La protection de la nature : à quel prix ?

Sans titre1               © by Marc Eliot

Autrefois déifiée, la nature, désormais menacée, tend à se financiariser. Parce que la nature ne possède pas de valeur économique intrinsèque, la pollution de l’environnement a longtemps représenté des « externalités » résultant de nos activités tant personnelles que professionnelles, oubliées dans nos analyses de risques et prises de décisions. Pourtant, la destruction des écosystèmes a un coût tant environnemental que social, économique et humain. Désormais, l’internalisation de ces enjeux passe par une triple initiative de financiarisation : de la nature, des causes du changement climatique (les émissions de carbone) et de ses conséquences.

Quel coût carbone ?

La financiarisation de la nature et le financement de l’adaptation au changement climatique sont pourtant sujets de controverses. C’est ainsi que lors du dernier Forum économique de Davos, la question du coût carbone fut de nouveau érigée en priorité par les chefs de gouvernements, à quelques mois maintenant de la 21ème Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tiendra à Paris.

Des chercheurs de l’Université de Stanford ont récemment publié un rapport mettant en évidence 4 façons d’évaluer le coût du carbone : via son prix sur le marché, sa valeur tutélaire, son coût social ou le coût des mesures d’atténuation nécessaires suite aux variations que les émissions seraient susceptibles d’entraîner sur le climat.

La méthode approuvée par la Banque Mondiale est la suivante : « on identifie les « coûts externes » des émissions, c’est-à-dire les coûts supportés par la collectivité de manière indirecte (pertes de récolte et frais de santé découlant des vagues de chaleur et des épisodes de sécheresse, dommages causés aux biens par les inondations et l’élévation du niveau de la mer, etc.), puis on associe ces coûts à ceux qui en sont à l’origine en établissant un prix pour le carbone. » Le coût carbone doit ainsi permettre d’afficher un « signal-prix » clair tout en étant reconnu par l’ensemble des acteurs de sorte à inciter les prises de décisions globales en faveur de la limitation des émissions de dioxide de carbone et de gaz à effets de serre de manière plus générale. Une fois déterminé et accepté de tous, ce coût peut servir à la mise en place d’un marché carbone, système d’échange de droits d’émissions de CO2, ou à la mise en place d’une taxe sur les émissions de CO2.

Une difficile internalisation du coût carbone à l’échelle mondiale

La reconnaissance d’un coût carbone unique à l’échelle mondiale semble pourtant compromise du fait des désaccords entre Pays du Nord et Pays du Sud sur la question de la responsabilité des pays au développement plus précoce, mais également au niveau national. En 2013, suite à la révision des estimations du coût social du carbone, les élus républicains américains avaient attaqué le mode de calcul choisi et le manque d’explication de la hausse de ce coût.

En Europe, les disparités nationales en matière de fiscalité environnementale sont toujours présentes et le marché de permis européen (ETS) rencontre certains dysfonctionnements. Le nombre de quotas en circulation, souvent attaqué, expliquerait l’inefficacité relative du mécanisme. Selon l’économiste Christian de Perthuis « en Europe, la crise est un des facteurs de l’affaiblissement de ce marché, mais la cause principale de l’échec de l’ETS est politique : il n’y a pas d’engagement politique fort en faveur du marché carbone européen. Or, ce qui fait le prix, c’est la rareté. Et la sur-allocation des quotas a compromis le mécanisme ».

Alice Pauthier

Sources : Arte, euractiv.fr, bulletins-electroniques.com, actu-environnement.com, news.stanford.edu, Rapport du Sénat, Rapport de la commission présidée par Alain Quinet La Documentation française

 

 

 

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Quelle assurance face aux risques climatiques ?

 

 

Le dernier rapport du Giec publié en novembre dernier est sans équivoque : le changement climatique est désormais une réalité aux conséquences observables. Alors que la question du financement des mesures d’adaptation et de l’indemnisation en cas de catastrophe naturelle est  au cœur des débats internationaux, un acteur pourrait jouer un rôle majeur : les compagnies d’assurance. Le changement climatique peut sembler, à première vue, être une opportunité pour le secteur, mais la récurrence et la fréquence des risques extrêmes contribuent à rendre l’assurance du risque climatique elle-même plus aléatoire.  Une question se pose alors : les compagnies d’assurance seront-elles capables de nous assurer ?

Assurer le changement climatique dans les pays en développement

Le changement climatique se manifesterait – en matière de catastrophes naturelles – par une modification de la récurrence et de l’intensité des extrêmes chauds plus significatives que celles des extrêmes froids à court terme et serait plus manifeste dans les pays du Sud que dans les pays du Nord.

À ce constat scientifique s’en ajoute un autre : la demande mondiale d’assurance croît désormais proportionnellement au développement des pays du Sud et aux changements des conditions météorologiques. Bien que souvent considérée comme un bien de luxe dans les pays où les populations ont un revenu fluctuant et où une large part du salaire est dédiée à la satisfaction de besoins primaires, l’assurance est pourtant un moyen efficace de s’adapter à de nouvelles conditions climatiques et météorologiques et peut, dans certains cas, réduire la variabilité des revenus d’une catégorie de la population : les agriculteurs.

Aujourd’hui, l’un des principaux enjeux du secteur est ainsi la recherche de nouveaux types de couverture, notamment pour les pays d’Afrique subsaharienne contraints de se développer en faisant face à des « anomalies climatiques » toujours plus fréquentes. Un nouveau moyen consiste en la mise en place d’ « assurances paramétriques ». Le système est simple : le contrat est établi sur la base d’un seuil de déclenchement « paramétrique » qui donne lieu à une indemnisation quasi automatique dès lors que, par exemple, la température ou les précipitations dépassent ce seuil, sans qu’il soit nécessaire d’évaluer les pertes. Cela permet en théorie une accélération des démarches mais le système doit encore faire ses preuves en termes de viabilité pour les assureurs.

Le marché financier, assurance ultime pour les risques extrêmes ?

Le changement climatique vient également mettre en exergue une spécificité des risques climatiques : ils sont en théorie inassurables, car difficilement modélisables.

En cas de risque climatique extrême dans une zone où le taux de pénétration de l’assurance est élevé, les compagnies d’assurance doivent avoir les liquidités suffisantes pour indemniser les assurés. Elles s’assurent ainsi également au travers de compagnies de réassurance ou via des partenariats avec les États. L’ouragan Andrew (1992) avait cependant témoigné de la difficulté d’anticiper les coûts d’un phénomène extrême et du risque de faillite encouru.

Compagnies d’assurance et de réassurance se sont donc tournées vers le marché financier qui répondait remarquablement bien aux exigences de l’assurance des risques aléatoires et extrêmes car plus flexible que la réassurance classique qui induisait des risques de crédit. C’est ainsi que, dans les années 90, s’est développé un marché alors balbutiant : le marché des « cat bonds » ou obligations catastrophes.

De manière générale, l’obligation « catastrophe » fonctionne comme toute obligation financière dans le sens où les investisseurs achètent l’obligation en fonction de sa valeur nominale et la compagnie d’assurance les rembourse de façon régulière via des coupons. Si l’aléa pour lequel l’obligation a été souscrite ne se produit pas dans le délai prévu (5 ans maximum), l’investisseur voit son investissement fructifier ; en revanche, si la catastrophe a lieu, le versement des coupons s’interrompt et l’investisseur peut même, dans certains cas, perdre tout ou partie de la valeur nominale de son investissement. Ce système permet donc aux assureurs et réassureurs d’avoir accès à des actifs très liquides de façon quasi automatique.

Pour reprendre les propos de Christophe Fritsch, responsable de la gestion des instruments adossés à des contrats d’assurance chez Axa Investment Managers, l’obligation « catastrophe » est « un instrument qui transfère le risque de catastrophe des assureurs, réassureurs et corporates vers les marchés de capitaux. C’est de la désintermédiation du risque d’assurance. » Cette protection des marchés financiers reste cependant encore récente et exposée à des risques mal connus.

Alice Pauthier

Sources : Les Echos, Giec

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L’ AMAP : un modèle agricole alternatif?

Le circuit court a abaissé la clôture sociale entre producteurs et consommateurs. © Olivier Desvaux, Géo.fr

Apres la démocratisation du covoiturage, du peer to peer, du Crowdfunding, du vélo-partage, du couchsurfing et de la colocation, avez-vous déjà entendu parler d’un modèle collaboratif d’agriculture ?  Oui les modèles collaboratifs dans le secteur productif sont possibles. Ils précédaient même les modèles numériques. L’un d’entre eux existe depuis 2001 en France mais émerge lentement : avez-vous déjà entendu parler des AMAP ?

Qu’est-ce que sont les AMAP ?

Les AMAP sont des associations d’achat direct de fruits et légumes auprès d’un agriculteur. D’abord conçu  pour soutenir l’agriculture paysanne et biologique face à l’agro-industrie, le principe de l’AMAP est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs. Ces derniers s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant à l’avance. Sur le terrain, le consommateur paye au début de la saison ou du mois ses légumes auprès de l’association. Puis il vient chercher un panier chaque semaine sur le lieu convenu. Le panier est une division de la production de l’agriculteur entre tous les membres de l’association. Il est, à la base, prévu pour deux personnes mais fluctue en fonction de la nature des récoltes. Ayant le monopole, les consommateurs peuvent ensuite s’accorder pour que l’agriculteur s’adapte à leur consommation.

En réalité, ce système bien pensé est une sorte de transposition du commerce équitable mais dans les pays du Nord. Mais devant le prix de la main d’œuvre française, comment un tel système peut-il être rentable ? Le raccourcissement du circuit de vente et l’absence de transport permettent de diminuer considérablement les coûts.  La confiance instituée dans l’association délivre également l’agriculteur des couteux labels d’agriculture biologique et des négociations de vente chronophages. Si on ajoute à cela l’absence de gâchis et  d’emballages, on obtient un prix très raisonnable pour des produits d’excellente qualité.

Ce modèle d’organisation tend  à s’émanciper des  courants écologistes militants. Il est aujourd’hui adopté par des « consomm’acteurs », néologisme qui désigne les consommateurs éclairés mettant en pratique l’idée de  « voter avec son caddie » et consommant de façon citoyenne et non plus seulement de manière consumériste.

Un modèle aux enjeux sociétaux de taille :

La santé publique : chaque semaine un scandale éclabousse l’industrie agro-alimentaire. Le dernier en date étant la réelle nature des poissons dans les plats cuisinés. Les consommateurs sont déboussolés et oscillent entre révolte et cynisme. Les campagnes sont tellement polluées par les intrants que les associations environnementales doivent installer des ruches dans les villes pour protéger les abeilles. La sacrosainte espérance de vie commence même à redescendre dans certains pays occidentaux. Les AMAP s’inscrivent dans une tendance de déconsommation, qui consiste à passer de la surabondance à la sélection des produits.

La relocalisation de l’emploi : on a tous été victimes du chantage au « consommez français » qui sous-entend que s’il n’y a plus d’emploi en France c’est de la faute du consommateur. Dans la pratique, le patriotisme économique est une lutte de tous les jours. En plus du prix excessif, cela demande un investissement personnel considérable qui déroute même les plus idéalistes. Si l’on sait qui on fait travailler, tout devient plus simple.

La reconquête de la souveraineté alimentaire des territoires : dans une situation où seules les subventions séparent la plupart des agriculteurs de la faillite, un regain d’autonomie de nos paysan devant les grandes entreprises mondialisées relèverait presque du droit des peuples à l’autodétermination. Avec des structures telles que celles des AMAP il devient possible d’avoir le choix de la sécurité alimentaire.

Mais quel avenir pour les AMAP?

On a vu que le modèle de circuit court présentait des solutions concrètes et réalistes aux problèmes que traversent l’agriculture et la société française. Mais sans volonté politique, comment rivaliser avec les subventions ?

A moyen terme, si les aides de la PAC continuaient à diminuer en 2020 comme cela a déjà été le cas en 2013, on peut imaginer un rapide déclin de l’agriculture industrielle française. Au sein de l’union européenne, des pays comme la Pologne et la Roumanie négocient déjà sévèrement pour « nos » aides.

A long terme, l’avenir de l’agriculture française est incertain. Mais si un réseau solide fait d’initiatives citoyennes maille le territoire, il pourra prendre le relais en cas de changements.

L’AMAP pourrait se révéler comme modèle agricole alternatif … ou juste comme le meilleur moyen de satisfaire vos papilles.

Pour trouver une AMAP :

http://www.reseau-amap.org/

Pour plus d’informations en vidéo sur le système de l’AMAP:

https://www.youtube.com/watch?v=wGv39RMrskw&noredirect=1

 

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Une tablette améliore-t-elle la lutte pour la sauvegarde de l’environnement ?

 

Les NTIC  peuvent-elles incarner l’écologie du XXIe siècle ?

Le débat s’ouvre progressivement, parallèlement à l’émergence à grande échelle des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) depuis les années 1980. La tablette, nouvel outil au service du grand public, permet une inter connectivité de la majorité de la planète ainsi qu’un rapprochement des mondes.
Désormais, l’autre, le barbare de la Grèce antique, est devenu un semblable, certes éloigné géographiquement mais proche, à nos côtés, par la technologie. Il y a donc une proximité certaine. Cette technologie a participé à l’apparition du monde que nous connaissons : la mondialisation.
Par ailleurs, cette mondialisation débouchant sur une concurrence effrénée, a admis par l’innovation (moteur de l’avantage stratégique) l’instauration de nouvelles technologies informatiques à la disposition du grand public, comme l’ordinateur, les smartphones ou les tablettes. La mondialisation n’est pas exclusivement née des NTIC, mais celles-ci en constitue sans aucun doute le symbole le plus puissant.
La tablette, dernière arrivée sur le marché il y a quelques années, est-elle bénéfique pour l’environnement ?

Il apparaît certain que la tablette offre de nombreux avantages.
En effet, le support numérique permet sans aucun doute d’économiser pour le grand public bon nombre de papier. Plus besoin d’imprimer un livre, ou d’acheter un cahier pour écrire. La tablette fait donc l’économie de beaucoup d’arbres, d’espaces verts ou de zones protégées. A l’échelle de la France, cela représente quatre millions de tablettes vendues en 2012 ; autant d’arbres en moins à couper. L’avantage est donc certain.

Néanmoins, ces nouvelles technologies numériques n’empêchent pas pour autant de détériorer l’environnement. L’ensemble de ces outils numériques fonctionnent avec de l’étain, de l’aluminium ou du lithium. Or l’extraction de ces terres rares coûte très cher à l’environnement, avec un fort prix à payer en termes de pollution. L’exemple de l’île de Bangka, en Indonésie, est révélateur. Cette immense mine d’étain fonctionne à plein régime, lié à la forte demande mondiale (plus particulièrement des pays émergents), générant des dégâts sans précédent pour les populations locales. Selon Pie Ginting, directeur de l’ONG les Amis de la Terre en Indonésie, « 65% des forêts et plus de 70 % des récifs coralliens auraient été contaminés […] l’accès à l’eau potable est devenu problématique sur l’île, à cause de la contamination des rivières par les déchets miniers ». Les vertus de la tablette sur l’écosystème doit donc être relativisé, car ces outils miniaturisés exigent l’utilisation de nouveaux matériaux (coltan, étain, lithium) dont l’extraction est particulièrement nocive pour la planète.
De plus, il faut agréger le fait que ces tablettes ont une durée de vie très courte (inférieure à trois ans) et ne sont généralement pas réparés, car les matériaux utilisés pour leur fabrication sont d’une part très coûteux, et d’autre part les réparations sont jugées trop complexes et non rentables.

L’ajustement réside donc à l’échelle de l’entreprise. En 2012, 93% des tablettes produites sont destinées au grand public. Or, l’impact écologique le plus néfaste reste l’activité des entreprises. En ce sens, la numérisation de l’entreprise pourrait générer à grande échelle d’importantes économies. L’autre variable d’ajustement de cette équation réside dans le recyclage de ces appareils.
Le défi est immense, sachant que le marché des tablettes s’est fortement rapproché de celui du PC portable. Il s’est vendu 5,5 tablettes par seconde en 2013.

L’enjeu revient donc à déplacer le problème. Certes, on limite certains impacts liés par exemple à la déforestation, mais on intensifie l’extraction de terres et métaux rares. Autrement dit, on limite l’impact sur le bois pour détériorer le sol.
Les gains, si on peut les nommer comme cela, sont bel et bien minimes.

Une variable pourrait donc aider à solutionner ce problème. La mécanique théorique de l’économie circulaire résous un certain nombre de problèmes liés dans ce cas de figure au recyclage. En effet, le principe d’une économie circulaire est un mécanisme économique s’inscrivant dans le cadre d’une économie durable. On est donc dans un cycle quasi fermé où tout ce qui est utilisé pour la production est conservé afin de ne pas être perdu. Autrement dit, on cherche à optimiser les capacités de productions en annihilant ou pour le moins en limitant les émissions toxiques pour l’environnement.
Citons par exemple en Europe le cas de papetiers comme Arjo Wiggins pour le papier recyclé, ou les fabricants de moquette comme Interface et Desso. Par ailleurs, Israël a développé un système de production agricole qui consomme très peu d’eau, ou le Danemark qui à légiféré pour une politique de développement « zéro déchets ».
Rapporté aux enjeux liés aux nouvelles technologies, il est tout à fait concevable de mettre en place une politique très ambitieuse de limitation des déchets.
Cependant, la concurrence économique actuelle et les sommes en jeu n’incitent pas à voir émerger ce phénomène dans un futur proche ; l’action serait efficace à condition que la politique sur le sujet soit globale.

Le défi écologique sur les tablettes à court et moyen terme est donc immense et les solutions  respectueuses de l’environnement très limitées. Elles ont au moins le mérite d’exister.

Hugo Dubert

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La révolution biotechnologique

Une cellule souche. Vue d'artiste conceptuelle. AFP

Une cellule souche. Vue d’artiste conceptuelle. AFP

Créer des cellules de cornée à partir de cellules de cheveux prélevées sur un  patient et ainsi exclure tout rejet immunitaire en pratiquant une autogreffe est devenu réalité. Après dix ans de recherche et de test, les équipes du laboratoire de recherche sur les cellules souches de l’Inserm y sont parvenues. Le traitement médiatique des innovations biotechnologiques dans les sciences du vivant oscille entre fascination face aux progrès techniques et sociaux que ces découvertes représentent et craintes éthiques concernant la manipulation du vivant. Au sein de ces enjeux, la question du processus d’innovation n’y est que rarement abordée, notamment en ce qui concerne son financement et sa mise sur le marché.

Les biotechnologies, un enjeu médical et économique prééminent

La biotechnologie serait « une des révolutions les plus fondamentales que l’être humain ait jamais connu » selon le Dr. Michel Limousin. La révolution des biotechnologies « transforme tout », de « la connaissances des mécanismes intimes de la vie, de la société, de la culture, de l’économie industrielle, de l’éthique et même de la conception de ce qu’est l’Homme lui-même ». Or, pour qu’une innovation biotechnologique puisse devenir une révolution il faut en premier lieu qu’un projet de recherche soit financé sur l’ensemble de son cycle (allant de la recherche fondamentale à la mise sur le marché). Cela nécessite une stabilité sur le moyen terme : en moyenne, il faut dix ans pour qu’une découverte scientifique amène une innovation technique industrialisable, comme l’illustre la découverte de l’Inserm qui, pour l’instant, est encore au stade expérimental.

Le développement de cette filière représente un intérêt stratégique pour la France et l’Europe : sans un soutien en faveur des sciences du vivant et des biotechnologies, la France n’aura d’autres options qu’acheter les innovations des autres à défaut de vendre les siennes. Par ailleurs, les gains en termes de création d’emplois hautement qualifiés et la reconversion du tissu industriel dans des activités à haute valeur ajoutée sont des atouts stratégiques non négligeables.

Le cas d’Innate Pharma : quels leviers pour le développement de la filière ?

Le dernier exemple en date illustrant l’intérêt croissant pour ce secteur a été révélé par le quotidien Le Monde qui, dans un article paru le 4 décembre 2013, explique comment les fonds américains ont investis dans l’une des « pépites de la biotechnologie française », Innate Pharma.

Selon le quotidien, la valeur boursière de l’entreprise marseillaise Innate Pharma aurait progressé de 75% ces dix dernières années grâce aux financements outre-Atlantique. Hervé Brailly, PDG d’Innate Pharma, explique s’être tourné vers les fonds américains pour développer ses innovations immuno-oncologiques en raison de l’accès aux sources de financement et de la compréhension des enjeux techniques et économiques des biotechnologies.

L’entrepreneur constate que « le mariage de la finance et de la science est encore à construire en Europe où les investisseurs […] paraissent frileux face à des sociétés au modèle économique complexe ». En outre, M. Brailly met en avant un autre aspect bénéfique des fonds américains : « les interlocuteurs » qui « au sein de ces fonds sont des médecins et des spécialistes de l’immunologie parfaitement capables d’évaluer notre travail ».

Parmi les freins au développement d’une filière pérenne des biotechnologies françaises et européennes, la difficulté d’accès à des sources de financement sur plusieurs années soutenant le cycle long d’innovation propre au secteur est régulièrement mise en avant par les professionnels. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologique, dans son Rapport n°2046 sur la place des biotechnologies en France et en Europe, corrobore le constat d’Hervé Brailly. Pour l’institution nationale, « le retard le plus accusé [par la France dans le secteur des biotechnologies] par rapport aux États-Unis touche au financement des biotechnologies ». L’organe parlementaire voit dans « la continuité du soutien accordé aux biotechnologies et l’importance des moyens mobilisés » la principale explication du « décalage » et du « retard » français et européen vis-à-vis des Américains. L’étude soutient par la suite que « l’une des caractéristiques du contexte dans lequel les biotechnologies se développent repose sur l’implication du secteur privé et la mobilisation de la recherche publique dans des domaines très ouverts et fortement concurrentiels ».

La constitution d’un modèle français et européen de soutien aux biotechnologies

En France, plusieurs fonds spécialisés dans le financement des sciences du vivant ont vu le jour en une décennie. Cette tendance tend à se consolider et certains de ces fonds sont prolongés d’années en années pour suivre les besoins financiers des entreprises biotechnologiques.

La Banque publique d’investissement (BpiFrance), groupe public de financement et de développement des entreprises, propose et/ou gère des fonds permettant de faciliter l’allocation des besoins en financement en « accompagnant dans la durée » les entreprises. Dans le secteur des biotechnologies, BpiFrance a noué de nombreux partenariats avec des sociétés de financement privées. Parmi ces dernières, le Groupe Edmond de Rothschild a mis sur place un fonds destiné au financement des sciences de la vie.

Dénommé « BioDiscovery », ce fond investit depuis 2000 dans les sociétés nécessitant d’importants besoins financiers et dont les projets représentent des opportunités commerciales.

Depuis sa création en 2000, le fond a collecté plus de 350 millions d’euros sous gestion dédiés au secteur des sciences de la vie. Le fonds BioDiscovery IV accompagne le développement des entreprises sur une période de deux à six ans avant de passer le relai à un industriel pour assurer la mise sur le marché des innovations. Afin de soutenir le secteur français et européen des biotechnologies, BioDiscovery est composé à 90% d’investisseurs français et contribue au financement d’entreprises majoritairement françaises et quasi-exclusivement européennes. Développé par Edmond de Rothschild Investment Partner (EdRIP, filiale du Groupe Edmond de Rothschild), ce fonds stratégique d’investissement a ciblé 15 à 20 entreprises des biotechnologies en besoin de financement et jusqu’à présent quatorze opérations ont déjà été réalisées, notamment auprès d’Oncoethix, Complix, Allecra, etc.

L’une des originalités du fonds est la collaboration avec des structures publiques de recherche, notamment avec l’incubateur créé par l’Institut Pasteur qui propose au fonds, en priorité, des projets d’investissement dans des sociétés porteuses de projets prometteurs.

En treize ans, le fonds a ainsi investi dans près d’une cinquantaine d’entreprises du secteur avec un projet porteur de sens et représentant un potentiel de croissance. Ce fond a notamment permis le financement des recherches ayant amené à la découverte de nouvelles molécules permettant de soigner des glaucomes.

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L’Europe en panne d’énergie?

Ghunter Oettinger, Commissaire européen à l'Energie - www.cicero.de

 

La politique énergétique américaine a déjà été comparée à une politique européenne qui se voudrait bien plus responsable et sérieuse. Héritière de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, l’Union européenne devrait être en pointe sur le sujet. Pourtant, peut-on vraiment parler de politique énergétique européenne ?

De l’éloge de la politique énergétique a minima

Définir sur quoi se baserait une éventuelle Europe de l’énergie est difficile tant le concept est flou et regroupe plusieurs problématiques. La sécurité énergétique, le développement des interconnexions, la standardisation des mix énergétiques ou encore la libéralisation des marchés de production d’électricité pourraient ainsi en faire partie. Pour savoir de quoi l’Europe de l’énergie relève, il faut alors se baser sur les textes. Tout d’abord, il y a la directive 2006/67/CE adoptée par le Conseil le 24 juillet 2006 « faisant obligation aux États membres de maintenir un niveau minimal de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers ». En prévision de problèmes d’approvisionnement, chaque Etat membre doit posséder en permanence l’équivalent de 90 jours de consommation dans ses stocks. Pour autant, cette mesure ne relève pas d’une mutualisation de l’effort pour la sécurité énergétique et établit encore moins une politique commune de l’énergie.

La politique énergétique façon réunion Tupperware©

Alors il faut regarder plus loin. Perdu dans les 355 articles du Traité de formation de l’Union européenne (hors protocoles), l’Article 194 fait office de Bible pour l’Europe de l’énergie. Une Bible de…trois paragraphes dans laquelle la seule base de construction de l’Europe de l’énergie s’établit sur « un esprit de solidarité entre les Etats membres ». A partir de là, tout est dit : en lieu et place d’une réelle stratégie commune qui guiderait les choix des Etats, la politique européenne de l’énergie consistera en une vaste consultation, par essence non contraignante, sur les futurs choix de chaque Etat dans le domaine. D’ailleurs, les décisions européennes « n’affectent pas le droit d’un Etat membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ».

Ce n’est donc pas, non plus, dans la définition d’une stratégie commune pour les choix de mix énergétique que s’oriente l’Europe. Néanmoins, l’héritage de l’Union en la matière est fort avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 et la Communauté économique européenne en 1957.

Signature du plan Schuman qui fonde la CECA - letemps.ch

L’énergie comme soutien à une politique de défense européenne

De façon surprenante, c’est le volet sécuritaire de l’Union européenne –le plus faible des piliers de l’Union- qui semble aujourd’hui maintenir l’idée qu’il puisse y avoir une politique européenne de l’énergie. L’Evangile selon Lisbonne, Titre XXI, verset 194 demande ainsi à ce que les Etats soient solidaires pour «assurer la sécurité des approvisionnements dans l’Union ». Avec une dépendance énergétique qui prend un petit peu plus d’importance chaque année (simples mathématiques : baisse de la production d’hydrocarbures en mer du Nord + augmentation de la consommation + transition énergétique qui ne suit pas = dépendance aux marchés étrangers) et un climat géopolitique désastreux dans les Etats du Golfe, la sécurité des approvisionnements a pris de plus en plus d’importance. Dans ce cadre, le conflit gazier russo-ukrainien de 2006, qui avait privé de gaz une partie de l’Europe, a marqué les esprits et a enclenché une marche en avant.

Du coup, en 2008, les avocats d’une Europe de la défense au sein du Conseil de l’Europe se sont saisis du dossier pour l’intégrer dans la Stratégie européenne de sécurité (2003) via ce rapport. Le texte est plus que critiquable mais l’important n’est pas là. Cette stratégie, qui rentre dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune, est très abstraite et se traduit difficilement en mesures concrètes et applicables sur le plan institutionnel. Si le texte se limite à des recommandations n’ayant aucune portée contraignante, il désigne néanmoins les hydrocarbures comme enjeux vitaux d’une éventuelle Europe de la défense qui reste à construire et renforce les bases d’une vision européenne du secteur de l’énergie, bases que l’on voyait déjà pointer dans l’Article 194. Il y a derrière ce texte le sentiment d’une communauté de destins plus que d’une communauté économique car les conflits mondiaux menacent tous les Etats membres au même niveau, en témoigne l’extrait suivant :

« La diminution de la production en Europe signifie qu’en 2030 jusqu’à 75 % du pétrole et du gaz devront être importés. Ces importations proviendront d’un nombre limité de pays, dont beaucoup sont exposés à des risques d’instabilité. Nous sommes donc confrontés à une série de défis en matière de sécurité, qui mettent en jeu la responsabilité et la solidarité de tous les États membres.”

Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité

Bruxelles, 11 décembre 2008

 

Au-delà de cela, assurer le fonctionnement du marché, assurer la sécurité des approvisionnements, promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables et promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques, voici les axes de réflexion de la stratégie énergétique européenne. Et ceux-ci montent de plus en plus au niveau décisionnel européen car, avec la réalisation du marché intérieur, les réseaux énergétiques sont complètement connectés et dépendants les uns des autres. L’Europe de l’énergie devient, de fait, une nécessité plus que le produit d’une réelle volonté politique.

De plus, la question de la lutte contre le changement climatique se pose à tous dans les mêmes termes. Et comme dans tous les domaines, on en vient à réaliser que l’action des Etats membres aura bien plus de poids et d’efficacité si elle est concertée. Ceci est d’autant plus vrai que l’Europe se voit devenir une puissance normative dans de nombreux domaines, et « lutter activement contre le changement climatique en promouvant les sources d’énergie renouvelables et l’efficacité énergétique » fait office d’argument de soft power.

Jos Delbeke, responsable de l'Action climatique européenne - www.deredactie.be

La montée en puissance de l’Europe face aux Etats

C’est pourquoi un Livre vert intitulé « Un cadre pour les politiques en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 » (après « Europe2020 » on voit bien que l’Europe adore se fixer des horizons) a été adopté il y a peu par la Commission européenne.

Cependant, il n’a pas apporté grand chose si ce n’est la reconnaissance d’un état de fait : « l’absence de consensus politique énergétique communautaire limite les possibilités d’intervention ». Ainsi, la France continue de faire valoir son argument nucléaire alors que l’Allemagne comble le vide de l’atome par une utilisation frénétique du charbon. De même, la Pologne glisse tout doucement vers le gaz de schiste tandis que le Portugal développe sa capacité en énergies renouvelables. Dans une dynamique semblable de dissonance généralisée, le manque d’accord sur les grands dossiers internationaux empêche d’aborder les différents partenaires énergétiques (Russie, Conseil de coopération du Golfe, Asie centrale…) au niveau européen et de créer des liens durables avec ces derniers. La question des approvisionnements étant liée à la politique étrangère, la compétence reste au sein des Etats.

Du coup, l’Europe de l’énergie se limite à des vœux pieux : activer la « transition énergétique » en agissant par la demande plutôt que par l’offre (comprendre : inciter les citoyens et industries à consommer moins, ou mieux) en créant des outils fiscaux et en développant les énergies renouvelables. N’ayant pas de réel levier sur les politiques énergétiques nationales, l’UE fait du lobbying pour assurer un consensus autour du concept de la transition. Un moyen pour le continent de renforcer sa sécurité énergétique, mais également de verser dans le soft power vert. L’Europe, première puissance commerciale, peut-elle se contenter de cela pour devenir la première puissance écologique mondiale ?

 

Florian Tetu

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ONG environnementales : associations de malfaiteurs ?

http://www.seashipnews.com

Entreprises et organisations environnementales se retrouvent souvent dans une opposition manichéenne. Le bras armé du marché total contre le courage d’une société civile qui agit par le nombre est une de ces fables qui agitent l’imagination. Pourtant, tout n’est pas si rose dans le monde associatif, et notamment parmi les associations écologistes. La légitimité qu’elles tirent de leur combat désintéressé n’est pas nécessairement fondée.

Le 24 juin 2013, Canal+ diffusait un numéro de Special Investigation intitulé « Charity business : les dérives de l’humanitaire » dénonçant les dérives d’associations humanitaires ayant fait de la solidarité un véritable marché à conquérir, avec les arnaques que cela comporte. Parallèlement, le gouvernement, sur la question de la transition énergétique, est complètement inaudible. La lenteur du débat inquiète alors que, pour la première fois depuis au moins 40 ans, le temps énergétique s’est accéléré avec la révolution des gaz de schiste. Les ONG le savent pourtant, mais ne dénoncent pas l’inaction et ne communiquent que peu sur le sujet. Alors que les associations humanitaires se trouvent durement critiquées, les organisations environnementales, qui se montrent incapables de peser sur le débat politique de manière positive, sont épargnées. D’où la question : les organisations environnementales sont-elles réellement les insoupçonnables porte-paroles de l’écologie ?

Recherche fausse association pour lobby effectif, l’exemple des frères Koch

Il y a tout d’abord la longue histoire des intrusions du secteur privé dans un secteur associatif de façade. Les associations n’ont alors rien d’indépendant, rien de civil, rien d’écologiste (mais agissant dans le spectre de l’associatif environnemental, elles valent le coup d’être mentionnées) et rien de vraiment convaincant à proposer. L’exemple le plus symptomatique concerne les frères Koch, milliardaires souriants et texans qui, au beau milieu de leur ranch, possèdent les fonds de Greenwashing[1] les plus importants et les moins discrets du monde. Le New Yorker exposait il y a trois ans les tromperies et le lobbying, derrière une façade civile, auxquels s’adonne la fratrie. Ainsi, le groupe Americans for Prosperity, qui lance chaque année une « croisade » contre l’Agence de protection environnementale américaine (EPA), est présidé par David Koch, lui même régulièrement poursuivi par l’EPA pour les dégâts que son entreprise inflige à la nature. Il avait notamment écopé d’une amende de 35 millions de dollars pour des rejets illégaux de déchets toxiques directement dans des sources d’eau du Minnesota.

Mais Americans for Progress n’est qu’un amuse-bouche. Voilà plus de 35 ans que les frères Koch multiplient les initiatives du genre : création de l’influent think tank[2] libertaire Cato Institute, création de Citizens for a Sound Economy, association de « citoyens » militant contre la régulation étatique (qui ferait passer les enragés du Tea Party pour des communistes et qui a, à l’occasion, été littéralement loué à d’autres lobbies comme Philip Morris[3]), financement du Mercatus Center à l’université George Mason –qui dispense à plusieurs centaines d’élèves la sagesse économique dérégulatrice des frères Koch-, lancement de Concerned Citizens for the Environment –qui, ironiquement, ne comptait aucun citoyen adhérent dans ses rangs et produisait pourtant foule d’analyses contredisant la réalité des pluies acides[4]-, création de l’American Energy Alliance pour tuer dans l’œuf la taxe sur les énergies fossiles voulue par le Président Clinton, financement du parti républicain lors des élections de 1996, démantèlement médiatique du travail du GIEC par plusieurs instituts qu’ils financent dont le Competitive Entreprise Institute, incursion de spécialistes payés par la fratrie au sommet mondial de l’environnement de Copenhague… La liste est longue, le financement cumulé des frères Koch du lobbying anti-climatique étant supérieur à celui d’ExxonMobil. Peuvent être rajoutés, entre autres, la Heritage Foundation, le Manhattan Institute, la Foundation for Research on Economics and the Environment, le Pacific Research Institute et la Tax Foundation.[5]

Des personnalités extrêmement médiatisées et des sponsorings d’entreprise empêchent de penser qu’il s’agit d’un mal purement américain.

En France, cette dérive est la plus évidente et la moins efficace car trop visible et basée sur un courant libertaire qui y a encore relativement peu d’emprise. Mais ne croyez pas que l’Hexagone soit à l’abri du greenwashing. De nombreux soupçons pèsent sur les superstars franchouillardes de l’environnement que sont Yann Arthus-Bertrand (qui dirige la fondation Good Planet) et Nicolas Hulot (de l’association éponyme), par exemple.

La campagne 10 : 10 de Good Planet a par exemple été vivement critiquée. Il s’agissait d’inviter tous les acteurs du réchauffement climatique –du citoyen à la multinationale- à réduire leurs émissions de 10% durant l’année 2010. De nombreuses entreprises ont rejoint l’action et s’en sont publiquement félicitées, afin de se donner une image « verte ». Sauf que l’initiative n’était absolument pas contraignante, qu’elle ne comportait pas de système d’évaluation et que les mesures prises tournaient parfois au ridicule. L’essentiel était ailleurs : pour les entreprises, il fallait participer à cette « campagne de communication massive ».

Il en va de même pour Nicolas Hulot dont la fondation est financée par de grands groupes : EDF, Ibis hôtel, L’Oréal, TF1 pour ne citer qu’eux. Si certains ne sont pas choqués qu’une entreprise puisse financer une association environnementale à telle hauteur, d’autres feront les gros yeux pour au moins deux raisons. D’une part, il est difficile de concevoir que les associations environnementalistes puissent se permettre d’exercer leur rôle de façon impartiale et de fustiger l’action de leurs mécènes (c’est cracher dans la main qui vous nourrit). L’attitude de la Nature Conservancy, l’une des plus grandes associations écologistes au monde, lors de la fuite de pétrole géante dans le Golfe du Mexique causée par une plateforme BP avait notamment étonné plus d’un militant. Le silence de l’association s’expliquait alors par le fait qu’elle avait reçu plus de 10 millions USD de dons de la part de BP à travers les ans. En cherchant rapidement sur internet, on s’aperçoit d’ailleurs que les intérêts personnels pèsent clairement dans la balance : la rémunération moyenne à la fondation Goodplanet est de 4024€ par mois et celle de la Fondation Nicolas Hulot est à 3931€ par mois, bien au-delà des salaires moyens à Paris qui tournent autour de 2700€ mensuels.

http://images.ted.com - Notez la moustache, apanage de José Bové, servant de caution écologique

Le deuxième problème qui se pose est sans doute plus fondamental puisqu’il tient à la base idéologique même de l’environnementalisme. Cette dernière n’est pas construite autour du « consommer mieux » que représente l’économie verte, promue par bon nombre d’acteurs économiques et qui constitue toujours une croissance continue qui ruinerait la planète. La plupart des idéologies écologistes reposent sur un changement des paradigmes économiques, sociétaux et de consommation. Le monde ne peut alors s’imaginer sans un futur où l’homme a changé son rapport même avec la nature au lieu de la commercialiser. Là où le bas blesse, c’est que les entreprises qui financent les fondations environnementalistes sont les champions du capitalisme que combat l’écologie. Accepter les financements –qui relèvent de tout sauf de l’altruisme-, devient symbole d’acceptation voire de confluence avec un système qui n’est pourtant pas viable pour la planète.

Le mal venu de l’intérieur : Greenpeance ou l’ONG qui s’était auto-corrompue.

Il ne faut néanmoins pas voir la main du big business partout dans le monde associatif. Certaines ONG n’ont rien à se reprocher, d’autres n’ont pas besoin de cela pour basculer dans les dérives. Une étude réalisée par « un anarchiste du CRAN » intitulée « Greenpeace, ou la dépossession des luttes écologistes » jette une lumière intéressante sur l’évolution d’une initiative foncièrement sincère à la base en « appareil associatif » gérant ses intérêts comme le ferait une multinationale.

Greenpeace est née en 1971, imaginez la scène : une bande de hippies sur un Zodiac interviennent sur les côtés canadiennes pour empêcher la réalisation d’essais nucléaires américains. Si l’action échoue, le groupe n’en reste pas là et allie les coups d’éclats militants à des techniques journalistiques avancées qui les font connaître du grand public et font croître leur réputation. Seulement, les années passant, l’ONG s’éloigne du vrai mouvement militant pour rentrer dans une organisation digne d’une multinationale. Avec l’explosion du Rainbow Warrior par les services secrets français, les revenus des dons augmentent et Greenpeace se professionnalise. Quand Mac Taggart, ancien entrepreneur, arrive à la présidence de l’association en 1979, c’est le début de la dérive. Greenpeace adopte des techniques managériales de plus en plus poussées : on investit dans la communication, on embauche des responsables non-militants mais au CV fourni, on vend des produits « écolos » pour faire grimper les recettes… Là encore, certains n’y trouveront rien à redire. Mais les associations militantes s’appuient généralement sur une organisation horizontale tandis que Greenpeace a délaissé ses adhérents au profit d’une organisation en pyramide qui profite à un pouvoir centralisé autour du bureau de Greenpeace International d’Amsterdam, ce dernier brassant des centaines de millions d’euros. Cette organisation a pour effet de « déposséder » les militants des luttes écologistes. La direction de l’association met en avant les groupes locaux via sa communication dans un « rite de valorisation publique de l’engagement bénévole » servant à « maintenir l’image d’une association proche des gens, ancrée sur le territoire et imbriquée dans les luttes sociales »[6].

A propos de luttes sociales, on s’amusera également de l’enrôlement de travailleurs précaires pour la récolte de dons. A ceux qui croyaient naïvement que les gens en k-way colorés qui les agressaient dans la rue, armés d’un sourire bien trop gros pour être vrai et d’un « Bonjouuuuuuuuur, vous connaissez Greenpeace ? », étaient des militants écolos purs et durs, il est impossible de se tromper plus. Ce ne sont ni plus ni moins que des étudiants sans le sous, intérimaires ou débauchés par des cabinets spécialisés dans la récolte de dons (si si, ça existe. Greenpeace n’y a pas recours car elle a internalisé cette fonction, mais le WWF par exemple n’hésite pas), payés au lance-pierre, formés aux techniques commerciales et avec des objectifs de signatures bien établis par leur hiérarchie. Pour un groupe censé contribuer à la définition du développement durable, alliance de politiques sociales et environnementales, c’est un peu limite. Pascal Husting, directeur de l’association de 2005 à 2011, se félicitait même d’avoir licencié des militants qui ne s’étaient pas adaptés à la professionnalisation et que « aucun recours devant le conseil des prud’hommes n’a été gagné ».[7]

En grattant un peu plus le vernis, on s’aperçoit donc que tout n’est pas tout rose, même pour des écologistes qui ne tirent par leurs revenus des entreprises. Dans Qui a tué l’écologie, Fabrice Nicolino délivrait sans doute la charge la plus violente contre les associations environnementales, tirant à vue sur tout ce qui bougeait. Alors que tout le monde ne voyait chez WWF que le gentil petit panda (en réalité affreusement agressif), peu se sont efforcés de remonter aux origines de l’association créée en 1961 « par des nobles britanniques dont la motivation était de pouvoir continuer à chasser le grand gibier sauvage en Afrique ». Son système de financement a été monté par Anton Rupert, multimillionnaire sud-africain membre de la Broederbond, club d’hommes riches et influents qui ont tout tenté pour laisser l’Afrique du Sud dans les méandres de l’apartheid.

Le passé est derrière nous ? Peut-être, à ceci près que « le WWF est si proche des intérêts des transnationales qu’elle a accepté de siéger dans des tables rondes avec les industries les pires de la planète pour créer des labels industriels soutenables, sur le soja, les biocarburants ou encore l’huile de palme ».[8]

De la légitimation économique à la légitimation politique. Le pas, franchi, du grenelle de l’environnement.

Au vu de tout ça, on ne s’étonnera guère de l’instrumentalisation politique des associations écologistes. Il y a bien sûr le badaud Hulot, que les hommes politiques français aiment à trimballer de photographe en photographe ; à tel point que dans la cour de l’Elysée, les gardes républicains ne s’étonneraient guère de voir atterrir un ULM ou une montgolfière made in Ushaïa nature. Mais l’œil avisé ne s’y laisse pas prendre ; alors le gouvernement Sarkozy a réuni toutes les associations « vertes » dans ce grand coup médiatique que fut le grenelle de l’environnement pour achever de convaincre les sceptiques. Les associations devenaient alors un faire-valoir écologique à des mesures pro-business. Agnès Sinaï expliquait dans le Monde diplomatique de novembre 2008 que « entre les propositions initiales et le texte final de la « loi d’accélération de la mutation environnementale » (sic) débattue au parlement, les ONG se sont vu confisquer le processus. Instrumentalisées au service d’un système de décision dans lequel elles n’auront pas le dernier mot, elles sont devenues les témoins passifs d’arbitrages technocratiques pris en réunions interministérielles par des hauts fonctionnaires et des acteurs économiques, pollueurs et bétonneurs d’hier et d’aujourd’hui ». Sauf qu’il est un peu trop facile de désigner les associations comme des victimes et non pas comme des complices avisés.

http://www.econov.eu/

Depuis le Millemium Ecosystem Assesment lancé par le Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan en 2001, la sphère écologiste sait que les initiatives gouvernementales ne se structurent qu’autour du « business vert », considéré comme un moteur de croissance. Il est compréhensible que le grenelle de l’environnement aurait pu être, pour elles, un moyen de prêcher autre chose que cette fuite en avant; mais elles auraient dû voir que « ce montage ne sert en réalité qu’à accréditer et préparer des mesures de subventionnement du business ». Surtout que le gouvernement avait invité toutes les associations, sauf celles qui abordaient des thèmes polémiques (OGM, publicité, nucléaire, décroissance, nanotechnologies, toxicité chimique…) et étaient susceptibles de râler, aux côtés de syndicats ouvertement anti-écologie. Le débat était donc clos avant même d’avoir commencé et les marges de négociation des associations étaient nulles. Aucun intérêt de participer donc à une opération de communication délibérée et sans enjeux, si ce n’est gratter quelques subventions.

Comme le montrait le « Charity business : les dérives de l’humanitaire », les associations ne sont pas toutes les avocats altruistes d’une planète victime des déprédations du capitalisme qu’elles annoncent être et beaucoup, si ce n’est presque toutes, ont cédé aux sirènes du gain financier. L’associatif est devenu un business reposant sur les dons des particuliers mais également sur la vente d’une légitimité écologique perdue par les entreprises et les politiques : elles créent des labels verts pour la commercialisation de certains produits, affichent leurs sponsors contre des mécénats juteux, certifient des entreprises et participent à des actions gouvernementales pour décrocher des subventions. Ainsi, France nature environnement fonctionne à 65% sur des financements publics tandis que « Friends of the Earth est généreusement subventionnée par la Fondation Rockefeller (1.427.500 dollars de 1994 à 2001 et plus ensuite) et la Fondation Turner (425.000 dollars de 1996 à 2002) ».[9] Comment, dans ce cas, ne pas douter de l’indépendance et de la vocation purement écologiste de ces associations ?

 

Florian Tetu


[1] Le Greenwashing consiste à donner une image « verte » à quelque chose qui ne l’est pas ou, dans le cas des frères Koch, communiquer sur un déni de réalité écologique et climatique.

[2] Un temps appelés en France « laboratoires d’idées », les think tanks sont des instituts d’analyse qui ont pour but d’offrir des pistes de réflexion alternatives et d’influencer les gouvernants ainsi que les citoyens.

[7] Le Nouvel Economiste, 8 décembre 2010.

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Economie verte : tour d’horizon d’un attrape-nigauds

Leitmotiv du Ministère de l’Environnement, du développement durable et de l’énergie, levier de croissance, source de mécontentement des payeurs d’impôts… L’économie verte fait beaucoup parler mais elle ne semble pas faire l’objet de débat ni même de réflexion. Petit tour d’horizon d’un secteur pourtant polémique.

LIFE Magazine, 1962


Précédemment, nous avons comparé les politiques énergétiques américaine et européenne en penchant vers la politique qui a cours sur le Vieux continent, à savoir la transition écologique et l’économie verte. Or, force est de constater que l’économie verte est un concept extrêmement flou. Son sens a évolué à force d’appropriation par les différents acteurs du débat climatico-environnemental jusqu’à regrouper, aujourd’hui, tout et rien à la fois. Alors, l’économie verte, qu’est ce que c’est ? Et surtout, où cela nous mène ?

L’économie verte : un secteur vaste et très rémunérateur

On peut englober dans « l’économie verte » toutes les activités, industrielles (à but lucratif donc) ou publiques, ayant pour but la réduction de l’empreinte des activités humaines sur la planète ; c’est-à-dire impliquant la mise en place d’un régime moins carboné et plus respectueux de l’environnement. Delphine Batho, ministre de l’Environnement, du développement durable et de l’énergie, expliquait en début de mois qu’il s’agissait d’un marché de 550 Mds€. Ca a sans doute fait sourire bon nombre de badauds dans leur canapé devant BFMTV. Et pourtant, il suffit de comprendre l’étendue des domaines que recouvre ce secteur pour entrapercevoir les bénéfices liés. Voici une liste loin d’être exhaustive : le retraitement des déchets (de l’uranium usagé à vos épluchures de légumes), la pollution de l’air, la protection des paysages et de la biodiversité, la réduction du bruit, la gestion de la pollution lumineuse, la réhabilitation des sols et eaux, le traitement des eaux usées, le recyclage, la valorisation énergétique des déchets, la maîtrise de l’énergie, la construction de pistes cyclables, l’isolation des bâtiments, l’efficience des réseaux thermiques, la production et l’utilisation des énergies renouvelables … Une simple vue de cette liste et le scepticisme laisse place à l’envie de se lancer dans l’économie verte. D’ailleurs, selon l’INSEE, 450 000 emplois concernaient l’économie verte en France en 2010. L’économie verte, qui s’inscrit dans le cadre du développement durable, inclut donc un volet social fort. D’ailleurs, dans l’optique d’une sauvegarde de la planète, la croissance ne s’envisage pas à deux vitesses.

La fiscalité écologique a le vent en poupe

Et l’Etat dans tout ça ? Car oui, l’Etat est un acteur économique. La France a beau avoir privatisé EDF et consorts, elle influe sur son environnement économique par de nombreuses sanctions financières. La fiscalité écologique (c’est son nom) a déjà cours dans l’Hexagone même si elle mériterait d’être développée. Les ménages portent une partie du coût de l’impact écologique de ce qu’ils consomment avec une justification simple : les ressources n’étant pas infinies, nous payons pour dédommager les prochaines générations de la rareté future que créé notre consommation ainsi que pour les effets immédiats de notre consommation. La fiscalité devient non seulement un dédommagement mais également une incitation pour les ménages à moins consommer, ou à consommer de façon plus responsable. Dans les faits, la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui s’applique à l’usage d’énergies carbonées a rapporté 25,5 Mds€ à l’Etat en 2011. D’autres taxes comme la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et la redevance de prélèvement d’eau s’appliquent aux ménages et donnent un coût à l’empreinte environnementale de la consommation des ménages. Néanmoins, celles-ci ne couvrent qu’une partie des impacts et certaines pollutions, comme les rejets de nitrates dans l’eau, ne sont pas prises en compte. Les foyers français ne paient donc par exemple pas pour leur contribution à la formation des masses d’algues vertes qui couvrent les plages bretonnes. D’autres taxes existent, mais elles sont marginales en comparaison de la TICPE (vous pouvez voir une liste de l’ensemble des taxes environnementales et leurs revenus sur cette page).

Les entreprises ne sont pas en reste, et paient bien plus que les taxes des ménages. Elles sont par exemple intégrées dans le marché européen du carbone, qui n’est aujourd’hui pas encore fini. Ainsi, sont attribués à chaque Etat européen des crédits carbone qui sont ensuite distribués aux différentes entreprises. Libre à celles-ci ensuite de réduire leurs émissions pour rentrer dans leurs quotas carbone ou de continuer à polluer « comme si de rien n’était » en achetant des quotas sur le marché du carbone.

Bien sûr, ce n’est ici qu’un bref aperçu des principales mesures d’une fiscalité environnementale qui compte pas moins de 47 taxes qui ont rapporté l’année dernière 36 Mds€. Et ce chiffre devrait aller croissant car la France est en retard dans ce domaine par rapport à ses voisins européens. En effet, la fiscalité environnementale en France compte pour 4,7% des prélèvements obligatoires dans l’Hexagone alors que la moyenne européenne se situe à 6,19%. Un Comité pour la fiscalité écologique débat actuellement sur plusieurs mesures, dont la réintroduction de la taxe carbone qui s’était heurtée au Conseil constitutionnel lors de la première tentative d’introduction par le Président Sarkozy. Il est aussi question d’augmenter les taxes sur le diesel à hauteur de celles sur l’essence.

L’Europe malade, l’économie verte est-elle un remède miracle ?

Mais l’économie verte ne se limite bien sûr pas à la fiscalité verte, ce n’en est qu’une infime partie et ne représente même pas la totalité des actions de l’Etat dans l’économie verte. La grosse partie reste celle représentée par les entreprises des secteurs précédemment cités. L’économie verte est un levier de croissance assez fort, car il n’est pas saturé et se base sur des emplois qualifiés. Alors pourquoi s’y intéresse-t-on seulement maintenant ?

Tout simplement parce que l’économie verte serait, pour nombre de personnalités, un des remèdes anti-crise que le pays cherche désespérément depuis 2009. La dépendance énergétique de l’Europe aux productions étrangères atteignait les 54% en 2009 et plombait une compétitivité que l’on a dit mal en point, mettant l’Union dans une situation de « précarité énergétique ». La croissance verte fait office, elle, de voie vers l’indépendance énergétique, un moyen de sortir d’une situation de sous-emploi massif qui semble sans fin, la conquête de nouveaux marchés étrangers (notamment dans les pays du Sud qui débutent leur développement) et un régime moins carboné. Le paradoxe, c’est qu’en ces temps de crise économique, la préoccupation énergétique ne fait plus partie des priorités pour les populations et les pouvoirs publics, acteur essentiel de l’investissement dans le secteur, n’ont plus les moyens de leurs ambitions pour subventionner une transition qu’on nous annonce depuis trop longtemps.

 

« Même si les effets bénéfiques à court terme des plans de relance « verts » risquent d’être insuffisants pour compenser les pertes d’emplois et de revenus causées par la crise, les retombées positives peuvent se faire sentir assez rapidement. » L’Observateur OCDE

 

Tous les décideurs (sauf Laurence Parisot) sont d’accord pour dire que l’économie verte était une partie des solutions aux problèmes du Vieux Continent. D’une part, elle permet de moins subir les coûts et la volatilité des énergies fossiles, la crise russo-ukrainienne de 2009 qui avait privé les foyers européens de gaz pendant plusieurs semaines  ayant constitué un parfait exemple de ce qu’on faisait de pire en matière de dépendance énergétique. Marché vierge à conquérir, l’économie verte devient alors un Eldorado financier pour les investisseurs désireux de voir les fruits de leur argent mûrir très vite et LA solution à long terme.

Soutenue par les pouvoirs publics, secteur de choix pour les investissements à long terme, l’économie verte serait-elle plus largement la solution pour réconcilier l’homme et son environnement ?

De nombreux spécialistes et environnementalistes répondent par la négative. Pourquoi cela ? La réponse tient sur deux arguments : le réalisme écologique et la moralité du choix de la croissance verte. Car auréolée d’un prestige certain, décorée d’un vocabulaire flatteur (les mots « écologique », « vert » ou « croissance » aiguisent l’appétit), la croissance verte reste une idéologie capitaliste basée sur l’augmentation de nos besoins et de nos consommations. Or, verte ou non, la croissance entretient toujours une corrélation positive avec l’utilisation des ressources, même si celle-ci tend à diminuer. Nous serons bientôt 9 milliards d’humains sur la planète, et même avec des voitures électriques, l’avenir n’est pas très radieux. Certains spécialistes, comme le zégiste Paul Ariès (les zégistes sont les avocats de la décroissance, une idéologie économique qui avance que la croissance économique est incompatible avec un futur viable), ont préféré renommer la croissance verte « capitalisme vert » car il s’agit bien d’un nouveau marché qu’il faut conquérir.

Le capitalisme vert a d’ores et déjà dressé ses habits d’apparat lors de la bataille pour le gaz de schiste aux Etats-Unis : derrière les discours des industriels qui présentaient l’exploitation de la nouvelle ressource comme une avancée vers des émissions de carbone réduites (ceci sans compter les fuites de méthane ou les milliers de camions utilisés pour les forages), se cachaient des pratiques à l’aspect moral douteux : contrats abusifs, pollutions des sols, communication de guerre… Le secteur du gaz de schiste n’est qu’un exemple parmi tant d’autres activités que regroupe l’économie verte. On avait notamment vu Suez-Lyonnaise des eaux provoquer une révolte populaire en Bolivie en 2003. La gestion « propre » du réseau d’eau d’El Alto, en banlieue de La Paz, avait semblé être une justification suffisante pour augmenter le prix de l’eau potable par 6. Au final, l’économie verte représente une avancée technologique qui permet aux sociétés de continuer à produire et consommer. Consommer plus respectueusement mais consommer toujours plus.

Du côté de la morale, certaines associations comme Alternatives Eco, dénoncent une « marchandisation de la nature ». Et dans un sens, elles ont raison. Car dans les coulisses des grandes décisions économiques mondiales, plusieurs experts férus de maths s’acharnent à donner un prix à chaque chose, et notamment à la nature. C’est notamment le cas du rapport Sukhdev qui donne un prix à la biodiversité. La production environnementaliste la plus célèbre, le rapport Stern de 2006, donnait lui un coût au réchauffement climatique. Cela présuppose donc que, soit l’Homme possède l’ensemble de la planète, peut la vendre et investir dessus de façon illimitée, et que toutes les activités naturelles sont substituables par d’autres investissements (ex : je détruis une forêt, donc je rembourse la forêt à son coût environnemental, sans culpabilité ou dilemme moral), ou que l’économie (néolibérale) est une science, ce qu’elle n’est pas, qui englobe l’ensemble des activités possibles et dirigerait donc nos relations entre êtres humains mais également avec la nature. Pour exemple, le rapport Sukhdev a estimé le prix du récif corallien d’Hawaï à 360 millions USD tandis que celui de la pollinisation par les abeilles en Suisse a été estimé à 210 millions USD par an. Pour le journal Le Monde, « la recommandation du rapport Sukhdev apparaît dès lors évidente : avant de détruire la nature, réfléchissez à ce que vous allez perdre. » Mais le réel sens de cette démarche ne serait-il pas plutôt : « détruisez ce que vous voulez, l’argent est un substitut suffisant » ? Si ce n’est sans doute pas le but des deux rapports cités, qui voulaient créer une prise de conscience de la réalité écologique, c’est de cette façon que l’économie verte peut être comprise. On a renoncé à placer les logiques sociales et économiques, qui constituaient le cœur du concept de développement durable, au dessus du système et de la logique économique en donnant un prix à la nature et aux inégalités.

Ne vous en faites pas, on s’occupe de vous déculpabiliser.

On a donc inventé tout un arsenal d’outils pour « moraliser » les activités humaines très impactantes par la compensation financière : marché carbone, permis de polluer, les remplacements (ex : Vinci qui souhaite construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes remplacerait le bocage nantais détruit par un bocage artificiel reconstruit à quelques kilomètres)… Et en mettant l’accent sur les entreprises, on a retiré toute responsabilité au consommateur. Pourtant, sans demande, il n’y a pas d’offre. Plutôt que d’inciter à consommer de façon responsable pour générer la croissance d’une offre responsable, on créé une offre qui se conforme à une norme environnementale complètement erronée. C’est pratique : plus de culpabilité, c’est la faute des entreprises et pas la nôtre.

Et pour continuer à se faire de la bonne pub, les entreprises ne se sont pas seulement conformées aux standards gouvernementaux qui s’imposaient à elles, elles ont poussé le vice jusqu’à s’approprier le monopole du développement « propre ». Selon Basta !, l’agence de veille des luttes environnementales et sociales, « de nombreuses entreprises multinationales ont désormais des partenariats avec des agences onusiennes. C’est le cas par exemple de Shell et du Pnue sur la biodiversité, de Coca-Cola et du Pnud sur la protection des ressources en eau, de Nestlé et du Pnud sur l’autonomisation des communautés rurales, ou encore de BASF, Coca-Cola et ONU-Habitat sur l’urbanisation durable. » Grâce à ces partenariats, on fait croire qu’en plus de se ruiner la santé avec du coca-cola, les citoyens contribuent à la sauvegarde de l’or bleu.

 

Pas besoin donc de chercher le complot mondial, cette manœuvre se fait aux yeux de tous et sans aucune honte. Les multinationales assurent même leur publicité dessus. De la communication de génie à la marche vers un futur un peu sombre, il semble n’y avoir qu’un pas, que l’on a largement franchi. Or les citoyens n’en ont que faire ou se laissent prendre à un système de désinformation qui leur laisse croire que l’impact de leurs décisions est minimal. Cependant, chacun est responsable du paradigme de consommation dont il fait partie. La vraie alternative se situe dans un changement des systèmes de consommation, et cette modification, qui ne reçoit pas l’aval des pouvoirs publics, ne peut passer que par les populations ; c’est un mouvement qui s’organisera par le bas. L’économie verte n’est qu’un concept parmi d’autres servant à brider ces initiatives, à empêcher le mouvement de s’amorcer.

Florian Tetu

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« Les eaux ont beau couler dans tous les sens, le sable restera toujours au fond », vraiment ?

« Le sable, c’est un peu comme l’air qu’on respire : on n’y pense pas mais on ne peut pas vivre sans lui ». Voilà en une phrase, l’impression que l’on garde, la leçon que l’on retire, du visionnage du documentaire de Denis Delestrac, « Le sable : enquête sur une disparition », diffusé le 28 mai sur Arte.

 

Pour beaucoup d’entre nous, le sable, c’est la composition principale des châteaux que l’on construit avec ses enfants sur la plage, entre deux bains de soleil. C’est ce qui s’accroche à nos pieds humides en sortant d’une baignade rafraîchissante à l’eau salée. C’est ce que l’on voit à perte de vue en regardant une plage de sable blanc, ce qui finit par se dérober sous nos pieds alors que nous nous éloignons doucement de la côte. Oui pour beaucoup d’entre nous, le sable, ce n’est « que » ça.

 

http://matinlumineux.blogspot.fr

Pourtant, le sable ne nous offre pas que des vacances confortables. Il nous donne un lieu de vie, notre maison, l’hôpital de la ville. Il nous permet de profiter des nouvelles technologies, via nos ordinateurs, smartphones, et autres tablettes. Il nous permet même de nous laver les dents, nous maquiller, ou encore déguster un bon verre de vin. Mais surtout, le sable nous protège de celui face à qui nous ne sommes pas grand-chose : l’océan.

Alors oui, « on ne peut pas vivre sans lui ». Pourtant, il semblerait bien qu’il soit en train de disparaître.

 

En prenant conscience du nombre d’objets ou bâtiments composés notamment de sable qui font partie de notre quotidien, l’utilisation intensive de cette matière première semble plus logique. Cependant, voir le sable disparaître reste difficilement imaginable tant on a le sentiment que celui-ci est inépuisable : colline, plages, déserts, fonds sous-marins, comment pourrait-on manquer de sable ? À cause de qui le sable viendrait-il à disparaître ? De nous, de cette lubie humaine du gigantisme qui se traduit par construire toujours plus, toujours plus grand, toujours plus haut.

C’est en effet dans le secteur de la construction que la consommation la plus intensive de sable à lieu. Une maison représente 200 tonnes de sable, il en faut 3000 pour construire un hôpital, 30000 pour chaque kilomètre de route, et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire.

Or, le sable est une ressource qui met des milliers d’années à se renouveler, et qui n’est pas renouvelable à l’échelle humaine car on la consomme très vite.

Imaginez donc le résultat d’une construction telle que :

 

Palm Islands, Dubaï - http://www.linternaute.com/

Dubaï, ce « bac à sable pour promoteur mégalo où tout est permis, à condition que ce soit unique et pharaonique », a utilisé 150 millions de tonnes de sable pour créer de toutes palmes cette île artificielle, elle-même recouverte de constructions en tout genre mais toujours en béton, et donc en sable.

Imaginez la consommation en sable d’une ville telle que Singapour où chaque m2 est tellement utilisé qu’ils en viennent à essayer d’agrandir l’île en ajoutant du sable sur la côté, utilisant ainsi la technique du remblayage, pratique la plus consommatrice de sable après le béton :

 

http://actualite.news7j7.com/

Et ce gigantisme incontrôlable n’est pas le seul en cause. La sur-exploitation du sable provient également de spéculations financières qui aboutissent à des logements vides car hors de prix, dans des villes pourtant surpeuplées. Ainsi, à Bombay on estime que la moitié des logements ne sont pas habités à cause des promoteurs qui spéculent, si bien que les populations s’entassent dans des bidonvilles. L’Espagne est le pays européen qui a utilisé le plus de sable … pour rien, puisque 30% des habitations construites depuis 1993 sont vides.

Enfin, le secteur public est le plus gros consommateur de sable via la construction de routes, d’autoroutes, des barrages ou encore de ponts. Considérant en plus que les routes s’abîment avec le temps et doivent donc être fréquemment refaites : « vous avez sous les autoroutes, toutes les plages du monde ».

Toutes ces constructions, devenues indispensables à l’homme, se multiplient, indéfiniment, alors même que les ressources traditionnelles de sable s’épuisent. Les carrières ont été utilisées, toutes les ressources faciles à exploiter et pas chères sont déjà exploitées. Alors les États et les professionnels du bâtiment se sont tournés vers d’autres types d’exploitation, sans penser aux conséquences que leur exploitation pouvait avoir.

 

 

Un proverbe géorgien dit « les eaux ont beau couler dans tous les sens, le sable restera toujours au fond ». Pas sûr.

En effet, l’alternative la plus commune trouvée à l’exploitation traditionnelle du sable dans des carrières, est aussi la plus dévastatrice pour l’environnement, et la plus dangereuse pour l’homme : l’exploitation du sable marin.

Utiliser le sable marin, c’est un peu la fausse bonne idée. De prime abord celui-ci semble être une alternative parfaite : bonne consistance du sable, il s’agrège parfaitement (au contraire du sable du désert, ce qui le rend inutilisable pour toute construction), et qualité supplémentaire : il est presque gratuit.

On utilise alors une drague, qui vient aspirer le sable des profondeurs marines … et tout ce qui va avec.

 

http://wwz.ifremer.fr

On utilise alors une drague, qui vient aspirer le sable des profondeurs marines … et tout ce qui va avec. Aspirateur incroyablement puissant, les dragues aspirent non seulement le sable, mais également les animaux et les plantes, de telle sorte que tout organisme vivant est éliminé. De plus, les sables marins constituent l’endroit principal où les poissons trouvent leur nourriture, en les aspirant de la sorte c’est alors la survie de toutes les espèces qui est menacée. En aspirant les sables marins de la sorte, on met donc en péril tout l’écosystème sous-marin, et on menace également de plus en plus dangereusement non seulement certaines économies locales, mais surtout des populations toutes entières.

Certaines villes ont bâti leur économie sur la réputation de leurs interminables plages de sable blanc, c’est le cas par exemple de Miami. Depuis quelques années les populations recherchent la proximité de la mer, si bien que les habitations se rapprochent des côtes, laissant moins de place aux plages. Or ceci à un impact bien plus grave qu’on ne l’imagine : en effet les plages ont besoin d’espace derrière elles pour résister aux mouvements des océans : « en été elles deviennent plus épaisses, et en hiver elles reculent et s’aplanissent pour mieux pouvoir résister aux assauts des vagues ». Sans espace derrière elles, les plages ne peuvent plus reculer, et disparaissent petit à petit.

Les Miamians craignent pour la prospérité de leur ville, et certains habitants d’îles indonésiennes craignent pour leur habitation qui menace à tout moment d’être engloutie sous l’océan comme pour leur unique source de revenus.

En effet Singapour n’a plus assez de sables dans ses exploitations traditionnelles pour permettre d’étendre la ville en gagnant encore quelques kilomètres sur la mer, et les pays à proximité tels que l’Indonésie ou le Cambodge n’acceptent plus de donner du sable à Singapour. Dès lors des dealers s’organisent pour continuer à payer ces îles voisines de leur sable. Alors que les indonésiens disposaient encore de 50 mètres de plage il y a quelques années, ils voient aujourd’hui les vagues ronger chaque jour un peu plus leur île et se rapprocher dangereusement de leur maison. Et ils sont parfaitement conscients de cette catastrophe multi-faces qui se prépare : « à cause du minage de sable, nous perdons nos récifs coralliens, nous perdons les poissons, le moyen de subsistance des pêcheurs, nous perdons les revenus des familles de pêcheurs, nous perdons tout ».

 

http://www.lemonde.fr

La mafia du sable ne concerne pas que les îles de l’océan indien, les pays du Maghreb en sont également le théâtre depuis plusieurs mois : des dunes disparaissent au fil des nuits, notamment près de Tanger ou de Casablanca, le sable étant emporté par des camions n’étant pourvus d’aucune autorisation légale.

En Algérie, la Wilaya d’El Tarf est également particulièrement touchée par cette recherche incessante d’une quantité toujours plus grande de sable: la sablière de Reghia est surexploitée et le littoral disparaît comme neige au soleil. Le Président du Comité national des marins pêcheurs « Cnmp » avait déjà prévenu il y a quelques mois : « Depuis l’année 2000, on avait perdu 35 km de plage à cause du vol de sable de littoral ». De même, les associations de défense de la nature affirment que la surexploitation a conduit à engloutir plus de 370000 mètres cubes de sables par an : « Les plages du littoral algérien sont condamnées à mourir de dessèchement ».

 

http://www.lematin.ma

En France aussi l’impact environnemental de cet appétit du sable commence à se faire connaître. En Bretagne notamment, la zone protégée « Natura2000 » est au cœur d’un projet d’extraction d’un groupe industriel régional, au grand damne des habitants et particulièrement des pêcheurs qui trouvent toujours du poisson autour de cette dune.

 

Mais maintenant que ce constat est fait, doit on se résigner à voir nos plages disparaître ou des solutions existent-elles ?

La principale piste donnée par le reportage de Denis Delestrac est le recyclage du verre, qui viserait en fait à remplacer une partie de la consommation de béton. En effet, il nous explique que « le verre broyé a la même densité et les mêmes propriétés que le sable naturel » et que l’on peut également « broyer les gravats ou le béton récupéré des destructions d’immeubles ».

 

Montagne de verre broyé - http://ecoattitudesbio.unblog.fr

Dans le même but, il existe de alternatives locales, comme la crépidule, un « coquillage invasif qui se trouve en baie de Saint-Brieux » ou encore la « tangue du Mont Saint-Michel, une espèce de vase surabondante autour du monument ».

Afin de limiter la consommation de béton, favoriser les constructions en bois serait également une solution. Le bois présente de nombreux atouts :

– c’est un bon isolant puisqu’il l’est 12 fois plus que le béton ;

– il est économique : un bâtiment en bois est plus rapide à construire ;

– il régule naturellement l’air et permet d’améliorer la qualité de celui-ci ;

– il résiste mieux au feu que le béton, notamment car sa conductivité thermique est inférieure ;

– son impact environnemental est moindre à condition d’un sévère contrôle visant à vérifier que les acteurs de la filière bois replantent un arbre pour chaque arbre abattu ;

– enfin le bois est une ressource naturelle renouvelable et recyclable.

Évidemment, il reste difficile de faire en sorte que le secteur du bâtiment intègre ces pratiques, tout simplement car ils n’ont pas l’habitude de travailler avec des matériaux différents et ne sont bien souvent ni formés ni équipés pour. A court terme il faudrait donc commencer par exploiter avec raison les ressources dont nous disposons et faire en sorte de limiter l’impact environnemental.

 

En conclusion, « la question est de savoir quand nous allons adapter le développement humain aux processus naturels », parce que, soyons honnêtes, ce ne sont pas les humains qui auront le dessus, la disparition progressive mais rapide de nos littoraux en est bien la preuve.

 

http://www.temoignages.re

 

 

Eve-Anaelle Blandin

 

Sources :

http://www.lnr-dz.com

http://www.atlantico.fr/decryptage/penurie-en-vue-quoi-peut-on-remplacer-sable-denis-delestrac-alain-bidal-739012.html?page=0,1

http://www.enerzine.com/1037/13727+construction—bois-ou-beton-il-faut-choisir+.html

 

 

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Du magasin d’Etat au McDonald’s nash : penser la transition démocratique de l’ex-URSS en termes de consommation

 

2013 marquera deux étapes dans la vie de la chaîne de restauration rapide américaine McDonald’s : les 23 ans de son premier restaurant à Moscou, et l’ouverture de ses premiers restaurants en Sibérie.

Ce développement du géant américain peut sembler anecdotique tant ce restaurant est devenu l’un des symboles forts de la mondialisation, elle-même étant un trait caractéristique du monde d’aujourd’hui. Et pourtant, on oublie parfois qu’il n’y a pas si longtemps, les pays de l’ex bloc soviétique ne connaissaient pas l’économie de marché. Il y a un peu plus de 20 ans, ces pays n’avaient pas même le choix des produits qu’ils consommaient, et les pénuries alimentaires rythmaient le quotidien des habitants. Il y a un peu plus de 20 ans, ces pays ne connaissaient pas McDonald’s. Aujourd’hui, McDonald’s y est non seulement implanté, mais produit aussi localement.

 

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Du communisme au lendemain de la chute du mur : une transformation de prime abord radicale

Revenons brièvement sur cette transition. Elle est – presque – connue de tous sous ses aspects politiques et symboliques, mais on ne l’évoque guère en termes de consommation.

Après la chute du mur, le paysage économique et social se transforme dans les pays de l’ex-URSS. On voit apparaître des supermarchés et même de grands centres commerciaux. Les enseignes des géants de l’industrie occidentale tels que McDonald’s s’intègrent rapidement, si bien que l’arche dorée, encore inconnue quelques mois auparavant, devient un point de repère pour les passants égarés.

Les pratiques culinaires se transforment également au contact de McDonald’s : la fréquentation des restaurants augmente, et ils deviennent des lieux privilégiés pour célébrer des événements tels que des anniversaires. De plus, les mets propres à ce restaurant, comme les frites, les hamburgers ou les milkshakes, sont très rapidement intégrés aux habitudes culinaires des familles, et sont proposés par les restaurants locaux au bout de quelques mois.

 

Mais plus que l’environnement du consommateur, c’est le processus même de consommation qui se transforme pour les Russes ou les Allemands « de l’Est » (cet article se centre principalement sur l’exemple de ces deux pays. Il est clair que les transformations ne sont pas nécessairement identiques dans tous les pays de l’ex-URSS). Sous le communisme, consommer se réduisait souvent à se nourrir, et l’on organisait le quotidien pour satisfaire à la nécessité.  En effet, touchés par une forte crise causant des pénuries à répétition, les habitants devaient planifier leurs journées en fonction de leurs besoins, car chaque détour au magasin d’État demandait de passer plusieurs heures dans une file d’attente. Dès lors, la vie s’organisait en fonction de ces longues attentes nécessaire pour atteindre les rares magasins encore approvisionnés, des événements tels que des célébrations d’anniversaire qui devaient être planifiés des mois à l’avance de manière à être sûr de ne manquer de rien, des réserves qui devaient être faites car rien ne permettait d’assurer que les produits du quotidien seraient encore disponibles quelques jours plus tard.

 

http://lhistgeobox.blogspot.fr/2012/03/257-die-partei-hat-immer-recht-1950.html

 

Lorsque le mur de Berlin tombe, c’est donc tout un processus de consommation qui s’écroule, puis s’achemine vers l’hyperconsommation – en apparence, du moins. Désormais, les habitants doivent inclure de nouveaux déterminants dans leur acte d’achat : la variété, leurs goûts, le rapport qualité-prix. Avec cette possibilité de choix et la variable du prix, l’acte de consommation ne représente également plus la même chose. Alors que la pratique s’individualise, le produit devient également un marqueur social témoignant d’un statut. La valeur « sociale » attribuée à un bien est également transformée. Durant le communisme, si l’on voulait offrir un cadeau de valeur, on se basait sur sa disponibilité : plus celui-ci était difficile à obtenir, plus il était valorisé. Dans les années 1990, on s’oriente davantage sur des biens vecteurs de sociabilité : des chocolats étaient une bonne idée car ils seraient partagés à la fin d’un dîner entre amis, ou un cognac français était un beau cadeau pour le médecin de la famille parce que c’était plus original que de la vodka, plus cher, et évoquait davantage la société occidentale.

Ce ne sont donc pas simplement les nouvelles variétés de produits venant compléter des étals bien souvent vides qui marquent cette transition, c’est aussi l’acte d’achat et tout le processus de choix, voire de calcul coût-avantage. C’est l’apparition d’un homo œconomicus russe ou estonien.

 

Homo-economicus russe ou allemand, mais toutes choses égales par ailleurs, car si les frontières de l’ex-URSS disparaissent, l’histoire et le vécu qui y sont attachés laissent, eux, des empreintes bien plus profondes, encore visibles aujourd’hui.

 

« Buy Russian » et la bière RDA : nostalgie ou quête d’identité ?

 

http://www.press-on.fr/19/Les-Objets-de-la-RDA--de-la-decharge-a-la-vitrine.html?news_id=49

Il serait une erreur de penser que les habitudes de consommation adoptées durant le communisme se sont parfaitement effacées au profit d’habitudes venues « de l’Ouest », occidentalisées. Dans les années 1990 et encore aujourd’hui, les habitants de l’ex-URSS ont su domestiquer une culture qui leur a longtemps été interdite.

Notons par exemple la campagne « Buy Russian » qui s’est déployée à la fin des années 1990. Celle-ci vantait les produits locaux, non pour relancer l’économie, mais tout simplement pour être en adéquation avec une préférence qui se dessinait de plus en plus chez les Russes. Ceux-ci avaient en effet la possibilité de consommer des produits venus de pays très différents, mais ils choisissaient de consommer russe.

Deux explications possibles à ce phénomène :

 

  • Avec la chute du socialisme, la Russie s’est trouvée dans une grande difficulté économique, si bien que les Russes étaient convaincus d’être perçus comme le tiers-monde et d’être dès lors les derniers de la ligne de distribution. Les produits arrivés chez eux étaient perçus comme les plus mauvais dans l’échelle de la consommation, d’où une préférence pour des produits locaux dont ils connaissaient l’origine et pouvaient attester de la qualité. Une méfiance exacerbée certes, mais reconnaissons qu’à cette époque ils n’auraient pas trouvé de cheval dans leurs saucisses !

 

  • Une autre explication, ou plutôt un complément à la première, réside en la reconquête d’une identité collective, d’un sens collectif. Les Russes sont souvent présentés, voire stéréotypés, comme un peuple particulièrement fier de son passé et de ses traditions. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au lendemain de la chute du mur, beaucoup d’habitants des pays de l’ex-URSS ont éprouvé de véritables difficultés dans ce monde nouveau qui s’ouvrait à eux. Leur passé soviétique était souvent tourné en dérision, et des objets de cette époque étaient devenus des symboles de l’infériorité du communisme, notamment en ex Allemagne de l’Est (la voiture appelée la Trabant par exemple, qui contrastait avec les Mercedes et autres Porsches, très présentes en Allemagne de l’Ouest). Petit à petit, ces anciens soviétiques ont entrepris de se  reconstruire une identité collective à travers leur consommation, afin de ne pas oublier d’où ils venaient et qui ils étaient. Nous nous appuyons ici principalement sur les exemples de la Russie et de l’ex Allemagne de l’Est. Mais évidemment, si la majorité des pays de l’ex-URSS connaissent un repli nationaliste dans les années 1990 et parfois encore aujourd’hui, les nationalismes diffèrent d’un pays à un autres dans leurs pratiques. Surtout, les modes de consommation peuvent être l’une des expressions d’un nationalisme qui s’exprime naturellement dans d’autres comportements économiques, sociaux et culturels.

 

http://traces.rmc.fr/250791/La-Trabant-voiture-mythique-de-la-RDA-fete-ses-50-ans/

 

La campagne « Buy Russian » est un exemple de cette recherche d’identité collective, mais il en existe d’autres. Les ex-Allemands de l’Est ont également éprouvé ce besoin de reconstruire leur identité en assumant pleinement leur passé sous le communisme, et cela s’est concrétisé par la réapparition d’objets assez typiques, comme par exemple la bière traditionnelle de la République Démocratique Allemande. Ces vieux objets étaient remis en circulation, ou s’intégraient à la décoration de la maison, comme pour rappeler aux propriétaires leurs racines.

 

Revivre le passé pour ces ex-sovietiques et le faire partager à leur descendance ainsi qu’à de parfaits inconnus s’est également matérialisé à travers des salles de cinéma qui ne diffusaient que des films de l’époque ou encore des musées qui se sont spécialisés dans la reproduction de logements de l’époque. Cette envie de se replonger dans le passé s’explique une nouvelle fois par une déception suite à la fin de l’URSS. En effet, les anciens soviétiques n’étaient pas habitués à l’individualisme qui s’est petit à petit imposé dans les pratiques tant sociales qu’économiques, ou encore à la compétitivité. Les habitants ont alors connu un sentiment de désillusion et in fine un repli identitaire.

 

Gageons également que les industriels avisés ont su repérer cette nostalgie naissante et l’exploiter pour en tirer profit. Mais quoiqu’il en soit, à travers ces pratiques de consommation, à mi-chemin de l’adoption d’un comportement d’homo-oeconomicus et d’une volonté de ne pas oublier son passé, on trouve en fait un moyen pour les habitants de l’ex-URSS de connecter des biographies individuelles à un passé commun dont les frontières géographiques ont parfois disparues.

 

Et surtout, les entreprises ont su s’adapter à ce passé et ces traditions que les habitants des pays de l’ex-URSS ont voulu préserver. Si bien qu’aujourd’hui, le McDonald’s de Moscou est peut-être le plus grand McDonald’s au monde, mais il n’en est pas moins intrinsèquement russe.

 

« Des McCrevettes, s’il vous plait !» : McDonald’s peut-être, mais McDonald’s « nash » sûrement

 

« Il y a une dizaine d’années, mon père, en voyage en France, nous avait ramené comme souvenir des hamburgers McDonald’s. C’était alors une réalité qui paraissait inaccessible lorsque l’on habitait Varsovie », se rappelle Bartlomiej Zdianuk, originaire de Pologne.

 

Un Russe pourrait dire exactement la même chose. Alors imaginez l’effet que peut avoir l’ouverture d’un McDonald’s dans des pays où les habitants ont imaginé une culture occidentale d’autant plus idéalisée qu’elle leur était formellement interdite. Alors que des hamburgers étaient ramenés en guise de souvenir de voyage, qu’ils étaient passés en douce par-delà le mur qui séparait Berlin en deux zones, ils sont soudain devenus accessibles, libres d’être dévorés sans retenue. Résultat : dans le plus grand McDonald’s au monde (capacité d’accueil de 700 clients, tout de même), le restaurant de Moscou accueille le 31 janvier 1990 pas moins de 30000 amateurs de burgers, obligés de faire la queue sur plusieurs dizaines de mètre avant d’atteindre l’un des 27 tiroirs-caisses du McDonald’s moscovite. On peut peut-être voir là une touche d’humour du destin puisque les files d’attentes menant aux magasins d’État communistes furent remplacées du jour au lendemain par celles menant au restaurant,  souvent considéré comme le parangon de la mondialisation et du capitalisme débridé. Tout un symbole.

 

http://moscou.esj-lille.net/2011/11/16/mcdo-a-moscou-et-partout-la-vie-rapide/

Les Russes laissèrent alors pour un temps bortsch et chachlik, mais firent également la connaissance d’un tout autre style de service. Khamzat Khasbulatov, le chef exécutif de McDonald’s Russie et président de la division Europe de l’Est de McDonald’s se souvient  de ces débuts dans cette entreprise, à la culture bien différente de ce qu’il avait pu connaître alors qu’il gérait un magasin d’État sous le socialisme : « When I moved from a state-owned restaurant to McDonald’s, it was not really a significant change for me as an industry, as a business. But the approach — how the business is developed, focus on very small details, customer and employee are first, how we treat all of these small parts of business — that was different under McDonald’s than it used to be under the state organizations »

Une approche de la relation client qui ne manqua  pas non plus de surprendre les premiers concernés, peu habitués à être accueillis par des serveurs souriants et prêts à répondre à n’importe laquelle de leur demande : « When you see the faces of customers who have never been treated as welcomed guests, that was a surprise for me », se souvient Khamzat Khasbulatov.

 

L’arrivée de McDonald’s dans les pays de l’Est, et notamment en Russie, ce n’est donc pas seulement découvrir le BigMac, c’est aussi découvrir une nouvelle culture d’entreprise, et c’est finalement devenir des consommateurs d’un marché dont l’offre est de plus en plus personnalisée.

 

Mais la curiosité ne dure qu’un temps, et s’intégrer durablement dans des pays encore fortement marqués par le communisme et la planification demande une stratégie spécifique, ce que McDonald’s a bien compris.

Pour perdurer sur l’ex sol soviétique, il fallut donner confiance à ceux qui furent rapidement déçus par le capitalisme puisque la crise économique les rattrapa rapidement, il ne fallait pas imposer une culture toute entière mais seulement des petites touches et surtout, s’adapter à la culture et au passé local.

 

La stratégie du géant américain de la restauration rapide s’est développée selon plusieurs axes.

  • L’entreprise a tout d’abord revêtu une image plus humaine, en mettant en avant les fondations Ronald McDonald et ses dons généreux (pas moins de 4 millions de dollars en une dizaine d’années) permettant de soigner des enfants malades et des handicapés.

 

  • Dès l’ouverture du premier restaurant à Moscou, un axe s’est affirmé : pour faire couleur locale, il fallait employer local également, des cadres aux employés. Le chef exécutif de McDonald’s Russie en témoigne : « We don’t have any expats in our organization. The whole company is run by Russians. That is a win-win for the local company, because you have to understand the local consumer and environment. You have to understand how to deal with the market every minute, every day, every year ».

 

  • Le local se retrouve également dans l’assiette, puisque McDonald’s a su tirer enseignement de la préférence nationale russe (les Russes différenciaient alors la nourriture locale appelée « nash » et celle venant de l’étranger) qui avait été à l’origine de la campagne « Buy Russian ». Aujourd’hui la matière première des McDonald’s russes est à plus de 80% issue de l’industrie locale, et ce grâce à près de 50 millions investis dans le développement d’une « food-town » à Solntsevo où sont produit l’essentiel des ressources nécessaires à la production des restaurants. Un but ? Assurer la qualité des produits. Le destin est décidemment fourbe : la préférence pour les produits d’origine russe, causée par une méfiance envers le monde occidental suite à la fin de la guerre froide, se retrouve aujourd’hui dans les BigMac moscovites.

http://ht.ly/h172k

  • McDonald’s a également usé de la stratégie qui fait aujourd’hui un peu de l’image de marque de ce leader de la restauration rapide : l’adaptation culturelle. Alors non, n’exagérons rien, vous ne trouverez pas de bortsch coincé entre deux tranches de pain à burger et de cheddar. Mais vous aurez le plaisir de tester cette spécialité McDonald’s des pays de l’Est, les « McCrevettes », ou petites crevette frites et panées. Et si l’envie vous prend de faire une pause au McDonald’s lors de votre périple polonais, soyez local, commandez un « WiesMac ».

 

  • Enfin, si vous n’en étiez pas encore convaincus, les McDonald’s russes ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, non. Pourquoi ? Parce que, et c’est là une spécificité notable pour McDonlad’s, vous n’y trouverez que peu de fast foods à l’américaine à l’architecture novatrice et gargantuesque. Khamzat Khasbulatov en est très fier : de nombreux McDonald’s ne dénaturent pas le paysage russe, ils s’intègrent dedans. Ainsi, avant la construction d’un restaurant, les archives sont consultées afin de ne pas transformer le bâtiment qui a été choisir pour accueillir le fast food. Les restaurants doivent s’intégrer harmonieusement dans les lieux qu’ils occupent, les respecter, et même parfois les valoriser, comme c’est le cas à Arbat : « The most striking example may be the McDonald’s restaurant on Arbat, which is in an early nineteenth-century building. There we did a complete restoration of the building and tried to reconstruct it in the spirit of a nineteenth century restaurant interior ».

Des McDonald’s donc, mais des McDonald’s nash.

 

http://www.jacqueslanciault.com/wp-content/RUDSC_0402_800.jpg

 

Mais attention, alors qu’en France on risque de voir les jeunes cadres dynamiques demander à leurs grands-parents la recette du pot-au-feu et de la blanquette de veau car ils n’osent plus se ravitailler chez Findus ou Picard, les jeunes russes ou tchèques ne sont pas avares de tradition et risquent de délaisser les fast food, aussi nash soient-ils.

Ainsi, lorsque l’on interroge des jeunes gens des pays de l’Est, ceux-ci ne voient plus McDonald’s comme un symbole quelconque. Il s’agit pour eux simplement d’un fast-food bien pratique car souvent situé au centre-ville, mais qui n’est pas forcément leur lieu de prédilection car plus cher et pas vraiment à leur goût :

« Je vais dans les fast-food le moins possible : je trouve les produits du McDo plus repoussants qu’attirants. Je pense pouvoir répondre au nom de la plupart des étudiants pragois : nous privilégions des formes de restauration “rapides” mais plus traditionnelles et tchèques. Les alentours de la faculté fourmillent de petits restaurants aux plats simples (salades, plats tchèques), à l’ambiance moins impersonnelle et à des prix surtout moins élevés », explique par exemple une étudiante à l’université Charles de Prague.

 

De la restauration rapide mais plus traditionnelle et tchèque, comment cela ?

Alors qu’en France McDo doit faire sa place dans un marché de la restauration rapide concurrencé par les « jambon-beurre » et autres sandwichs à la baguette française, il doit également affronter de nouveaux concurrents dans les pays de l’Est. Car le traditionnel a le vent en poupe, et les Chlebíček sýrový et autres Chlebíček šunkový (sandwichs tchèques) séduisent incontestablement les jeunes tchèques.

 

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En Russie aussi on se prend au jeu, avec des restaurants rapides qui proposent de la nourriture traditionnelle russe. Fini le BigMac-Coca, bonjour le Bortsch-Kvas. C’est au « Ruskie Bistro » que vous pourrez déguster cette formule rapide à prix réduit. Un fast food à l’initiative de qui ? La mairie de Moscou elle-même. Serait-ce trop poussé de voir là une lointaine parenté avec les « Beryezka » (magasins d’Etat) d’il y a quelques années ? Taquin ce destin, taquin.

 

Eve-Anaelle Blandin

 

Sources :

The Moscow Times

Regard Est

Berdahl Daphne

Caldwell Melissa

Patico Jennifer

 

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