pouvoir d’achat, suscite une recherche d’optimisation des budgets et une vigilance quant au prix. Cela favorise (et valorise) le développement d’une culture de l’achat malin et de la bonne affaire, ainsi que la mise en place de système d’entraide, de solidarité. Ces pratiques sont également l’occasion de générer un revenu supplémentaire, en transformant une possession ou une compétence en cash.

« Tout ce qui touche au troc, à l’échange, au don, à l’entraide, à l’occasion… connaît une croissance importante » explique Jean-Marie Boucher. Il s’agit « de solutions qui touchent à la proximité, au commerce alternatif, à une consommation douce non marchande, aux bonnes affaires… qui parlent très fortement aux individus à la recherche de sens plus que d’acte politique. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

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