Au Japon les anti-nucléaires sont “in” et ils sont des millions

Les militants anti-nucléaires français ont souvent l’image de « roots », « ringards » ou autre énergumènes fan de kermesses. Au Japon, être anti-nucléaire, c’est « in ». Normal, remarquez, quand on sait ce qu’ils vivent depuis la catastrophe de Fukushima. Une catastrophe « provoquée par l’homme », selon le dernier rapport officiel, et non par le tremblement de terre à l’origine du tsunami géant survenu le 11 mars 2011. C’est d’ailleurs ce qui motive des manifestations anti-nucléaires, chaque semaine dans ce pays, mais en Inde également.

Ce week-end, « des milliers de personnes ont répondu présent à l’appel du compositeur japonais Ryuichi Sakamoto en faveur de l’abandon de l’énergie atomique » au Japon. Ils se sont mobilisés pour « soutenir et applaudir le concert de soutien « No Nukes » organisé en « proche banlieue de Tokyo ». Qu’ils soient rigoureusement militants anti-nucléaires ou simple amateurs de musique au départ, le message en faveur de la construction d’un « après-nucléaire » est passé auprès d’un large public.

Mise en ligne le 7 juillet sur Youtube, cette vidéo du concert a été vue plus de 15 000 fois déjà.

 

 

Il s’agit du Yellow Magic Orchestra, réuni à l’initiative de son ex-acolyte Sakamoto, pianiste et pionnier de la musique électro-acoustique au Japon. Ils ont manifesté en musique, donc, avec une dizaine de groupes, parmi lesquels le groupe allemand Kraftwerk (« centrale électrique », en français), également hostile à l’énergie nucléaire.

Les fonds récoltés lors de ce concert seront reversés au mouvement « Adieu l’énergie nucléaire », également soutenu par le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe et par le journaliste « dénonciateur de scandales » Satoshi Kamata.

Pour voir l’ensemble des concerts du week-end, c’est par : un visionnage en streaming déjà « liké » par plus de 18 000 personnes sur Facebook.

Les organisateurs de l’évènement expliquent que « plus d’un an s’est écoulé depuis l’accident de la centrale de Fukushima. La compagnie d’électricité Tokyo Electric Power (Tepco) et le Premier ministre japonais ont déclaré la crise aigüe terminée, mais la réalité est que le danger n’est pas écarté et que la vraie résolution de l’accident demeure incertaine ». Ils ajoutent que « l’avenir est une totale inconnue pour les personnes forcées d’évacuer leur région à cause du désastre atomique consécutif au séisme et au tsunami du 11 mars 2011. Et il est fort probable que les conséquences sanitaires de ce drame ne soient découvertes que plus tard. Nous avons donc organisé ces concerts pour pousser à l’abandon de l’énergie nucléaire au Japon, afin qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas ».

On les comprend. Depuis plus d’un an, une pétition contre l’énergie atomique a recueilli « plus de 7,5 millions de signatures » dans le pays. Tous les vendredis, des manifestations sont organisées « devant la résidence tokyoïte du Premier ministre » où se rassemblent « des dizaines de milliers d’opposants à la présence de réacteurs nucléaires sur le territoire japonais ».

La catastrophe de Fukushima n’est pas une catastrophe naturelle

Rappelons que, survenue dans un contexte de catastrophe naturelle (tremblement de terre +  tsunami), la catastrophe de Fukushima n’en est finalement pas une. Il s’agit d’une catastrophe imputable à l’homme.

Jeudi dernier, une commission d’enquête mandatée par le Parlement nippon, composée de  10 membres de la société civile (sismologue, avocats, médecins, journaliste, professeurs) désignés par les parlementaires, a conclu que l’accident nucléaire de Fukushima a été «  un désastre créé par l’homme » (collégialement, non individuellement) résultant d’ « une collusion entre le gouvernement, les agences de régulation et l’opérateur Tepco, et d’un manque de gouvernance de ces mêmes instances ».

Le document, argumenté sur 641 pages, affirme qu’« ils ont trahi le droit de la nation à être protégée des accidents nucléaires ». Les auteurs pensent que « les causes fondamentales sont les systèmes d’organisation et de régulation qui se sont basés sur des logiques erronées dans leurs décisions et leurs actions ». La commission pointe que « bien qu’ayant eu de nombreuses occasions de prendre des mesures, les agences de régulation et la direction de Tepco n’ont délibérément rien fait, ont reporté leurs décisions ou ont pris des mesures qui les arrangeaient ».

Dans un article paru en France sur Atlantico, Corinne Lepage, eurodéputée et présidente de CAP21, partage les conclusions de cette commission et parle d’« accident nucléaire d’origine industrielle ». Elle met en garde la France, afin que n’y soient pas reproduites les mêmes erreurs.

En France, elle fait partie des nombreuses voix à prendre position en faveur d’une sortie claire du nucléaire. Mais dans notre pays, les voix sont trop « éparses », du centre politique aux anarchistes, les opposants à l’atome s’éparpillent et le mouvement, contrairement au Japon ou à l’Allemagne, ne prend pas.

Manque-t-il un leader au mouvement anti-nucléaire français ?

Au Japon, le mouvement antinucléaire est conduit par un leader talentueux et reconnu comme tel. Il est mené par le charismatique Ruki Sakamoto.

 

© Kazuhiro Nogi / AFP

En France, plusieurs mouvements politiques (de CAP21 au NPA en passant par les Verts), anti-nucléaires (Sortir du Nucléaire et maintenant l’Observatoire du Nucléaire) ou des fédérations anarchistes (qui militent contre l’Etat nucléaire responsable du chantier EPR de Flamanville notamment) s’époumonent, dans leur coin ou en réseau online. Mais quelle figure charismatique pourrait porter la voix du discours anti-nucléaire ? Qui pourrait rassembler et conduire un mouvement unifié en faveur de l’ « après-nucléaire » ? On se le demande encore… à l’aune du débat énergétique prévu pour la rentrée de septembre.

L’heure sera aux prises de position. Que faire de l’énergie nucléaire ? A quelle vitesse en sortir ? Comment prévoir la transition énergétique ? Comment favoriser l’accès à l’énergie à tous (la précarité énergétique augmente) ? Quelle part donner aux économies d’énergie dans le futur mixe énergétique ?

Pendant que nous débattons de concert, des réacteurs nucléaires sont en projet ailleurs dans le monde. En Inde par exemple, où les communautés locales manifestent depuis des mois à Koodankulam, contre la construction de deux réacteurs russes.

L’Inde milite contre l’énergie nucléaire également

 

 

L’opposition à l’énergie nucléaire, quelle que soit sa forme et sa portée, semble ne pas s’essouffler. Mais comment la traduire en faits réels, tant que les acteurs politiques, institutionnels et industriels ne parviennent pas à dépasser leurs intérêts particuliers au profit de l’intérêt général ?

 

Sources : Ivan Villa (blog Mediapart), Francetv.frYahoo.com

 

 

 

lire le billet