La révolution des hydrocarbures de schiste américaine face aux réalités du marché énergétique

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« La période de domination unipolaire [américaine] est finie »

Ces mots ont été prononcés par M. Poutine lors du discours de clôture du club ValdaÏ, le 24 octobre 2014 à Sotchi.

Face au souvenir maintenant lointain de la période 1989-2001 où la domination américaine sur le monde était incontestée, les hydrocarbures de schiste, en rebattant les cartes de la géopolitique de l’énergie, ont le mérite de remettre l’idée d’une nation américaine comme métronome du monde au goût du jour.

On comprend donc l’enthousiasme des décideurs politiques et industriels américains à promouvoir les réussites de cette révolution. Mais qu’en est-il réellement des réussites économiques attribuées au schiste ?

 

Des impacts économiques avérés

C’est grâce à l’utilisation massive de la fracturation hydraulique depuis 2006 que la production de gaz et de pétrole de schiste a pu exploser aux Etats-Unis. La production de pétrole brut a ainsi augmenté de 70,6% entre 2006 et 2014.

Les retombées semblent positives pour l’économie américaine, les recettes fiscales et l’emploi. Comme au Dakota du Nord, où se situe l’important bassin de Bakken (exploitation de pétrole et gaz de schiste) qui est devenu en novembre 2014 l’état américain avec le plus faible taux de chômage (2.7% contre une moyenne nationale de 5.8).

De plus, la compétitivité de plusieurs secteurs économiques a été boostée par la nouvelle abondance d’hydrocarbures sur le sol américain, et offre un avantage non négligeable aux industries américaines par rapport à l’Union Européenne, le Japon ou encore la Chine.

Ainsi, on assiste à une relocalisation d’entreprises grandes consommatrices de gaz, dans des secteurs comme la chimie et la production d’engrais.

 

… Mais à relativiser

Néanmoins, ces réussites économiques ne doivent pas masquer les vices d’une industrie foncièrement courtermiste.

En effet, la durée de vie des gisements de schiste est beaucoup plus faible que celle des gisements conventionnels. Un gisement conventionnel peut produire pendant 25 ans, un gisement de pétrole ou gaz de schiste ne produit pas plus de 5 ans avec une baisse de la production très importante à partir de la deuxième année. Ainsi pour maintenir une production constante, la condition essentielle est de toujours plus forer. On estime qu’une exploitation de schiste nécessite 100 fois plus de forages qu’une exploitation conventionnelle. Outre un fort impact sur l’environnement, ces nombreux forages fragilisent la rentabilité des exploitations.

De plus, le seuil de rentabilité d’une exploitation de schiste est beaucoup plus élevé que pour une exploitation d’hydrocarbures conventionnels et dans ces conditions, comme c’est le cas actuellement, est beaucoup plus sensible aux variations des prix des hydrocarbures.

En plus de ce paramètre structurel du schiste naturellement limitant économiquement, il est estimé que son effet à long terme sur le niveau du PIB américain sera d’environ 0,84% entre 2012 et 2035. Soit moins de 0,04% de croissance supplémentaire par an.

De plus, seuls certains secteurs bénéficient de ces retombées. En effet, l’ensemble des industries qui profitent d’un plus faible prix des matières premières grâce aux hydrocarbures de schiste, comme la pétrochimie ou les raffineries pétrolières, ne représentent qu’environ 1,2% du PIB des Etats-Unis. Les retombées économiques des gaz et pétrole de schiste pour les États-Unis sont donc très sectorielles et très locales.

Enfin, les chiffres flatteurs pour l’emploi sont aussi à étudier avec précaution. En analysant les données du Bureau des statistiques du travail américain, on peut identifier 100 000 emplois directs créés entre 2008 et fin 2013 dans la production de gaz et de pétrole et les services liés. C’est donc un impact limité, sachant que la population active américaine compte 155 millions de personnes.

 

Face à ces faits, il apparaît finalement que la réalité du boom économique des hydrocarbures de schiste est bien éloigné des discours. Ce sont donc des données à garder en tête au moment de faire le bilan des conséquences de 9 ans d’exploitation de ces hydrocarbures aux Etats-Unis.

 

Arnaud Le Bihan

 

Sources : Iddri, Le Figaro, Bilan.ch, CFR.org, Les Echos,

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